Tandis qu’on constate une augmentation du nombre de services ferroviaires fret multimodaux en France, les limites qualitatives et quantitatives du réseau constituent un frein à cette tendance, selon les opérateurs. CargoBeamer entre le Pas-de-Calais et l’Italie après l’ouverture d’une liaison Calais-Perpignan,  Hupac entre Barcelone et l’Italie,  Geodis entre Noisy-le-Sec et Novara, VIIA au départ de Sète, l’extension de la plateforme du Boulou par VIIA… : ces quelques exemples montrent qu’en France aussi la tendance est au fret ferroviaire, au moins sur les longues distances.

 Profitant de cette tendance et de sa bonne gestion, Fret SNCF a annoncé un exercice 2021 à l'équilibre pour la première fois de son histoire. Reste que le Groupement national du Transport combiné (GNTC) vient de lancer une mise en garde solennelle au sujet de la piètre qualité du réseau, qui risque de briser cette évolution.

CargoBeamer avec tractions BLS et DB :  nouveaux trains Calais-Italie et Allemagne-Italie

 L’allemand CargoBeamer dont le siège est à Leipzig et se spécialise dans le wagon surbaissé à chargement latéral pour remorques de camions, avait lancé en juillet 2021 un service régulier ferroviaire entre Calais et Perpignan avec mise en service d’un terminal propre à Calais. Depuis le mois de décembre, ce terminal voit partir et arriver une liaison rail-route, dont chaque rame est chargée de 36 remorques de camions, vers et de Domodossola en Italie via la Suisse où elle est tractée par BLS. Puis en janvier l’entreprise allemande a lancé  une liaison entre Kaldenkirchen, à la frontière de l’Allemagne et des Pays-Bas, et Perpignan à raison de trois rotations par semaines, portées  à cinq à la mi-février, tractées par DB Cargo.

CargoBeamerVue générale du terminal CargoBeamer à Calais. Les caisses mobiles arrivant d'Italie peuvent aussi poursuivre jusqu'à Ashford au Royaume-Uni par le tunnel sous la Manche, ou par ferries pour divers ports insulaires. (Doc. CargoBeamer)

 CargoBeamer se présente comme « le seul opérateur étranger significatif dans l'Hexagone sur le transport combiné rail-route, face à une demi-douzaine d'acteurs privés ou détenus par la SNCF ». La stratégie de CargoBeamer consiste à se doter de terminaux dédiés dans plusieurs pays. L’entreprise vient d’augmenter son capital de 33,5 millions d’euros et entend tripler sa flotte de wagons avec commande de 7.000 unités. Certains répondent à la technologie innovante cargoBeamer de châssis sur lesquels glissent latéralement des poches après chargement de remorques de camions parallèlement à la voie.

Hupac avec traction groupe CFF : renforcement des relations Espagne-Italie

 Côté péninsule ibérique, l’opérateur ferroviaire suisse Hupac basé à Chiasso, à la frontière italo-helvétique, propose de renforcer ses liaisons multimodales de et vers l’Espagne, particulièrement avec l’Italie et avec Anvers. « Le développement du trafic en 2021 sur nos services avec l’Espagne s’est révélé très positif » estime l’entreprise citée par le quotidien El Mercantil.  CFF Cargo détient 25 % du capital de Hupac. En 2021, l’entreprise a transporté de et vers l’Espagne quelque 8.700 UTI (Unités de transport intermodal), en hausse de 7,3 %.

 Hupac possède près de Varèse en Lombardie le terminal rail-route de Busto Arsizio-Gallarate, l’un des plus importants d’Europe. Le trafic Hupac entre ce terminal et celui de Barcelone-El Morrot a augmenté de 12,8 % en 2021. Le trafic Hupac entre Barcelone-El Morrot et Anvers a crû de 5,1 %. Pour répondre à l’augmentation de la demande, Hupac portera la fréquence Busto Arsizio-Barcelone à cinq allers-retours par semaine au printemps 2022. Reste que les ambitions de Hupac sont limitées par l’exiguité du terminal de Barcelone-El Morrot, actuellement saturé. Au vu du potentiel intermodal ibérique, Hupac demande son renforcement, de même que celui des infrastructures ferroviaires espagnoles en général.

Transfesa avec traction DB : de nouveaux conteneurs médicaux d’Espagne en  Italie

 Toujours côté espagnol, on relève que Medline Industries LP, société états-unienne d’équipements médicaux, s’est tournée vers le ferroviaire entre l’Espagne et l’Allemagne en confiant deux à trois caisses mobiles à Transfesa chaque semaine, soit environ 150 chargements par an.

 Ces caisses sont acheminées par rail entre Valence et Cologne dans les rames de la filiale espagnole de la DB allemande. Medline Industries LP estime que ces trafics devraient aller croissant. Transfesa note que ce type de chargements, qui se multiplie, lui permet de massifier ses trains et d’envisager de nouvelles rotations à court terme.

VIIA avec traction Fret SNCF : trains Modalohr de Sète à Calais

Côté français, l’opérateur multimodal VIIA, filiale du groupe SNCF, prépare le lancement d’une ligne régulière entre Sète et Calais trois fois par semaine d’ici la fin du premier semestre de l’année en cours. VIIA a gagné l’appel d’offre pour une liaison en 2023 à partir de la nouvelle plateforme du port de Sète dont les travaux seront terminés cette année-là. Cette plateforme comportera un terminal conçu pour des wagons Modalohr à chargement de remorques de poids-lourds sur des poches pivotantes. VIIA compte amorcer son service avant même la mise en service de ce nouvel équipement grâce à des chargements par portiques.

IMG_20211227_210343541Petit matin brumeux en gare d'Avignon Centre en cet hiver 2022. Sur la voie 2, rame intermodale tractée par Fret SNCF. ©RDS 

 VIIA avait déjà lancé en spot en novembre dernier pendant huit semaines deux lignes pour le turc Ekol Logistics entre Sète, Calais et Bettembourg afin de faire face à la saturation du port de Trieste alors paralysé par des grèves. Aujourd’hui, l’augmentation du nombre de navettes cargo transportant des camions (Ro-Ro) opérées par l’armateur danois DFDS de et vers la Turquie et les demandes croissantes pour des connexions intermodales imposent VIIA d’anticiper le lancement de sa première ligne Sète-Calais.

 A l’horizon 2023, VIIA compte exploiter un total de 11 rotations hebdomadaires entre Sète, Calais, Paris et Bettembourg (Luxembourg).

Notons que VIIA vient en ce début d’année d’inaugurer une nouvelle entrée routière à son terminal du Boulou (Pyrénées-Orientales), facilitant l’accès de ses installations de chargement et de déchargement aux transporteurs routiers.

Geodis Novatrans avec traction Fret SNCF : nouvelle liaison Ile-de-France-Lombardie

Toujours dans le giron du groupe SNCF, son prestataire logistique Geodis très présent dans le transport routier a lancé une nouvelle relation rail-route France-Italie le 18 janvier entre Noisy-le-Sec (Val-de-Marne) et Novara à raison de trois rotations hebdomadaires.

 D’une capacité de 240 UTI par semaine, cette ligne sous pavillon Novatrans, entreprise de transport combiné cédée en 2012 ar la SNCF au Groupe Charles André, est tractée par Fret SNCF jusqu’à Modane et Captrain Italia (groupe SNCF) côté italien. Elle est ouverte à tous les types de produits chargés en caisses mobiles, fourgons, citernes mobiles... Tous les conteneurs sont équipés de boîtiers GPS permettant aux clients de localiser leurs chargements.

 Cette ligne augmente la capacité du faisceau Italie de Geodis au départ de Noisy-le-Sec (liaisons avec Novara et Turin). Geodis travaille avec l’opérateur de transport combiné Novatrans mais aussi avec T3M, opérateur privé basé à Saint-Jean-de-Védas près de Montpellier.

CMA-CGM avec traction DB : nouveaux trains de Marseille et Fos à Duisbourg

 Les 24 et 25 janvier, l’armateur CMA-CGM a lancé coup sur coup deux trains-blocs hebdomadaires de conteneurs entre les ports de Marseille et Fos d’une part, Duisbourg en Allemagne d’autre part. L’armateur s’était retiré du ferroviaire en 2001. Ces trains sont tractés par DB Cargo.

 La capacité hebdomadaire est de 96 EVP (conteneurs Equivalents vingt pieds) hebdomadaires pour la rame de Fos avec halte à Lyon, et de 105  EVP pour celle de Marseille. Ayant ouvert un terminal dans ce centre industriel de la Ruhr, CMA-CGM propose ainsi à ses clients des liaisons directes sous pavillon unique entre la Rhénanie-du-Nord-Wesphalie et l’Asie, la Méditerranée orientale, l’Afrique du Nord  grâce à ses services combinés maritimes et ferroviaires.

DSCN3637Aperçu des installations fret de Vénissieux, à proximité de Lyon, avec locomotive ECR (DB Cargo). La nouvelle rame Fos-Duisbourg affrétée par CMA-CGM et tractée par la DB peut faire étape à Lyon pour optimiser son offre. ©RDS 

 On notera que Duisbourg est un nœud ferroviaire capital qui reçoit une centaine de trains de fret hebdomadaires en provenance de Chine, véritable port d’entrée des « routes de la soie » qui permettent à l’industrie de la Chine populaire d’inonder les marchés européens ou africains et à l'Europe de lui envoyer certains produits.

Le cri d’alarme du GNTC dénonce la construction des sillons pour 2022, y compris historiques

 Sur ce fond de développement persistant de l’activité ferroviaire intermodale par embarquement sur trains de conteneurs de diverses catégories ou de remorques de camions, le Groupement national des Transports combinés (GNTC) a émis le 24 janvier une mise en garde solennelle sur la piètre qualité du réseau français et de sa gestion des circulations.

 Ce syndicat d’entreprises réunit depuis 1945 les opérateurs et transporteurs des opérations combinées  rail-route, fleuve-route voire fleuve-rail, les gestionnaires de plateformes, de ports et les loueurs ou constructeurs de matériels. Son communiqué commence par estimer « que les réponses apportées par le gestionnaire d’infrastructure pour le construction des sillons ferroviaires en 2022 ne sont pas en adéquation avec la demande des opérateurs et les besoins du marché des transports combinés ». Il précise même que ces difficultés « concernent notamment des sillons historiques du combiné ».

 Par ailleurs, en termes de gestion des circulations, le GNTC est tout aussi sévère : « La qualité des circulations réelles sur le réseau  ferré est  particulièrement défaillante, avec des trains dont les circulations sont supprimées ou modifiées sans préavis, entraînant une désorganisation de toute la chaîne de transport combiné, chez les opérateurs, les gestionnaires de terminaux et les transporteurs routiers assurant le pré et le post-acheminement ».

IMG_20211009_095030666Rame multimodale tractée par ECR devenue DB Cargo en gare d'Avignon Centre. Le tractionnaire historique allemand fait lui aussi partie de l'alliance 4F, pour Fret ferroviaire français du futur. Selon le GNTC, l'objectif de doublement du fret ferroviaire en France porté par ce syndicat multi-professionnel et le gouvernement français serait inatteignable dans l'état actuel du réseau et de sa gestion. ©RDS  

 Son aussi visés les blancs travaux, voire les suspensions pour plusieurs jours ou semaines de circulations pour travaux.  A ce sujet, le GNTC estime que « l’emploi de l’enveloppe financière de 210 millions d’euros afin de minimiser l’impact des travaux sur la qualité des circulations n’est principalement envisagé  qu’à l’horizon 2023, voire 2024,  avec des conséquences favorables et un ratio coût-bénéfice  qui restent à démontrer pour le secteur du transport combiné ».

Pour le GNTC, les défaillances du réseau pourraient coûter 25 millions d’euros à la filière en 2022

 Le GNTC calcule que  les « fortes défaillances de la qualité de service pour 2022 » peuvent engendrer une perte de chiffre d’affaires annuelle  « de plus de 25 millions d’euros pour  l’ensemble de la filière, en transfert de la route au rail », ce qui pourrait engendrer, insiste-t-il, « un risque de report modal inversé ».

 On rappelle que le plan de relance  ferroviaire ambitionne  de transférer 1,2 million d’UTI de la route au rail chaque année, soit un milliard de kilomètres-camions. Ce plan impliquerait, s’il se réalisait,  un besoin de 100 locomotives et quelque 3.000 wagons, soit un milliard d’euros répartis à égalité pour ces deux types de matériels, largement profitables à l’industrie française ou européenne, d’Alstom à Siemens pour les locomotives, de Touax (wagons et conteneurs) à Lohr (wagons porte-remorques) pour les wagons.

TOUAXRame de wagons porte-conteneurs Touax flambant neufs à leur sortie d'usine. Wagons de fret de toutes natures, conteneurs, barges fluviales, en vente ou à la location: Touax est l'exemple d'une entreprise de la puissante industrie ferroviaire française présente sur de nombreux marchés étrangers, engagée dans l'intermodal fret fluvial et rail. Touax gère par exemple quelque 9.800 wagons intermodaux. (Doc. Touax) 

 Le président du GNTC, Ivan Stepenzynski, estime que cette situation « remet en cause les objectifs de 4F (vingt-deux organismes ou entreprises de la filière fret ferroviaire intervenant en France, NDLR) et de l’Etat d’un doublement  du mode ferroviaire et d’un triplement  de l’activité du combiné d’ici 2030 ».