Fret ferroviaire en France : tendance positive depuis trois ans mais prix de l'énergie, grèves et sous-investissements menacent
Les nouvelles sont contrastées du côté du fret ferroviaire en France. Si la part de marché du rail a crû à 11 %, gagnant deux points par rapport à 2019, les professionnels du transport de TLF estiment que sans une réforme de la conception des sillons et de nouvelles plateformes multimodales, le doublement de la part modale du rail à l’horizon 2030 restera un vœu pieux. D’autant que les dernières tendances, impactées par les grèves et l’envolée des prix de l’énergie, ont un impact ce printemps très inquiétant sur le trafic fret ferroviaire en France, ainsi que l’a rapporté le président de l’alliance 4F (Fret ferroviaire français du futur), Raphaël Doutrebente devant le Sénat. Le patron des chemins de fer suisses Vincent Ducros a déploré pour sa part devant le Club VRT que la France ait séparé exploitation et infrastructure et affiche un retard dramatique en matière de qualité du réseau.
Dans un entretien publié par Transportinfo.fr, Jérôme Douy, directeur délégué de l’organisation patronale «Transport et Logistique de France » (TLF) pour les pôles multimodal, développement durable et logistique urbaine explique au journaliste Marc Fressoz que les engagements pris par l’Etat pour aider le fret ferroviaire vont dans le bon sens : « Nous constatons une réelle volonté des acteurs publics d’améliorer la qualité de service et de développer le rail. SNCF Réseau travaille par exemple sur des outils plus adaptés pour les affectations des sillons. L’État a pris des engagements financiers pour le fret et un schéma pour implanter de nouveaux terminaux de combiné est en cours ».
La question de l’avenir de Fret SNCF préoccupe les professionnels de TLF
Jérôme Douy travaille chez TLF sur ce sujet avec le président de la commission ferroviaire et directeur général, Jean-Philippe Delmont, par ailleurs dirigeant de VTG Rail Logistique France, spécialiste du transport ferroviaire de fret avec ses 84.000 wagons et 5.000 citernes qui parcourent les réseaux ferrés d’Europe.
Concernant le sort de la filiale du groupe SNCF menacée par Bruxelles, Jérôme Douy estime ne pas pouvoir envisager que l’Etat « laisse Fret SNCF disparaître », tout en notant que d’autres tractionnaires sont présents. Rappelons que les importantes aides publiques à Fret SNCF ont été condamnées par la Commission européenne au nom de la « concurrence libre et non faussée ». L’Etat envisage en conséquence de l’obliger à abandonner les trains multimodaux, ceux dont la croissance est la plus rapide, à ses divers concurrents (ou filiales au statut privé ?) pour ne conserver que les trains de lotissement, qui sont structurellement handicapés par la rétraction continue du réseau capillaire et la diminution drastiques du nombre de triages. (1)
Triage de Miramas. Entre les ports marseillais et les lignes rayonnant vers la vallée du Rhône, le Sud-Ouest et la Provence sa situation est stratégique. Un temps menacé, sa relance et sa modernisation sont en cours. Il reste toutefois de nombreuses autres points nodaux fret (triages, chantiers multimodaux) à réactiver ou créer.
On rappellera qu’au début des années 2000, Fret SNCF a purement et simplement supprimé son service de « wagons isolés », décision qui entraîné la fermeture de centaines de gares fret régionales et d’embranchements particulier, tels celui de l’usine Syngenta à proximité de Lunel (Hérault) qui recevait quelques wagons depuis la Suisse chaque semaine, pour ne prendre qu’un exemple. Ces suppressions ont, par effet domino, entraîné la suppression de présence humaine polyvalente dans les petites gares, sans parler des fermetures de lignes. Depuis peu, fret SNCF a toutefois tenté de relancer ce type de service, désormais baptisé « Multi Lots Multi Clients », qui connaît un certain succès mais sur un réseau largement amputé.
Faciliter l’accès aux transferts modaux, axe de la campagne de TLF
Jérôme Douy insiste sur l’importante campagne de TLF auprès de ses adhérents destinée à faciliter l’accès aux transferts modaux de la route vers le rail et la voie d’eau, démontrant ainsi à l’Etat la participation du secteur à l’effort collectif. Il diffuse depuis peu auprès de ses adhérents un guide sur le fonctionnement de la logistique ferroviaire. « C’était assez naturel, explique-t-il, car nous comptons dans nos rangs des transporteurs, des organisateurs de transport, des logisticiens, des architectes de solutions logistiques… ». « En 2021, poursuit-il, nous avions défini la feuille de route de la logistique ferroviaire qui traçait les grands axes de notre commission ferroviaire. La pédagogie est ressortie comme une demande importante. » Il relève que beaucoup d’adhérents de TLF ont fait le choix de la route « pour des questions de facilité » et qu’il convient « d’outiller » les organisateurs de transport pour qu’ils puissent proposer toutes les solutions modales. Il regrette que les cursus de formation de TLF aient été plutôt tournés vers la route jusqu’à présent.
Le responsable de TLF note « plus qu’un frémissement » dans le report modal vers le rail et la voie d’eau, qui ne tient pas seulement des nouvelles contraintes liées au concept et aux réglementations de la « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE): « Au regard de la complexité de la transition énergétique pour les véhicules lourds ou encore du manque de chauffeurs, il est plus simple de basculer certains trafics sur le rail. » C’est ainsi, constate TLF, que la part modale du ferroviaire est passée de 9 % en 2019 à 11 % aujourd’hui. Mieux, la tendance s’amplifie puisque, explique Jérôme Douy, « le nombre de sillons commandés est en hausse de 10 % pour le fret conventionnel et de 19 % pour le combiné qui, en tonnes-kilomètres, progresse de 12 % depuis 2022 ».
Convoi de citernes en transit à Avignon Centre. Le nombre de sillons commandés bondit encore. Mais le retournement dû au prix de l'énergie, aux grèves au aux plages travaux annoncées va-t-il permettre aux entreprises ferroviaires de concrétiser leurs réservations ? ©RDS
Le syndicat des entreprises Transport et Logistique de France représente l’ensemble des métiers de la chaîne transport-logistique, promeut et défend les intérêts de la profession auprès des pouvoirs publics, du local à l’international. Sa commission ferroviaire, explique le site de TLF, « est constituée de représentants d’entreprises commissionnaires de transport ferroviaire qui s’emploient chaque trimestre à valoriser les modes massifiés, tant auprès des entreprises que des pouvoirs publics, et participer à l’élaboration du cadre social, juridique et règlementaire de l’activité ferroviaire ».
Devant les sénateurs Raphaël Doutrebente, président de 4F, alerte sur un retournement de situation
La situation, toutefois, après s’être améliorée, se dégrade depuis ce printemps, a alerté le président de l’alliance 4F, Raphaël Doutrebente. « 4F » réunit tous les acteurs du fret ferroviaire, des tractionnaires aux logisticiens. TLF est au demeurant l’un de ses adhérents. (2)
« Depuis juillet, en raison de difficultés inédites – le coût de l’énergie et quatre mois de grèves – on enregistre une chute de 19,6 % du fret (ferroviaire, NDLR) conventionnel et de 23,7 % du combiné », a déclaré le président de 4F, ce 11 juillet, devant la commission sénatoriale de l’aménagement du territoire. Cette chute spectaculaire contraste fortement avec la tendance chez les voisins européens de la France : « Simultanément, la hausse est de 22 % en Italie », a relevé Raphaël Doutrebente.
Cette situation est pour partie conjoncturelle mais pourrait devenir structurelle si le climat social désastreux qui règne à la SNCF – et singulièrement à SNCF Réseau, qui fut un acteur décisif de la paralysie du réseau lors des grèves récentes – ne s’améliorait pas. L’autre menace qui risque d’entraver une reprise de la croissance du fret ferroviaire est l’état désastreux du réseau classique. Rappelons que les lignes nouvelles françaises n’acceptent aucune circulation fret – au contraire de certaines importantes lignes nouvelles allemandes - à l’exception des 60 km de la section mixte du Contournement de Nîmes et Montpellier.
Viaduc du Contournement de Nîmes et Montpellier franchissant la ligne 3 du tramway de Montpellier, à l'est de l'ouvrage enjambant le fleuve côter Lez. Le CNM permet la cohabitation fret-voyageurs, mais avec une vitesse maximale our l'instant limitée à 220km/h pour les circulations voyageurs. ©RDS
Raphaël Doutrebente a asséné des chiffres calamiteux au sujet de l’investissement public dans la maintenance et la modernisation du réseau. Le chiffre est de 45 € par habitant en France alors qu’il est treize fois plus important aux Pays-Bas, neuf fois plus important en Suisse, deux fois plus important en Allemagne et en Italie, pays comparables en terme de taille et de population.
Ce sous-investissement public induit un retard dans les performances du réseau – archaïsme de la gestion du trafic, limitations de vitesse… -, un impact plus important des travaux sur les circulations, SNCF Réseau étant souvent obligé de réaliser des économies sur la conception des chantiers et la poursuite de la dramatique politique de fermetures de lignes de desserte fine du territoire.
Le verdict sans appel du patron des chemins de fer suisses, Vincent Ducros
Nous terminerons en évoquant le point de vue décoiffant de Vincent Durcos, directeur général des Chemins de fer fédéraux suisse (CFF). Devant le Club VRT (« Ville, Rail et Transports », groupe La Vie du Rail), le patron du réseau helvétique a dénoncé ceux qui ont théorisé et appliqué la séparation de l’infrastructure et de l’exploitation en France, à savoir la Commission européenne (qu’il s’est gardé de citer) appliquant les traités européens conçus par les gouvernements. (3)
Vincent Ducros a estimé que la président de la SNCF Jean-Pierre Farandou, au demeurant cheminot expérimenté, « n’a aucun moyen » : « Regardez l’état du réseau ferroviaire français II a encore 14.000 systèmes d’enclenchement. Les investissements n'ont pas suivi ». Le patron des CFF a ajouté : « Chez nous, il ne reste plus que quatre centres de gestion du trafic, tout le reste est centralisé. Désormais, nous allons vers une nouvelle génération digitale pour les aiguillages. La France dispose de plus de 30.000 km de lignes (chiffre d’après nous notablement surestimé, NDLR), alors que nous en avons 7.000 et la SNCF doit entretenir son réseau avec un tiers de notre budget. le comprends que le système ne soit pas plus fiable avec les moyens dont il dispose. »
Manoeuvres fret ferroviaire en gare de Sierre (Valais) au service de l'embranchement de l'usine d'aluminium Constellium Valais SA sur la ligne Lausanne-Brigue. On notera l'excellent état des voies du faisceau fret. A Issoire (Auvergne), l'usine d'aluminium Constellium a renoncé au rail malgré l'existence d'un embranchement particulier sur la ligne Nîmes-Clermont-Ferrand... ©RDS
La superficie de la Suisse est de 41.285 km2, inférieure à celle de la région voisine Auvergne-Rhône-Alpes (69.711 km2) et treize fois inférieur à celle de la France métropolitaine (543.940 km2).
Laurent Fauviau, membre du bureau du Comité d’entreprise européen de la SNCF, souligne que côté suisse « un fonds pérenne permet de consacrer chaque année 4,5 milliards de francs suisses en entretien et en développement », ce qui permet « une planification des investissements à très long terme » dans le respect de « l’intégration de l’exploitation des trains et de l'infrastructure ». Ce fonds a été ratifié par une votation populaire.
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(1) Lien vers l'intégralité de l'entretien de M. Douy, réalisé par Marc Fressoz :
Face à un vrai besoin du secteur du TRM, TLF accentue ses efforts pour acculturer ses adhérents au rail et à la voie d'eau comme l'explique Jérôme Douy directeur délégué des pôles multimodal, développement durable et logistique urbaine [...]
https://www.transportinfo.fr
(2) Lien vers la retransmission de l'audition de M. Doutrebente par la commission sénatoriale :
(3) Lien vers la retranscription de l'intervention de M. Ducros par "Ville, Rail & Transports" (accès payant) :
Vincent Ducrot dirige depuis avril 2020 l'une des plus prestigieuses compagnies ferroviaires : les CFF, connus pour la ponctualité de leurs trains, leur fiabilité et la satisfaction de leurs clients.
https://www.ville-rail-transports.com