La coopérative Railcoop entre appels au secours, sauvetage par un fonds d’investissement et ignorance par l’Etat central
Le devenir de Railcoop et de son projet de train Bordeaux-Lyon n’est pas un long fleuve tranquille: son indispensable levée de 500.000 euros avant le 30 septembre a échoué, se limitant à 383.500 euros. D'après les dernières informations publiées par Ville, Rail & Transports (VR&T), elle se tourne désormais vers des fonds d'investissement, le principal étant espagnol. Deux société seraient créées, l'une de location de matériel roulant, l'autre de commercialisation, toutes deux détenues par les nouveaux investisseurs, Railcoop n'étant plus que tractionnaire.
Jusqu'à présent, le calendrier était le suivant : la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) fondée en novembre 2019 et qui affichait 14.561 sociétaires le 27 septembre dernier, parmi lesquels 31 collectivités, reportait au mieux au 6 juin 2024 la mise en service d’un premier aller-retour, lui-même limité au parcours Lyon-Limoges et seulement les fins de semaines et jours fériés. Le premier aller-retour complet quotidien entre Bordeaux et Lyon ne serait lancé qu’à partir du début du service annuel 2025, soit mi-décembre 2024. Mais la rénovation de la première rame tricaisse par les ateliers ACM de Clermont-Ferrand tardait à s’engager faute de disponibilités financières. Clé de toute l’aventure, le capital manque, ce qui pousse la coopérative à solliciter des fonds d’investissements qui prendraient un ascendant sur la SCIC.
Gare de Guéret. Sur cette photographie, tout est dit: un bâtiment rénové avec l'aide des collectivités locales, des voies en déshérence. Guéret vit passer des trains à longue distance, voire internationaux (voitures Milan ou Genève-Bordeaux...) et fut au centre d'une étoile ferroviaire à quatre branches (voire cinq avec la ligne Busseau-sur-Creuse-Ussel). Railcoop entend desservir cette préfecture de la Creuse, rétablissant enfin une liaison ferroviaire directe avec l'Auvergne et Rhône-Alpes. Le département de la Creuse et la ville de Guéret sont sociétaires de Railcoop. (Doc. Olivier Maffre, avec son aimable autorisation)
Selon les informations publiées par Ville, Rail & Transports, le fonds d'investissement sollicité par Railcoop serait l'espagnol Serena Partners, spécialisé dans les infrastructures industrielles. Serena Partners « apporterait un quart des 49 millions d'euros nécessaires pour exploiter la ligne Lyon-Bordeaux », écrit VR&T. « D'autres investisseurs apporteraient un autre quart et l'autre moitié serait empruntée », poursuit le mensuel spécialisé.
Railcoop ambitionnait lors de sa fondation de lancer son premier Lyon-Bordeaux dès 2021. Devant le retard et dès l’obtention d’une première licence ferroviaire concernant le fret, la SCIC avait lancé fin 2021 une navette marchandises entre Figeac et Saint-Jory, près de Toulouse. Devant l’échec commercial de ce service, Railcoop bascula vers la traction de trains de bois sur le même axe, avant d’abandonner un an plus tard.
Les difficultés de Railcoop, symptôme de l’abandon délibéré de services publics par l’Etat
Les difficultés de Railcoop sur l’axe interrégional Lyon-Bordeaux, desservi jusqu’en 2012 par un Intercités sacrifié par l’Etat autorité organisatrice de ces services voyageurs « d’équilibre du territoire », forment le symptôme d’un mal plus profond : celui de l’abandon délibéré de services publics dans des régions en difficulté économique et démographique et de surcoît, en ce cas particulier, de relations inter-métropolitaines transversales n’intéressant par l’Ile-de-France. Quels que soient les torts qui peuvent être imputés à sa direction et à sa stratégie, Railcoop illustre à son corps défendant le chaos ferroviaire et territorial qui accable la France. Railcoop constitue une initiative de dernière extrémité qui ne saurait être assimilée à un adversaire de l’entreprise publique SNCF soumise aux diktats de l’Etat : cette coopérative est de fait une entreprise citoyenne, soutenue par des collectivités publiques.
Vue de la voie neutralisée sur le deuxième axe transversal Lyon-Bordeaux, celui qui passait par Clermont-Ferrand et Ussel, le long des puys. Actuellement sans aucune circulation entre Laqueuille et Ussel (et seulement fret entre Volvic et Laqueuille), celle ligne bi-régionale remarquable n'a pas pour l'instant, contrairement à l'itinéraire via Montluçon, vocation à retrouver des trains malgré le souhait affiché du président du conseil régional de Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset, de la voir remise en service. (Doc. Christian Jobst, www.railwalker.de)
Le 21 septembre, le président de la société coopérative Nicolas Debaisieux faisait porter la principale responsabilité des difficultés qu’il rencontre sur le manque de soutien financier de l’Etat. Un Etat qui, rappelons-le, avait liquidé la liaison Lyon-Bordeaux voici neuf ans, faisant porter les économies qui en résultaient sur le dos des populations des régions traversées. Nicolas Debaisieux estimait que c’est cet abandon « qui fait qu’une nouvelle fois, nous sommes contraints de nous tourner vers les sociétaires ». Il dénonçait « le manque d'une volonté politique forte pour faire du système ferroviaire français un outil industriel performant, présentant moins de barrières à l’entrée ». Il en voulait pour preuve qu’alors que le marché est ouvert depuis quatre ans, « il n’y a aucun acteur indépendant qui exploite une ligne (voyageurs , NDLR) sur le réseau ». Par acteur indépendant, comprendre un nouveau venu sur le marché hors entreprises historiques étrangères telles que Trenitalia ou Renfe.
Railcoop lançait ainsi ce jeudi 21 septembre un nouvel appel à la mobilisation citoyenne, alors que la coopérative avait un besoin urgent d'argent afin de pouvoir régler ses frais de fonctionnement, en premier lieu les salaires, au moins jusqu’au 31 décembre. « Sans même commencer à envisager de futurs bénéfices à long terme, il y a des chances significatives que Railcoop n’existe plus dans quelques mois, et donc que cet argent soit perdu », avait tenu à prévenir la société coopérative. Elle estimait qu’il « ne faut pas voir cette souscription comme un investissement mais un soutien militant » à un projet qui vise à relier les villes régionales - métropoles ou agglomérations moyennes - sans avoir à transiter par Paris, capitale devenue incontournable alors qu’elle est fortement décentrée par rapport à l’ensemble du territoire, offrant une alternative à la voiture.
Un fonds d’investissement européen qui pourrait chapeauter la coopérative
L’autre source de financement serait donc désormais celle « d’un fonds d’investissement européen » avec lequel Railcoop avait dit être entrée en négociation officielle. Ce fonds partagera le coût de lancement et le risque avec la coopérative, au risque au demeurant de la chapeauter. « Nous avons reçu une lettre d’intention fin août et les négociations ont commencé », avait précisé Nicolas Debaisieux, qui toutefois n’envisageait pas de conclusion avant janvier. D’où l’appel aux bonnes volontés des sociétaires avec un ticket minimum d’entrée à 100 euros pour assurer la soudure du quatrième trimestre.
Restent deux questions très embarrassantes à laquelle Railcoop aura du mal à répondre. D’abord, celle du délai de rénovation des rames X72500. Thierry Marty secrétaire général adjoint Unsa retraités et ancien administrateur salarié de la SNCF assure : « Fonds d’investissements ou pas, Railcoop ne pourra exploiter des trains en juin 2024. Les délais nécessaires pour la révision et la remise en service des rames X72500 ne le permettent pas. Même décembre 2024 (à la bascule du service horaire 2025) est déjà largement compromis ». Sauf accélération coûteuse de la révision des rames acquises ou location provisoire de rames exploitables dans ces délais...
Gare de Montluçon, vue au début du XXe siècle alors que es voies étaient protégées par une marquise, détruite lors d'un bombardement allié meurtrier survenu le 16 septembre 1943. La gare centrale de la capitale économique de l'Allier, jadis centre industriel renommé, vit transiter de jour comme de nuit des Paris-Ussel/Aurillac, des Bordeaux-Lyon et au-delà... Aujourd'hui, elle n'est plus que le terminus de trois lignes TER aux fréquences étiques : depuis Clermont-Ferrand, Limoges et Vierzon. La communauté d'agglomération de Montluçon et le département de l'Allier sont sociétaires de Railcoop. (Carte postale ancienne via CPArama)
Autre question, celle de la durée de validité de la licence, problème lui aussi soulevé par Thierry Marty. Le maintien de la licence d’exploitant ferroviaire est régi par la directive européenne 2012/34/UE. Son sixième article édicte que « lorsqu'une entreprise ferroviaire a interrompu ses activités pendant six mois ou n'a pas commencé ses activités dans les six mois suivant la délivrance d'une licence, l'autorité responsable des licences peut décider que la licence fait l'objet d'une nouvelle demande d'agrément ou est suspendue... ».
Son septième article précise : « Lorsqu'une procédure en insolvabilité ou toute autre procédure similaire est engagée à l'encontre d'une entreprise ferroviaire, l'autorité responsable des licences ne l'autorise pas à conserver sa licence si elle est convaincue qu'il n'existe pas de possibilité réaliste de restructuration financière satisfaisante dans un délai raisonnable... »
L’atout de Railcoop est d’abord politique
Il n’en faut pas conclure que le projet de Railcoop n’a plus d’avenir. Tout retrait de la licence serait vécu par les collectivités sociétaires – parmi lesquelles la métropole de Lyon, la région Grand-Est et des municipalités et départements situés sur le parcours Lyon-Bordeaux – comme un camouflet politique de la part d’institutions d’un Etat qui… les a privés du service public qu’elles tentent de restaurer à leurs frais. Et alors même que la ligne Lyon-Bordeaux est une ligne transversale à longue distance dont la responsabilité revient logiquement audit Etat.
Par ailleurs, indique le chargé de communication de Railcoop Romain Tord, « nous n’avons jamais autant avancé sur l’ouverture du Bordeaux-Lyon que ce mois de septembre ». Outre les négociations avec un fonds d’investissement, la demande officielle de sillons a été au moins partiellement satisfaite par SNCF Réseau. Les sillons obtenus, ouverts à partir du 6 juin prochain, permettraient à la coopérative une ouverture partielle de la ligne jusqu’en fin d’année 2024, les fins de semaines et jours fériés, et seulement entre Lyon et Limoges. Nicolas Debaisieux compte interroger les sociétaires sur l’opportunité de démarrer l’exploitation partielle en juin, ou une exploitation de bout en bout en décembre seulement. Si le matériel est au rendez-vous… et sachant que le financeur avec lequel la société coopérative est en train de négocier, une fois l’accord signé, aura probablement le dernier mot.
Bâtiment voyageurs de la gare de Gannat. Noeud ferroviaire important avec des lignes depuis Bordeaux, Limoges et Montluçon, Lyon et Saint-Germain-des-Fossés, Clermont-Ferrand et même (Moulins) La Ferté-Hauterive, gare de jonction entre les compagnies Paris-Orléans et PLM, Gannat ne reçoit plus que six TER par jour et par sens reliant Clermont-Ferrand et Montluçon. La ville de Gannat est sociétaire de Railcoop. ©RDS
Alexandra Debaisieux, alors directrice générale déléguée, reconnaissait en début d’année 2023 dans le média 20 minutes avoir « sous-évalué les difficultés telles que l’accès au réseau, au matériel roulant et le financement ». « Nous avons aussi sous-estimé la frilosité des banques à s’engager », ajoutait-elle. En effet, la mauvaise anticipation du financement est flagrante.
C’est au demeurant le propre de nombreuses sociétés coopératives, dans lesquelles l’investissement capitalistique est psychologiquement limité. Le pouvoir de chaque sociétaire y est juridiquement limité à une seule voix quel que soit le nombre de parts détenues. Ce point de droit commercial bloque tout investisseur important susceptible de vouloir une part ou la totalité du pouvoir de direction en contrepartie de l’importance de sa prise de risque.
La responsabilité écrasante d’un Etat français qui a divorcé de ses territoires
Mais c’est surtout l’opportunité d’exploiter une ligne transversale « d’aménagement du territoire » - il faudrait plutôt parler d’équité territoriale – sous le régime du libre accès aux risques et périls de l’exploitant qui est en question. C’est moins la SNCF qui a suspendu les liaisons Intercités Lyon-Bordeaux que l’Etat français, et singulièrement son tout-puissant ministère du Budget.
C’est l’Etat français qui a refusé d’assurer le financement de la régénération de la section en fin de vie Laqueuille-Ussel, sacrifiant en 2014 la liaison Intercités transversale (Lyon)-Clermont-Ferrand-Bordeaux par Brive alors qu’il est propriétaire du réseau et que cette section, parce que multirégionale, relevait d’autant plus de la responsabilité de l’Etat central. C’est l’Etat français qui, par sa pression budgétaire hostile au rail, a contraint la SNCF à suspendre en 2012 la liaison Intercités transversale Lyon-Bordeaux par Montluçon et Limoges, laissant la section à double voie Saint-Germain-des-Fossés-Gannat sans plus aucune circulation voyageurs.
Carte des "destinations" Intercités surprise dans une voiture Corail de la lilaison Marseille-Bordeaux en 2019. On distingue les lignes Lyon-Bordeaux par Montluçon et par Brive, figurées en bleu, alors que la dernière d'entre elles a disparu depuis plusieurs années. ©RDS
On peut reprocher aux deux régions mitoyennes Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle Aquitaine de ne pas avoir été capables, au mépris de l’intérêt général, de mettre bout à bout leurs services TER terminant à Montluçon, et à Auvergne-Rhône-Alpes de ne pas être capable de concevoir des services TER Lyon-Montluçon alors que les voies existent : de tels services, possiblement assurés sur la partie orientale de leur parcours par une double rame à deux destination (Lyon-Saint-Germain-des-Fossés-Clermont-Ferrand/Montluçon) relèvent pourtant de la simple logique dans cette région fusionnée. Assurés en continuité avec les deux Limoges-Montluçon de Nouvelle-Aquitaine, ils permettraient chaque jour deux Lyon-Limoges, voire Bordeaux si poursuivis vers l’ouest.
Reste que quel que soit l’avenir de Railcoop et de son projet fondateur Lyon-Bordeaux, cette initiative citoyenne met en lumière le violent divorce entre le régime politique en place d’une part, ses territoires en souffrance et plusieurs de ses métropoles d’autre part. Que Bordeaux ne soit par relié à Lyon par des trains directs irriguant les départements intermédiaires (ni même par des trains directs contournant le Massif central !) relève tout simplement de la provocation.