Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
27 avril 2024

Dislocation de l’offre ferroviaire en France : tarifs, supports, distribution (1 – Aperçus sur le maquis tarifaire)

 L’offre ferroviaire en France, de même que celle des transports routiers de substitution, se caractérise par une dislocation de plus en plus inquiétante des tarifs, par une dispersion des supports physiques et numériques, et par une difficulté croissante d’accès au paiement pour qui ne possède pas de smartphone dûment équipé et en excelle dans la maîtrise. Des pans entiers de populations se trouvent ainsi marginalisés par le système de transport public. Le projet de « titre unique de transport » paraît n'envisager de résoudre la question de la dispersion des supports et des « guichets » que par le biais de l’internet et du numérique.

« Titre unique de transport » : ambition colossale, support numérique, accès internet

 Le grand projet du « titre unique de transport » avance, avec signature cette semaine d’une convention de partenariat entre l’Etat, Régions de France, syndicat qui regroupe les conseils régionaux, et le Groupement des autorités responsables des Transports (GART). Ce projet part d’une bonne intention : celle de mettre fin à la dispersion des supports de titres de transport public, tous réseaux confondus, qu’ils soient urbains ou interurbains. Le défi est immense puisqu’il faudra mutualiser l’accès aux innombrables systèmes tarifaires en vigueur sur les réseaux.

Rame TER Provence-Alpes-Côte d'Azur et rame TGV InOui à Marseille Saint-Charles. Deux mondes tarifaires désormais de plus en plus étanches. ©RDS

Le président du GART, Louis Nègre, a déclaré : « Il est indispensable de permettre à chacun de pouvoir accéder à l’ensemble de l’offre publique de mobilité sans devoir à chaque fois s’adapter à la diversité des supports et des titres propres à chaque réseau de transport, voire à chaque type de service (trains, bus, vélo, autopartage, covoiturage, trottinettes) ».

 L’ambition est colossale au vu de la multiplicité des services (et des autorités organisatrices) qu’il va s’agir de « brancher » sur les « outils numériques » qui constitueront le futur « titre unique de transport ».  Car il va bien s’agir d’une énorme plateforme numérique, accessible par internet, qui délivrera, après avoir digéré les contraintes tarifaires des éléments constituant le parcours désiré, délivrera un titre de transport – numérique – après avoir calculé son prix et avoir enregistré le paiement. Pas question pour l’instant d’un service physique accessible à n’importe quel guichet (quand il en reste) ou par automate. Et pas question semble-t-il d’un titre physique sur papier ou carton, celui qu’on peut facilement identifier et conserver, qu’on peut céder à un tiers (parent ou ami) et qui est susceptible de protéger l’anonymat de son porteur.

Dislocation de la tarification du réseau ferroviaire

 Côté réseau ferroviaire – et ses substituts routiers -, la situation est éprouvante pour l’usager. La tarification est disloquée, les supports varient d’un mode de distribution à un autre, l’accès au paiement est de plus en plus complexe et segmenté, rendant souvent impossible, dans les gares TER moyennes et petites, d’accéder à l’achat d’un titre valable hors de la région concernée, et rendant difficile l’achat d’un titre de parcours de proximité (refus de monnaie physique, minimum de paiement par carte bancaire).

 La dislocation de la tarification du réseau ferroviaire est connue. Plus question d’acheter un billet comme on entre sur un réseau urbain. Sur la grande vitesse type InOui, le yield management, ou « gestion du rendement » fait évoluer les tarifs d’heure en heure en fonction du remplissage tandis que des cartes commerciales payantes permettent aux malheureux voyageurs de jours de pointes, contraints par leurs horaires de travail, « d’écrêter » les prix maximum appliqués aux périodes d’affluence. Sur la grande vitesse OuiGo, le même système fonctionne, avec tarifs minimum très attractifs mais réévalué en fonction de l’affluence et de la date de réservation, sans aucune possibilité de basculer de OuiGo à InOui ou inversement, malgré l’exploitation de ces deux services par le groupe SNCF.

Rame AGC TER Occitanie à Nîmes Pont-du-Gard, gare mixte TER-TGV. La région Occitanie accepte la carte Avantage jeunes et séniors, qui permet des tarifs réduits sur TGV et Intercités, contrairement à sa voisine Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Il en résulte une segmentation tarifaire pour les parcours TER bi-régionaux. ©RDS

Même système sur les Intercités à réservation obligatoire, malgré leur fonction de cabotage, ou sur les OuiGo circulant sur lignes classiques. Malgré leur possible complémentarité avec les TER circulant sur les même axes, les titres de transport acquis par le voyageurs ne permettent pas de passer d’un train OuiGO classique à un TER ou inversement, malgré le fait que le parcours effectué et le service rendu soit quasiment le même. On notera que l’ensemble des titres de transport OuiGo de SNCF Voyageurs ne peut être acquis que par internet, manière d’en exclure les populations ayant un mauvais accès au réseau ou une mauvaise maîtrise des relations numérisées. Par ailleurs, les cartes commerciales SNCF, type « Avantage » nationale, ou la carte de fidélité « Grand Voyageur » sont exclues de la tarification OuiGo.

La carte Avantage nationale de plus en plus exclue des tarifications TER

La carte Avantage nationale, précisément, est de plus en plus exclue des tarifications TER alors qu’elle offre des garanties de prix maximum sur TGV et Intercités et 30 % de réduction. La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur la refuse depuis deux ans pour ses services TER. Il se murmure aux guichets de la région Auvergne-Rhône-Alpes qu’il en sera bientôt de même pour les TER de cette dernière. La région PACA propose une carte « ZOU Malin » qui offre 30 % de réduction sur les billets à l’unité alors que la carte Avantage Senior offrait 50 % en période bleue et 25 % en période blanche (pointes). Les cartes offrant 50 % voire 90 % de réduction ne sont accessibles que sous conditions de ressources.

 En Auvergne-Rhône-Alpes, la carte Illico Liberté n’offre que 25 % de réduction en semaine sur le tarif normal (contre 50 % en périodes bleues de semaine pour la carte Avantage) et 50 % de réduction seulement les samedis, dimanches et jours fériés.

 En Occitanie, la carte Avantage nationale, version Séniors ou jeunes – de 26 ans, reste valable à ce jour avec sa réduction de 50 % en période bleue et 25 % en période blanche.

 Outre les TER d’Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes, les cartes Avantage offrent 25 % à 50 % de réduction sur ceux de Bourgogne-Franche-Comté, 30 % de réduction sur ceux de Bretagne, Normandie, Pays-de-la-Loire et Nouvelle-Aquitaine, 25 % sur ceux de Hauts-de-France, Grand-Est et Centre-Val-de-Loire.

Résumé cartographié de l'hétérogénéité des réductions permises par la carte Liberté selon les régions pour leurs services TER. (Doc. SNCF Voyageurs)

La carte nationale Liberté n’offre en revanche que 25 % sur les TER Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes et aucune réduction en PACA malgré son coût : 349 € par an. La carte Liberté vise les services TGV InOui, offrant une flexibilité jusqu’à 30 mn avant le départ réservé,  des prix fixes jusqu’à la dernière minute et 45 % de réduction en 1ère classe. Elle n’offre aucune réduction en Bourgogne-Franche-Comté, en Centre-Val-de-Loire, et sur les trains régionaux d’Ile-de-France, mais 50 % de réduction en Nouvelle-Aquitaine, Pays-de-la-Loire, Bretagne et Normandie. Elle offre 25 % de réduction par ailleurs en Hauts-de-France et Grand Est.

 Il serait fastidieux, et quasiment impossible sauf étude approfondie menée par plusieurs spécialistes, de démêler les innombrables tarifs, cartes de réduction, avantages sociaux, abonnements qu’il s’agisse des services SNCF OuiGo et Intercités ou des TER. Ils se comptent, après bref survol, par centaines. On peut y ajouter les avantages cumulés sur les cartes Grand Voyageurs, système de fidélisation avec gratification tarifaire liée à un compte en points, des services OuiGo et Intercités de SNCF Voyageurs. Et désormais les tarifs de Trenitalia et de Renfe sur Paris-Lyon pour la première, Lyon-Barcelone et Marseille-Madrid pour la seconde imperméables entre eux, avec ceux de SNCF Voyageurs et avec ceux des TER en régions...

Tarification kilométrique pour les TER, pas pour les TGV et Intercités

 Enfin, signalons que les services TER utilisent encore – hors leurs propositions de voyages à prix bradés sous condition sur Internet du type de ceux d’Occitanie – comme base de formation de leurs prix la tarification kilométrique, qui fut celle de la totalité du réseau unifié depuis les origines du chemin de fer jusqu’aux premiers tarifs TGV, lesquels s’en sont émancipés pour la plus grande confusion des usagers : parfois pour leur plus grand profit, parfois pour leur plus grand inconvénient.

 Le système relève de la loterie et de l’injonction contradictoire : loterie en raison de l’évolution temporelle des prix, liée tant à l’avance de la réservation qu’à l’évolution de la demande et du remplissage ; injonction contradictoire par le fait que les effets sociologiquement néfastes du yield management (tarifs élevés lors de fortes demandes liées à des contraintes incontournables pour des clientèles contraintes par le travail) sont atténués par des cartes de réduction à prix bradés (49 €/an pour les cartes Avantage, voire moins en périodes de promotion).

Départ d'un TER à destination d'Avignon Centre et Avignon TGV en gare de Carpentras. L'achat d'un billet Nîmes-Carpentras par TER par un voyageur détenant une carte Liberté ou Avantage imposera une double tarification : avec réduction de Nîmes à Avignon Centre, sans réduction d'Avignon Centre à Carpentras. A moins que ledit voyageurs ait acheté en plus une carte "Zou Malin" offrant une réduction TER valable en PACA. ©RDS

 Il est important de rappeler que la tarification antérieure au TGV (1981) était basée sur deux principes simples : prix lié au nombre de kilomètres parcourus avec dégressivité du prix kilométrique par paliers ; réductions accordées selon le paramètre social (carte famille nombreuse, billet de congés annuels, militaire) et fidélité (abonnements par axe ou pour au moins trois de douze secteurs du réseau) quel que soit le service utilisé, grandes lignes ou omnibus. En voyageant en train, on entrait sur un réseau à la tarification cohérente, simple, lisible, prévisible et universelle. Quelques rares trains de haute qualité étaient frappés d’un supplément – qu’on pouvait acquérir par carnets.

 Nous rappellerons pour terminer ce chapitre que l’un des principes de base du marketing est la simplicité. Le client est d’autant plus attiré par l’offre qu’il  s’approprie mieux les principes de tarification. Il en va de même pour les supports et les modes de distribution, objets de notre prochain article. Or aujourd'hui, la tarification ferroviaire en France semble écartelée entre le désir d'individualisation du prix d'une part, et celui de l'optimisation du revenu par la libre concurrence et la libre administration des diverses autorités. Or, pour un réseau par essence national, le principe de subsidiarité devrait être interprété dans le sens montant: ce devrait être à l'Etat central de garantir la cohérence de l'ensemble, puisqu'il s'agit pour le client d'accéder à ce qui est à bon droit dénommé "réseau ferré national". Et non collection de segments disparates et autonomes.

- - - - -

Prochain article : 2 - Supports hétérogènes, accès complexifiés dans de nombreux cas

Publicité
Publicité
Commentaires
J
Il y a quelques décennies, un slogan publicitaire disait " à nous de vous faire préférer le train"...<br /> La sncf ne fait qu’obéir aux politiques mais quand même parfois je me demande si elle ne "pousserait pas un peu à la roue"...<br /> Encore un magnifique raté de cette régionalisation faites pour créer des élus locaux et autres "copains" qui sont dans le fromage et qui ne savent produire (avec la complicité des sénateurs) que de nouvelles taxes (ou impôts locaux...). <br /> Il est loin le temps où Chaix imprimait dans ces indicateurs la grille tarifaire...
Répondre
H
Il y a un peu de contextualisation qui a en effet participé à ce maquis tarifaire et incompréhensible (j'en a fait les frais aussi pour le dire !) :<br /> <br /> - Liberté tarifaire accordée au régions et donc d'accepter ou pas les cartes de réduction SNCF (les avantage adulte en sont beaucoup victime (acceptés en AURA pour l'instant et refusée en BFC)<br /> <br /> - Techniques d'optimisation financière dont le Yield Management en effet mais aussi la politique malthusianiste des péages réseaux poussant à limiter les roulements de train<br /> <br /> - Aucun cadrage national en effet laissant chacun décider de son côté de sa tarification et l'arrivée de Trenitalia et RENFE n'a rien arrangé.<br /> <br /> Pour donner une idée de ce maquis, j'ai l'expérience du secteur AURA et BFC. Je ne connaissais pas jusqu'à récemment que faute d'accepter les cartes avantage adulte, la région BFC avait mis en place une carte spécifique avec 30 % de réduction en semaine et 60 % le WE, ce qui rend l'achat intéressant pour un usager périodique mais pas occasionnel. Avec un trajet Lyon - Chalon-sur-Saône, au lieu de payer 22,70 € un aller, je paye environ 13 € la semaine et moins de 10 le WE (et encore avec un service réduit de 50 % le dimanche !). La carte coûte 20 € et je l'ai achetée lors d'un campagne de réduction à 15 €. J'ai su après qu'en fait, il était possible d'un posséder une et faire bénéficier la réduction à un accompagnant par un contrôleur SNCF dans le train !<br /> <br /> Côté AURA, je peux faire marcher la carte avantage adulte le WE avec 25 % de réduction uniquement car je voyage le vendredi soir et dimanche soir en périodes de pointe pour aller à Clermont-Ferrand.<br /> <br /> Mais ces cartes de réduction ont de nombreuses exceptions.<br /> <br /> Par exemple, il est impossible d'avoir une réduction pour faire un Lyon-Genève car c'est une liaison internationale. Je ne sais pas si c'est le cas avec la carte de réduction AURA, mais j'imagine que oui.<br /> <br /> Pour faire un train Paris-Bercy - Lyon-Part-Dieu, la carte de réduction BFC ne s'applique pas, mais c'est en revanche le cas pour la carte avantage adulte le WE.<br /> <br /> D'ailleurs au passage, transformer la carte WE en avantage adulte alors que les conditions sont inchangées est à la limite de l'abus de langage. Il n'est possible d'avoir une réduction que si c'est un aller samedi ou dimanche et au moins un seul sur ces deux jours pour un aller-retour ! J'arrivais à jouer sur ce tableau sur du Paris-Lyon en payant la liaison Trenitalia du vendredi soir à 17h22 depuis Part-Dieu et TGV Inoui de 20h00 le dimanche soir à Gare de Lyon. Depuis, le TGV a sauté et j'ai perdu l'avantage sauf à partir plus tôt ou plus tarde le dimanche, ce qui ne m’arrange pas.<br /> <br /> Je vous laisse imaginer le travail que j'ai du réaliser (avec l'aide de Trainline) pour avoir les prix les plus avantageux. Nombre d'usagers y renonceraient ! On en reparlera pour le prochain post.<br /> <br /> Mais cela n'intéresse guère les médias qui préfèrent s'exalter que la concurrence fait baisser les prix sans même analyser tous les paramètres socio-économiques qui participent à l'attractivité d'un mode de transport.
Répondre
R
Je ne suis pas certain que même un major de SC.PO / HEC / ex-ENA ( les trois réunies) puisse décortiquer l'exposé ci-dessus de HELLEC. Quelle tristesse de lire ces lignes quand on a connu et utilisé régulièrement le chemin de fer français il y a plusieurs décennies...ce qui a été mon cas !
Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité