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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
12 novembre 2023

Un retard dramatique : la réouverture de la ligne de la Maurienne reportée de l’été prochain à la fin de l’année 2024

 Aux toutes dernières nouvelles, la ligne de la Maurienne ne rouvrirait qu’à la fin de l’année 2024 alors qu’elle devait rouvrir à l’été 2024, une dizaine de mois après l’effondrement d'une falaise à La Praz (Savoie) qui a recouvert une galerie de protection de la voie ferrée, a partiellement endommagé la voie à sa sortie, a couvert la route départementale et concerné partiellement l’autoroute. L’annonce de ce retard a été faite par Olivier Thévenet, vice-président du conseil départemental de la Savoie pour les infrastructures.

 Ce report d’environ six mois constitue une véritable catastrophe, à la fois pour les relations économiques France-Italie et pour le fret ferroviaire… Sans parler des relations voyageurs à longue distance entre les deux pays, assurées entre Paris et Milan à la fois par SNCF Voyageurs et Trenitalia. Le fret ferroviaire, qui ne peut que très marginalement être détourné par Vintimille, devrait donc passer à la route. Le flux voyageurs à longue distance, qui ne peut que très marginalement être détourné par la Suisse,  devrait passer à la route et au transport aérien.

Un an et demi d’interruption, un véritable record pour un axe international

 La remise en service de la double voie électrifiée en 1.500 Vcc reliant Chambéry à Modane, et au-delà à Turin, devrait donc rester neutralisée pendant un an et demi. Un véritable record pour une ligne internationale européenne. Parallèlement, en Suisse, le tunnel de base du Saint-Gothard, dont la voie d’un des deux tubes a été endommagée par le déraillement d’un train de fret de trente wagons suite à une rupture de roue le 10 août dernier voit son trafic très réduit. Mais à la différence de la ligne de la Maurienne, une des deux voies peut être utilisée et surtout la ligne de faîte offre un itinéraire de substitution.

 L’autoroute voisine de la voie ferrée, moins affectée par l’éboulement que la voie ferrée et la route départementale, a bénéficié d’une remise en service moyennant un budget de 7 millions d’euros. Son interruption n’aura duré qu’une dizaine de jours. Pour la voie ferrée, il est vrai plus affectée, le délai atteint désormais, selon les dernières prévisions, dix-huit mois.

Maurienne Eboulement 2Vue de l'éboulemet de La Praz en Maurienne. Dans l'ordre, la route départementale, la voie ferrée (protégée par une galerie spéciale, signe de la connaissance ancienne des risques déboulement par les ingénieurs du réseau ferroviaire) puis l'autoroute A43 ont été frappées de plein fouet.

 Si certains trafics du fret conventionnel peuvent être reroutés par Vintimille, moyennant une difficile insertion dans des sections supportant un trafic TER très chargé (Marseille-Toulon, Cannes-Menton), sans parler des rotations TGV, les trains de transport combiné au gabarit GB ne peuvent y accéder. La ligne Marseille-Vintimille est équipée de nombreux tunnels, en particulier entre Aubagne et Toulon à l’ouest, entre Saint-Raphaël et Cannes et entre Nice et Vintimille à l’est, qui n’acceptent pas ce gabarit augmenté pour laisser passer les remorques de poids-lourds embarquées.

 Il en résulte que le transport combiné, particulièrement actif sur la Maurienne avec l’autoroute roulante Aiton-Arbassano, qui fut la première créée en France, ne dispose de quasiment aucune solution alternative. Or l’Italie est le deuxième partenaire économique de la France avec quelque 47 millions de tonnes annuelles de marchandises échangées, sans parler des relations entre l’Espagne et l’Italie du Nord empruntant les tunnels alpins, ferroviaire ou, surtout, routier. L’engorgement des voies routières dans les vallées alpines de l’Arc (Maurienne) et de l’Arve (Chamonix), déjà suffocant, va encore s’accroître.

L’urgence d’aides et de solutions

 « Il est inacceptable que les pouvoirs publics laissent le fret ferroviaire sans aides ni solutions », s’indigne le blog Fret Ferroviaire sur Linkedin.com. Pour Sylvain Husson,  responsable technique chez Thales, c’est probablement le manque de moyens affectés aux travaux de déblaiement et de renforcement de la galerie de protection qui explique l’allongement de la période de neutralisation : « Je ne comprends pas que l'évacuation des 10.000 m3 de roches et que les 5.000 m3 à purger prennent tant de temps avec les moyens actuels ! ».

 Afin de permettre une réouverture sécurisée de la ligne de la Maurienne, le site de l’éboulement est actuellement purgé de ses roches instables susceptibles de causer de nouveaux effondrements. Au total, quelque 5.000 m3 de rochers doivent être artificiellement effondrés. Après des purges de surface par largage d’importants volumes d’eau par hélicoptère cet été, un volume de quelque 1.000 m3 a été purgé par explosions le 5 novembre, opération pilotée en financée par le département de la Savoie, gestionnaire de la route départementale qui chemine entre la voie ferrée et la falaise, SNCF Réseau et la Citem, un entreprise régionale spécialisée dans les travaux en zones périlleuses.

Lyon-TurinEn vert, le corridor ferroviaire transeuropéen tracé par la commission européenne, qui empruntera le futur tunnel de base (et lignes d'approches) de l'axe "Lyon-Turin". Le fait que l'Europe ait conçu cet itinéraire comme axe structurant entre Espagne et Slovénie via l'Italie du Nord  traduit son importance. Il en résulte que la ligne classique, seule actuellement disponible, s'inscrit dans un faisceau capital pour le continent et que le retard de son rétablissement constitue un défi à l'échelle continentale.

 Selon Olivier Thévenet, ces seules opérations de purge par explosifs devraient durer au moins jusqu’au début de l’été  prochain. Or il ne sera pas possible de restaurer la superstructure de la ligne ferroviaire et d’intervenir sur la galerie de protection – qui au demeurant n’aurait pas été gravement endommagée – avant la fin de ces purges, qui garantira la sécurité des personnels et des futures circulations.

 Si l’autoroute A43 a été dégagée en une dizaine de jours, c’est d’abord qu’elle n’avait été que marginalement affectée par l’éboulement. De plus, l’installation d’un mur de protection de l’autoroute contre d’éventuels nouveaux éboulements, composé de conteneurs lestés, aurait permis de faire face à toute éventualité, si l’on en croit les ingénieurs et le binôme concessionnaire de cette voie routière, l’AREA et la SFTRF (Société française du tunnel routier du Fréjus).

Le transport combiné, en plein retournement conjoncturel, frappé de plein fouet

 L’interruption de la ligne de la Maurienne, tandis que la ligne nouvelle du tunnel de base ne sera pas mise en service avant 2030, est extrêmement préjudiciable pour les chargeurs et opérateurs de transport combiné puisque cet axe ferroviaire est le seul à accepter leurs convois entre la France et l’Italie. Or ce secteur connaissait déjà, dès avant l’éboulement de La Praz, un grave retournement de conjoncture. Après avoir connu des taux de croissance de 16,7 % en 2021 et de 9,4 % en 2022, le transport combiné français avait subi au premier trimestre un violent retournement avec une chute d’activité comprise entre 30 % et 40 %.

ECRConvoi de caisses mobiles Mégacombi tracté par ECR, filiale de DBAG réintégrée dans sa maison-mère en 2021, transitant dans la région de Port-la-Nouvelle, sur l'axe international France-Espagne, lui-même élément du corridor fret transeuropéen Espagne-Slovénie. (Doc. ECR)

 Les grèves liées à la réforme des retraites l’expliquent en grande partie, les syndicats ayant réussi à paralyser en particulier les centres de gestion du trafic, postes d’aiguillages et de régulation. Aurélien Barbé, délégué général du Groupement national des transports combinés (GNTC) expliquait dans l’Officiel des Transporteurs (www.actu-transport-logistique.fr) que « depuis février 2023 nous avons connu plusieurs jours d’affilée sans aucune circulation de trains du combiné ». Au cœur de l’éruption sociale, au 16 mars 2023 trente-deux trains avaient supprimés en deux semaines. Rémy Crochet, PDG de Froid Combi estimait élevé le risque de « terminer l’année 2023 en forte perte, une première depuis la création de notre société il y a vingt-cinq ans ». Il jugeait que « tous les volumes perdus ne seront jamais rattrapés ». (1)

Par ailleurs, la hausse exponentielle des prix de l’électricité a détérioré la compétitivité du combiné rail-route. L’allongement à dix-huit mois de l’interruption de la ligne de la Maurienne, qui joue un rôle important dans le trafic du transport combiné, ne peut pas ne pas alourdir encore cette tendance négative.

Questions embarrassantes sur le calendrier et le financement des travaux

 Comment juger de l’évolution de la situation ferroviaire en Maurienne ? La constitution de la falaise incriminée est-elle à ce point dégradée qu’il faille  presque une année, de septembre 2023 à l’été 2024 pour purger suffisamment de matériaux afin d’assurer sa stabilité dans le temps ? Mais alors, que dire de la surveillance antérieure à l’éboulement, probablement défaillante puisque les masses de roches instables atteignent des niveaux considérables nécessitant, outre celles spontanément effondrées, presque une année de purge ?

 Quant aux moyens mis à disposition des techniciens et ingénieurs pour répondre à cet événement, eux aussi peuvent être discutés. Il est troublant de devoir attendre presque une année pour achever la purge d’une falaise. Manque de moyens financiers, manque de moyens techniques ? Quant au rétablissement de la voie, de la caténaire et des circuits électriques, et à la sécurisation de la galerie de protection recouverte par les masses de roches, il est troublant d’envisager qu’ils exigent six mois, entre la fin des purges à l’été 2024 et la fin de cette même année. Là encore se pose la question des moyens financiers, techniques et humains engagés.

AFAVue d'un convoi multimodal tracté par Fret SNCF. Le service de l'AFA, long de 175 km devrait être amorcé depuis une plateforme de chargement transférée à Grenay, à l'est de Lyon, augmentant son itinéraire et donc sa pertinence. Mais pour l'instant il est interrompu en attendant le rétablissement de la ligne de la Maurienne... (Doc. VIIA) 

 « Le gouvernement ne semble pas prendre en compte la gravité des conséquences de cette situation. Il est particulièrement regrettable de voir à travers cela une absence réelle et profonde de volonté de relancer le fret ferroviaire, bien loin des grandes annonces », juge le magazine en ligne Fret ferroviaire. Si la sentence peut paraître péremptoire, face aux efforts des équipes sur le terrain, on aimerait entendre les explications du ministre délégué aux Transports Clément Beaune. Et éventuellement connaitre les engagements gouvernementaux afin d’accélérer les travaux, quiytte à solliciter l’Union européenne. La ligne de la Maurienne, malgré ses limites techniques dues à l’ancienneté de sa conception, est un axe européen majeur. M. Beaune, un temps secrétaire d’Etat puis ministre délégué aux Affaires européennes, pourrait actionner ses connaissances…

- - - - -

(1) Lien vers l’article de l’Officiel des Transporteurs :

https://www.actu-transport-logistique.fr/officiel-des-transporteurs/actualites/fret-ferroviaire-le-transport-combine-rail-route-tire-le-signal-dalarme-747009.php

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Commentaires
D
En dehors des pbs posés par l'éboulement, pourquoi les TGV duplex ne ciruclent ils pas dans le tunnel du Fréjus ?
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B
La ligne de la Maurienne est vitale pour le Frecciarosa de Trenitalia, qui assurait la maintenance de ses rames dans ses ateliers de Milan. Trenitalia, principal (et même le seul) concurrent de la SNCF sur la ligne Paris-Lyon, la plus rentable du réseau, est donc particulièrement handicapée par cette coupure. Elle a dû supprimer la moitié de sa desserte Paris-Lyon, et assure désormais sa maintenance dans des ateliers SNCF, qui lui facture la chose à prix d'or. <br /> <br /> S'il y a certainement de multiples obstacles à la remise en service immédiate de la ligne, on n'est pas très surpris que SNCF réseau prenne tout son temps avant de rétablir la circulation...
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M
Et s’ il s’ agissait de l’ inverse !<br /> <br /> Je pense que l’ autoroute aurait été rouverte dans les 3 mois ou peut-être moins encore.
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D
Une rectification à apporter à l'article. La route départementale n'est toujours pas ouverte à la circulation. Les élus locaux demandent d'ailleurs sa fermeture définitive entre la Praz et le Freney. Par ce fait l'autoroute est gratuite entre Saint Michel de Maurienne et le Freney et le manque à gagner de l'exploitant autoroutier SFTRF dont le capital est détenu à hauteur de 99.94 % par l'Etat est pris en charge par le Conseil Départemental. On ne circule que sur une seule voie sur l'autoroute au lieu de l'éboulement; la deuxième voie a été équipée de 3 étages de containers pour protéger la voie en circulation d'éventuelles descentes de rochers.
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J
Quand on veut on peut dit le dicton.<br /> <br /> Mettre des moyens pour remettre rapidement en état cette courte portion du réseau en enleverait à fortiori pour terminer les gares du grand Paris Express, en temps et en heure pour les JO 2024
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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