L’Etoile ferroviaire de Veynes, 150 ans et des besoins croissants
Le 1er février 1875 Veynes devenait une gare ferroviaire. Ce jour-là, la petite cité dauphinoise des Hautes-Alpes, fortifiée au Moyen-âge, vit l’ouverture de la nouvelle voie provenant de Sisteron, elle-même déjà reliée à Marseille, et de celle menant à Gap par La Freyssinouse. Une ligne ferroviaire continue était ainsi établie de Marseille à Gap. Pour fêter le cent-cinquantième anniversaire de cet événement, qui permit à Veynes de devenir un nœud ferroviaire important abritant jusqu’à 700 familles de cheminots aux grands temps de la vapeur, des trains spéciaux à vapeur sont organisés ces 25, 26 et 27 avril.
Trois ans et demi après ce bel hiver 1875, la gare de Veynes recevait, le 29 juillet 1878, le premier train en provenance de Grenoble grâce à l’inauguration de la section Vif-Veynes, remarquable par son audace aux flancs du Vercors, dominant le Trièves et franchissant par une simple tranchée la ligne de partage des eaux entre bassins versants de l’Isère et de la Durance, au col de la Croix-Haute, à 1.167 mètres d’altitude.
Il fallut attendre beaucoup plus longtemps, presque vingt ans après l’arrivée du premier train commercial à Veynes, pour que la quatrième branche de l’étoile fût mise en service : le 1er juin 1894 était inaugurée la section menant de Die à Aspres-sur-Buëch, gare désormais d’embranchement située à 6,5 km de Veynes, par le tunnel du col de Cabre long de 3.764 m séparant les bassins versants de la Drôme et de la Durance.
Il est intéressant de noter les délais entre la date de déclaration d'utilité publique et de contrat de concession, simultanés, et la mise en service (MES) : 14 ans pour Veynes-Sisteron (DUP Veynes-Aix en 1861); 9 ans pour Vif-Veynes (DUP Grenoble-Veynes en 1869) ; 14 ans pour Veynes-Gap (DUP Veynes-Gap en 1861) ; 19 ans pour Die-Aspres (DUP Crest-Aspres en 1861).
Le rôle de l’ingénieur et élu Adrien Ruelle
Veynes doit en grande partie ce rôle d’étoile ferroviaire à l’ingénieur en chef des ponts et chaussées Adrien Ruelle, polytechnicien. Ce directeur de la construction à la compagnie du PLM était natif de Gap et avait été conseiller général du canton de Veynes. C’est lui qui plaida et obtint que le lieu de correspondance des quatre destinations – Marseille, Gap puis Briançon, Grenoble et Valence – se situât à Veynes. Cette localisation avait l’avantage d’équilibrer les distances, mais l’inconvénient d’allonger le parcours Marseille-Gap (Briançon) en sortant de la vallée de la Durance entre Sisteron et Gap pour transiter plus au nord.
Adrien Ruelle (1815-1887), X-Ponts, élu départemental et cheville ouvrière de l'étoile de Veynes.
Adrien Ruelle avait auparavant à son actif la supervision du percement du premier tunnel routier du Lioran (1.414 m de longueur, un record pour l’époque) dans le Cantal, entamé en 1839 et mis en service en 1843. Il fut à ce titre d’écoré de la légion d’honneur par le roi Louis-Philippe en 1846. Il entra ensuite, en 1848, à la compagnie du chemin de fer de Paris à Lyon, devenue après fusion avec la compagnie du Lyon-Méditerranée en 1857, la compagnie du chemin de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM).
A partir de 1894, la gare de Veynes devint une véritable plaque tournante, voyant progressivement passer des trains Lyon-Marseille par Grenoble et Veynes, des Paris-Briançon, des Marseille-Briançon et après sa mise en service le 27 novembre 1876, des trains à destination de Digne après inauguration de l’antenne Saint-Auban-Digne.
Après l’ouverture de la section Veynes–Gap en 1875, la ligne s’est étendue par étapes : Gap–Embrun, inaugurée en juillet 1883, puis Embrun-Montdauphin et Montdauphin-Briançon, mis en service en 1883 et 1884. Ces extensions ont complété la liaison permettant l’accès au Briançonnais avec en vue le projet, jamais réalisé, d’une ligne transfrontalière de Briançon à Oulx sous le Montgenèvre, qui eût exigé un tunnel de grande longueur… et ne s’inscrivait pas dans la conception d’un réseau centralisé autour de Paris.
Un riche passé ferroviaire célébré par la 140C27
La gare de Veynes, dont le nom a été allongé en Veynes Dévoluy, témoigne de son riche passé ferroviaire par ses vastes emprises historiques anciennement dédiées à la vapeur et au fret désormais largement abandonné. Sa rotonde pouvait accueillir 54 locomotives. Le 1er février dernier, une cérémonie d’anniversaire pour les 150 ans de l’arrivée de ses premiers trains commerciaux a été organisée en présence de Chantal Eyméoud, vice-présidente de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (surnommée « Sud ») et maire d'Embrun. Un TER spécial amorcé à Marseille Saint-Charles avait été affrété.
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Vue générale de la gare de Veynes Dévoluy. Le vaste faisceau fret et technique était situé à l'arrière-plan. (Doc. Wikipedia/Ph. Brenet)
En cette dernière fin de semaine du mois d’avril, les célébrations se poursuivront avec la mise en circulation d’un train à vapeur historique tracté par la 140C27 dans le cadre d’un « Veynes Rail festival ». La 140C27, d’origine britannique, a été restaurée et est entretenue par le GADEFT, basée sur la commune de Corbès, dans le Gard. Ce train effectuera trois trajets spéciaux autour de Veynes.
Le vendredi 25 il partira de Manosque à 12 h 18 et arrivera à Veynes Dévoluy à 14 h 35 (100 km). Le samedi 26 il partira de Veynes Dévoluy à 7 h 56 et arrivera à Briançon à 14 h 35 (109 km). Le dimanche 27 il partira de Briançon à 9 h 52 et arrivera à Veynes Dévoluy à 14 h 00 (109 km). Des arrêts intermédiaires sont bien sûr prévu pour permettre aux habitants des cités traversées (L’Argentière, Montdauphin, Embrun, Savines, Chorges, Gap…) de profiter de l’événement. Le tarif unique est de 50 € pour chaque circulation. La réservation est possible par ce site : https://veynes.fr/?p=8015
L’importance de l’étoile ferroviaire pour les régions desservies
Outre ces circulations, un programme riche en animations sera proposé tout au long de l’année : expositions, conférences sur de multiples sujets, spectacles et concerts. Le projet est porté par la mairie de Veynes, afin de valoriser le patrimoine ferroviaire du territoire et de rappeler l’importance du train dans le développement de la ville.
L’étoile ferroviaire de Veynes mérite ces festivités pour deux raisons : son importance pour relier par un moyen de transport public efficace, capacitaire, confortable et économe en énergie ces quatre départements difficiles d’accès et leurs villes entre elles et avec l’extérieur (Drôme, Isère, Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence) ; les menaces qui pèsent sur elles régulièrement en raison des choix budgétaires d’un Etat oublieux des régions supposément « périphériques ».
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Croisement à Vif, sur la ligne Grenoble-Veynes, dans la banlieue de Grenoble. La photographie a été prise lors de la panne de l'un des deux automoteurs X73500 (à d.). (Cl. RDS)
Malgré des rénovations récentes (Grenoble-Saint-Maurice-en-Trièves, Livron-Aspres, sections sur Veynes-Marseille ou Briançon…), les menaces de fermetures restent lourdes, en particulier sur la section sommitale de Grenoble-Veynes, pourtant ligne aux potentiels interrégional (Gap est tourné vers Grenoble) et touristique remarquables.
Certes, le texte de présentation publié par le conseil régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur estime que l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030 dans les Alpes françaises constituera « une opportunité formidable » pour tous ces territoires : « Dans ce cadre, les transports régionaux seront améliorés dans les départements alpins, avec un Marseille-Briançon en 3 h 30 mn, la rénovation du réseau ferroviaire de l’Etoile de Veynes, l’amélioration de la ligne des Alpes », tout en citant « la sécurisation d’itinéraires routiers tels que le carrefour de Tallar, la rocade de Gap ou la traversée de la Roche de Rame ».
Les associations en alerte, l’AGV en tête
Pour autant, les associations de défense et de promotion du chemin de fer restent en alerte. Le collectif de l’Etoile ferroviaire de Veynes, qui réunit associations et élus, estime que « les luttes sont toujours d’actualité entre rénovation des voies, et dessertes répondant aux besoins des territoires ». Il veille à ce que la « promesse des Jeux olympiques d’hiver 2030 soit bénéfique aux usagers du quotidien qui veulent monter dans le train et pas seulement le regarder passer ».
Ce collectif estime que les promesses du conseil régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur sur l’objectif Jeux olympiques « sont un échantillon de la communication à tous vents des élus PACA, faisant passer pour acquis leurs tous récents désirs ».
Automoteur X72500 Marseille-Briançon en gare de Laragne-Montéglin au sud de Veynes, une fin de semaine de juillet surchargée, des voyageurs debout ou accroupis durant une bonne partie du voyage. La demande est là... (Cl. RDS)
Ce collectif a décidé lors de son assemblée générale pour l’année 2024 de faire de l’AGV, l’association pour la défense et la promotion de la ligne Grenoble-Veynes, actuellement la plus fragile, « le socle » de ses actions. L’AGV a été fondée en 1978 et est désormais chargée de recevoir les soutiens et adhésions de l’ensemble des personnes intéressées par l’étoile de Veynes (1).
Le collectif comme l’AGV demandent en particulier de faire de Grenoble-Veynes un itinéraire-bis pour le train de nuit Paris-Briançon, comme de réactiver l’antenne Saint-Auban-Digne et de rétablir une liaison Genève-Grenoble-Veynes-Digne. Le rétablissement de trains directs Grenoble-Marseille par Veynes paraît aussi être une urgence. Cet itinéraire ferroviaire est actuellement scindé entre rares correspondances et sections sur route.
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(1) Lien vers le site du collectif Etoile ferroviaire de Veynes, qui renvoie vers celui de l'AGV :
https://etoileferroviairedeveynes.info/2024/11/11/une-feuille-de-route-pour-le-collectif/