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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
25 février 2024

L’UE veut un transport sobre mais va autoriser les conteneurs de 48 pieds incompatibles avec le rail, et les méga-camions

 L’Union européenne s’apprête à augmenter la dimension et la masse maximale des véhicules routiers admis sur les parcours transfrontaliers, créant une distorsion de concurrence aux dépens des chemins de fer en raison de l’incompatibilité de cette nouvelle norme appliquée aux conteneurs avec les réseaux ferrés existants. Ce texte est vivement dénoncée par la CER, communauté réunissant opérateurs et gestionnaires d’infrastructures ferroviaires européens (CER - Community of european railways and infrastructures companies) qui estime que cette décision pourrait induire un report modal inversé… du rail vers la route.

 L’UE déploie ainsi, entre obligations environnementales et financement massif des corridors ferroviaires transeuropéens d’une part, concession à la route excluant le rail d’autre part, une véritable injonction contradictoire. C’est « une stratégie désarticulée » déplore un spécialiste britannique de la logistique, Alan Kennedy.

Des conteneurs de 48 pieds, soit 14,63 m de longueur et 2,997 m de hauteur

 La commission TRAN du Parlement européen a voté mi-février une révision de la directive WDD (Weights and Dimensions Directive, Directive sur le poids et les dimensions) des véhicules routiers, en la découplant de la révision de la Directive sur les transports combinés (CTD, Combined Transport Directive). Or cette décision, une fois appliquée, créerait une distorsion de concurrence considérable aux dépens du transport combiné rail-route.

Conteneur 48 piedsConteneurs 48 pieds, et de plus en gerbage deux niveaux sur train... mais c'est en Amérique du Nord, où les gabarits de certaines lignes le permettent. Il n'en est rien en Europe, même sur un seul niveau.

 De fait, la directive crée une incitation immédiate pour les véhicules routiers plus gros et plus lourds sur les opérations transfrontalières : elle encourage en particulier l’utilisation de conteneurs de 48 pieds soit 14,63 m  de longueur, 2,5 m de largeur et 2,997 m de hauteur  dans le transport intermodal. L’admission sur route de ces dimensions, actuellement maximales dans l’industrie du conteneur, auront pour effet d’entraver l’intermodalité en excluant la possibilité d’utiliser le chemin de fer en Europe en raison de leurs gabarits maximaux. Les conteneurs les plus courants sont les conteneurs de 20 pieds, soit 6,05 m de longueur, 2,43 m de largeur et 2,59 m de hauteur. Les conteneurs de 48 pieds sont admis sur plusieurs réseaux nord-américains ou australiens, y compris en double stack (deux niveaux) pour certains d’entre eux dont les gabarits sont extrêmement généreux.

 La directive permet de ce fait l’introduction sur nos routes de « méga-camions » (gigaliners), admettant les volumes de conteneurs 48 pieds, susceptible de mettre en péril le transport ferroviaire de marchandises sur de longues distances et les objectifs de décarbonisation de l’UE.

 Le CER, comme de nombreuses autres organisations professionnelles du secteur ferroviaire ont régulièrement expliqué que l’augmentation des dimensions et de la masse des véhicules routiers handicapera les trafics intermodaux, induisant une baisse de la performance globale en termes d’énergie et d’émissions et, in fine, un report modal inversé du rail vers la route. Cette décision, encouragée par les lobbies de la route et du transport maritime, est évidemment favorable aux secteurs routier et naval puisqu’elle permet d’augmenter la productivité de leurs opérations.

Une incitation à l’utilisation de véhicules routiers plus gros et plus lourds

 Alors que la circulation de biens est annoncée en augmentation continue pour les prochaines décennies, « le WDD crée une incitation immédiate à l’usage de véhicules routiers plus gros et plus lourds sur les trafics transfrontaliers, offrant à la route un avantage compétitif accru », dénonce le CER.  La communauté ferroviaire européenne ajoute : « Tandis que le rail a appliqué les normes européennes d’émissions depuis des décennies, tirant parti des réseaux (électriques) européens et participant aux coûts de la très nécessaire transition énergétique, les autres modes de transports sont loin d’être dans cette situation, eux qui ne seront que graduellement soumis aux mêmes normes à partir de 2030 ».

CargobeamerConvoi de remorques routières organisé par la firme allemande Cargobeamer, sur des wagons spécialisés de sa propre conception. L'admission de caisses de 14,63 mètres de longueur et près de 3 m de hauteur ne serait pas admissible. (Doc. Cargobeamer) 

 L’institut de recherche scientifique et technique D-fine, société européenne basée à Francfort qui élabore des solutions « innovantes et pérennes » par des applications technologiques « durables », a été chargée d’une étude sur le sujet par l’UIRR (Union internationale du transport combiné rail-route), la CER, l’ERFA (Association européenne du transport ferroviaire de fret), l’UIP (Union internationale des propriétaires de wagons) et l’UIC (Union internationale des chemins de fer). Son rapport a clairement démontré qu’une fois appliquée, la nouvelle norme européenne permettant l’augmentation de la masse et des dimensions des poids-lourds permettrait au transport routier d’augmenter sa compétitivité et de capter des parts de marché au mode ferroviaire, pourtant bien plus efficace et en termes énergétiques et moins émetteur de gaz. Il en résultera une augmentation des émissions par tonne de marchandises transportée, ce qui est l’exact contraire des objectifs  du WDD et contredit les objectifs de décarbonation des transports fixés par… la même Union européenne.

 La CER regrette de même que les objectifs fixés aux transports transfrontaliers par les véhicules à combustion de 44 tonnes restent inchangés. Aucune restriction n’a été ajoutée en vue de fixer un objectif en matière de véhicules à « zéro émission » ou pour rapprocher l’échéance pour l’élimination des véhicules à combustion interne, mesures souhaitées par le rapporteur, soutenu par certains députés européens. Seuls quelques pas ont été consentis concernant  les véhicules relevant de l’EMS (European modular system), qui autorise les Etats à permettre la circulation de poids-lourds dépassant les normes de 16 m de longueur et 40 tonnes de PTAC : introduction de nouvelles mesures de protection… avant déploiement de véhicules allongés et alourdis dans les trafics transfrontaliers.

Les conteneurs de 48 pieds « vont handicaper l’intermodalité »

 Finalement l’idée, jugée « incorrecte » par la CER, que les conteneurs « plus grands et plus lourds » ajouteront de la valeur aux opérations, demeure à la clé de l’argumentaire du projet de directive. La CER souligne que la création d’une incitation à l’usage de conteneurs de 48 pieds en transport intermodal va en vérité handicaper l’intermodalité en excluant la possibilité la possibilité d’utiliser le chemin de fer. La dimension des caisses deviendra incompatible avec les gabarits ferroviaires – alors que sur certains axes d’importants travaux ont déjà été accomplis pour augmenter ces derniers. La masse de ces conteneurs géants pourrait elle aussi poser problème aux réseaux ferrés.

 Il convient de rappeler que le transport ferroviaire est neuf fois plus efficace en matière d’émissions de CO2 que le transport routier. Il est sept fois plus efficace en matière énergétique que la route, ce qui revêt une importance critique alors que l’Europe dépend de pays extérieurs à son périmètre pour 58 % de ses besoins énergétiques.

IMG_20220917_113029Convoi de remorques de poids-lourds sur wagons surbaissés tractés par Fret SNCF au passage en gare de Montpellier Saint-Roch. Il n'a pas emprunté le Contournement de Nîmes et Montpellier pourtant par définition destiné à ce type de circulations mais dont le graphique est désormais chargé de la moitié du flux TGV, gourmand en sillons. ©RDS

Les poids-lourds et les autocars ou autobus sont responsables de 28 % des émissions de gaz à effet de serre par la route et de 34 % de ses émanations d’oxyde d’azote.

 On rappellera aussi qu’un conducteur de locomotive peut remplacer 40 chauffeurs de poids-lourds, avantage significative face aux difficultés de recrutement des conducteurs routiers en Europe. Le rail utilise massivement l’énergie peu carbonée produite en Europe, avec une contribution croissante des renouvelables et autres sources d’électricité à faibles émissions, permettant une mobilité « zéro émission » pour la mobilité d’une partie du trafic passagers et fret. Enfin, la CER souligne que l’industrie ferroviaire européenne, de réputation mondiale et acteur de la compétitivité du continent et de son autonomie stratégique, est susceptible d’être indirectement affectée par la nouvelle directive qui réduirait la demande, tant de la part des réseaux que des opérateurs.

Alberto Mazzola, patron de la CER : « La directive met en péril cet important segment du marché ferroviaire »

 Alberto Mazzola, directeur général de la CER et ancien cadre dirigeant aux Ferrovie dello Stato italiens, déplore le vote du Parlement en ces termes : « Malheureusement, ce vote au sein de la commission TRAN sur la directive sur les poids et les dimensions ouvre la porte à l’augmentation du poids et de la taille des camions dans toute l’Europe au profit d’une charge utile supplémentaire plutôt que du déploiement de batteries, et ce pour au moins les dix prochaines années. L’extension de l’utilisation des gigaliners au trafic transfrontalier ouvrira de facto davantage le marché des grandes distances aux opérateurs routiers, mettant en péril cet important segment de marché ferroviaire et les objectifs de décarbonisation de l’UE. »

Alberto-Mazzola CER RailtargetAlberto Mazzola, directeur général de la CER, met en garde contre la mise en péril du ferroviaire transfrontalier au moment même où l'UE cofinance les importants travaux de nouvelles liaisons transeuropéennes, telles le Lyon-Turin, sont tunnel de base et ses voies d'accès. (Doc. Railtarget)

 La CER réunit la plupart des gestionnaires d’infrastructure européens parmi lesquels SNCF Réseau, DB Netz ou les CFF, qui représentent 78 % de la longueur totale des lignes du continent. Elle a pour membre les opérateurs qui assurent au total 81 % du volume d’affaires dans le fret ferroviaire et 94 % du trafic voyageurs. Outre les 27 Etats membres de l’UE, elle rassemble les entreprises de Suisse, du Royaume-Uni, des quatre Etat balkaniques candidats à l’admission dans l’UE, la Bosnie-Herzégovine et entretient des partenariats avec la Géorgie, Israël, la Moldavie et l’Ukraine.

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Commentaires
J
On a beau être Européen, parfois on a du mal à croire que nos Zélites/Zélus Européens le soient autrement qu'à travers leur porte monnaie...<br /> <br /> A force d'obéir aux lobbies, ils nous forcent à penser comme certains en rêve, au Frexit.<br /> <br /> Un grand bravo à eux !!!
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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