Face à la déstructuration de l'offre voyageurs et de sa tarification, la Fnaut énumère 23 exigences pour rétablir l'effet réseau
La déstructuration de l’offre ferroviaire voyageurs s’accélère en France. Sous la pression de l’Union européenne, dont les « lois » ont parfois été appliquées de façon maximaliste en France, le démantèlement à la fois géographique et sectoriel de l’accès aux trains, de l’information, de la tarification et du paiement des titres de transport détruit le principe même de réseau pourtant atout maître du transport public. Face à cette véritable régression, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) a émis « vingt-trois exigences pour le train de 2023 » à l’issue d’un colloque réuni fin mai. Le ministre délégué aux Transports Clément Beaune a quant à lui, sans plus de détails, promis l’instauration d’un « billet unique », sans qu’on sache s’il s’agit d’un abonnement promotionnel national (valable sur quels exploitants ?) ou d’un support unique pour la multitude de tarifications et de règles d’accès en cours.
Dans l’édition de juillet-août 2023 de son mensuel Fnaut-Infos, la Fnaut cite plusieurs cas vécus d’aberrations en matière d’accès au train en France. Par exemple, une amende de 130 € pour un jeune voyageur ayant effectué un trajet Paris-Lille par erreur en TER avec son billet TGV. L’amende lui a été imposée alors que le temps de parcours était supérieur d’une heure… Autre exemple, celui d’un voyageur ayant raté son TGV vers l’Allemagne en raison de la suppression du TER qu’il devait emprunter pour atteindre la gare de correspondance : il dut payer un supplément pour report sur un TGV circulant sept heures plus tard, après refus du guichetier TER de régulariser sa situation à la gare de départ.
La valse des règles d’application des cartes Avantages sur les TER
Nous pouvons ajouter la valse de règles d’application sur les TER des réductions promises par les cartes Avantage de la SNCF. Un voyageur effectuant de nombreux voyages Carpentras-Grenoble par TER vient de découvrir que cette réduction venait d’être purement et simplement supprimée par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), sans préavis ni explications. Il doit donc acquitter un plein tarif pour les TER Carpentras- Sorgues (ou Avignon Centre) et (Avignon) Sorgues-Valence-Ville, exploités par Paca, avant de pouvoir bénéficié de la réduction permise par la carte Avantage entre Valence-Ville et Grenoble. On notera que tous ces TER sont assurés par SNCF Voyageurs sous conventions régionales, et que la carte Avantage est délivrée par le même exploitant. Mais la doctrine en cours est de laisser la complète liberté tarifaire aux conseils régionaux, sans que l’Etat, pourtant théoriquement garant de l’unité nationale sur les sujets dépassant la compétence naturelle des régions – même en système fédératif – ne juge pour l’instant nécessaire d’intervenir.
Rame TER Auvergne-Rhône-Alpes Valence Ville-Annecy à Valence TGV, quais supérieurs. Les voyageurs en correspondance avec les TGV du faisceau inférieur ne disposent plus d'aucune garantie en matière de correspondance TGV-TER en cas de retard. Notons la remarquable capacité et le confort de roulement de ces rames Corail tractées, très appréciées (si elles étaient entretenues convenablement) sur les longues distances du sillon alpin. Valence-Annecy : 210 km, Valence-Genève : 259 km... ©RDS
A ce jour, seule la région Auvergne-Rhône-Alpes accepte les cartes Avantage avec des taux de réduction TER de 25 % (périodes blanches) et 50 % (périodes bleues, majoritaires), héritage de l’ancienne tarification générale. Les régions Pays-de-la-Loire, Bretagne et Normandie appliquent une réduction uniforme de 30 %. Hauts-de-France et Grand-Est appliquent une réduction uniforme de 25 % seulement. Centre-Vale-de-Loire, Bourgogne-France-Comté, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine refusent d’appliquer la moindre réduction aux porteurs des cartes Avantage. Il convient donc de se reporter aux cartes d’abonnement propres aux régions. L’Ile-de-France n’offre aucune réduction sur présentation des cartes Avantage.
La Fnaut a par ailleurs recensé les réductions liées aux cartes Avantage pour les déplacements TER interrégionaux. Logiquement il apparaît que les cartes Avantage ne donnent accès à aucune réduction pour les trajets effectués entre les cinq régions susmentionnées qui ne l’acceptent pas. Il en va de même entre Pays-de-la-Loire et les deux régions mitoyennes qui ne l’acceptent pas (Centre-Val-de-Loire et Nouvelle-Aquitaine) et entre Auvergne-Rhône-Alpes et ses régions mitoyennes hors Provence-Alpes-Côte d’Azur, soit Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Centre-Val-de-Loire et Bourgogne-Franche-Comté. Une réduction de 30 % est accordée en revanche pour les trajets avec Provence-Alpes-Côte d’Azur, bien que celle-ci ne l’accepte pas…
Dissociation des guichets et automates distributeurs
Cette recension des droits ouverts par la carte Avantage après analyse de la Fnaut deviendrait fastidieuse. On peut toutefois la résumer. On compte quatre règles pour les dix-huit possibilités de déplacements interrégionaux (Ile-de-France exclue) et quatre règles pour les déplacements intra-régionaux, comme mentionné en début d’article.
Pour l’interrégional TER, on relève 25 % et 50 % dans quatre cas : entre régions Bretagne et Pays-de-la-Loire qui pourtant n’appliquent que le 30 % en relations intérieures, entre Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur (laquelle refuse la carte Avantage en parcours intérieurs) et entre Bourgogne-France-Compté et Grand-Est qui respectivement refusent la carte et applique seulement 25 % en parcours intérieurs…
Quelques automates distributeurs de billets, TER trains et autocars, ici à Grenoble (centre). Il convient d'y ajouter les distributeurs de titres grandes lignes (dans un autre espace...) et, dans les gares qu'elles desservent, ceux des compagnies exploitant en accès libre (Trenitalia, Renfe). ©RDS
Le tout est couronné par la dissociation des guichets et distributeurs. S’il est encore possible d’obtenir un billet TER sur les distributeurs grandes lignes, les régions alignent leurs distributeurs TER à leurs couleurs. Quant aux guichets, quand il en reste, ils sont désormais dissociés entre guichets TER (et éventuellement cars régionaux avec comptoir dédié) et « boutiques » TGV (on ne mentionne pas les Intercités, parents pauvres du réseau grandes lignes) Quant aux Ouigo grande vitesse ou lignes classiques, leur billetterie est exclusivement assurée par internet, ce qui exclut une part non négligeable de la population. Les services assurés par SNCF Voyageurs, qu’ils soient régionaux, interrégionaux ou à grande vitesse ont leur tarification et leurs canaux de distributions totalement dispersés.
Les nouveaux entrants Grandes lignes, enfin, qu’il s’agisse de Trenitalia ou de Renfe, ont eux aussi leurs propres systèmes de distribution avec, pour la billetterie physique, des automates à leurs couleurs. En cas de correspondance, le voyageur qui n’utilise pas Internet est donc prié de prendre son billet à l’automate dans la gare de départ de sa Frecciarossa ou de son AVE pendant le laps de temps qui lui est laissé entre l’arrivée de son TER (par exemple) et le départ de son train à grande vitesse.
Pourquoi pas faire de Gares & Connexion l’éditeur des titres de transport standardisés ?
Ce tour d’horizon de la dislocation commerciale du réseau est loin d’être complet. On pourrait imaginer un support unique délivré par un réseau de billetterie unique dépendant par exemple de Gares & Connexions. On pourrait imaginer que, moyennant redistribution aux régions d’une partie proportionnelle des recettes des ventes des cartes Avantage, les conseils régionaux soient tenus d’appliquer une grille unique de réductions…
Avec les services à bas coût (Ouigo…) et ceux des nouveaux entrants, le maquis tarifaire et réglementaire s’épaissit. A vouloir appliquer au réseau ferroviaire les pratiques du transport aérien, l’effet réseau s’effondre peu à peu. Ne subsiste qu’un concept de concurrence de plus en plus effrénée au départ de Paris, parallèlement à une dislocation des offres commerciales du réseau classique régional, soit onze offres TER et l’offre d’Ile-de-France Mobilités.
Transit sans arrêt d'une rame à grande vitesse Ouigo à Valence TGV. Bien qu'exploité par SNCF Voyageurs, le service Ouigo est totalement étanche par rapport aux autres services de la même entreprise publique, qu'ils soient grandes lignes (Inoui, Intercités) ou régionaux (TER), tant au plan de la billettique que des tarifs ou des canaux de distribution. Les modalités d'accès sont elles aussi spécifiques. ©RDS
La Fnaut dresse un constat général sur les cinq points-clés du parcours du voyageur, en conclusion d’une étude qu’elle a commandée aux cabinets Trans-Missions et Satis Conseil : l’information, la distribution, la tarification, les droits des voyageurs pendant et après leur trajet, la qualité du service à bord. Sur l’ensemble de ces critères, la fédération d’associations d’usagers conclut de l’étude de ces deux cabinets : « A chacune de ces étapes, le constat est sans appel ; depuis le début des années 2000 mais surtout depuis le milieu des années 2010, le parcours du voyageur s’est nettement complexifié ». « L’actuelle fragmentation du système pour le voyageur est particulièrement visible en matière de tarification », souligne-t-elle, entre yield management sur les TGV ou Intercités et maquis tarifaire entre régions pour les TER. Sans oublier bien sûr les tarifs et modalités Ouigo, Trenitalia ou Renfe, les services de ces deux dernières pouvant, soulignons-le, être utilisés pour du cabotage intérieur en France tels Paris-Lyon, Chambéry-Modane (Trenitalia), Lyon-Nîmes Centre ou Montpellier-Perpignan (Renfe)…
« Prendre le train » sans se soucier de savoir quelle compagnie
Sans nier les apports de la concurrence ou, surtout, de la régionalisation qui a enfin rapproché la décision du terrain après des décennies de diktats centraux qui ont dévasté le réseau régional, la Fnaut propose donc vingt-trois solutions pour mettre un peu d’ordre dans ce maquis et restituer l’effet réseau, celui qui permet de dire « je vais prendre le train » sans se soucier de savoir quelle « compagnie ».
En matière d’information, la Fnaut exige d’abord la création d’un « guichet unique » multi-opérateurs pour « trouver l’information sur son trajet en un seul lieu ». Elle demande que l’information soit exhaustive et compréhensible sur l’accessibilité ; que l’information sur les modes de correspondance soit disponible dans toutes les gares ; que soit créée une numérotation « claire et harmonisée des lignes et des services », à l’image des réseaux urbains ; que l’information soit « claire et concise ».
En matière de distribution et de billettique, elle propose trois solutions : acheter facilement sur « un guichet unique » (on espère numérique, sur bornes mais aussi humain) de l’ensemble des titres, quel que soit l’exploitant ; pouvoir acheter « de manière non dématérialisée » les titres régionaux et ne pas être sanctionné à bord si tel n’est pas le cas ; disposer d’un format de billet standard pour faciliter les déplacements et le contrôle de son titre (type billet carton unique en Suisse).
En matière de tarification, la Fnaut expose cinq revendications : avoir la certitude de payer le même prix quel que soit le canal de distribution (ce qui n’est pas le cas pour SNCF Voyageurs qui favorise le canal internet pour Inoui) ; disposer d’un billet flexible qui permet de monter à bord de tous les trains pour un trajet donné quels que soient l’opérateur ou le type de service (ce qui entame le dogme de la concurrence systématique et de la fragmentation de l’offre) ; imposer les droits des cartes commerciales et tarifs sociaux sur tout le territoire et pour tous les services, et « harmoniser les conditions tarifaires régionales » ; « Comprendre la façon dont le prix de son billet est calculé ; enfin, supprimer « les conditions abusives ou inéquitables » si l’on reporte ou annule son voyage.
En matière de droits des voyageurs, la Fnaut énumère cinq autres points : information sur les droits ; dédommagement ou prise en charge dans les mêmes conditions quels que soient les transporteurs ; assurance de pouvoir se rendre à destination en cas d’arrivée tardive consécutive à un retard ; possibilité d’annuler en cas de grève et prendre un autre train si un train est annulé ; faciliter le recours à la médiation.
En matière de qualité et de service à bord, la Fnaut énumère cinq exigences : définir des conditions claires pour le transport des vélos ; possibilité d’être accompagné à son train par des proches (donc assouplissement de l’accès si contrôles d’embarquement) ; garantir des toilettes, de la restauration et un service de bagages ; fiabiliser l’information à bord (surtout en cas de retard) ; créer un numéro d’alerte unique pour tous les trains français.
Rames AGC des services TER de la région Occitanie, dénommés "LiO", saisies à Nîmes Courbessac. Les livrées hétérogènes trahissent l'instabilité des coûteuses politiques d'image et de communication des autorités organisatrices. ©RDS
Ces exigences visent à « replacer l’usager au centre du système ferroviaire ». Leur logique vise à sortir de l’inversion actuelle qui consiste à mettre le voyageur au service de l’intérêt des transporteurs. Elles entament le dogme de la concurrence « libre et non faussée » et de la dissociation entre offres régionales et offres nationales. Elles visent in fine à rétablir l’ordre logique qui consiste à soumettre la compétition entre exploitants (qu’ils soient délégataires de service public en TER et Intercités ou compétiteurs en libre accès) au principe capital d’unité du réseau ferroviaire voyageurs. Un chemin de fer simple d’accès, fréquent et maillé constitue une outil indispensable à l’équité territoriale et sociale.