Depuis le 15 mars et jusqu’au 12 décembre 2021, la ligne à voie unique Livron-Aspres-sur-Buëch, longue de 109,452 km, est fermée pour travaux de régénération. Cette artère qui se débranche à Livron de l’axe rhodanien Lyon-Marseille, court tout au long de la vallée de la Drôme avant de franchir le col de Cabre et de rejoindre la vallée de la Chauranne, affluent du Buëch. Elle se greffe, en gare d’Aspres-sur-Buëch, à la ligne reliant Grenoble à Veynes. Il se trouve que les travaux de régénération de la ligne Grenoble-Veynes, avec fermeture jusqu’à fin 2022, se déroulent simultanément à ceux de Livron-Aspres. Ces deux lignes devront subir de nouvelles interventions au-delà de 2024.

La neutralisation simultanée de Grenoble-Veynes et Livron-Aspres ne permet pas d’itinéraire ferroviaire alternatif

 De ce fait aucun itinéraire alternatif n’est possible entre ces deux lignes, parties du « tour du Vercors », condamnant jusqu’en fin d’année le célèbre train de nuit – un survivant du réseau nocturne - Paris-Briançon. Une offre de substitution est proposée par Voyage SNCF via la ligne de la Maurienne  et le tunnel du Fréjus avec correspondance par autocar à Oulx vers Briançon et Gap par le col du Montgenèvre. Un détournement par Avignon, la ligne fret Cheval-Blanc-Pertuis et la ligne Marseille-Veynes a été exclu par la SNCF. Cette situation a suscité les protestations des élus des Hautes-Alpes, qui estiment leur département exclu du réseau ferroviaire neuf mois durant.

IMG_20210602_144708737Aperçu du tracé général et de l'environnement topographique de la ligne Livron-Aspres dans le département de la Drôme. L'embranchement de Livron est situé à la limite gauche de la carte, à mi-hauteur. Le tunnel du col de Cabre est situé dans l'angle bas à droite. D'ouest en est, Crest, Saillans, Die, Luc-en-Diois. (Carte IGN 100.000e ci-dessus et carte RFN ci-dessous)

 Les travaux sur Livron-Aspres-sur-Buëch visent à « renouveler et conforter » un axe qui n’a jamais brillé par la qualité de sa maintenance. Avec la suppression des rares autorails omnibus, il a été privé de douze gares intermédiaires sur seize en 1972, en particulier : Aouste-sur-Sye à 4,25 km de Crest, malgré l’importance de l’activité de cette commune ; Saillans, bourg actif de 1.300 habitants qui expédiait par fer des colis de poussins pour les nombreux élevages de la région ; Vercheny, siège d’une importante maison d’enfants (Amis des Enfants de Paris, et fondation Robert Ardouvin) et de producteurs de Clairette… A cette époque, l’offre voyageurs fut réduite au train de nuit Paris-Briançon et à un autorail express diurne Valence-Briançon relevant un rapide de Paris. Seul le flux Paris-Briançon comptait alors.

Des liaisons par car aux temps de parcours supérieurs à ceux des autorails omnibus de 1956

 Les régionaux étaient priés de rester sur la route. La quasi-totalité du trafic régional était assurée par autocars, dans des conditions d’attente désastreuses au bord de la très chargée D93 (ex-N93), au trafic poids-lourds important entre la haute-Durance et l’Italie d’une part, la vallée du Rhône d’autre part, et au fort trafic de voitures individuelles en période touristique. Les autocars omnibus effectuaient le parcours Valence-Die en environ 1 h 35 mn, sans pour autant desservir Livron, tandis que le seul express effectuait ce parcours en 57 mn pour 72 km sans autre desserte intermédiaire que Crest. A l’horaire 1956, les deux omnibus quotidiens affichaient un temps de parcours entre Die et Valence de 1 h 24 mn, avec desserte de Livron, soit un temps inférieur à celui des autocars omnibus actuels sans desserte de Livron.

 Cette sous-utilisation délibérée de la ligne Livron-Aspres-sur-Buëch s’est accompagnée d’une dégradation de la superstructure, maintenue en état de simple survie avec ses traverses métalliques d’un autre âge et la suppression de la plupart de ses points de croisement. Grâce à la régionalisation, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur ont rétabli en 1998 un flux TER express Briançon-Gap-Valence avec réouverture bienvenue de la gare de Saillans, mais pas celle de Vercheny. Ce flux reste toujours doublé par des services d’autocars omnibus sur la D93.

Les TER de la ligne ont été amorcés à Romans, desservant Valence-TGV

 Ces TER ont été très opportunément amorcés à Romans-Bourg-de-Péage après la mise en service de la LGV Méditerranée en 2001, multipliant aussi bien les liaisons à grande distance vers la vallée de la Drôme et les Hautes-Alpes que les possibilités de parcours fer locaux et régionaux. Relevons que le train permet d’effectuer le parcours Romans-Valence-Ville, sans les embouteillages d’entrée de villes, en 16 mn pour 20 km contre 42 mn en bus urbain Citea, ou Valence-TGV-Valence-Ville en 8 mn pour 10,5 km contre 20 mn en bus urbain.

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Valence-Ville: automoteur X72500 en provenance de Romans et Valence-TGV, à destination de Briançon par la ligne Livron-Aspres. Entre Valence-Vill et Briançon, un parcours spectaculaire de 244 km au total, entre Alpes du Nord et Alpes du Sud. ©RDS

 La régénération de Livron-Aspres-sur-Buëch est d’autant plus bienvenue qu’une ligne de vallée est par définition avantagée par la concentration physique des trajets imposée par la topographie. Les travaux en cours  sont menés à la fois dans le cadre (décalé d’un an) du Contrat de plan Etat-Région 2015-2020 et dans celui du plan de sauvetage des lignes des lignes régionales d’Auvergne-Rhône-Alpes. La ligne franchissant la frontière interrégionale au col de Cabre, le chantier est mené majoritairement sur Auvergne-Rhône-Alpes (94,461 km, soit 86,30 % du linéaire) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (14,99 km, soit 13,69 %). Sur cette dernière région, soit dans le département des Hautes-Alpes, aucune des trois gares n’est plus desservie par train, Aspres-sur-Buëch ayant été rayée de la desserte Valence-Gap après les stations de La Baume et Saint-Pierre d’Argençon.

8 km de voie ferrée renouvelés sur les 14,99 km situés dans les Hautes-Alpes

 En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, soit à l’est du tunnel du col de Cabre, 8 km de voie seront intégralement renouvelés, indique SNCF Réseau, permettant de lever des limitations de vitesse. Les dispositifs d’assainissement, les murs de soutènement et les garde-corps de nombreux ouvrages seront également remis à neuf, avec remodelage du talus de la Bardissonne entre Saint-Pierre d’Argençon et le court tunnel en courbe du Chevalet (330 m) qui permet à la voie de passer de la vallée de la Chauranne à celle du Buëch, où elle court en surplomb de la N75 jusqu’à Aspres sur environ 2,5 km.

 Toujours sur cette section SNCF Réseau entreprend « la simplification des installations de signalisation » et le remplacement de câbles. « D’autres travaux de confortement et d’entretien de la ligne, financés sur fonds propres SNCF Réseau, seront menés parallèlement pendant cette période », indique le gestionnaire d’infrastructure, dont les berges du pont ferroviaire de la Chauranne à Font-Vineuse « qui seront confortées et réaménagées ».

26 km de voie ferrée intégralement renouvelés sur les 94 km situés dans la Drôme

 Du côté Auvergne-Rhône-Alpes, soit le département de la Drôme, 26 km de voie ferrée sont intégralement renouvelés, soit 27 % des quelques 94 km du linéaire. Les limitations de vitesse seront levées sur les sections renouvelées. Comme côté est, les dispositifs d’assainissement, les murs de soutènement, les garde-corps de nombreux ouvrages seront remis à neuf. L’étanchéité des tabliers et les maçonneries seront restaurées sur quatre ponts ferroviaires.

PontaixViaduc en treillis métallique de Pontaix, franchissant la Drôme (ci-dessus). D'une longueur de 125m, il fait partie des viaducs remarquables de la ligne Livron-Aspres, après le viaduc du Claps (ci-dessous), dont le tablier a été reconstruit en 1976-1977, au franchissement du spectaculaire saut de la Drôme (ci-dessous). (Doc. Structurae/Mossot et Wikipedia/Brenet)

Claps

 A ce sujet rappelons que le plus spectaculaire d’entre eux, le viaduc du Claps, long de 217 m et franchissant à 44 m de hauteur le célèbre saut de la Drôme (au km 74,802 depuis Livron), a vu son tablier entièrement reconstruit en 1976 en raison de la dégradation du tablier en treillis métallique originel construit en 1894. Un hiatus important était apparu lors d’une visite d’inspection de routine, entraînant la fermeture d’urgence (et nocturne) de la ligne à l’initiative du jeune ingénieur en poste sur l’axe. Cette reconstruction spectaculaire avait causé l’interruption de la ligne durant près d’une année, avec détournement des Paris-Briançon par la ligne Grenoble-Veynes.

Une carrière rouverte dans les Hautes-Alpes près de Veynes pour fournir les chantiers en ballast

 Toujours sur la section drômoise, une dizaine de tranchées et de parois rocheuses seront confortées avec grillages ancrés ou écrans protecteurs.  Côté tunnels, la voûte du tunnel de  Beaurières (88 m) sera confortée par projections de béton et reprises de maçonneries. La signalisation (BAPR ou Block manuel) sera améliorée avec remplacement de câbles, modernisation des circuits de voie, des moteurs d’aiguillages, des passages à niveau et des quelques gares maintenues en service.

 Notons que les voies renouvelées seront équipées de rails de réemploi et que le ballast neuf sera approvisionné depuis une carrière rouverte pour l’occasion à Montmaur, à 6 km à l’est de Veynes, exploitée par la société Carrières et  Ballastières des Alpes, basée à La Saulce, au sud de Gap.

 Le devis de ces opérations s’élève à 74,4 millions d’euros. Côté Auvergne-Rhône-Alpes, il atteint 58,2 M€ financés à 35,70 % par la région, 55,34 % par l’Etat, 5 % par SNCF Réseau et 4 % par le département de la Drôme. Côté Provence-Alpes-Côte d’Azur, il s’élève à 16,2 M€ financés à 42,41 % par la région, 42,41 % par l’Etat, 8,50 % par SNCF Réseau et 6,68 % par le département des Hautes-Alpes.

Liaison entre Hautes-Alpes et vallée du Rhône, desserte d’une vallée de la Drôme active

 On ne saurait souligner l’importance de cette ligne Livron-Aspres-sur-Buëch, qui permet de relier les Hautes-Alpes à la vallée du Rhône et de desservir une vallée de la Drôme à l’activité économique active : élevage ovin, aviculture (très présente autour de Die), viticulture (clairette de Die de Saillans à Die), distillation aromatique (Herbarom à Aouste-sur-Sye)… La région est appréciée pour son tourisme vert avec des vallées sauvages (Roanne, Sure et bassin du Quint…), la montagne escarpée (la façade sud du Vercors avec le sommet du Pas de l’Infernet à 1.698 m, le Pré Ferré à 2.041 m ; la massif des Trois-Becs à 1.589 m...).

DieGare de Die côté quais et voies. Die, sous-préfecture de la Drôme, compte 4.700 habitants.  La totalité de la desserte omnibus de la vallée de la Drôme en aval de Die reste sur route. (DR)

 La ligne Livron-Aspres a la particularité d’être construite sur la digue de protection des crues de la Drôme côté rive droite entre Livron et Crest soit environ 17 km. Avant Crest, à Eure, elle est reliée par voie de service avec la LGV Méditerranée vers le nord. A Eure avait été installée une base travaux pour la construction de la ligne à grande vitesse, requalifiée depuis en zone d’activités.

Le parcours le plus accidenté, aux déclivités de 20 ‰, s’étend de Luc-en-Diois au long tunnel du col de Cabre (3.764 m)

 A Crest, la ligne franchit la Drôme par un viaduc installé en pleine ville qui lui permet d’atteindre la rive gauche du cours d’eau qu’elle suit en plaine jusqu’aux abords de Saillans où commence un goulot d’étranglement jusqu’à Pont d’Espenel, où un tunnel de 308 m précède un viaduc en treillis métallique de 95 m. A Vercheny, elle retrouve la rive droite sur environ 6 km pour un parcours plus tranquille au-dessus de la D93 jusqu’à Pontaix-Saint-Croix, où elle rallie la rive gauche par un viaduc beau de 125 m. Elle franchit de nouveau la Drôme aux abords de Die, où la gare est installée à l’entrée de la ville en rive droite.

 De Die à Luc-en-Diois, la ligne chemine dans une vallée assez large plein sud-est, les montagnes de l’Aiglette et de Beaufayn, formant bec sur la rive gauche de la Drôme, ayant été contournées. Les déclivités s’accentuent, avec des sections à 18 ‰ et 20 ‰. A partir de Luc le tracé se complique avec le viaduc du Claps suivi des tunnels de Clamontard (409 m) et du Bonnet (865 m), avant la gare abandonnée de Beaurières suivie de huit tunnels ou galeries précédant le tunnel de faîte du col de Cabre.

CabreTête est du tunnel du col de Cabre, à l'amorce des quais de la station de La Beaume, qui n'est plus desservie depuis les années 1970. Le radier du tunnel culmine à 884m d'altitude, alos que le col lui-même affiche une altitude de 1.180m. (Doc Wikipedia/Ph. Brenet)

Dans ce dernier, long de 3.764 m, la ligne culmine à 884 m d’altitude. De Luc au tunnel du col de Cabre, la ligne affiche des déclivités atteignant 20 ‰ sur un cumul d’environ 9 km. Le souterrain du col de Cabre a été creusé au gabarit de la double voie pour assurer une bonne ventilation au temps de la vapeur… et préserver éventuellement l’avenir.

Dix-sept tunnels ou galeries dont quinze sur 23,4 km, huit ponts ou viaducs notables

 Au total sur ses 109,452 km, la ligne cumule dix-sept tunnels et galeries, dont quinze sur les 23,4 km du seul parcours séparant Luc-en-Diois (Drôme) de La Beaume (Hautes-Alpes). Elle totalise huit ponts et viaducs notables. Livron-Aspres-sur-Buëch, même moins spectaculaire que Grenoble-Veynes ou Veynes-Briançon, n’en reste pas moins une ligne remarquable digne de figurer au palmarès des plus beaux parcours ferroviaires de France.

 Livron-Aspres complète, pour former un triangle grandiose, deux autres lignes aux paysages remarquables. D’abord la ligne Valence-Moirans-Grenoble, qui contourne le Vercors par l’ouest en laissant découvrir, au-delà de la vallée de l’Isère qu’elle longe en surplomb,  les reliefs du Royans et les barres rocheuses des Coulmes (1.415 m) ou de la Pierre-Taillée (1.625 m). Ensuite la ligne Grenoble-Veynes, probablement la plus éblouissante, qui serpent aux flancs orientaux du même Vercors laissant découvrir à l'est le Pelvoux, les Ecrins et l’Obiou, et qui culmine à 1.176 m au col de la Croix-Haute.

Profil de la ligne Livron-Aspres-Veynes-Gap extrait d'un carnet de profils de la compagnie PLM. Les déclivités s'accentuent à l'est de Die, et particulièrement après Luc-en-Diois.

Il est malheureusement désolant que Grenoble-Veynes comme Livron-Aspres fussent dégradées au point de devoir être fermée presque deux ans pour la première, neuf mois pour la seconde. C’est une fois de plus le signe de l’abandon, depuis des décennies, d’un patrimoine exceptionnel par des élites claquemurées dans leurs certitudes comptables et leur parisianisme, aveugle aux intérêts régionaux comme à la dimension esthétique des paysages parcourus.