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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
19 septembre 2022

Fret ferroviaire : le plaidoyer rail-route de Jean-Claude Brunier, patron d’Open Modal, l'injonction de l’ART à SNCF Réseau

Le secteur du transport génère près de 38 % des émissions de CO2. Quel que soit le rôle de ce gaz, la proportion indique à quel point ce secteur, et en son sein la route, est un consommateur majeur d’énergie fossile. C’est sur cette constatation que Jean-Claude Brunier, PDG d’Open Modal, un acteur-clé du transport ferroviaire de caisses mobiles rail-route, entame son plaidoyer pour cette solution qui permet d’allier la productivité du rail sur les grandes distances et la finesse de la route pour les derniers kilomètres, particulièrement dans une France dont le réseau ferroviaire de desserte fine a été massivement démantelé depuis les décrets de 1934 puis la création de la SNCF en 1934 (1).

Mais ce plaidoyer est accompagné d’un réquisitoire. Jean-Claude Brunier dénonce en effet la désorganisation des travaux qui limitent les flux et la relégation des trains de fret dans le graphique des circulations au bénéfice des circulations voyageurs. Il se trouve que l’Autorité de régulation des transports vient de faire droit à plusieurs doléances des opérateurs vis-à-vis de SNCF Réseau, certaines recoupant celles du patron d’Open Modal.

Le transport ferroviaire par trains complets consomme six fois moins d’énergie que la route

 Dans son plaidoyer, Jean-Claude Brunier explique :« Alliant les avantages du transport par la route et du transport par le rail, le TCRR (Transport combiné rail-route) permet de transporter une grande quantité de marchandises tout en réduisant l’impact environnemental du fret. Par exemple, sur un trajet de 600 km et à poids équivalents, plus d’une tonne de CO2 est économisée grâce au Transport Combiné Rail Route, soit l’équivalent d’un an de chauffage au gaz pour un 3 pièces à Paris, un aller-retour Paris-New York en avion ou encore 8 500 km parcourus par un 4×4 en ville ! »

DSC04600Aperçu du chantier intermodal d'Avignon. Le passage de la route au rail sur les longs parcours, avec des trains dépassant parfois désormais les 750 mètres pour atteindre 850 m acceptés sur certains axes, permet des économies d'énergie considérables... ©RDS 

 Certes, explique-t-il, les premiers et derniers kilomètres sont assurés par camions. Mais, relève le patron d’Open Modal,  « plusieurs acteurs majeurs du secteur, tels que TAB Rail Road proposent à leurs clients de circuler avec des véhicules alimentés au bioGNV, réduisant ainsi fortement les émissions de CO2 et de particules polluantes. »

 Le groupe Open Modal vient de manifester son engagement en lançant les travaux de son futur terminal Ouest Provence. Ce terminal multimodal sera situé sur les communes de Miramas et de Grans, à proximité des bassins du Grand Port Maritime de Marseille. Avec une capacité de traitement de 400 UTI entrée/sortie par jour, ce terminal sera digitalisé et réputé décarboné, ayant essentiellement recours à l'énergie électrique. 

 Le transport ferroviaire par trains complets nécessite six fois moins d’énergie que la route et permet de transporter un grand nombre de caisses mobiles avec des trains allant jusqu’à 120 km/h, autre argument qui permet de réduire le nombre de circulations routières de bout en bout. Un autre grand acteur du secteur rail-route, VIIA, filiale de la SNCF  spécialisée dans les autoroute ferroviaire, rappelle qu’avec 146.000 unités transportées en 2021, il a permis, à lui seul, d’économiser 120.000 tonnes de CO2 par rapport à une solution entièrement routière. Et VIIA entend « multiplier par quatre son activité entre 2020 et 2030 ». (2)

 Le transport combiné utilisant les grands axes ferroviaires, presque entièrement électrifiés en France, la filiale de la SNCF relève  qu’elle « permet de réduire de plus de 93 % les émissions de CO2 par rapport à la route », et donc la consommation d’énergie primaire, la production d’électricité en France étant massivement « décarbonée » grâce aux centrales électronucléaires et hydrauliques.

Aides de l’Etat mais dégradation du réseau

 Conscient de cet enjeu, l’Etat français a pris des mesures en faveur du secteur ferroviaire : aide au péage des sillons à SNCF Réseau, dont les tarifs sont les plus élevés d’Europe, divisant leur prix par deux ; aide complémentaire pour compenser l’augmentation du prix de l’énergie électrique ; aide au coup de pince qui compense pour partie le coût du transfert de la route vers le rail. « Toutes ces aides ont permis au secteur de reprendre la main, d’être plus offensif afin de se mettre en ordre de bataille pour augmenter les capacités et montrer la résilience du Transport Combiné Rail Route », relève Jean-Claude Brunier.  

 Mais pour augmenter la part modale du rail dans le transport des conteneurs et remorques de poids-lourds,  de nombreux frein demeurent. Le patron d’Open Modal souligne « la dégradation du réseau » et particulièrement de la qualité des sillons « véritable frein à un développement sain et pérenne de notre activité ».

DSCN4188Approche d'une rame ECR (groupe DBAG) à Lyon Perrache en avril 2021 sur la jonction de la ligne de la rive droite du Rhône. La qualité du réseau français, en manque notoire d'investissement pour sa modernisation, paraît être le premier frein au développement du fret ferroviaire. ©RDS

 Selon Jean-Claude Brunier, cette dégradation est causée par deux principaux facteurs : « L’accumulation des travaux sur le réseau ferré qui, mal programmés et non accompagnés par des mesures d’adaptation pour la circulation des trains, détruisent les sillons petit à petit » et « la marginalisation du fret ferroviaire et du Transport Combiné (…) par rapport au transport de voyageurs » bien qu’il ait été revalorisé ces dernières années par les horairistes et régulateurs. « Pour un départ entre 17 h 00 et 20 h 00 depuis notre terminal Valenton-Bonneuil en direction du Sud de la France, seulement une dizaine de sillons sur 250 sont disponibles pour le transport combiné à la hauteur de Villeneuve-Saint-Georges », souligne l’opérateur.

Les doléances de T3M, Captrain, Europorte, Régiorail

Ces doléances sont largement partagées par les entreprises ferroviaires du secteur opérant en France. Quatre d’entre elles ont déposé, sur le fondement de l’article L. 1263-2 du Code des Transports, un recours contre SNCF Réseau auprès de l’Autorité de régulation des transports (ART) : T3M (filiale d’Open Modal) ; Captrain France, (filiale de Fret SNCF) ; Europorte (filiale de Getlink, ex-Eurotunnel) ; Régiorail (filiale d’Eurorail, elle-même filiale du groupe américain Railroad Development Corporation).

 Par sa décision du 6 septembre 2022, l’ART a fait droit aux deux tiers des demandes formulées par ces entreprises et a prononcé plusieurs injonctions tendant « à ce que SNCF Réseau améliore ces conditions d’accès et, partant, la qualité de service offerte aux opérateurs, essentielle à la compétitivité du fret ferroviaire par rapport au transport routier et à l’atteinte de l’objectif de doublement, d’ici 2030, de sa part modale pour le transport de marchandises ».

IMG_20210806_145233275Passage d'une rame de conteneurs sur la courbe de la gare d'Orange. En revanche, les entrepôts ferroviaire (à g.) et la ligne de desserte fine et de contournement d'Avignon reliant Orange à Carpentras et L'Isle-Fontaine de Vaucluse sont fermés pour les premiers, abandonnée pour la seconde. ©RDS

Les quatre entreprises avaient formulé une trentaine de demandes visant à ce que l’Autorité enjoigne à SNCF Réseau de faire évoluer  les procédures d’allocation des sillons, l’encadrement et l’utilisation des capacités de l’infrastructure réservées par SNCF Réseau afin de réaliser des travaux et  les principes et procédures d’indemnisation et de réclamation.

Transparence, pénalités, indicateurs de performance

 L’ART a prononcé plusieurs injonctions à l’intention de SNCF Réseau. La première exige « une amélioration de la transparence de certains critères et processus prévus dans le document de référence du réseau, en lien avec les différentes étapes de la procédure d’allocation des sillons, et des informations communiquées aux opérateurs ferroviaires concernant la programmation et l’utilisation des capacités de l’infrastructure réservées par SNCF Réseau pour des travaux ».

 La deuxième demande la mise en place des mécanismes de pénalités incitant SNCF Réseau à respecter certains délais fixés dans le document de référence (délais de traitement de certaines catégories de demandes de sillons et des réclamations portées par les opérateurs ferroviaires) ou à éviter des situations préjudiciables à l’accès au réseau (absence d’utilisation effective de capacités réservées par SNCF Réseau pour des travaux).

IMG_20210629_200902585Rame de remoques reoutières embarquées au passage de la gare de Béziers. L'axe entre l'Espagne de l'est et le couloir rhodanien est un couloir majeur pour le trafic rail-route. Cette caractéristique justifie la demande de nombreuses parties prenantes qui exigent que la future ligne Montpellier-Perpignan soit mixte TGV-fret de bout en bout, en non seulement entre Montpellier et Béziers. ©RDS

La troisième injonction concerne l’établissement et la publication par le gestionnaire d’infrastructure de nouveaux indicateurs de suivi de sa performance. Enfin l’ART demande la modification des principes et procédures d’indemnisation des opérateurs ferroviaires, en particulier lorsque SNCF Réseau, de son initiative, supprime ou dégrade l’état d’un sillon ayant été préalablement attribué, afin de les rendre plus équitables.

L’ART maintient le principe des sillons « à l’étude » qui handicape les entreprises ferroviaires

L’ART a également recommandé à SNCF Réseau de procéder à une refonte globale des phases amont du processus de répartition des capacités de l’infrastructure, afin de tendre vers une utilisation plus optimale et plus équitable du réseau.

 En revanche, l’ART n’a pas fait droit aux demandes des quatre entreprises concernant la suppression de la procédure de placement de sillons réputés « à l’étude », l’augmentation à chaque service d’un taux de sillon alloués de façon ferme à chaque service, ainsi que l’augmentation des délais pour confirmation des capacités réservées aux travaux.

 Mais SNCF Réseau est confronté au cadre budgétaire étriqué que lui impose l’Etat, aggravé par le dernier « contrat de performance » signé en catimini juste avant les dernières élections. Rappelons que c’est la même ART qui a dénoncé devant la représentation nationale la « contre performance industrielle » que l’Etat impose au gestionnaire d’infrastructure.

T3M

Rame multimodale tractée par Combirail, du groupe Open Modal, sur un axe principal électrifié: illustration de la sobriété énergétique par massification et faiblesse de la résistance à l'avancement, mais aussi économie la ressource primaire carbonée, l'électricité française étant pour sa production largement indépendante des hydrocarbures, du charbon et du gaz. (Doc. T3M)

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(1) Open Modal, fondé en 2013, est un groupe familial basé à Saint Jean-de-Védas près de Montpellier, spécialisé dans le transport combiné rail route, composé de quatre sociétés opérationnelles : TAB Rail Road, transporteur routier de marchandises ; T3M, opérateur de transport combiné ; BTM, opérateur de terminal multimodal ; et Combirail, entreprise ferroviaire qui assure la traction.

(2) VIIA, créée en 2012, est une filiale de Fret SNCF spécialisée dans le transport de remorques de poids-lourds sur des wagons-poches surbaissés. Elle a repris et développé les autoroutes ferroviaires Aiton-Orbassano (France-Italie), Le Boulou-Bettembourg avec l’entreprise de construction de wagon-poches Lorry Rail (partiellement étendue à Figuères et Barcelone en Espagne), puis Le Boulou-Calais,  Calais-Orbassano, ainsi qu’une escale à Mâcon.                          

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Commentaires
M
hier soir dimanche 2 octobre, un train Belfort- Vesoul( 18 h 49)- Troyes, est prolongé à Paris par... bus
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D
L'hécatombe récente d'un certain nombre de lignes qui pouvaient servir d'itinéraire bis pour les trains de fret ne facilite pas non plus les circulations. Durant un certain temps le dogme était que tout devait pouvoir passer par quelques lignes déjà bien sollicitées donc garder une ligne juste pour servir de transit on n'y pense même pas. En fait il n'en reste qu'une poignée en France: Montérollier Buchy Motteville, Montereau Flamboin Gouaix, Cavaillon Pertuis et Rognac Aix (cette dernière étant en sursis). <br /> <br /> En cas de travaux, des lignes de desserte fine pouvaient proposer un itinéraire bis aux trains de fret. Par exemple entre Dijon et Toul, la ligne Nancy Merrey permettait de détourner quelques trains. (Plus possible depuis 2016). En cas de travaux dans le tunnel de Chaudenay au Nord de Culmont,la ligne Langres Andilly permettait de maintenir quelques trains (fini depuis 1990). Plus de possibilité d'envoyer des wagons à grand gabarit vers la côte d'Azur via la ligne Gardanne Carnoules. Un certain nombre de lignes céréalières de la Beauce ont été tronçonnées au lieu d'être utilisées comme itinéraire d'accès aux ports. Une ligne de rocade fret comme Chalons Troyes a été coupée... à l'entrée de Troyes.<br /> <br /> Du côté des lignes principales il y a aussi une hécatombe des voies de dépassement en ligne pour permettre aux TER et IC de dépasser les trains de fret. Certes il y a des zones métropolitaines où les TER sont nombreux en heure de pointe mais la situation actuelle est surtout le résultat d'une absence totale de vision du réseau. A Lyon la section Lozanne Tassin Givors aurait permis au fret de contourner l'agglomération par l'Ouest mais la SNCF a préféré neutralisé Brignais Givors au lieu de faire un RVB en longs rails soudés et reposer le raccordement de Lozanne sous prétexte d'un futur contournement ouest dédié au fret qui n'est pas pès de se faire.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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