(Mis à jour le 27 septembre avec détails des dégâts sur Béziers-Millau)

Trois graves événements ont interrompu des lignes de chemin de fer en France ces dernier temps : les fortes pluies ont endommagé mi-septembre la ligne interrégionale Béziers-Neussargues sur une dizaine de kilomètres au sud de Millau, induisant une interruption « de plusieurs mois » selon SNCF Réseau ; l’effondrement d’un pan de montagne a  endommagé et menace encore l’axe international Chambéry-Modane, induisant une interruption d’une durée comparable ; enfin, la ligne régionale à voie métrique Digne-Nice est interrompue depuis quatre ans et demi au nord de Saint-André-des-Alpes en raison d’une rupture de la voûte du tunnel de Moriez, ne laissant espérer un rétablissement de la circulation que dans plus d’un an.

 Ces trois événements, s’ils sont d’origines très diverses – fortes pluies méditerranéennes, instabilité de colossales falaises, vétusté d’un ouvrage d’art – ont en revanche un point commun : la longueur de la durée d’interruption du trafic anticipée par les gestionnaires d’infrastructure : SNCF Réseau (SNCFR) pour Béziers-Neussargues et Chambéry-Modane, Régie régionale des Chemins de fer de Provence pour Digne-Nice. Dans les deux premiers cas, SNCFR évoque « plusieurs mois ». Dans le troisième cas il se sera agi de plusieurs années.

 Béziers-Neussargues, coupée depuis le 16 septembre « pour plusieurs mois »

 La section Bédarieux-Millau (78 km) de la ligne Béziers-Neussargues a été sévèrement endommagée par un « épisode cévenol » le 16 septembre sur une dizaine de kilomètres.  Elle est neutralisée, d’après les dernières informations, « pour plusieurs mois ». Fin septembre, on apprenait qu'une remise en service était envisagée début 2024.

 Après une première évaluation de 500 m de la longueur des désordres dus aux effets de la crue de l’Orb, que la ligne côtoie sur une dizaine de kilomètres entre Bédarieux et Le Bousquet d’Orb, les experts de SNCFR ont dû réévaluer les dégâts à la hausse : la voie n’est plus praticable sur une dizaine de kilomètres cumulés. Des emports de ballast ont  laissé voies et traverses dans le vide,  leur géométrie a été dégradée en plusieurs endroits avec divers gauchissements des rails, des talus et remblais ont été déstabilisés, des circuits électriques ont souffert telles les installations de sécurité de passages à niveau, des poteaux caténaires ont été endommagés.

 Quatorze ouvrages d'arts ont subi des avaries, ainsi que deux tunnels et deux parois rocheuses. Cinq mille traverses devront étre remplacées ainsi que 6 km de rail.

La section située entre Bédarieux et Tournemire-Roquefort, longue de 50 km, compte huit tunnels et 14 ponts ou viaducs sur les nombreux affluents de l’Orb ou sur l’Orb lui-même.

 Entre Lunas et Montpaon, soit 24 km, la ligne s’éloigne de la basse vallée de l’Orb pour pénétrer dans une zone isolée des Monts d’Orb (Joncels, Les Cabrils, Ceilhes-Roqueredonde), où son accessibilité par route est difficile.

 La section Bédarieux-Millau de la ligne Béziers-Neussargues est habituellement desservie par deux rotations quotidiennes de TER Occitanie (une Béziers-Millau, une Béziers-Saint-Chély-d’Apcher) et une rotation quotidienne au statut Intercités (Béziers-Clermont-Ferrand avec rupture de charge à Neussargues), soit trois allers-retours d’AGC sous la caténaire 1,5 kV installée par la compagnie du Midi au cours des années 1930 sur cette ligne au profil en montagnes russes. Aucune circulation fret n’est recensée, au demeurant désormais interdites par le gestionnaire d’infrastructure au sud de Marvejols.

 Depuis les événements, les trains sont remplacés par quatre rotations quotidiennes d’autocars entre les sous-préfectures de l’Hérault et de l’Aveyron, Béziers et Millau... mais prolongés au nord de la ligne pourtant indemne.

IMG_20210629_103641897_HDRCe qui reste de la gare de Ceilhes-Roqueredonde, entre Bédarieux et Millau, dans l'une des zones les plus isolées desservies par la ligne Béziers-Neussargues. Les désordres sur la voie sont intervenus sur cette section. Désormais les usagers du train sont priés de se reporter plusieurs mois  durant sur des autocars empruntant des routes au tracé tourmenté. On notera le contraste entre la qualité du matériel roulant électrique ZGC et l'électrification de la ligne d'une part, la dégradation de la voie de croisement, l'ancienneté des quais et l'absence de tout personnel commercial dans la gare fermée, d'autre part. ©RDS

 La longueur annoncée de la suspension du trafic s’explique certes par l’importante de désordres dus aux précipitations de la mi-septembre. Ces « épisodes cévenols » ou « méditerranéens » sont monnaie courante dans ces régions. On se souvient de la tempête Alex autour du 6 octobre 2020 dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) qui causa le décès de 10 personnes et fit de considérables dégâts sur la voirie routière et la voie ferrée. Plus loin, le 3 octobre 1988 Nîmes fut submergée par de puissantes précipitations, causant le décès de 11 personnes et interrompant la section Montpellier-Nîmes de la ligne Tarascon-Sète pendant plusieurs semaines.

 Plus loin encore, le 16 octobre 1940, une tempête submergea les Pyrénées-Orientales causant la mort d’une cinquantaine de personnes dans la vallée de la Tech. La ligne Elne-Arles-sur-Tech fut détruite et la ligne internationale de Narbonne à Port-Bou interrompue, le pont sur le Tech s’étant effondré à Elne, emportant une locomotive à vapeur de reconnaissance qui le franchissait. Cinq cheminots y périrent. La ligne de la vallée de la Tech ne fut jamais rétablie sur les 14 km courant au nord d’Amélie-les-Bains.

 Deux remarques peuvent donc être énoncées. La première concerne les budgets dédiés à la prévention de ce type d’événements pour les voies ferrées situées dans les régions méditerranéennes frappées chaque année à l’automne (et parfois au printemps) par ce type de précipitations, réchauffement climatique ou pas. Ces sections fragiles – et parfois stratégiques -  devraient être l’objet de travaux de prévention, comme les importants travaux hydrauliques qui furent effectués le long des voies à Nîmes après l’épisode de 1988. L’accessibilité des voies devrait être assurée à l’image des réseaux nord-américains doublés de chemins carrossables en zones rurales.

 La seconde remarque tient aux moyens d’intervention dont disposent en France le gestionnaire d’infrastructure et l’industrie des travaux ferroviaires. Prévoir « plusieurs mois d’interruption » d’une ligne interrégionale pour une dizaine de kilomètres de désordres structurels démontre le peu de moyens dont dispose le secteur des infrastructures ferroviaires en France, sollicité à la fois par les grandes interventions sur le réseau principal classique dont on connaît l’état obsolescence et par les interventions ponctuelles pour parer – quand les budgets sont débloqués - à la dégradation dramatique des lignes de desserte régionale ou « fine ».

Chambéry-Modane, coupée depuis le 27 août « jusqu’à la fin octobre »

 Sur la commune du Freney,  dans la haute Maurienne sur la rive gauche de l’Arc), dix-mille mètre-cubes de roches s’effondrent sur le 27 août dernier. La falaise était grillagée, mais la puissante de l’éboulement a tout emporté, s’abattant sur la route départementale 1006 et sur la voie ferrée internationale Chambéry-Modane. L’autoroute A43 a reçu elle aussi des gravats mais a pu être rapidement rétablie.

 La voie ferrée a été partiellement protégée par une galerie de protection longue de 180 m située au pied de la falaise instable. Mais le plafond de cette galerie elle-même est désormais menacé de rupture en raison de la masse de roches qui la recouvre. A la sortie est de la galerie, la voie a été recouverte de matériaux sur une trentaine de mètres, voies et caténaires détruites.

 Le gestionnaire d’infrastructure et les services de l’Etat doivent donc  effectuer d’importants travaux. Il faut d’abord ausculter et sécuriser la falaise instable afin de prévenir, en la purgeant éventuellement, de nouveaux éboulements.  On compte entre trois et quatre mille mètre-cubes de roches instables qui menacent encore de se détacher. Puis de nouveaux filets de protection doivent être tendus et arrimés.

 Une fois la falaise sécurisée, SNCFR doit déblayer la courte section de voies recouverte de roches. Le gestionnaire d’infrastructure doit alléger la masse de roches recouvrant la galerie afin de prévenir l’effondrement de son plafond ce qui n’est pas une mince affaire en raison de la hauteur de la partie éboulée : tout retrait de roches à la base implique un retrait préalable sur la partie supérieure afin de ne pas compromettre la précaire stabilité de l’ensemble. Des capteurs sont placés à l’intérieur de la galerie pour s’assurer qu’aucun désordre structurel n’en menace d’intégrité.

Maurienne EboulementVue des conséquences de l'effondrement d'un pan de falaise en Maurienne. La ligne Chambéry-Modane était la plus proche du sinistre, avant la départementale puis l'autoroute. Les concepteurs de la voie ferrée, conscients du danger de cette montagne, ont fait construire la galerie qui en effet a protégé l'essentiel de la voie. Il faut toutefois d'urgence alléger la masse qui recouvre l'ouvrage et s'assurer que ses dommages ne remettent pas en cause la pérennité de sa structure.  

Viendra ensuite le rétablissement de la voie endommagée purgée de ses gravats, le rétablissement de la continuité des caténaires et des réseaux électriques de signalisation.  A ce jour, un rétablissement des circulations ferroviaire est prévu pour fin octobre.

 Contrairement au cas de la ligne Béziers-Neussargues, on ne peut guère parler de manque d’anticipation et de protection sur la Maurienne. Courant dans une zone extrêmement instable, entre les massifs parmi les plus hauts d’Europe,  cette ligne au profil sévère a connu une série impressionnante de vicissitudes depuis sa mise en service complète en 1871. On relèvera l’effondrement d’un tunnel en 1881, l’emporte de 15 km de voies entre Saint-Michel et Saint-Jean de  Maurienne en juin 1957, la submersion d’un pont et d’une section par une crue de boues à Pontamafrey en septembre 1965 puis à nouveau l’année suivante.

 Il ressort de l’effondrement du Freney que la meilleure prévention réside dans l’achèvement du percement du tunnel de base dit du mont Ambin de 57,5 km de la ligne nouvelle Lyon-Turin, entre Saint-Jean-de- Maurienne et Bussoleno, mais aussi des tunnels d’approche dans les vallées de la Maurienne et du Val Susa : côté français tunnels sous les parties nord de la Chartreuse et de l’Epine (15,2 km), de Belledonne (19,7 km) et du Glandon (9,5 km). Ces deux derniers, comme le tunnel de base binational, permettront d’éviter le parcours de la ligne classique sur la partie aval et moyenne de la vallée de l’Arc, évitant les menaces d’effondrement ou de coulées de boues des torrents affluents de la rivière principale. Il en ira de même côté italien, avec les tunnels d’approche  d’Orsiera (19 km) puis, éventullement, celui de Collina Morenica, tous deux courant sous la montagne parallèlement à la vallée de la Doire Ripaire.

 Les opposants à la construction de la  ligne nouvelle « Transalpine » franco-italienne, parmi lesquels certains sont allés jusqu’à saboter des engins de chantier, sont restés étrangement silencieux depuis le 27 août.

Digne-Nice : le tunnel de Moriez fermé depuis février 2019 jusqu’à... début 2025 !

 La ligne à voie métrique Digne-Nice (150 km) est régulièrement victime des « épisodes méditerranéens » au point que sa pérennité a plusieurs fois été mise en danger, outre les menaces politiques qui ont heureusement été écartées depuis son transfert au patrimoine de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Mais l’effondrement d’une partie de la voûte du  tunnel de Moriez, qui a créé un fontis sur la route passant plusieurs dizaines de mètres au-dessus, n’en finit pas d’être réparée.

 La tempête Alex, qui avait gravement endommagée la ligne voisine Nice-Tende, avait aussi frappé Nice-Digne, entraînant son interruption du 2 octobre au 28 novembre 2020. Elle avait causé neuf coulées de boue et endommagé 3.700 mètres de voie. Mais c’est un an et demi avant que s’était produite l’avarie sur la voûte du tunnel de Moriez.

 Le tunnel de Moriez a été le théâtre d’un effondrement en février 2019, entraînant le décès d’un salarié  de l’entreprise de BTP Cozzi. Ce souterrain long de 1.195 mètres est situé à la sortie ouest de la gare de Saint-André-les-Alpes, côté Digne. Il est le deuxième tunnel plus long de la ligne après le tunnel de faîte de la Colle-Saint-Michel long de 3.457 m, à proximité de Thorame-Haute, point culminant de cette ligne parmi les plus spectaculaires de France à 1.012 m d’altitude.

 Spie Batignoles Fondations a comblé partiellement le tunnel sur 40 mètres et traité les terrains de recouvrement au-dessus de l’effondrement.   Spie Batignoles en charge d’une partie des travaux, explique sa stratégie : « En injectant à partir de la surface, on réduit au maximum le temps de circulation des personnes au voisinage du secteur éboulé, (…) limité à la réalisation des masques latéraux. Par ailleurs le confinement des matériaux par injection limite l’importance des soutènements à mettre en galerie ».

MoriezEntrée condamnée du tunnel de Moriez, ouvrage long de 1.195 m situé à la sortie nord de la gare de Saint-André-des-Alpes sur la voie métrique Digne-Nice. Six années pour réparer un effondrement partiel de la voûte : le délai est moins dû à la durée des travaux qu'à un imbroglio administratif, bureaucratique et judiciaire. Etrangement, les "grands" médias parisiens n'ont quasiment jamais évoqué ce cas d'interminable interruption d'un service de base aux populations.  

 Le report de trimestre en trimestre de la mise en sécurité définitive, a suscité une pétition au printemps 2022. A Digne, la municipalité réclamait un calendrier précis et clair sur la réouverture de la ligne vers Nice alors que la ville est déjà privée de son accès ferroviaire vers la Durance (Marseille et Grenoble) en raison de la fermeture de la section Digne-Saint-Auban alors qu’elle vit jadis passer des Genève-Digne et des Avignon-Digne.

 Aujourd’hui,  la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur annonce une remise en service de la section nord de la ligne pour… 2025, soit une interruption totale de six années. Les service du conseil régional écrivent que « depuis l’effondrement en 2019, l’enquête judiciaire et l’expertise civile ont suspendu les procédures des travaux ». Une première tranche, susmentionnée, avait été effectuée, permettant de sécuriser la route victime d’un fontis. Le communiqué de la région poursuit : « La procédure a pu être relancée en septembre 2022. Le marché de travaux sera attribué en octobre 2023, le ‘’premier coup de pioche’’ aura lieu en février 2024 pour une réouverture en 2025 ».

 On relèvera qu’entre la relance de la procédure en septembre 2022 et l’attribution du marché de travaux en octobre 2023 se seront écoulés quelque treize mois, ce qui en dit long sur les capacités du système bureaucratique et industriel français à répondre à une situation d’urgence et au simple principe de continuité d’un service public. La substitution partielle par autocar implique une nette dégradation dudit service dans ce cas précis, avec augmentation du temps de parcours et rupture de mode imposant une correspondance rail-route.

 L’affaire du tunnel de Moriez, évidemment peu rapportée par les grands médias tous parisiens, fait écho à la terrible affaire de l’accident d’autocar de Millas sur la ligne Perpignan-Villefranche qui avait fait six morts le 14 décembre 2017 en raison d’un franchissement de passage à niveau. Il avait fallu  attendre le 21 octobre 2019, soit presque deux années, pour que les bureaucraties judiciaires autorisent à nouveau la circulation ferroviaire.

 Dans le cas du tunnel de Moriez, c’est la lenteur administrative et judiciaire, sans parler des difficultés de financement,  qui induit de tels retards, impensables dans la plupart des autres pays européens. Le conseil régional se fait fort en revanche de souligner que sur la période 2023-2026, il investira 100 millions d’euros sur cette ligne entre huit nouvelles rames hybrides pour mise en service en 2026-2027 (56 M€), la création d’un nouveau site de maintenance à Lingostière qui sera livré mi-2026 (42 M€) et la rénovation de  six gares (6 M€).

Conclusion : trois événements différents mais des types de travers communs

 Ces trois affaires d’interruption de trafic ferroviaire en raison d’événements géologiques sont certes différentes par leur ampleur mais aussi par leur traitement. Elles soulignent néanmoins toute de graves failles dans la gestion des système ferroviaires français.

 L’affaire de la ligne Béziers-Neussargues traduit un manque de prévention et de préparation aux violents incidents climatiques dans une région qui en est pourtant fréquemment victime. Elle signe l’insuffisance d’outils industriels pour interventions massives et rapides, de même que le malthusianisme budgétaire de l’Etat en matière ferroviaire.

Transalpine Carte TransalpineSchéma en coupe du trajet du tunnel de base du mont Ambin, comparé à celui de la ligne classique avec mention de l'éboulement récent. Dans un tel contexte géologique, il va de soi que le projet de ce tunnel de base - et tout autant celui des tunnels d'accès - aurait depuis longtemps dû être prioritaire pour la France. Il a fallu que ce fussent les représentants élus des populations de Savoie qui fassent pression des années durant pour que le dossier avance enfin. (Doc. Transalpine) 

 L’affaire de la Maurienne met en exergue l’urgence de l’achèvement de l’ensemble des travaux pour mise en service de la ligne nouvelle Lyon-Turin par le tunnel de base du mont Ambin qui effacera  ce type de risque. L’incompréhensible hésitation de Paris à débloquer le projet de ligne (et surtout tunnels) d’approche côté français dans une région au relief titanesque et dangereux en dit long sur l’impréparation politique du gouvernement français et de son Etat profond en la matière. Sans parler de la contestation nihiliste et idéologique d’une partie du monde autoproclamé « écologiste ».

 L’affaire du tunnel de Moriez enfin illustre de façon caricaturale l’inflation réglementaire de la France, son principe de précaution hors de proportion, la paralysie de son système judiciaire, l’enchevêtrement kafaïen de ses bureaucraties territoriales et nationales, et l’étranglement financier de son système ferroviaire.