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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
8 octobre 2023

L’éboulement massif de La Praz interrompt la ligne de la Maurienne pour un an, souligne l’urgence des tunnels de base Lyon-Turin

 Les conséquences de l’éboulement début septembre de 15.000 m3 de roches de la falaise de La Praz dans la vallée de l’Arc, la Maurienne, sont dramatiques pour le trafic franco-italien. Si l’autoroute est remise en service, la voie ferrée internationale historique ne devrait pas être remise en service avant la fin de l’été prochain, soit une année d’interruption. Les trains de voyageurs internationaux, SNCF et Trenitalia Paris-Milan sont supprimés, la desserte TGV ou TER de Modane remplacée par des autocars entre Saint-Michel-de-Maurienne, nouveau terminus du trafic ferroviaire, et Modane. La partie française de l’arc alpin, lequel court de la Slovénie à la côte d’Azur, est privée de lien ferroviaire moderne, contrairement à la partie suisse et, bientôt, à la partie autrichienne.

Purge de la falaise, confortement de la galerie-tunnel  recouverte par des milliers de mètres-cubes de roches…

 L’annonce de ce très long délai avant remise en service a été prononcée vendredi 29 septembre par le Préfet de Savoie. Les premières évaluations laissaient présager une coupure de la ligne pendant environ deux mois mais les dégâts et la durée de réparation nécessaire s’avèrent bien plus importants que prévu. Il convient non seulement de purger la falaise de ses roches demeurées instables – en particulier avec des lâchers de masse d’eau par hélicoptères – mais surtout de sécuriser la galerie-tunnel de protection de la double voie, le « tunnel de la Brèche », qui a été recouverte d’une masse considérable de matériaux.

 Il restait fin septembre trois-mille à cinq-mille  mètres-cubes de roches instables sur la falaise. De nouveaux largages de masses d’eau devaient être effectués début  octobre, purges hydrauliques précédant des travaux de purges mécaniques aux explosifs et aux engins.

Maurienne EboulementUne vue de l'éboulement et du recouvrement de la galerie de protection, construite dans cette zone reconnue menaçante depuis toujours.

 Le tunnel de la Brèche a assuré sa fonction de protection de l’essentiel de la voie mais il conviendra, après emport des roches qui l'ont recouvert, de le consolider voire d’en reconstruire des parties en raison la fragilisation de ses structures par le choc de l’effondrement, la pression consécutive des matériaux et les désordres qui seront probablement aggravé par les futures pluies. Suivront les travaux de reconstruction de la voie ferrée proprement dite et de ses équipements, touchés par l’éboulement à la tête nord du tunnel sur une assez courte distance. Il conviendra, outre les deux voies et le ballast, de poser une caténaire neuve et de rétablir les liaisons électriques de signalisation et de communication, dans le tunnel inclus.

Des conséquences écologiques et économiques « très lourdes », souligne l’association La Transalpine

 Le Comité pour la Transalpine, organisme qui rassemble des collectivités territoriales et responsables politiques de toutes opinions, de grandes entreprises intéressées par le transit franco-italien, des organisations représentatives du monde économique et des syndicats professionnels ainsi que des associations d’usagers, s’inquiète : « Les conséquences écologiques et économiques de la fermeture pendant près d’un an du seul cordon ombilical ferroviaire reliant la France et l’Italie du nord sont à ce jour difficilement mesurables. Elles seront à n’en pas douter très lourdes ».

 La section de ligne touchée par l’éboulement voyait passer en temps normal et deux sens confondus dix trains internationaux quotidiens Paris-Milan (TGV et Frecciarossa) et 18 TER Chambéry-Modane (complétés par des rotations d’autocars régionaux),  soit quelque 126 circulations voyageurs de base par semaine, plus nombreuses en haute saison d’hiver en cette somptueuse Savoie riche de nombreuses stations de très haute montagne.  

 Du côté fret, le nombre hebdomadaire de trains en temps normal est évalué par la Transalpine, deux sens confondus, à quelque 170 circulations. Le trafic total, au droit de la section sinistrée, avoisine donc les 300 circulations hebdomadaires soit une moyenne de 42 circulations quotidiennes de base, hors circulations de service. Et nettement plus en haute saison d’hiver…

tr_sardo_1222TGV Sud-Est en livrée d'origine, voici quelques années en gare de Modane. Ces "TGV des neiges" connaissent un grand succès. Leur remplacement par des navettes d'autocars depuis Saint-Michel-de-Maurienne posera la question de la capacité de cette gare à supporter un tel trafic ferroviaire en cul-de-sac et de tels flux en correspondance rail-route. (Doc. openarchives.sncf.com)

 Pour Noël par exemple, la Maurienne est desservie par trois TGV supplémentaires chaque fin de semaine, soit deux allers-retours le samedi et un aller-retour le dimanche ce qui revient à six circulations supplémentaires. Pendant les vacances de février, principale période de ski, on compte jusqu’à une dizaine d’allers-retours certains samedis, soit une vingtaine de circulations supplémentaires.

 Conséquence de l’interruption d’une année, la Transalpine analyse : « Plutôt que de longs et coûteux détours ferroviaires par la Suisse, la majeure partie des flux devraient logiquement se tourner vers l’avion et surtout vers la route. Avec à la clé davantage de poids lourds, de cars et de voitures sur les autoroutes alpines déjà bien chargées. La facture carbone s’annonce salée ».

Une ligne frappée par des effondrements, submersions…

 Depuis sa mise en service complète en 1871, explique l’association, la ligne de la Maurienne a connu une série impressionnante de vicissitudes : effondrement d’un tunnel en 1881, emporte de 15 km de voies entre Saint-Michel et Saint-Jean de Maurienne en juin 1957, submersion d’un pont et d’une section par une crue de boues à Pontamafrey en septembre 1965 puis à nouveau l’année suivante… Plus récemment, une coulée de boue a provoqué en 2019 la fermeture de la ligne historique pendant un mois.
 
 La conclusion politique va de soi. Ces avanies « n’empêchent nullement les opposants minoritaires au Lyon-Turin de continuer à marteler doctement que cette ligne historique est bien suffisante et que le Lyon-Turin est « inutile », alors même que le tunnel sous les Alpes mettra justement les circulations à l’abri des aléas naturels en montagne », s’indigne la Transalpine au nom de ses nombreux adhérents, élus, entreprises et associations.

Sint jean de Maurienne Ar themeVue d'architecte de la future gare de Saint-Jean-de-Maurienne, dernier établissement à l'air libre côté français qui sera desservi par les trains qui emprunteront le tunnel de base du mont Ambin. (Doc. du cabinet d'architecture Ar theme - artheme.com - projet mis à jour du Projet architectural en assistance à Studio Quaranta Turin)

 L’interruption pour un an de la ligne de la Maurienne souligne la faiblesse des possibilités de transit ferroviaire dans les Alpes françaises. Trois lignes historiques franchissent les Alpes entre France et Italie : celle de la Maurienne (Culoz-Modane-Turin) ; celle de la Côte d’Azur (Marseille-Menton-Vintimille-Gênes) ; la paire de petites lignes de montagne Nice/Vintimille-Tende-Limone-Coni, dont on connaît les difficultés d’exploitation, et la fragilité depuis la tempête Alex. Cette dernière ligne ne peut assurer qu’à la marge un éventuel trafic fret.

Rareté des liens ferroviaires franco-italiens, nombreuses percées réalisées ou en cours en Suisse et Autriche

 Deux idées de liaisons transfrontalières franco-italiennes, évoquées au XIXe siècle, n’ont jamais connu le début d’une étude sérieuse : une ligne reliant Bourg-Saint-Maurice en  Savoie à Pré-Saint-Didier en Val d’Aoste ; une ligne reliant Briançon dans les Hautes-Alpes à Oulx, municipalité membre à la Città metropolitana di Torino, sous le col du Montgenèvre. La première butait sur la longueur des parcours d’approche (ligne Chambéry-Bourg-Saint-Maurice) la seconde sur le fait qu’elle aurait été principalement utile à l’Hinterland de Marseille, ne s’inscrivant  pas dans l’étoile rayonnant à partir de Paris, défaut rédhibitoire en France.

 Le projet en cours de réalisation de tunnel de base du mont Ambin, autre nom du « Lyon-Turin », constitue donc un complément majeur pour la traversée ferroviaire des Alpes franco-italiennes. Il viendra combler l’important déficit de cette partie de l’arc alpin par rapport aux liaisons helvético-italiennes.

 La Suisse a percé un tunnel de base sous le Lötschberg (34,6 km) qui double le tunnel de faîte (14,612 km) datant de 1913 et bien sûr maintenu en service. Ce doublement de l’axe améliore considérablement l’axe Bâle-Milan, améliorant l’accès au tunnel historique binational du Simplon, dont le portail nord est situé à la sortie de la gare de Brigue.

NEAT-Loetschberg-Basistunnel-rollende-AutobahnAutoroute roulante au portail d'entrée nord du tunnel de base du Loetschberg, qui relie Frutingen dans le canton de Berne à Rarigne dans celui du Valais et permet de rejoindre le tunnel international du Simplon. Le convoi démontre la puissance de report intermodal d'une politique d'infrastructures ferroviaires nouvelles et d'une politique fiscale incitative. (Doc. bls.ch)

 Plus à l’est, la Suisse a percé le tunnel de base du Saint-Gothard (57,1 km), doublant le tunnel de faîte, puis celui du Monte Ceneri (15,4 km), doublant la ligne de vallée, améliorant grandement l’axe international Zurich-Milan.

 L’Autriche et l’Italie sont en train de creuser le tunnel de base du Brenner (55 km), qui  lors de sa mise en service prévue en 2032 doublera la ligne du col du Brenner entre Innsbruck et  Vérone. La longueur de la ligne nouvelle souterraine sera portée à 62 km avec le percement du tunnel du contournement d’Innsbruck.

 Enfin, L’Autriche perce un tunnel de base (27,3 km) sous le col du Semmering, doublant l’acrobatique ligne historique passant par le col éponyme. Cet ouvrage, prévu pour livraison en 2030, permettra d’améliorer grandement les liaisons ferroviaires entre les Länder de Basse-Autriche et de Styrie, sur l’axe international reliant Vienne à Venise (Italie), Ljubljana (Slovénie) et Trieste (Italie).

 Le futur tunnel franco-italien du mont Ambin permettra de mettre les circulations à l'abri des désordres géologiques extérieurs, tel celui de La Praz. L'autre et principal avantage par rapport à la ligne historique sera son profil, avec des déclivités maximales de 12,5 mm/m contre 38 mm/m sur la ligne historique. Un atout considérable, en matière d'économies d'exploitation (absence de renforts de traction) que de consommation énergétique.

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Commentaires
E
Les italiens hallucinent aussi un peu de la durée prévue de la coupure : <br /> <br /> <br /> <br /> https://www.ledauphine.com/economie/2023/10/19/pas-de-train-entre-paris-et-oulx-la-tuile
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P
La vraie question est avant tout politique.<br /> <br /> L'Autriche et la Suisse ont de vraies politiques de transfert modal.<br /> <br /> La France n'a aucune ambition dans ce domaine, n'oublions pas que les accès ne sont toujours pas programmés et fiancés côté français.<br /> <br /> En exagérant peut être un peu, le Tunnel Français servira à faire passer quelques TGV hors de prix.
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M
Je suis parfaitement d'accord avec labrique. Je n’ arrive pas à comprendre qu'il faille autant de temps pour rouvrir la ligne Ferroviaire de la Maurienne.<br /> <br /> Je pense que s’ il s’ agissait de l’ autoroute. Celle ci serait déjà sans doute en cours de déblaiement pour une remise en service rapide. <br /> <br /> Je serai très curieux d’ entendre des spécialistes de la montagne. Combien faut-il de temps réel pour déblayer et stabiliser un tel pan de montagne ?
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T
Comme matériel en attente de rapatriement resté à Modane il y aurait 4 voitures corails et une BB 22200. Il faut savoir que la ligne versant italien est ou sera fermée pour travaux.
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L
Je reste surpris par la durée prévue des travaux.<br /> <br /> <br /> <br /> Une année, c'est peu ou prou ce qu'il a fallu pour rouvrir entièrement la ligne de la Roya après la tempête Alex, avec des dégats plus importants, plus nombreux, dans des endroits bien plus difficiles d'accès, et pour une ligne "secondaire".
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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