A Toulon, métropole de 450.000 habitants, l’abandon du projet de tramway enflamme déjà la campagne électorale
Toulon, qui disposa jadis de réseaux ferrés urbains ou suburbains considérables, se refuse, malgré quelques tentatives rapidement avortées, de s’équiper d’un réseau de tramways modernes au bénéfice de bus, une question qui va enflammer les esprits durant la campagne des prochaines élections municipales. Pourtant la métropole Toulon Provence Méditerranée (TPM) compte 450.000 habitants pour seulement 12 communes, soit une densité élevée. Sa commune-centre, Toulon, compte à elle seule 181.000 habitants pour une surface de 42,84 km2, surface identique à celle de Clermont-Ferrand (42,67 km2 mais seulement 148.000 habitants) et à peine inférieure à celle de la ville de Lyon (47,97 km2, mais 521.000 habitants).
Sur les dix métropoles que compte la moitié sud de la France, toutes sauf Toulon disposent d’un mode de transport guidé en site propre : métro (Lyon, Marseille, Toulouse), tramway (Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Lyon, Saint-Etienne, Grenoble, Marseille, Nice), voire véhicule sur pneus guidé par rail central (Clermont-Ferrand).
Une topographie favorable au tramway
Toulon est coincée en son centre entre le massif du Faron et la rade, l’une des plus belles d’Europe qui a fait de la ville un port civil et militaire de tout premier ordre depuis des siècles. Mais, de part et d’autre, l’espace urbain s’élargit, vers La Garde et Hyères à l’est, vers Ollioules et Sanary à l’ouest. Cette topographie devrait militer pour un transport ferroviaire urbain en double éventail, avec tronc commun à haute fréquence dans la partie centrale. Ce qui fut le cas pendant les 70 années durant lesquelles circulèrent des tramways à Toulon, jusqu’en 1955.
TER Provence-Alpes-Côte-d'Azur de la mission cadencée à l'heure Hyères-Toulon-Marseille à l'approche de la halte de La Crau. Ce type de transversales passe-Toulon, même complétées par de nouvelles fréquences et missions, ne peut remplacer la fonction de desserte métropolitaine fine mais capacitaire du tramway urbain et suburbain. (Cl. RDS)
La hausse de l’offre TER sur l’axe ferroviaire et la création d’une nouvelle halte ne résout pas la question de la desserte lourde à l’échelle urbaine, et périurbaine sur une large partie de l’espace habité et non desservie par le réseau ferré national.
Le réseau urbain Mistral compte 15 lignes structurantes d’autobus aux fréquences inférieures aux 20 minutes. S’y ajoutent 31 lignes de desserte fine et de maillage périphérique dont certaines, par exemple la ligne 92 Carqueiranne-La Garde n’offrent que 13 allers-retours quotidiens en semaine. Autre exemple, la ligne 72 Six-Fours-La Seyne offre 22 allers-retours quotidiens en semaine soit une fréquence au mieux aux 45 mn et un dernier service amorcé à 19 h 35.
Trois services métropolitains de transport maritime de voyageurs, les bateau-bus du réseau de transport urbain Mistral, permettent de traverser la rade à assez haute fréquence : Toulon-La Seyne 43 fois par jour ouvrables et par sens hors vacances scolaires en 20 mn (ligne 8M) mais 9 services seulement les dimanches ; Toulon-Saint-Mandrier 26 fois par jour sur les mêmes périodes en 22 mn (ligne 28M) mais 17 services les dimanches ; Toulon- Sablettes/Tamaris 33 fois par jour sur les mêmes périodes en 25 ou 30 mn (ligne 18M) mais 17 services les dimanches. Les fréquences sont adaptées en période estivale (plus élevées en fins de semaine, en particulier).
Troisième ville la plus engorgée de France, le premier projet de tramway moderne en 2001
Ce qui apparaît le plus flagrant quand on circule à Toulon, c’est l’importance du flux d’automobiles individuelles. Il est favorisé par l’aménagement d’autoroutes amorcées dès l’orée de l’hypercentre, des boulevards transversaux de larges gabarits. Pourtant, Toulon est la troisième ville la plus embouteillée de France.
Voici près de vingt-cinq ans que le premier projet de tramway moderne a été avancé à Toulon, en 2001, porté par le maire de l’époque Jean-Marie Le Chevallier (FN) après une première ébauche dès 1976. Il avait obtenu une déclaration d’utilité publique (DUP). Le projet avait recueilli les avis favorables du commissaire enquêteur et du préfet, ainsi qu’un vote à l’unanimité de l‘assemblée de l’intercommunalité de Toulon. Cette DUP est toujours valable et permettrait de réaliser rapidement une première ligne de tramway, affirment ses partisans.
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Vue générale côté est du site somptueux de la métropole de Toulon. On distingue à droite le pied du massif qui vient resserrer l'espace urbain entre rade et montagne. (Doc. Office du tourisme de Toulon)
Hubert Falco (UMP puis LR puis Horizons), devenu maire de Toulon et président de la métropole en 2001 jusqu’en 2023, avait décidé en 2006, sans consultation de la population, d’enterrer le projet et d’opter pour un bus à supposément « Haut Niveau de Service » (BHNS) car, affirmait-il, « le tramway c'est dépassé ». « Aujourd’hui, seuls les élus d’opposition et quelques associations militent pour un retour du rail dans les rues de la capitale du Var. Pointant du doigt (entre autres) le fait que Toulon soit l’une des rares métropoles à ne pas en avoir, ils défendent un moyen de transport confortable, rapide, écologique, silencieux », explique le quotidien Var Matin.
Le texte d’une pétition en ligne issue de l’opposition municipale de gauche, en faveur du tramway, complète : « Ce projet est tout à fait finançable puisque, depuis 2001, TPM a déjà récupéré 400 millions d’euros pour un transport en commun en site propre, grâce au versement transport des entreprises. Qu'est devenu cet argent ? Qu'attend la majorité métropolitaine pour lancer le projet ? » (1).
Le prétexte du coût de construction oublie l’argument de la longévité et de la capacité
Le prétexte à l’abandon du projet de tramway au profit d’un système routier – fût-il amélioré -, est le coût du premier, jugé « horriblement cher et nécessitant des travaux trop importants » affirme la majorité politique du conseil métropolitain désormais présidé par le maire d’Hyères Jean-Pierre Giran (LR). Après la démission de Hubert Falco, le siège de maire de Toulon est quant à lui occupé depuis 2023 par Josée Massi (sans étiquette), également vice-présidente du conseil métropolitain.
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Carte des anciens réseaux de tramways de Toulon, établie par le site de Roland Le Corff 'mes-années-50.com'.
Le BHNS, en fait un autobus articulé sur voie (plus ou moins) réservée, qui est actuellement dans les cartons coûtera probablement moins cher à l’installation qu’une ligne de tramway, mais la longévité de son matériel roulant sera à l’évidence bien moindre, celle des rames de tramway atteignant 40 ans dans bien des cas, sans parler de sa capacité. Toutefois, relève Var Matin, « plusieurs étapes réglementaires restent à franchir avant que ne soit inaugurée la première ligne prévue entre Ollioules, Toulon et La Garde, maintes fois repoussée, dont l’itinéraire a été modifié à plusieurs reprises, désormais annoncée pour 2028 », pour le premier tronçon, voire 2032 pour le reste du projet.
Fin 2024 la préfecture du Var a été saisie par la métropole, autorité organisatrice des transports, d’une DUP du BHNS, le préalable à tout lancement des appels d’offres puis des travaux. Mais d’ores et déjà la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAe), qui s’est récemment exprimée sur le projet avec un avis consultatif, « a trouvé pas mal de choses à redire », rapporte Var Matin. Les citoyens devront ensuite être consultés… à quelques mois des élections municipales, alors que les transports constitueront un enjeu important du scrutin.
La pétition lancée par l’opposition métropolitaine insiste sur le fait que l’emprise du tramway est moins large (3 mètres par sens) que le BHNS (3,5 mètres) et qu’en conséquences « il peut donc circuler à Saint-Jean du Var ou au Pont du Las » d’autant que « les travaux ont déjà été effectués et les habitants délocalisés pour cela ». Elle souligne aussi que « le tramway est le seul moyen de transport qui permet de transporter jusqu'à 320 passagers alors que le BHNS ne peut accueillir que 120 passagers ».
Un dense réseau de tramways électriques de 1897 à 1955
Depuis 1897 et jusqu’en 1955 Toulon fut une ville équipée de tramways électriques. Leur obsolescence, l’idéologie du tout-automobile et les destructions considérables causées par les bombardements durant la Seconde Guerre mondiale leur fut fatales. La ligne 6 fut la dernière à fonctionner, transférée sur route le 15 avril 1955, Edouard Le Bellegou (SFIO puis PS) étant maire. Ce jour-là, la population acclama le tramway « qui, depuis 70 ans, reliait les différents quartiers de Toulon. L’émotion était immense », rappelle Var Matin qui renvoie aux travaux de Roland Le Corff contenus par son site « mes-années-50.com ».
Quelques lignes de trolleybus furent créées, utilisant les supports des lignes aériennes de contact des tramways disparus, avant de céder toute la place aux autobus à motorisation thermique. Des bus électriques à batterie sont annoncés aujourd’hui.
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La boulevard de Strasbourg, axe central est-ouest de la ville-centre de Toulon, pourrait redevenir, comme avant 1955 (ci-dessus), un axe équipé de tramway plutôt que de bus "à haut niveau de service" mais dont ni la longévité, ni la capacité ni même le confort ne sauraient égaler le système ferroviaire urbain.
Le réseau historique de tramways avait particulièrement été frappé par le bombardement allié du 24 novembre 1943. La ligne 3 du tramway avait ainsi subi de tels dommages au Mourillon qu’elle ne fut jamais remise en service et fut remplacée par une ligne de trolleybus. « À la Libération, de nombreuses voies sont détruites; les politiques en profitent pour tourner la page et "offrir" les rues aux automobilistes », regrette Var Matin.
Le tramway dessert rapidement les arsenaux, les casernes, les forts et les plages. En 1903, les voyageurs circulent de La Valette à Ollioules sans changement, sur une longueur de treize kilomètres. A son apogée, le réseau historique de tramways toulonnais compta jusqu’à neuf lignes et 66 motrices.
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(1) Lien vers la pétition sus-mentionnée en faveur du tramway à Toulon :
https://www.change.org/p/un-tramway-pour-toulon-et-sa-m%C3%A9tropole