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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
15 janvier 2021

Le système Ouigo, démocratisation de la grande vitesse ou ségrégation sociale ?

 Les trains à grande vitesse français Ouigo devaient représenter 25 % des parts de marché de la grande vitesse dans l’Hexagone à l’horizon 2020, objectif bousculé par la « crise sanitaire » qui a affecté ce service à bas coût copié de l’aérien. Introduits en 2012, les services Ouigo, avec désormais leurs 38 rames en livrée turquoise et capacité maximale portée à 634 places par rame à deux niveaux, ont transporté un cumul de 50 millions de voyageurs depuis leur lancement avec aujourd'hui 63 relations quotidiennes pour 41 destinations. Mais la rentabilité n’est toujours pas atteinte. Elle aurait dû l’être en 2019 mais la grève contre la réforme des retraites l’a compromise. Autant dire que 2020 sera du même tonneau.

Un coût au siège inférieur de moitié à celui des TGV classiques

 SNCF Voyageurs se félicite officiellement de la forte montée en puissance de ce service à bas coût, estimant que 50 % de la clientèle des Ouigo provient d’un basculement de la route vers le rail. Les prix des places sont drastiquement réduits, à l’image du coût au siège inférieur de moitié à celui des TGV classiques, permis en particulier par une productivité effrénée du matériel, qui roule jusqu’à 13 heures par jour. Le prix des billets commence à un prix d’appel très bas de 10 euros pour de rares circulations, mais généralement à partir de 19 euros pour un voyage réservé avec plusieurs jours d’avance. Mais, pour un billet acheté le jour du départ pour un voyage en fin de service, il peut atteindre 109 euros, soit une multiplication par plus de cinq, voire par plus de dix... (exemple pris sur un trajet Méditerrannée-Paris gare de Lyon).

DSCN3145Rame Ouigo entrant en gare de Lyon Part-Dieu. Pour la métropole lyonnaise, une partie de ces services à bas coût ne dessert que Lyon Saint-Exupéry, gare-aéroport reliée au centre de Lyon par le tramway accéléré Rhône Express dont le coût du billet peut dépasser celui du voyage en Ouigo. La desserte de gares exurbanisées vise surtout une clientèle habitant les grandes périphéries (du moins la moitié proche de la gare en question), utilisant massivement l'automobile. La desserte des gares centrales, telle celle de Part-Dieu, offre les correspondances optimales avec les réseaux de transports urbains... mais elle est facturée plus cher à l'exploitant par le gestionnaire d'infrastructure, SNCF Réseau. ©RDS

 Le service Ouigo est présenté comme une ouverture de la grande vitesse ferroviaire aux classes populaires. De fait, parcourir quelque 800 km en un peu plus de trois heures pour une ou deux dizaine d’euros par personne si l’on s’y prend à l’avance, constitue avec un prix kilométrique de 0,0125 euro par personne (pour un billet à 10 euros)  ou 0,0238 €/km (pour un billet à 19 euros) un véritable record compte tenu de la vitesse. En ce sens, il s’agit bien d’un produit « social », une sorte de « Tati » de la grande vitesse ferroviaire. Nous n’irons pas jusqu’à le nommer « Tati Ouigo », mais la tentation est grande.

Exclusions géographique (centralisation), sociologique (clientèle connectée), qualitative (retour de la 3e classe ?)

 Cett dimension sociale, permise par un effort de productivité exceptionnel qui pourrait inspirer le reste du service voyageurs de la SNCF, recèle néanmoins quelques limites que nous ne saurions passer sous silence. Car le modèle Ouigo exclut autant qu’il intègre.

 Il exclut d’abord au plan géographique. De fait, les trois-quarts des 63 circulations quotidiennes en service plein sont organisées autour des gares de Paris intra-muros. Si l’on y ajoute les circulations origine-destination Marne-la Vallée-Chessy, le taux de circulations radiales autour de Paris augmente encore. Si l’on considère qu’un Lyon-Part-Dieu-Tourcoing via Marne-la Vallée-Chessy constitue une double radiale « passante » à la chalandise principalement tournée vers l’Ile-de-France, la grande majorité du flux peut être considérée comme centrée sur la capitale et sa région, à l’exception de quelques clientèles de cabotage (Marseille Saint-Charles-Lyon Part-Dieu par exemple). Pas de Ouigo sur la relation Alsace-Lorraine-Méditerranée, pas de Ouigo sur la relation Rhône-Alpes-Occitanie Lyon-Toulouse…

 Le modèle Ouigo exclut aussi sur le plan sociologique. La partie de la population qui ne dispose pas d’un internet rapide ou qui peine à s’en servir, celle qui a besoin d’un interlocuteur humain pour acheter son billet de train, est exclue du système à bas coût Ouigo, puisque les billets Ouigo ne peuvent être achetés que sur un internet dédié, indépendant de celui de la SNCF. Or cette population « débranchée » ou « mal branchée » (et qui probablement est destinée à le rester), est précisément celle dont les revenus sont les plus faibles. Elle réside dans des territoires « éloignés » et mal couverts par les réseaux, sa formation technique est limitée, son âge est avancé.

 Le modèle Ouigo exclut encore sur le plan qualitatif. De fait, si les trains de cette offre circulent dans des sillons à grande vitesse au même titre que les TGV, ICE (LGV Est) ou AVE (LGV Méditerranée) de l’offre classique sur le réseau français, le temps de parcours réel du déplacement de la clientèle est allongé en raison de la demi-heure de pré-embarquement exigée par l’exploitant. Ainsi voit-on se former des files interminables dans les halls de gares longtemps avant le départ du Ouigo. Non seulement cette exigence crée un inconfort notable avant l’entrée dans le train (station debout), mais elle augmente la durée complète du voyage. Un Montpellier Sud-de-France-Marne-la Vallée-Chessy tracé en 3 h 16 mn voit la durée nette du voyage portée à 3 h 46 mn, la partie « statique » du voyage (file d’attente)  formant 13 % de cette durée nette. Ce pourcentage est évidemment très supérieur sur des trajets plus courts. Sur un Lyon Saint-Exupéry-Marne-la Vallée-Chessy tracé en 1 h 43 mn et porté à 2 h 13 mn, la part d’attente est portée à 23 % !

 De la même façon, la qualité du voyage proprement dit est dégradée par rapport aux TGV classiques. Les Ouigo sont dotés de sièges type TER. Les sièges placés dans les voitures anciennement première classe sont disposés en rangées de 3 + 1 - voyager trois heures et demi coincé entre deux voisins n’est pas agréable. Les rames Ouigo sont privées de service de buvette et de restauration. On assiste de cette façon à une sorte de retour de la « 3e classe », supprimée en juin 1956 par une SNCF alors soucieuse de réduite la ségrégation sociale en appliquant une décision de l’UIC prise trois ans auparavant.

Enfin, le modèle Ouigo induit une complexification de la tarification qui incite à l'opportunité plutôt qu'à la fidélité. Comme la modulation Inoui, les prix d'appel ou cassés du Ouigo n'incitent pas à la fidélisation. S'ils incitent en effet à venir au rail, ils développent une culture de l'opportunisme consommatoire entre covoiturage, cars Macron, transport individuel, rail. Or le rail, système à la rentabilité croissante, a besoin de massifier, donc de fidéliser. La cherté des cartes commerciales SNCF ("fréquence" à demi-tarif ou libre circulation), leur exclusion des Ouigo, limitent drastiquement leur clientèle, affaiblissant d'autant l'incitation non pas à prendre, mais à reprendre le train.

Un impact sur la cohérence de l’ensemble du réseau à grande vitesse : tarifs, fréquences…

 Plus généralement, l’introduction du système Ouigo impacte la cohérence de l’ensemble du réseau français à grande vitesse. Certes Ouigo constitue un véritable test grandeur nature d’une panoplie de méthodes d’optimisation de l’usage du matériel roulant, moyennant roulements concentrés et maintenance nocturne. Cette dernière, au demeurant plus coûteuse, ne peut évidemment pas être généralisée aux autres services, les « technicentres » n’étant pas extensibles. Mais Ouigo complexifie un peu plus le service commercial de la grande vitesse, déjà passablement opaque.

DSCN3208TGV (g.) et TER (d.) à Marseille Saint-Charles. S'il est possible de faire figurer sur le même billet un voyage mixte TGV-TER, gage de simplicité, c'est impossible si l'on emprunte un Ouigo. Il faut passer par le site internet Ouigo, qui n'offre aucune prestation en continuité du parcours à grande vitesse (TER, Intercités...), puis par le site internet d'une région TER ou le site SNCF, à charge du client de calculer la possibilité et la durée des correspondances et de régler en deux fois. Là aussi réside l'exclusion territoriale et sociale. ©RDS

 Au plan tarifaire, l’échelle (très mobile dans le temps) des prix Ouigo vient alourdir celle du TGV Inoui et consorts. Sur ces derniers le catalogue tarifaire est moins ouvert mais est très complexe. Au critère de modulation temporelle et au taux d’occupation, il fait ajouter celui de la modulation en fonction du canal de réservation (des prix d’appel inférieurs sur internet qu’en gare, guichets ou automates) et celle liée aux nombreuses cartes commerciales dont les réductions elles-mêmes fluctuent.

 Ouigo de son côté présente, on l’a vu, un éventail de prix particulièrement ouvert (jusqu’à vingt fois le prix d’appel), il exclut les cartes commerciales de réduction ou d’abonnements mais ajoute des coûts supplémentaires, par exemple pour les bagages de volume supérieur aux bagages à main, sur le modèle de la discrimination cabine/soute de l’aérien. Par ailleurs, les billets ne sont pas remboursables et les transferts entre deux Ouigo sont fortement facturés. Enfin, l’étanchéité est totale entre Ouigo et TGV : aucun transfert de billet n’est possible d’un service à l’autre.

 Au plan trame de circulations, l’apparition des Ouigo a en partie cannibalisé l’offre TGV classique. Malgré la hausse du kilométrage quotidien parcouru par les rames à deux niveaux passées du parc TGV au parc Ouigo, des sillons TGV ont disparu au profit de sillons Ouigo. Il en résulte un mitage de l’horaire TGV, diminuant la fréquence offerte tandis que la fréquence Ouigo reste faible (4 AR quotidien Ile-de-France-Montpellier par exemple). Le modèle Ouigo heurte donc de front le principe de régularité, d’homogénéité et de répétitivité de l’offre, prisé par la clientèle à forte contribution ou simplement fidèle, induisant une offre désormais éclatée entre deux systèmes tarifairement étanches.

On relèvera enfin que le coût de l’adaptation des 38 rames à l’offre Ouigo (livrée, aménagement intérieur, recomposition…), plus la création et la gestion d’un nouveau site, ont exigé un investissement élevé (que raildusud n’est pas en mesure d’évaluer) qui eût peut-être été plus utilement utilisé à la rénovation, par exemple, d’une ligne régionale.

Un bilan mitigé, entre nouvelle clientèle et mitage contre-productif de l’offre

 Alors, démocratisation de la grande vitesse ou exclusion sociale ? Ouigo, dont l’équilibre financier n’est toujours pas atteint après sept années d’existence (les deux dernières lestées il est vrai par des grèves et confinements) a sans nul doute attiré au train une clientèle familiale, populaire et métropolitaine jusqu’ici acquise à la route… ou à la sédentarité.

DSCN2687Ouigo à son terminus de Montpellier Sud-de-France, sur le CNM, à 45 mn en transport public du centre de Montpellier. Les gares ex-urbanisées ont été privilégiées dans un premier temps, avant création de rotations de et vers les gares centrales. ©RDS

 Mais il a aussi offert aux « agiles », souvent bien rémunérés, d’économiser sur leurs voyages à grande vitesse au détriment du TGV classique, pertes numériquement marginales mais financièrement notables. Il tient enfin à l’écart des pans entiers des territoires. Ouigo a probablement éloigné du TGV des clientèles rétives aux conditions drastiques du voyage à bas coût (pré-embarquement, internet, confort spartiate, faible fréquence, gares ex-urbanisées, bagages…) et demandeuses de cadencement et de transparence.

 Le nouveau PDG du groupe SNCF Jean-Pierre Farandou a annoncé une refonte de la tarification grandes lignes afin de la simplifier et de la rendre plus transparente. Toute la question est de savoir quel sera le sort de la « niche » Ouigo. Une réintégration au concert TGV, avec mixité billets Ouigo/billets TGV pourrait être bienvenue, résolvant la question du mitage de l’offre… et de la part d’exclusion propre à ce système à bas coût. On en reviendrait aux billets Prem’s, tout en conservant l’acquis technique de l’usage intensif du matériel... mais en perdant en identification commerciale. Cornélien.

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Commentaires
D
On pourrait même reconnaître une qualité à Ouigo sur des compagnies aériennes low cost, c'est que ces compagnies sont souvent assez fortement subventionnées quand elles mettent un peu d'animation dans des aéroports de province délaissés par les vols d'Air France vers Paris (en général la dernière liaison à disparaître). Mais sinon c'est vrai que la SNCF a réussi l'exploit d'affubler un excellent outil des contraintes de l'aérien (lesquelles contraintes ont permis au TGV d'avoir le succès qu'on sait) et de créer à elle toute seule la même pagaille tarifaire qu'avec une multitude d'opérateurs concurrents en open access!!!
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D
Pourquoi reprocher à Ouigo ce que l'on admet sans problème de Ryan Air, Easyjet,Volotea, etc..? Personne n'accuse ces low cost aériens de "ségrégation sociale"..?? <br /> <br /> La base même du low cost, ce sont des contraintes multiples, des horaires pas optimum, des destinations sélectives, etc...
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A
Concernant Montpellier sud de France, je rajouterai au 30 minutes, le temps du parcours d’approche jusqu’à cette gare qui vient encore alourdir le bilan......Merci à nos grands penseurs!
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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