Le projet de ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (LNMP) n’est pas seulement décrié pour l’absence de mixité fret-TGV prévue entre Béziers et Rivesaltes, mais aussi pour l’obstination de ses concepteurs à créer des gares nouvelles non connectées ou mal connectées au réseau existant. De fait, le projet actuel fixe les localisations de deux gares sur ligne à grande vitesse à Béziers-Est, en bordure d’autoroute et sans aucune connexion avec les TER (ligne littorale ou ligne des Causses), et à Narbonne-Ouest. Cette dernière gare nouvelle serait connectée à la ligne Narbonne-Toulouse, franchie par un viaduc de grande hauteur sur lequel serait perchée la station TGV. Mais outre qu’elle ne donnerait pas correspondance aux TER de l’axe Avignon-Port-Bou, sa configuration imposerait aux TGV Toulouse-Lyon (par exemple) de rebrousser en gare nouvelle si l’on souhaite qu’ils la desservent.

Les quatre associations ou fédérations s’opposent vivement aux gares nouvelles de Béziers-Est et Narbonne-Ouest

 Les associations Fnaut-Occitanie,  France Nature Environnement, Asseco CFDT et la Coordination régionale inter-associative LNMP s’opposent vivement à ces projets de deux gares nouvelles, exigeant que les TGV destinés à desservir Narbonne et Béziers empruntent des raccordements pour stopper dans les gares existantes, dont les emprises sont très généreuses. Notons par ailleurs que les élus de Perpignan et de sa région ont déjà obtenu de SNCF Réseau qu’un avant-projet de gare nouvelle sur la LGV à Rivesaltes soit abandonné au profit d’une desserte de la gare centrale.

LNMPSchéma résumant le projet de ligne nouvelle Montpellier-Perpignan. Les gares nouvelles de Béziers-Est et Narbonne-Ouest, qui desservent des agglomérations de taille comparable, ne seraient distantes que d'une quarantaine de kilomètres, et complèteraient un chapelet de quatre gares LGV sur 140km, ce qui est contraire au principe de la grande vitesse. (Doc. SNCF Réseau)

« Les correspondances avec les TER sont très importantes, tant à Béziers (ligne du littoral, ligne des Causses vers Clermont-Ferrand) qu’à Narbonne (lignes de Toulouse, Montpellier et Port-Bou) qui sont deux étoiles ferroviaires », soulignent les associations qui tenaient une conférence de presse le 4 juin au Club de la presse de Montpellier. « Il faut absolument éviter l’expérience malheureuse de Montpellier Sud-de-France qui n’offre aucune correspondance TER », ajoutent-elles, tout en précisant que l’expérience de Nîmes Pont-du-Gard, qui offre une correspondance TER sur l’axe Tarascon-Narbonne, n’est guère plus concluante : elle impose des correspondances souvent dissuasives avec les TER (jusqu’à plus d’une heure) et impose une double correspondance pour les voyageurs en provenance d’Alès (et au-delà) ou du Grau-du-Roi.

L’hypothèse intermédiaire d’une gare commune Narbonne-Béziers et TGV-TER à Nissan-lez-Ensérune

  Le représentant de la CRI LNMP, Louis Grandjacquet,  tout en souhaitant une desserte des gares centrales à Béziers et Narbonne, comme sur l’axe Tours-Bordeaux, propose une hypothèse intermédiaire en localisant une gare TGV-TER au franchissement de la ligne classique par la LNMP, sur la commune de Nissan-lez-Ensérune, à mi-chemin entre Béziers et Narbonne. « Cela éviterait de construire deux gares nouvelles à un intervalle de 30 km ou 40 km, une absurdité sur une ligne parcourable à 320 km/h », relève-t-il.

 Reste que cela ne résoudrait pas le problème de la double correspondance pour les voyageurs de la ligne Béziers-Neussargues, similaire à ceux des lignes d’Alès et du Grau-du-Roi pour Nîmes Pont-du-Gard. Au cas où « cette solution logique serait refusée », il existe « une situation analogue à celle de Nissan : A Villeneuve-les-Béziers, le site dénommé gare canal ou gare intersection », note-t-il.

DSCN0869Gare historique de Béziers, contruite par la Compagnie du Midi. Le plateau de voies pourrait encore être complété par deux nouvelles voies à quai, si besoin était. La ligne nouvelle passerait au sud de la ville après avoir franchi la ligne classique au nord-est. Un raccordement LNMP-ligne classique est prévu au nord-est. La desserte de la gare centrale impliquerait un raccordement au sud-ouest. ©RDS

 Mais les associations privilégient les gares centrales pour les TGV destinés à desservir ces deux agglomérations. Leur argument est qu’une gare TGV doit être un véritable pôle multimodal : outre les correspondances TGV-TER, elle doit assurer des correspondances avec les réseaux de bus urbains ou péri-urbains et d’autocars régionaux. « Créer deux gares nouvelles à Béziers-Est et Narbonne-Ouest reviendrait à créer deux pôles multimodaux supplémentaires, multipliant les coûts d’exploitation pour les réseaux de transport routier (qui devront continuer de desservir les gares classiques) », soulignent-elles.

Les élus de Perpignan ont obtenu le retrait du projet de gare nouvelle à Rivesaltes et une desserte par la gare centrale

 Les élus de Perpignan ont refusé le projet de gare nouvelle ex-urbanisée dans la zone de Rivesaltes, obtenant que tous les TGV desservant la ville s’arrêtent à la gare centrale. Sur la ligne nouvelle Tours-Bordeaux, les élus locaux de Poitiers et d’Angoulême ont refusé la création de gares nouvelles ex-urbanisées. Ils ont obtenu que soient créés des raccordements en amont et en aval des gares-centre pour que les TGV desservant leurs agglomérations s’arrêtent au cœur de leurs villes. Les gares centrales ont le double avantage de permettre des correspondances optimales TGV-TER et un contact parfait avec le cœur du réseau de transport urbain. Elles favorisent l’usage du vélo  ou la marche à pied en raison de la proximité des équipements et commerces.

 Les associations critiquent les prévisions de trafic des projets de gares nouvelles de SNCF Réseau, qui estime qu’une gare nouvelle à Béziers-Est attirerait les voyageurs en provenance et à destination du Cap d’Agde. « Cette vision technocratique et parisienne ne résiste pas à l’analyse », note leur document d’analyse car « les temps de parcours Cap d’Agde – Béziers-Est sont dissuasifs, particulièrement en période estivale ». Tout au long de l’année, les clients réguliers du train de cette zone ont la gare d’Agde pour porte d’entrée du réseau. Ils utilisent les TER pour aller prendre des TGV en correspondance : vers le nord à Montpellier (quand c’est possible, à Saint-Roch) ; vers le sud ou l’ouest dans une gare TGV-TER côté Béziers (gare actuelle ou éventuelle future gare de Nissan).

Des gares nouvelles si la ligne est éloignée ou si les gares centrales sont saturées

 Pour les quatre associations ou fédérations d’associations, les gares nouvelles sur lignes à grande vitesse ne s’imposent que sous certaines conditions. La première condition est la saturation de la gare existante, sans extension possible. Or, côté voies, « ce n’est le cas des gares centrales ni de Béziers, ni de Narbonne, aux faisceaux facilement extensibles ». La seconde condition est l’éloignement de la ligne nouvelle des agglomérations à desservir, sans jonction possible (ou avec jonction dissuasive). « Ce n’est le cas ni à Béziers, ni à Narbonne, où des jonctions courtes sont possibles », notent-elles. A Béziers, une jonction est d’ailleurs prévue à l’est de la ville pour permettre au fret de rejoindre la ligne classique puisque le projet ne prévoit pas de mixité au-delà de Béziers. Le fret quitterait la ligne nouvelle à l’est de Béziers pour traverser ensuite la gare centrale, alors que les TGV ne s’arrêteraient qu’à plusieurs kilomètres de la ville… mais à proximité de l’autoroute.

IMG_20210413_161239506_HDRGare de Montpellier Sud-de-France, sur le CNM. Une zone de chalandise limitée aux banlieues peu denses en habitat de Pérols, Mauguio et Lattes; une liaison difficile avec le centre du réseau urbain et la gare saint-Roch; une absence totale de correspondances TGV-TER et TGV-Intercités. ©RDS

Enfin, une gare sur ligne nouvelle est nécessaire si elle dessert une zone de chalandise importante non couverte par un gare existante du réseau classique, ce qui n’est pas le cas pour la LNMP. Reste que tout arrêt supplémentaire d’un TGV coûte de nombreuses minutes, y compris pour une gare sur LGV. Un TGV est un train à longue distance… Cette question du temps par arrêt  (décélération + arrêt + accélération) n’est  pas l’élément déterminant. « La clientèle potentielle et la distance entre les gares sont des critères plus importants », estiment les associations.

Sur l’ensemble CNM+LNMP, verra-t-on quatre gares nouvelles sur une section de LGV de 140 km seulement ?

Reste que sur l’ensemble CNM (Contournement de Nîmes et Montpellier)+LNMP, on pourrait ainsi compter quatre gares sur ligne nouvelle si Béziers-Est et Narbonne-Ouest étaient construites, en plus de Montpellier Sud-de-France et de Nîmes Pont-du-Gard. Cela ferait quatre gares d’arrêt sur moins de 140 km soit une gare tous les 47 km en moyenne, un cas unique sur tous les réseaux à grande vitesse. Autant dire que les opérateurs de trains à longue distance se garderont probablement de les desservir toutes. Or s’ils veulent desservir la ville, la gare centrale leur apportera certainement plus de clientèle comme en témoigne le choix des gares centrales de Montpellier et Nîmes par l’opérateur conjoint SNCF-Renfe sur toutes les relations France-Espagne.

 Les associations ont par ailleurs souligné plusieurs autres inconvénients liés à l’installation de gares sur lignes à grande vitesse. Elles notent ainsi que la présence d’une gare historique et d’une gare nouvelle sur le même secteur entraîne une complexification du voyage (surtout si la gare sur LGV n’est pas en correspondance avec le réseau classique), et donc le risque d’une perte de clientèle. Notons qu’à Nîmes, les voyageurs réservant leur TGV à partir de Nîmes Centre via Pont-du-Gard enregistrent une perte de temps nette considérable en raison de la correspondance TGV-TER.

Des exemples cruels de complexification des parcours ferroviaires à cause des gares nouvelles

 A Montpellier, les voyageurs en provenance d’une gare TER de la région doivent subir une double correspondance : TER-transport urbain à Saint-Roch, transport urbain-TGV à Sud-de-France.

 Avec les deux gares du CNM, les associations constatent que plus aucune relation directe n’est proposée entre Lyon et Agde (gare d’entrée la plus proche du Cap d’Agde) : « La plupart des relations se font avec correspondances souvent supérieures à 30 minutes pour Sète, Agde, Béziers , Narbonne ». On note que des correspondances sont proposées à Nîmes Pont-du-Gard avec des TER pour rejoindre Sète, Agde, Béziers, Narbonne… et même Montpellier Saint-Roch avec arrêt aux principales gares intermédiaires de la ligne classique.

DSCN3336TER au départ en gare du Grau-du-Roi, qui dessert une zone balnéaire s'étendant de Port-Camargue à la Grande-Motte, sans compter l'activité économique propre au Grau-du-Roi: pêche, nautisme, naval... Aller prendre un TGV à Nîmes-Pont-du-Gard depuis Le Grau-du-Roi impose deux correspondances, sans aucun gain de temps sur ligne nouvelle. De même, l'inclusion du Cap d'Agde dans la zone de chalandise de la future gare de Béziers-Est revient à ignorer que la porte d'entrée ferroviaire idéale du Cap d'Agde est la gare d'Agde, desservie par bus urbains, par TER et qui devrait l'être plus souvent par TGV inter-régionaux. ©RDS

« On assiste donc à une multiplication des ruptures de charges, à des temps de parcours non concurrentiels avec la route, à une dégradation du confort et à une hypertrophie des coûts de fonctionnement, soit plus de moyens mis en œuvre pour un service de moins bonne qualité ! », s’indigne Louis Grandjacquet.

 La gare ex-urbanisée favorise l’automobile pour les parcours d’approche sans garantie de retrouver sa voiture si le TGV du retour dessert la gare centre. On note ainsi que les TGV Toulouse-Lyon sont tracés par le CNM et ses gares nouvelles alors que les Lyon-Toulouse le sont par la ligne classique et ses gares centre. Le Montpellier-Luxembourg part de Saint-Roch, le Luxembourg-Montpellier arrive à Sud-de-France !

Le dédoublement d’une gare engendre des frais financiers supplémentaires : investissement et gestion

 Un autre inconvénient lié au dédoublement des gares est financier. Outre l’investissement initial  - quelque 90 millions d’euros pour la seule gare de Béziers-Est, nettement plus pour Narbonne-Ouest -,  la présence de deux gares situées sur le même axe pour une même ville (gare centre/gare ex-urbanisée) « est une promesse de charges d’exploitation supplémentaires sans garantie de recettes additionnelles, voire le contraire ». Les associations précisent : « Pour Gare & Connexions, c’est la garantie de frais immobiliers, techniques et de personnels supplémentaires. Pour les collectivités organisatrices des transports locaux et régionaux, c’est l’obligation d’assurer des dessertes coûteuses (distance), peu rentables et très irrégulières (fréquentation limitée aux clients des TGV) ».

IMG_20210605_070703881Aperçu des panneaux photovoltaïques recouvrant l'immense parc à voitures individuelles de la gare de Nîmes Pont-du-Gard (au second plan). Les correspondances TGV-TER de cette gare nouvelle située à l'amorce du Contournement de Nîmes et Montpellier (CNM) sont dissuasives, le plan transport régional et le plan transport TGV n'étant pas coordonnés. Les services de bus sont squelettiques. Résultat: les voyageurs qui sont orientés vers les TGV desservant cette gare ont largement recours à l'automobile. ©RDS

 En termes d’environnement, ces dédoublement de gares favorisent un accroissement du trafic routier, surtout si les deux gares ne sont pas interconnectées, soit des charges supplémentaires en équipements et consommation d’espace, à la charge des collectivités locales. Les gares ex-urbanisées fonctionnent comme des aspirateurs à voitures individuelles en raison de leur éloignement et de leur situation en bout de ligne de réseau urbain. La création d’une gare nouvelle ex-urbanisée induit donc des investissements routiers importants. La nécessité de vastes parcs à voitures est fortement consommatrice d’espaces.

Plusieurs arguments réfutés par les associations : arrêts moins coûteux en temps, accessibilité depuis les banlieues…

Enfin, les associations réfutent plusieurs arguments brandis par les promoteurs de gares sur lignes à grande vitesse, tels que : « Une gare nouvelle fait perdre moins de temps par arrêt qu’une gare centre raccordée et donc aura plus d’arrêts » ou  « une gare nouvelle hors agglomération attire une nouvelle clientèle ».

 L’arrêt d’un TGV en gare nouvelle coûte environ 8 mn à la circulation si le TGV à l’arrêt n’est pas dépassé par un TGV direct, comme c’est souvent le cas sur la LGV Méditerranée à Valence-TGV. Si le coût temporel est un peu plus important lors de la desserte de la gare centrale par raccordements, il est en revanche plus profitable commercialement (correspondances TER, réseau urbain, densité de population…). Quitte à desservir Béziers, l’exploitant préfèrera mieux remplir son train en perdant quelques minutes.

2021-02Correspondances TER-TER en gare de Narbonne. Ce noeud ferroviaire de première importance rayonne vers Montpellier, Avignon et Marseille, vers Carcassonne, Toulouse et Bordeaux, vers Perpignan, Gérone, Barcelone et la ligne de Latour de Carol... L'optimisation du maillage par arrêt des TGV dans les gares centrales moyennant raccordements en amont et en aval vers la ligne nouvelle paraît être un argument décisif pour l'optimisation de l'usage du réseau ferroviaire. Le temps de parcours sur LGV n'est pas le seul critère pour évaluer le temps complet du voyage de point à point. Il doit tenir compte de la multiplicité des origines-destinations, qui ne sont pas toutes orientées vers Paris, loin de là. ©RDS

 Si elle peut être plus accessible pour des zones périphériques, la gare sur ligne nouvelle ne bénéficie pas de la densité de population comme les gares centrales. Une loi de pure géométrie démontre que le centre d’un disque est plus proche de tous les points de sa surface qu’un point de son périmètre. Dans le cas de Montpellier Sud-de-France, sa plus grande proximité de Pérols ou Lattes ne compense pas son éloignement dissuasif d’un centre qui se densifie encore (quarter nouveau Saint-Roch), ou des périphéries éloignées de la gare nouvelle (Sabines, Malbosc, la Paillade...)

L’accès aux gares nouvelles n’est plus facile ni pour les piétons, ni pour les cyclistes, ni pour les usagers des transports urbains

 Autre argument contestable, celui qui affirme que « l’accès aux gares nouvelles est plus facile et rapide ». Or cet avantage ne concerne que les automobilistes de la périphérie proche de la gare nouvelle, et encore si les bouchons ne se multiplient pas… L’accès aux gares nouvelles n’est en revanche plus facile ni pour les piétons, ni pour les cyclistes, ni pour les usagers des transports publics urbains, dénoncent les associations. De plus, ces gares induisent des trafics routiers supplémentaires sur des voiries périphériques qui n’en ont pas besoin.

 Conclusion des associations : « Les gares nouvelles sont rarement justifiées et le plus souvent compliquent l’aménagement du territoire. Elles entraînent un trafic routier supplémentaire, fragilisent la cohérence des réseaux de transport public, complexifient les voyages des usagers du train ».