Bordeaux-Marseille (Nice) : trois services superposés pour une transversale majeure ?
L’avenir de l’exploitation de la transversale sud, qui relie Bordeaux et Marseille par Toulouse et Narbonne, pose question avec le doublement de plusieurs sections par des lignes à grande vitesse. Une étude publiée par Chemins de Fer, la revue de l’Afac (Association française des amis des chemins de fer) envisage la consistance de l’offre quand seront mises en service les sections de lignes nouvelles Bordeaux-Toulouse et Béziers-Montpellier en fonction du matériel disponible (TGV) et commandé par l’Etat (rames Oxygène). Existent déjà des sections à grande vitesse entre Montpellier et Nîmes (CNM), et entre Nîmes et Marseille via Avignon (LGV Méditerranée).
L’étude de Chemins de Fer s’étonne que les 22 rames Oxygène commandées par l’Etat à l’espagnol CAF pour ses services conventionnés Intercités de la transversale Sud ne soient pas compatibles avec certaines futures lignes à grande vitesse. Leur vitesse sera limitée à 200 km/h, ce qui compliquerait le graphique des circulations sur les sections à grande vitesse (300, voire 320 km/h). Si, pour l’instant, la section nouvelle Montpellier-Nîmes (CNM) n’est parcourable qu’à 240 km/h, sa vitesse devrait être relevée aux normes LGV une fois Montpellier-Béziers mise en service.
TGV en stationnement dans la somptueuse gare de Bordeaux Saint-Jean. La grande vitesse vers Toulouse et Marseille sera valorisée par les lignes nouvelles Bordeaux-Toulouse et Béziers-Montpellier. (Cl. RDS)
De plus, souligne l’auteur de l’étude Vincent Lartigue, pour ces futures rames Oxygène « l’emprunt du Contournement de Nîmes et Montpellier (CNM) n’est pas prévu compte tenu de la moins bonne desserte des agglomérations »... Et de l’absence de toute correspondance TER dans la gare de Montpellier Sud-de-France du CNM, de correspondances TER insuffisantes à celle de Nîmes Pont-du-Gard (aucune vers Alès ou Le Grau-du-Roi). Si l’emprunt des futures LGV et du CNM serait possible avec équipement des rames Oxygène du système de signalisation embarqué ERTMS, celui de la LGV Méditerranée n’est pas envisageable du fait qu’elles ne seront pas équipées de la TVM 430 (système antérieur de transmission voie-machine de la signalisation).
L’hypothèse de LGV exclusivement exploitées en SLO
L’étude souligne aussi que le principe retenu par les autorités consiste à réserver les lignes à grande vitesse aux seules circulations sous statut SLO, ou Services librement organisés, aux risques et périls de l’exploitant, sans conventionnement public (1). Ce principe n’a connu que de rares exceptions, en particulier avec les quelques « TERGV » dans le Nord entre Lille et Dunkerque. Il exclut donc, à ce jour, les circulations Intercités, ou « Trains d’équilibre du territoire », conventionnées par l’Etat, comme les TER conventionnés par les régions. Il devrait connaître une nouvelle exception avec le projet de SRGV (services régionaux à grande vitesse) envisagés sur la future ligne Bordeaux-Dax.
D’ores et déjà, la fréquentation de cette transversale Sud a fortement augmenté, de 40 %, depuis la réforme de l’offre en 2019 qui a régularisé six trains par jour, soit un toutes les deux heures, avec des missions semblables à quelques exceptions près (gares desservies alternativement).
Voici une décennie, la commande par la SNCF de 15 rames TGV à deux niveaux pour la transversale Sud avait suscité l’incompréhension du fait qu’elles n’auraient été destinées qu’à rouler sur des lignes classiques limitées à 160 km/h, à l’éventuelle exception de l’emprunt de la LGV Méditerranée entre Manduel (à l’est de Nîmes) et Marseille via Avignon. L’intérêt de cette dernière en termes de temps de parcours n’est pas considérable en raison de l’allongement du kilométrage par rapport à la ligne classique via Arles. Seules les dessertes d’Avignon TGV et d’Aix TGV constituent son avantage.
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Carte schématique du projet de lignes nouvelles au sud et à l'est de Bordeaux. La section à grande vitesse Langon-Saint-Jory, de l'axe Bordeaux-Toulouse, permettra de réduire le temps de parcours de deux heures à une heure environ. (Doc. GPSO, devenu LNSO)
« La situation est aujourd’hui inversée », relève Chemins de Fer, avec le lancement des projets de LGV Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Béziers. Sur l’ensemble du parcours Bordeaux-Marseille (682 km sur lignes classiques), les LGV, quasi-parallèles à l’itinéraire historique, représenteront les deux-tiers du kilométrage : LNSO (ligne nouvelle Sud-Ouest), LNMP (ligne nouvelle Montpellier-Perpignan phase 1), CNM et LGV Méditerranée. Demeureront sur lignes classiques Bordeaux-Langon (42 km) et Saint-Jory-Béziers (192 km), soit un total de 234 km ou 34,3 % de l’itinéraire originel.
Trois « nappes » : TGV sur lignes nouvelles, Intercités et TER sur lignes classiques
La mise en service de la LGV Bordeaux-Toulouse était annoncée pour 2032, celle de la LGV Montpellier-Béziers pour 2034. Dans l’état actuel des dispositions réglementaires et des matériels disponibles à l’horizon de la prochaine décennie, on peut concevoir un service Bordeaux-Marseille en « trois nappes ».
La première serait constituée, de TGV exploités en Services librement organisés utilisant toutes les lignes à grande vitesse disponibles et les quelques gares sur LGV et de rares sur lignes classiques : Agen TGV, Montauban TGV, Toulouse, Narbonne (éventuellement Béziers), Montpellier Sud-de-France, Nîmes Pont-du-Gard, Avignon TGV, Aix TGV. Certaines missions pourraient être poursuivies jusqu’à Toulon, Cannes et Nice. Le temps de parcours de Bordeaux à Marseille serait réduit d’environ deux heures, de 6 heures à environ 4 h 30 mn. Ciblant la clientèle longue distance inter-métropolitaine, ce service afficherait logiquement une fréquence minimaliste.
Rame à grande vitesse en partance de la gare de Marseille Saint-Charles. Une fois les lignes nouvelles Bordeaux-Toulouse et Béziers-Montpellier achevées, sa destination pourrait être Bordeaux en un temps fortement réduit. (Cl. RDS)
La seconde « nappe » serait constituée d’Intercités au statut TET conventionné par l’Etat, entièrement sur lignes classiques, aux missions à peu près identiques aux missions actuelles avec, pour arrêts intermédiaires : Marmande, Agen, Montauban Ville-Bourbon, Toulouse, Carcassonne, Narbonne, Béziers, (éventuellement Agde), Sète, Montpellier Saint-Roch, Nîmes Centre, Arles. Les fréquences pourraient demeurer identiques, soit six par jour et par sens.
La troisième « nappe » serait constituée des TER, comparables aux services, missions, et fréquences actuels, soit des TER Nouvelle Aquitaine Bordeaux-Agen, des TER Occitanie Toulouse-Agen, Toulouse-Montpellier-Nîmes, Narbonne-Marseille… avec amorce à Agen TGV pour relever des correspondances de TGV vers les villes de la plaine de la Garonne.
La pertinence d’une prolongation TGV vers Nice
Ce système qui exclurait les Intercités des diverses sections de lignes à grande vitesse, limiterait les correspondances TER/Intercités-TGV à Agen TGV, Montauban TGV, Toulouse, Narbonne, Nîmes Pont-du-Gard et Avignon TGV (Agen TGV, Nîmes Pont-du-Gard et Avignon TGV offrant des correspondances TER limitées). Il spécialiserait les TGV dans une clientèle à grande distance, rendant d’autant plus pertinente la prolongation de missions TGV de Marseille vers Nice.
Cette prolongation serait d’autant plus pertinente que la décennie 2030 devrait voir s’ouvrir la traversée souterraine de Marseille, diminuant le temps de stationnement en gare Saint-Charles et augmentant marginalement la vitesse de part et d’autre. Ce gain de temps de parcours, qu’on peut évaluer à environ 25 mn pour des trains rebroussant actuellement à Saint-Charles (ce qui n’est plus le cas d’aucun Intercités amorcé à Bordeaux), et jusqu’à une heure pour des itinéraires actuellement en correspondance dans cette même gare en cul-de-sac, aurait un impact commercial certain.
Rames à grande vitesse à Montpellier Sud-de-France. L'absence de correspondances TER ou Intercités et l'éloignement désincitatif de la gare centrale Saint-Roch malgré le prolongement de la ligne 1 du tramway, lui-même réduit par rapport au projet initial en raison du manque de financement, le devrait faire de cette gare surdimensionnée une simple halte pour de futures missions à grande vitesse Bordeaux-Marseille-Nice. (Cl. RDS)
Si cette organisation en trois « nappes » paraît répondre à la fois aux besoins de liaisons rapides et à celui de maillage, il limiterait logiquement l’emprunt de la future LGV Bordeaux-Toulouse par des missions sud-sud. Il lui resterait nonobstant, outre le flux Paris-Toulouse, le flux Lyon-Toulouse logiquement prolongé à Bordeaux, permettant de rétablir enfin une liaison ferroviaire continue entre les deux métropoles. Ces TGV pourraient logiquement être amorcés en amont de Lyon : Genève, Annecy-Grenoble, Dijon, Strasbourg…
Reste à savoir si la réglementation actuelle (LGV exclusivement pour SLO), qui segmente l’offre commerciale, perdurera ou si elle sera assouplie. Dans lequel cas se posera la question de la pertinence d’une exploitation des Intercités exclusivement en rames Oxygène.
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(1) Article publié dans Chemins de Fer n° 607. On peut commander la revue ou s'abonner (un an : 75 € avec adhésion à l'Association française des amis du chemin de fer) auprès de l'AFAC, BP 70296, 75464 PARIS CEDEX 10.