Montpellier-Perpignan (LNMP) : les sujets explosifs de gares nouvelles ex-urbanisées et de l'exclusion du fret au sud de Béziers
Les études préalables à l’enquête publique et les acquisitions foncières pour la construction de la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (LNMP) ont été confirmées en novembre lors d’un comité de pilotage réunissant le préfet de la région Occitanie Etienne Guyot et la présidente du Conseil régional Carole Delga. Si le préfet de région a réaffirmé que ce projet était « une priorité de l’Etat », il reste particulièrement controversé sur deux points : la création de gares nouvelles et la mixité fret-TGV limitée à la section Montpellier-Béziers. Une nouvelle concertation a eu lieu du 2 novembre au 15 janvier. Sur ces questions, une des associations les plus actives sur le sujet, « TGV SUD Territoires-Environnement » (TSTE), membre de la Fnaut, présente un dossier complet. Elle refuse à la fois la construction de gares nouvelles en pleine ligne déconnectées du réseau TER, comme l’est celle de Montpellier Sud-de-France, et exige la mixité de la partie Béziers-Perpignan, faute de quoi la totalité du trafic fret serait maintenue sur la seule ligne du littoral parallèle, particulièrement fragile puisqu’elle court à travers les étangs… et devrait être saturée à terme.
Mobilisation des départements et intercommunalités, appels à la concertation, position de l’association TSTE
La réunion de novembre a permis d’informer, en vue de les mobiliser, les trois départements (Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales), et les sept intercommunalités (Montpellier, Sète, Béziers, Agde, Narbonne, Carcassonne, Perpignan) concernés. « Nous sommes convenus de préparer un projet de protocole de financement du projet pour le printemps 2021 », avait déclaré le préfet de région. La présidente de région s’est félicitée d’avoir pu « mesurer l’engagement des élus régionaux, essentiel à la réussite » du projet. Elle a fortement invité « tous les habitants, acteurs publics et privés » à prendre part à la concertation « afin de donner toute l’ambition que ce projet mérite ».
Saisissant cette main tendue, l’association TGV SUD Territoires Environnement, qui travaille depuis longtemps sur ce sujet, capital tant pour une région submergée par le trafic routier que pour les relations internationales, a rédigé un mémorandum complet. Il argumente d’abord en faveur de l’intégration maximale de la LNMP dans le réseau ferroviaire voyageurs existant : ligne historique du littoral reliant Tarascon, Sète et Perpignan, lignes affluentes de Béziers-Neussargues, Narbonne-Toulouse, Perpignan-Villefranche-Vernet-les-Bains.
Il plaide aussi vivement pour que la mixité du trafic soit assurée sur la LNMP de bout en bout, afin de décharger la ligne historique entre Béziers et Perpignan, et pas seulement entre Montpellier et Béziers. La croissance espérée du trafic fret entre France et Espagne et celle déjà actée du trafic TER saturerait rapidement l’axe historique côté sud, nonobstant le report des trains à grande vitesse sur la LNMP.
La LNMP, un projet destiné à assurer une continuité grande vitesse et grande capacité entre France et Espagne
La LNMP répond à un double besoin. D’abord celui d’assurer une continuité de la grande vitesse voyageurs entre le réseau à grande vitesse espagnol – le plus long d’Europe à ce jour- et le réseau européen. Ensuite, elle vise à renforcer la robustesse et les capacités sur l’axe Barcelone-Avignon, dont le trafic fret est appelé à se développer avec le report modal, comme le trafic voyageurs régional. Rappelons que l’autoroute A9 parallèle au projet ferroviaire est chargée d’un des trafics poids-lourds parmi les plus denses d’Europe. (2)
Marché Saint-Charles à Perpignan. On aperçoit au fond les installations ferroviaires et l'amorce de la ligne nouvelle Perpignan-Figueras, en tronc commun avec la ligne régionale Perpignan-Villefranche-Vernet-les-Bains. Ce marché illustre l'importance des flux entre le Roussillon et le reste du pays, et entre la péninsule ibérique et la France. (Doc. Wikipedia/St Charles com)
La LNMP vise aussi à renforcer la fiabilité de l’axe France-Espagne méditerranéen. Sur la section Montpellier-Béziers, elle raccourcit le linéaire d’environ 20 % (58 km contre 71 km via Sète). Sur cette même section, elle permet d’éviter à la fois les aléas du pont levant de la Bordigues (ou Maréchal Foch) franchi sur l’erre (sans alimentation électrique) à la sortie de la gare de Sète, et le parcours sur le fragile lido de Sète à Marseillan, entre Méditerranée et étang de Thau. Sur la section Narbonne-Perpignan, elle permettra d’éviter le long parcours au milieu de l’étang de Bages (entre Gruissan et Port-la-Nouvelle) et le long de l’étang de Leucate, qui soumet la superstructure à une oxydation accélérée et l’expose sans protection naturelle aux vents violents de la région.
Le débat public de 2009 avait privilégié l’option d’une ligne mixte fret-voyageurs bien connectée aux gares et lignes existantes
En 2009 eut lieu un débat public, dont la « bonne qualité » a été saluée par l’association TSTE. Les cahiers d’acteurs de ce débat « ont majoritairement privilégié l’option d’une ligne mixte voyageurs-fret, bien connectée aux gares et à la ligne existantes », relève l’association. « Si quelques souhaits de gares nouvelles ont été émis, la desserte des gares centre a été souvent demandée », poursuit-elle.
Rame AVE Madrid-Marseille sur la ligne classique au passage de la future jonction CNM-ligne classique au cours de travaux, voici cinq ans, à Lattes (Hérault). La prolongation de la ligne nouvelle mixte Manduel-Lattes jusqu'à Perpignan où il rejoindra la ligne nouvelle Perpignan-Figueras-Barcelone permettra d'accélérer notable l'offre voyageurs franco-espagnole et intérieure au départ de Perpignan. Mais il permettra surtout de faciliter letranfert modal du fret de la route au rail. D'où l'importance d'une mixité totale de la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan. ©RDS
Mais, déplore la TGV SUD Territoires Environnement, des décisions ont par la suite été prises dans le cadre de la réalisation du CNM « donc hors cadre du débat public » qui présagent de décisions contraires pour la LNMP. Pour le CNM, l’association vise « la décision d’implanter une gare nouvelle non connectée à la ligne existante au sud de Montpellier (Sud-de-France, NDLR), ce qui va à l’encontre des recommandations et des retours d’expérience ; l’abandon dans un but d’économie du raccordement de Saint-Brès à l’est de Montpellier, bien que figurant dans le dossier de DUP, qui aurait permis aux trains arrivant par le CNM de desservir la gare de Montpellier Saint-Roch ».
Ces décisions concernant le CNM « ont mis au second plan la notion de réseau et ont légitimé en quelque sorte des choix qui seront reproduits par la suite par le Comité de Pilotage LNMP, notamment le choix d’une gare nouvelle à l’est de Béziers non connectée à la ligne actuelle ou à la gare centre ».
TGV SUD Territoires Environnement refuse pour LNMP la logique des gares déconnectées et ex-urbanisées du CNM
L’association TSTE dénonce donc pour le projet LNMP un « recours à la même logique » que pour le CNM, ce qui va dans le même sens que la position du conseil régional d’Occitanie et que sa présidente Carole Delga qui déclarait en novembre à la sortie du comité de pilotage : « J’ai renouvelé notre volonté d’abandon du projet au profit du futur pôle d’échange multimodal au centre-ville de Béziers ». TSTE argument de son côté : « Le choix d’implantation de la gare nouvelle à l’est de Béziers, sans possibilité d’interconnexion et sans prise en compte de la ligne Béziers-Clermont-Ferrand illustre le peu d’importance accordée à la logique réseau, de même que le choix de l’emplacement de la gare nouvelle de Narbonne ». Cette dernière, au lieu-dit Pont-des-Charettes, imposerait une gare-pont en grande hauteur à l’intersection de la ligne Narbonne-Toulouse avec un long raccordement vers Toulouse imposant… un rebroussement après desserte de la gare de Pont-des-Charettes.
Deux TER stationnent en gare de Béziers. Au premier plan, une circulation de l'axe Avignon-Narbonne. Au secon plan, une circulation de la ligne Béziers-Neussargues, au départ. Si les TGV de la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan desservent l'hypothétique gare ex-urbanisée de Béziers-Est, ils ne donneront pas correspondance à ce type de circulations, péjorant gravement l'effet réseau, donnée essentielle pour la rentabilité du chemin de fer. Par ailleurs, si les trains de fret ne sont pas admis sur la section Béziers-Perpignan de la future LNMP, ils viendront encombrer cette gare historique de Béziers, bridant le développement de l'offre TER. Ces arbitrages engageront l'efficacité du réseau et l'attractivité de ces territoires pour des générations. ©RDS
L’association relève que « la gare centre de Béziers ne sera raccordée à la ligne nouvelle côté est qu’en raison du phasage et de l’arrêt de la mixité à l’est de Béziers. » Cet arrêt de la mixité a été ramené de Narbonne à Béziers par SNCF Réseau sous prétexte d’éviter le passage de trains de fret sur ligne nouvelle dans la plaine de l’Aude, lequel imposerait des ouvrages de protection importants dans cette zone. Pourtant la ligne classique y est souvent noyée sous les crues.
« Ces choix (de gares nouvelles, NDLR) font appel à des raisonnements qu’on n’oserait même pas imaginer pour la route, sauf dans des cas très spécifiques comme le tunnel sous la Manche ou le tunnel de base du Saint Gothard », dénonce TSTE. « Ils ont des conséquences sur la cohérence et les fonctionnalités du projet car ils sont parfois irréversibles, ils compliquent la gestion des infrastructures, la gestion des circulations, en particulier en cas d’incident, et l’organisation des voyages pour les utilisateurs, et cela durablement ; enfin, ils alourdissent les coûts de fonctionnement avec la multiplication des gares ».
La création de deux gares ex-urbanisées à Béziers et Narbonne porterait à cinq le nombre d’arrêts sur 238 km entre Manduel et Perpignan
Il est important de noter au sujet des gares que la création de deux gares nouvelles sur la LNMP porterait à cinq le nombre de gares voyageurs sur le parcours CNM et LNMP, soit sur les 236 km entre Nîmes-Pont-du-Gard et Perpignan inclus. Notons que les élus perpignanais ont obstinément refusé le projet (abandonné) d’une gare ex-urbanisée à Rivesaltes. Un tel nombre de gares serait un contre-sens évident pour une ligne destinée à recevoir des circulations à grande vitesse : on n’arrête pas un TGV tous les cinquante kilomètres sauf à annihiler une bonne partie de l’avantage comparatif de la grande vitesse. Et si l’on ne s’y arrête pas, pourquoi les construire ? La TSTE suggère au demeurant une gare d’échange à Lattes au croisement de la future LNMP et de la ligne classique pour garantir une correspondance TGV-TER… qui se substituerait à la très coûteuse et controversée de Sud-de-France située à 6 km seulement, sans possibilité de correspondance TGV-TER.
Tableaux d'affichage des trains à l'intérieur de la gare monumentale de Montpellier Sud-de-France, dont le coût a dépassé 140 millions d'euros. L'offre est exclusivement TGV, sans correspondances TER ni désormais correspondances Intercités. Le temps de parcours entre Sud-de-France et la gare centrale Saint-Roch s'élève à environ 45mn en transport public (autobus + tramway ligne 1). Faut-il répéter l'exercice avec une gare sur ligne nouvelle à Béziers-Est? ©RDS
Concernant un abandon du projet de mixité fret-voyageurs entre Béziers et Perpignan, l’association TGV SUD Territoires Environnement dénonce un « problème de cohérence ». « Le fait d’avoir deux sections polyvalentes (Nîmes-Béziers et Rivesaltes-Espagne) reliées par une section ligne nouvelle uniquement voyageurs va imposer des contraintes de gestion, un manque de souplesse et un risque de saturation de la ligne historique », écrit-elle. « De plus, en raison de l’absence de mixité entre Villeneuve-les-Béziers et Rivesaltes, tous les trains de fret devront passer par la gare centre de Béziers, réduisant la capacité d’accueil de cette gare pour les trains de voyageurs et les TGV, rendant ainsi inévitable à terme la construction d’une gare nouvelle. Il en va de même pour Narbonne. Le cas de Figueras devrait pourtant faire réfléchir ».
Une mixité limitée et des gares ex-urbanisées péjorerait l’homogénéité du couple ligne nouvelle-ligne classique
A Figueras, la gare de Villafant connaît un trafic très faible, considéré en Catalogne comme un « contre-exemple », au contraire de Gérone où la gare est au centre. Une gare excentrée est d’autant plus contre-productive qu’elle dessert une agglomération de moyenne importance (Béziers, Narbonne). A ce sujet, l’association TSTE « attend avec un grand intérêt un bilan concernant les gares de Montpellier et Nîmes par rapport au nombre de voyageurs transportés et comparativement avec la situation antérieure d’une seule gare par ville ».
Quais destinés aux circulations à grande vitesse en gare de Nîmes Pont-du-Gard dont le coût s'est élevé à plus de 83 millions d'euros. Les correspondances TER sont possibles au niveau inférieur, à partir des quais construits le long des voies de la ligne classique Tarascon-Sète. Contrairement à la gare de Montpellier Sud-de-France, Nîmes Pont-du-Gard permet les échanges TGV-TER (mais pas TGV-Intercités, ces derniers passant sans arrêt). Reste que les temps de correspondances sont souvent dissuasifs. On notera qu'au niveau supérieur, les deux voies centrales de passage sont neutralisées: tous les TGV desservent Nîmes Pont-du-Gard. ©RDS
Une mixité limitée à la section nord, déboucherait sur un manque d’homogénéité du couple ligne nouvelle-ligne classique. Les gares nouvelles proches l’une de l’autre, non connectée à la ligne existante (Béziers A75) ou mal située (est de Narbonne, au croisement de la ligne Narbonne-Toulouse à Narbonne Pont-des-Charettes), entameraient la rentabilité de l’offre voyageurs.
« Il est choquant d’avoir construit un projet dans lequel tous les trains de fret ne pourraient qu’emprunter la ligne (et les gares centre) existantes »
« Tous ces éléments font que ce projet coûteux risque de passer à côté d’une partie de ses objectifs ». Pour TSTE, « il est en particulier choquant d’avoir construit un projet dans lequel tous les trains de fret ne pourraient qu’emprunter la ligne existante (et les gares centre…) sans avoir fait une étude statistique des incidents et indisponibilités de la ligne liés aux variations climatiques et à la localisation très particulière de cette ligne ».
Passage d'un train de fret à Montpellier Saint-Roch. Le maintien d'un assez important trafic fret (environ un tiers) sur la ligne classique Nîmes-Montpellier, pourtant doublée par le CNM mixte, peut aussi s'expliquer par le nombre de sillons alloués aux TGV sur la ligne nouvelle, environ la moitié de l'offre à grande vitesse. ©RDS
Pour la TSTE, « le passage en tunnel dans les Corbières, nécessaire pour la mixité, doit être étudié ; il sera bénéfique à un environnement jusqu’ici préservé : il évitera l’élimination de nombreuses espèces protégées et la destruction de sites remarquables ». Pour assurer la mixité entre Béziers et Perpignan, et donc concevoir la LNMP avec des déclivités affaiblies sur cette section par rapport à un projet exclusivement grande vitesse, s’imposerait le percement d’un tunnel sous le plateau de Fitou d’environ 11 km de longueur, au lieu de quelques souterrains beaucoup plus courts. Mais une économie marginale à la construction vaut-elle la peine d’obérer quasi-définitivement la rentabilité socio-économique d’un axe international majeur ?
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(1) Sur les avantages d’une ligne nouvelle entre Montpellier et Perpignan, on pourra se reporter à :
TGV à la bifurcation de La Castelle, commune de Lattes, extrémité ouest du CNM et future origine de la LNMP (décembre 2017). Cl. RDS Le projet de ligne nouvelle Montpellier-Perpignan recèle des atouts considérables. Sa section (Montpellier)-Lattes-Béziers, qui est prévue à proximité de l'autoroute A9, présente une série d'avantages comparatifs par rapport à la ligne classique qui devraient en faire une priorité nationale.
http://raildusud.canalblog.com
(2) Site institutionnel de SNCF Réseau sur le projet LNMP :