Plusieurs nouveaux trafics de fret sont annoncés sur le réseau ferroviaire français, mais l’envolée des prix de l’énergie en menace d’autres. Le secteur du fret ferroviaire est sur une ligne de crête, entre dynamique de chargeurs qui cherchent à basculer de la route au rail, et d'autre part manque d’aide conjoncturelle de la part de la puissance publique pour atténuer le fardeau du prix de l’électricité.

Des trains Danone d’eaux de Volvic tractés par Fret SNCF vers les Hauts-de-France deux fois par semaine

 Coté bonnes nouvelles, Danone entend transférer deux mille camions par an sur le rail, annonce  Gérard Cattani, chargé du développement basé à Lyon chez Fret SNCF. La SAS des eaux de Volvic, propriété du groupe alimentaire français, choisi pour ce faire le tractionnaire Fret SNCF, qui routera dix wagons deux fois par semaine entre l’usine de captage et d’embouteillage de Volvic, au nord de Clermont-Ferrand, et une plateforme de la région Hauts-de-France. A bord, des palettes de bouteilles d’eau minérale et de boissons de la même eau aromatisées, transportées jusqu’à présent par la route. Le premier convoi a circulé le 12 janvier.

 L’usine Volvic est embranchée à partir de la ligne de Riom à Châtel-Guyon à l’ouest de Mozac, soit à environ 2 km de la jonction entre cette ligne et l’itinéraire originel de Saint-Germain-des-Fossés à Clermont-Ferrand, via Gannat. La ligne en antenne Riom-Châtel-Guyon, longue de quelque 7 km, mise en service en 1912 pour desservir la ville thermale dotée d’une magnifique gare qui n’est plus desservie par trains de voyageurs depuis 1971. A ce jour, la partie de la ligne située à l’ouest de l’embranchement de la voie mère menant au faisceau de l’usine Volvic, soit quelque 5 km, est juridiquement fermée.

DanoneChargement de palettes dans des wagons couverts à bogies tractés par Fret SNCF dans les halls de l'usine Volvic du groupe Danone.  Entre le Puy-de-Dôme et les Hauts-de-France, deux mille camions de moins sur les routes chaque année. (Doc. Fret SNCF)

 Ce transfert au rail de cette relation jusqu’ici assurée par la route « prouve la volonté forte du groupe Danone et de Volvic de ‘’décarboner’’ sa logistique », commente M. Cattani qui précise que ce contrat de report modal « aura été le fruit de douze mois de travail entre les équipes Fret SNCF et son service spécifique PRM (prospection et report modal) et le service logistique de Danone ».

 Cette « réussite majeure » de Fret SNCF et de son pôle Rail Logistic Europe qui réunit toutes les entreprises fret transport et logistique de l’opérateur public, prend place « dans un contexte économique difficile », note M. Cattani. La période est de fait marquée par l’envolée du prix de l’énergie pour l’entreprise ferroviaire, qui ne peut éviter d’en répercuter au moins une part sur ses clients, et par les contraintes pour travaux sur un réseau français qui accumule les lourds retards de maintenance.

Delta Rail et DB Cargo lancent un Mâcon/Chalon-Worms/Duisbourg quatre fois par semaine

Autre belle avancée pour le fret ferroviaire, celle annoncée par l’opérateur de transport multimodal Delta Rail, basé à Aix-en-Provence. Avec DB Cargo pour tractionnaire, Delta Rail annonce le lancement pour le 28 février d’un service ferroviaire multimodal entre Mâcon et Chalon en France d’une part, Worms et Duisbourg en Allemagne d’autre part. Initialement prévue pour juin 2022, le lancement de cette nouvelle ligne multimodale « avait été reporté suite à divers problèmes de production », précise Delta Rail.

 Dotée de quatre rotations hebdomadaires, il s’agira de la troisième ligne multimodale lancée par Delta Rail, dont le réseau est organisé autour du hub multimodal bourguignon de Chalon. L’opérateur multimodal opérait jusqu’à présent deux services, Chalon-Fos et Chalon-Le Havre.  La nouvelle ligne aura pour origine-destination en Allemagne le terminal Rhenania de Worms, au nord de Mannheim, sur la rive gauche du Rhin en Rhénanie-Palatinat et celui de Samskip de Duisbourg au nord de Düsseldorf, situé à proximité d’un important nœud autoroutier et à moins de 30 km de Venlo, aux Pays-Bas.

DeltaRail 2Puissants engins de manutention sur une zone de chargement multimodal Delta Rail. Le point nodal du réseau de l'entreprise se situe à Chalon (Saône-et-Loire). (Doc. Delta Rail)

 La traction de ces trains ouverts à tous les type d’UTI (Unités de transport internationales) y compris les remorques de poids-lourds P400 (4 mètres de hauteur), sera assurée par DB Cargo France. Les opérations de manœuvres et de traction sur les terminaux de Chalon et Mâcon seront assurées par Aproport, gestionnaire de trois plateformes multimodales du bassin de la Saône, qui a obtenu son certificat de sécurité unique (CSU) de la part de l’EPSF (Etablissement public de sécurité ferroviaire) à la fin de l’année 2022. Une fois formés, les trains seront remis à DB Cargo France.

 Le temps de parcours total sera de 48 h entre Chalon et Worms, de 72 h jusqu’à Duisbourg. Ce nouveau service permettra grâce au réseau de gestion de flux multimodaux Samskip, basé à Rotterdam, « de rejoindre de nombreux pays scandinaves, baltiques et de l’Est depuis Duisbourg mais aussi Le Havre et Marseille depuis l’Allemagne via le réseau DeltaRail », précise cette dernière entreprise. Notons enfin que Delta Rail a pour projet d’ouvrir avant 2025 un nouveau terminal à Fos-sur-Mer dans la zone Tonkin.

Déblais suisses de chantiers vers l’Ain : deux trains par semaine entre Genève et Ambérieu

 Troisième exemple de gain pour le ferroviaire, le report modal obtenu voici quelques mois par Fret SNCF et les CFF suisses entre Genève et Ambérieu. Il s’agit de transport de déblais de chantiers au départ de la Suisse  pour enfouissement dans une carrière de l’Ain. Le contrat est passé avec l’entreprise helvétique de commerce de matériaux de construction Vigier Holding AG, basée à Luterbach dans le canton de Soleure, et Vicat, cimentier et spécialiste des mêmes matériaux basé à l’Isle d’Abeau à l’est de Lyon.

 Deux trains de vingt wagons Ermewa circulent chaque semaine. Ils remplacent les 2.800 camions annuels qui assuraient ce transport jusqu’au basculement sur rail. « Espérons que ce flux fasse des émules sur cette zone très polluée par les trafics routiers », remarque M. Cattani, de Fret SNCF.

vicatWagon de déblais de chantier. Tracté par Fret SNCF au départ de Genève après réception de chargements assurée par les CFF, ces trains remplacent 2.800 parcours annuels de camions sur une route surchargée. (Doc. Fret SNCF)

 Enfin, notons le projet du tractionnaire italien GTS Rail d’une nouvelle ligne entre l’Espagne et l’Italie, dont le lancement est pour l’instant prévu courant mars. Filiale du logisticien GTS basé à Bari  projette de relier deux puis trois fois par semaine Tarragone à Milan « afin de répondre à une demande croissante sur cet axe circumméditerranéen. Ce projet s’inscrit en parallèle aux 5 rotations Hupac hebdomadaires Barcelone-Busto-Arsizio au nord-ouest de Milan, apparemment très bien remplies.

 Si l’itinéraire précis entre la France et l’Italie reste à définir, le passage France-Espagne sera tracé par Cerbère-Portbou, avec changement d’écartement (1,435 m/1.668 m) en raison de l’absence d’écartement standard jusqu’au terminal tarragonais de Constanti, côté espagnol.

Hausse de 15 % à 20 % des tarifs ferroviaires : Lahaye menace de suspendre ses trains Rennes-Lyon

Mais la médaille a son revers. Les clients du fret ferroviaire subissent en ce moment une hausse de 15 % à 20 % des devis transport, « une situation intenable et alarmante », relève le web magazine Fret ferroviaire. « Avec une grande majorité de trains à traction électrique, la hausse des prix de l’électricité s’annonce difficile à supporter pour le transport combiné », insiste-t-il, alors que les cris d’alarme des acteurs de la filière depuis plusieurs mois « restent sans réponse du gouvernement français ».

 Des arrêts de trafics et des reports vers la route pourraient s’amorcer. Le directeur du transporteur breton Lahaye, basé près de Rennes, relève que  « les tarifs des transporteurs ferroviaires sont tombée mi-décembre : environ 20 % de hausse ». Matthieu Lahaye, son directeur général, interrogé par Bretagne Economique, prévient : « Nos clients nous disent ne pas pouvoir supporter un tel surcoût. Le risque est donc de délaisser cette activité et remettre  12.000 camions sur la route en 2023 ». Car côté route, la hausse des coûts du gazole ne fait augmenter les devis que de 5 à 6 %.

IMG_20220524_095550684Croisement d'un train de fret et d'un TER Occitanie en gare de Montpellier Saint-Roch. Le secteur du fret ferroviaire est menacé par un report modal à l'envers au bénéfice de la route en raison de l'explosion - on espère temporaire - du prix de l'électricité payée par SNCF Réseau aux producteurs, explosion reportée au moins partiellement sur les entreprises ferroviaires. ©RDS 

 Lahaye (242 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2022) explique que l’arrêt de ses cinq rotations de trains de conteneurs et remorques par semaines entre Rennes et Lyon génèrerait 12.000 circulations supplémentaires de camions. L’entreprise confie d’autres chargements de caisses mobiles sur d’autres axes. Elle prévoyait de lancer au printemps prochain un train complet Rennes-Lille, projet évalué aux tarifs 2023, reste d’actualité.

  «  Nous sommes convaincus que c’est un mauvais moment à passer, un problème conjoncturel et que le rééquilibre se fera en 2024-2025. En attendant, nous devons le passer. Avec nos seuls fonds privés, l’exercice se révèle impossible », explique le dirigeant à Bretagne Economique. Mais dans le transport de masse l’inertie technique est telle qu’un retournement pourrait pénaliser longuement le secteur ferroviaire.