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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
12 janvier 2021

La loi 4D de décentralisation devrait permettre la cession aux régions de lignes en pleine propriété… avec quelles ressources ?

 Ce devrait être la grande loi de décentralisation du quinquennat et elle concerne le chemin de fer avec possibilité de transfert de pleine propriété – ou de simple gestion – de lignes aux régions. Ce projet de loi « 4D » pour « différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification » sera présenté en février au Conseil des ministres par la ministre de la Cohésion des Territoires Jacqueline Gourault qui travaille sur ce monument législatif depuis le printemps 2019, soit bientôt deux ans.

 Ce texte fourre-tout concerne pêle-mêle la santé, le social, le logement et les transports. Il vise aussi à affiner la répartition des compétences entre collectivités tout en permettant des expérimentations, afin de supposément en rationaliser le millefeuille. Rappelons à ce sujet que la France, pays pourtant centralisé, connaît un empilement record de strates territoriales depuis les arrondissements et secteurs municipaux jusqu’à l’Europe via les municipalités, intercommunalités ou métropoles (parfois les deux), départements, régions et Etat.

Déjà les régions financent des pans entiers d’un réseau qui ne leur appartient pas

 Le projet de loi 4D concerne le chemin de fer par un article bref mais aux conséquences considérables. Il stipule que les régions pourront récupérer « la gestion et la propriété des petites lignes ferroviaires et de leurs gares ». Il s’agirait ainsi d’un démantèlement du réseau ferré national par transfert de propriété de lignes « secondaires » ou de ce qu’il en reste, cette opération étant bien sûr soumise au bon vouloir des régions. On espère que le texte prévoit des ressources correspondant aux nouvelles charges induite par cette responsabilité nouvelle, même si aujourd’hui ce sont déjà les régions qui financent largement, si ce n’est totalement, les opérations de rénovation de « petites lignes » délibérément sacrifiées par l’Etat et son bras armé SNCF Réseau. Le propos est de revenir à une certaine logique selon le vieil adage : la terre appartient à celui qui la cultive.

Veynes-gare14Gare de Veynes-Dévoluy. Au centre d'une étoile à quatre branches - vers Marseille, Briançon, Grenoble et Valence -, Veynes pourrait être le coeur d'un réseau dont les deux régions voisines seraient pleinement propriétaires puisque les deux premières de ces quatre branches sont situées en Provence-Alpes-Côte d'Azur, celles de Valence et Grenoble étant situées en Auvergne-Rhône-Alpes. Mais plutôt que deux propriétaires distincts, la création d'un syndicat bi-régional optimiserait la gestion de ce réseau très cohérent et relativement isolé. L'application de la loi 4D ne pourra contourner la question des frontières inter-régionales. (Doc. Wikipedia/Frédéric Latreille)

 Toujours dans le domaine des transports, le projet de loi 4D prévoit de permettre le transfert des routes qui demeurent encore gérées par l'Etat aux départements qui en feraient la demande, toujours dans le cadre d'une décentralisation « à la carte ». L'objectif affiché assez hypocritement est de permettre aux départements de compléter leurs réseaux « dans une logique de cohérence des itinéraires ». On aurait aimé que l’Etat admette qu’il ne veut plus de ces bouts de « nationales », reliquat d’un réseau largement transféré – de force – aux départements voici près de quarante ans. Côté transport aérien, le texte prévoit de « faciliter la décentralisation des aéroports ne figurant pas sur la liste des aéroports d'intérêt national ou international vers les collectivités qui se porteraient candidates ». La France, qui accumule les plateformes redondantes, y trouvera-t-elle occasion de rationaliser son réseau ou au contraire d’en accumuler les déficits ?

Les régions pourront devenir propriétaires de la ligne et des gares, avec mise à disposition des personnels pour 15 années

 Pour en revenir au réseau ferroviaire régional, les spécialistes insistent sur le fait que la loi 4D autorisera le transfert de la pleine propriété ou de la simple gestion des « petites lignes » ferroviaires, et « en même temps » de leurs gares et des installations de service associées, aux régions demandeuses. Dans ce cadre, des salariés de SNCF Réseau et de sa filiale dédiée Gares & Connexions pourront être mis à leur disposition, pour « une durée maximum de 15 ans ». 

 Ils soulignent que l’article 172 de la loi d’orientation des mobilités (LOM) – dont le décret d’application est toujours attendu – prévoit déjà de possibles transferts de gestion aux régions demanderesses. « Mais avec ce nouveau projet de loi, le gouvernement va plus loin en ajoutant le transfert de propriété du réseau », détaille la Gazette des Communes.

Jusqu’ici, SNCF Réseau s’y était toujours opposé et le préfet François Philizot, missionné sur le sujet des petites lignes pour rédiger un rapport complet sur le sujet dont on attend la publication intégrale, se montrait aussi prudent, souligne-t-on. Quant au transfert des gares, les régions estiment que la LOM est restée trop vague sur cette disposition. Le projet de loi 4D va donc clarifier ce point.

Pourront passer sous propriété régionale les lignes dont le trafic voyageurs est à 90 % organisé par d'autres que l'Etat

 « Ce projet de loi est l'aboutissement d'une nouvelle donne territoriale que nous bâtissons avec le président de la République depuis 2017 », a affirmé la ministre de la Cohésion des Territoires lors d'une audition par la délégation sénatoriale aux Collectivités territoriales et à la Décentralisation. Il « sera enrichi par des amendements » lors du débat parlementaire dont les dates ne sont pas encore fixées.

 D'ores et déjà, nous savons quel type de lignes sera cessible. Outre les lignes de la catégorie d'intérêt local, ce seront les lignes n’appartenant pas au réseau structurant et sur lesquelles au moins 90% des services réguliers de transport ferroviaire de voyageurs au cours des cinq derniers horaires de service réalisés étaient organisés par des autorités organisatrices de transport ferroviaire autres que l’Etat. On relève aussi les lignes sur lesquelles aucun service de transport ferroviaire de voyageurs n’a circulé au cours des cinq derniers horaires de service réalisés.

2013Train-tram de l'Ouest Lyonnais à L'Arbresle, sur une mission Lyon Saint-Paul-Sain Bel. Contre toute logique, ce faisceau de lignes péri-urbaines à courte distance et qui est indépendant du reste du réseau (à g., la ligne de Roanne n'est que tangentée) demeure propriété de SNCF Réseau et est exploité par SNCF Voyageurs pour le compte des TER de la région Auvergne-Rhône-Alpes. La métropole de Lyon, sous la précédente mandature, en avait suggéré la cession à son profit. Le projet de loi 4D prévoit la possibilité pour les régions de demander la pleine propriété de lignes. Ouvrira-t-elle cette opportunité aux métropoles ?  ©RDS

 Lors de l'audition de Jacqueline Gourault, plusieurs sénateurs de l'opposition se sont inquiétés des compensations financières pour les nouvelles compétences prévues. « Sécurisons le financement », a affirmé la présidente (UDI) de la délégation sénatoriale Françoise Gatel. « Nous allons buter très rapidement sur la question des moyens », a-t-elle prévenu.

Le transfert de propriété ne peut se concevoir qu’avec un transfert de ressources

 « Cette nouvelle étape de décentralisation, c’est celle de la différenciation et de la contractualisation, a estimé la ministre. C’est l’idée fondamentale que, pour recoudre le pays, ça doit passer par du cousu main et une adaptation à la diversité des territoires. » Le concept de départ est de laisser plus de libertés aux collectivités locales pour s’organiser entre elles et dans leurs relations avec l’Etat, sans les faire passer sous une toise uniforme.

L’idée de permettre le transfert de la pleine propriété de lignes ferroviaires n’est évidemment recevable que si les régions qui le demandent se voient dotées de nouvelles ressources, par transfert de budgets spécifiques jusqu’ici assumés par l’Etat et SNCF Réseau – ce dernier pourrait-il demeurer prestataire contractuel ? – et par attribution de ressources fiscales pérennes.

Toulouse Saint cyprienFaisceau des voies de la gare de Toulouse Saint-Cyprien-Arènes, en correspondance avec le tramway et le métro. La ligne Toulouse-Auch, devenue antenne en cul-de-sac, a été sauvée par les collectivités et transformée sur son extrémité toulousaine en véritable ligne de banlieue, intégrée (de façon assez formelle) à la carte des transports métropolitains. La région Occitanie (en copropriété avec la métropole ?)  pourrait logiquement en devenir pleinement propriétaire. Mais à quelles conditions et avec quelles ressources dédiées ? (Doc. Wikipedia/Kuremu Sakura)

 En matière de cohérence de réseau, on peut comprendre que SNCF Réseau s’y soit jusqu’ici opposé. Le chemin de fer du Réseau ferré national ne constitue-t-il pas un ensemble de lignes susceptible de recevoir des circulations de toutes natures, dans les seules limites des capacités du matériel roulant au regard de leurs équipements (présence ou non d’électrification, profil, tonnage, signalisation…). Le transfert de propriété n’obèrerait-il pas cette « transparence » du réseau ?

Après avoir liquidé des milliers de kilomètres de lignes, l’Etat et la SNCF ne peuvent prétendre se poser en garants de la continuité du réseau

 Cette objection serait recevable si le gestionnaire d’infrastructure et l’Etat central n’avaient procédé, depuis la nationalisation de 1938, à une liquidation massive des lignes régionales, processus de destruction du patrimoine qui se poursuit encore de nos jours au mépris de toute logique de saine gestion des territoires et d’égalité des populations à l’accès au réseau ferroviaire, système structurant du transport terrestre tant en matière territoriale que sociale. Rappelons que durant les deux premières années de son existence (1938 et 1939) la SNCF, créée un le gouvernement de « Front populaire » supposément « social », a fermé 8.391,3 km de lignes au service voyageurs, soit trois fois la longueur du réseau de lignes à grande vitesse actuellement en service en France (2.814 km). Ce processus, même à un rythme ralenti, s’est poursuivi chaque année jusqu’à nos jours.

 On peut espérer que les régions demanderesses prendraient mieux soin des « petites lignes » dont elles auraient la pleine propriété, leur proximité physique des populations concernées étant plus pertinente que les comptabilités analytiques de bureaucrates parisiens. On pense à Digne-Nice, ligne à voie métrique de 153 km jadis gérée par un syndicat de collectivités, désormais par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, alors que les 27 km du réseau ferré national reliant Digne à Saint-Auban, sur la ligne Marseille-Briançon, sont scandaleusement abandonnés par la SNCF.

DSCN1781Anciennes emprises et pont-route de la ligne Messimy-Saint-Symphorien-sur-Coise du Chemin de fer de Rhône-et-Loire, entre Saint-Martin en Haut et Larajasse-Le Nézel. La voie sert désormais d'étroite route départementale, dite "route du Tacot". Mise en service en 1914, cette ligne de 31 km fut liquidée dès 1935, soit une carrière de seulement 21 ans. Elle a été victime de son faible budget de construction, de la mauvaise volonté du réseau FOL sur lequel elle était embranchée à Messimy pour rejoindre Lyon, et de la mentalité des élus départementaux de l'entre-deux-guerres. Ces derniers, fascinés par l'automobile, influencés par ses industriels, bradèrent un patrimoine qui, modernisé, constituerait aujourd'hui un remarquable atout pour la région desservie, les Monts du Lyonnais, en pleine expansion démographique et aux routes très accidentogènes. ©RDS

 Il faut toutefois se souvenir que ce furent les conseils généraux, donc les élus départementaux, qui dès le début des années 1930 et jusqu’aux années 1960 supprimèrent massivement les réseaux ferrés d’intérêt local dont il ne reste aujourd’hui quasiment rien des 15.000 km de lignes, à voie normale ou métrique. La gestion de proximité n’est donc malheureusement pas une garantie de lucidité ferroviaire. Les modes technologiques et la pression des lobbies ont souvent raison de l’intérêt général. Reste qu’à ce jour, et au grand désespoir des populations « périphériques », l’Etat central et son gestionnaire d’infrastructure monopolistique ont prouvé qu’ils ne constituent en rien une garantie de continuité du service public ferroviaire dans les régions de France, bien au contraire.

Il n’y a pas de raison que le changement de propriétaire nuise à la transparence du réseau

 Quant à la transparence d’un réseau distribué entre plusieurs propriétaires, se sera bien sûr aux décrets d’application d’en décider. Or nul doute que les principales normes techniques du réseau ferré national continueront de s’y appliquer, permettant à des circulations non strictement régionales (principalement fret, mais aussi trains de voyageurs à plus longue distance) d’y circuler. Ce sera d’ailleurs l’intérêt bien compris des régions propriétaires. La Suisse est un parfait exemple de transparence, avec les interpénétrations de circulations entre le réseau principal des CFF et le réseau du BLS, par exemple. Aux Etats-Unis, les normes fédérales exigent que les circulations puissent emprunter des réseaux voisins quoiqu’indépendants pour terminer ou poursuivre leurs parcours, soit sous le régime des « droits de circulation » (trackage rights), soit sous le régime du devoir de traction par le réseau d’accueil (haulage rights), moyennant paiement des sillons et des services.

DSCN2814Gare de La Tour-du-Pin, sur la ligne Lyon-Saint-André-le-Gaz-Chambéry/Grenoble. Cet axe est principalement parcouru par des TER, à fréquence élevée pour une ligne régionale française. Mais on y compte aussi des TGV et du fret. Qu'elles soient propriété de SNCF Réseau, entreprise d'Etat, ou de régions, collectivités publiques, les normes techniques de ces lignes devraient demeurer stables pour assurer une parfaite transparence aux différents types de circulations, régionaux ou autres. ©RDS

 En France par exemple, si la région Occitanie et la région Auvergne-Rhône-Alpes, sous la forme d’un syndicat bi-régional, décidaient de prendre la pleine propriété de la ligne Béziers-Neussargues, elles auraient tout intérêt à y accueillir des trains de voyageurs ayant pour origine des gares extérieures à l’axe, Clermont-Ferrand, Aurillac ou Paris d’un côté, Perpignan ou Montpellier de l’autre. On évoque pour l'instant une reprise par l'Occitanie de l'infrastructure des courtes antennes Montréjeau-Luchon et Alès-Bessèges, actuellement non exploitées. La  cession de pleine propriété que permettrait la loi 4D en matière ferroviaire, si elle est adoptée, ouvrira donc des perspectives et des opportunités encourageantes.

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Commentaires
F
Le transfert de la gestion du réseau corse à la collectivité territoriale a été un succès. LA SNCF voulait fermer les lignes. Il est question maintenant de développer le réseau. Il y a matière à réfléchir car la gestion des lignes par la SNCF n'est pas admisible.
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J
D'une part, cela permettra de se "débarrasser" de SNCF réseau pour entretenir et exploiter ces lignes et sans aucun doute de faire des économies...<br /> <br /> D'autre part, la région, organisatrice des transports, ne pourra plus à travers ses élus locaux, se "cacher" derrière la SNCF pour masquer ses choix incohérents.<br /> <br /> Grande spécialité Française qui consiste par exemple à se cacher derrière l'Europe pour justifier des choix abscons.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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