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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
26 janvier 2024

La fronde en faveur du rétablissement d’Intercités Metz-Nancy-Lyon, symptôme de la résistance contre la France jacobine

 Le mécontentement  suscité par la liquidation des grandes lignes ferroviaires transversales, notable dans les cas de Saint-Etienne-Clermont-Ferrand ou Bordeaux-Lyon, s’est manifesté bruyamment au sujet de la liaison Nancy-Lyon et ses prolongements, au point que les autorités publiques – l’Etat, en l’occurrence épaulé par la région Grand Est – ont passé un accord pour rétablir à partir de 2025 une liaison directe Nancy-Lyon sans transiter par Paris ou Strasbourg. Cette tension constitue une nouvelle illustration du fossé grandissant entre des décideurs nationaux (ferroviaires comme budgétaires) éloignés des réalités territoriales, et les populations des régions de plus en plus contraintes par la conception centraliste du service ferroviaire. « Nous ne pouvons pas être constamment lésés par les grands choix d’aménagement du territoire qui contraignent nos concitoyens à faire le tour de la France pour se rendre à Lyon », a tonné Chaynesse Khirouni, présidente du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, dénonçant le démaillage du réseau illustré par la suppression de la liaison directe Metz-Nancy-Lyon.

Les voies de communication traduisent la projection mentale et économique des élites sur le territoire

 Les grandes voies de communication ont de tout temps traduit à la fois la réalité topographique, la structure de l’Etat (centralisé ou fédératif) et la projection mentale de ses élites sur le territoire. Ce fut le cas des voies romaines, contraintes par les côtes et axées autour de Rome, ou des grandes voies françaises progressivement centrées sur les grandes villes – Paris, Lyon, Bordeaux, Dijon…, puis massivement sur Paris.

  Au XIXe siècle, la constitution du réseau ferroviaire français est rapidement passée du statut d’initiatives locales et privées – Saint-Etienne-Andrézieux, Sète-Montpellier, Alès-Beaucaire… - au schéma centralisé autour de Paris avec la loi Legrand (1842) qui dessinait le réseau des principales lignes à construire, presque toutes radiales. Seules les transversales Bordeaux-Marseille et Lille Strasbourg faisaient exception : la première en raison d’une évidence géographique (rejoindre les deux mers au sud du Massif central) la seconde en raison d’une évidence industrielle et militaire (desservir les grands bassins miniers et industriels du Nord et de l’Est et longer la frontière la plus disputée).

AASur cet extrait Nord-Est de la carte nationale des réseaux ferroviaires de la France en 1932 on voit, figurées en jaune, les gares de la ligne historique Metz/Nancy-Dijon qui ont gardé leur fonction de correspondance. En rouge sont mentionnées les gares intermédiaires qui ont perdu cette fonction en raison de la suppression des lignes embranchées à l'axe. Cet étiolement du maillage de même que la dépression démographique de ces bassins expliquent la diminution de l'offre ferroviaire de bout en bout : actuellement un allers-retour TER quotidien par train, un autre par autocar. Mais faut-il que le chemin de fer accompagne les tendances négatives, quitte à les aggraver, ou qu'il participe à leur atténuation, voire à leur renversement ? 

 Ce furent le Second Empire puis la IIIe République qui encouragèrent la construction de lignes transversales et de ramifications de desserte fine. A la veille de la nationalisation de 1938 le réseau principal, qui s’étendait sur quelque 50.000 km, présentait la forme d’un maillage serré. Certes les lignes transversales n’avaient souvent pas été construites avec le même soin que les lignes principales prévues par la loi Legrand. Mais les compagnies y exploitaient des trains inter-régionaux, voire internationaux qui permettaient de relier des régions et des villes sans avoir par passer par Paris, capitale notablement décentrée au nord du pays.

La grande vitesse contre les transversales

 La mise en service des lignes à grande vitesse à partir de 1981 a dramatiquement accéléré un mouvement amorcé dès la nationalisation de 1938 par les suppressions massives de services voyageurs sur les lignes de desserte fine et plusieurs lignes transversales (Lyon-Montbrison, Cavaillon-Manosque, puis récemment Volvic-Ussel dans nos régions…)  ou des suspensions de travaux de construction (Tournemire-Albi, Le Puy-Lalevade…).

 Le principe retenu était qu’avec la grande vitesse ferroviaire, Paris et l’Ile-de-France devenaient le nœud incontournable pour les relations inter-régionales à longue distance. Malgré une période de développement de relations à grande vitesse passe-Paris  (type Marseille-Bruxelles par le contournement LGV est de Paris) voire inter-régionales hors étoile de Legrand (type Strasbourg-Montpellier ou Nancy-Lyon via Dijon) le mouvement centralisateur s’est de nouveau aggravé. De nos jours, le réseau ferroviaire dessine une France caricaturalement centrée sur l’Ile-de-France et Paris, fait unique en Europe. Cette configuration traduit la projection mentale et économique des dirigeants du pays, claquemurés dans une « région-capitale » dont la légitimité est de plus en plus contestée par le reste de la nation.

Lyon Part Dieu TGV TERRames TGV et TER en gare de Lyon Part-Dieu. Pour rallier Nancy par la grande vitesse depuis la capitale des Trois Gaules, un détour par Strasbourg est imposé depuis 2018... au prix d'un allongement de 175 km que ne compensent ni la grande vitesse de la ligne Rhin-Rhône entre Dijon et Belfort, ni la section à 200 km/h dans la plaine d'Alsace. ©RDS 

 La relation TGV Metz-Nancy-Dijon-Lyon-Marseille a été supprimée  en 2018, voici déjà six ans, sous prétexte de travaux préparatoires à la construction de la voie L en gare de Lyon Part-Dieu. Une fois mise en service, cette voie L n’a plus été en mesure d’accueillie un TGV Lorraine-Midi : ils n’ont jamais été rétablis.

  Au nord, leur parcours empruntait la ligne classique transversale à double voie électrifiée reliant Nancy à Dijon par Neufchâteau, Culmont-Chalindrey et Is-sur-Tille, axe majeur pour le fret entre Europe du Nord-Ouest, Rhône-Alpes et Méditerranée, puis l’axe radial classique Paris-Lyon depuis Dijon avant de rejoindre les lignes à grande vitesse Rhône-Alpes (LN4) et Méditerranée (LN5) au sud-est de Lyon. Avant la grande vitesse, dans les années 1990, cet axe voyait circuler un Nice-Metz de jour et un autre de nuit.

Le principe de massification appliqué dans toute sa rigueur : on ajoute les clientèles alsacienne et lorraine

 Depuis 2018 SNCF Voyageurs, pressé par un Etat surendetté,  a appliqué son principe de massification dans toute sa rigueur pour optimiser son chiffre d’affaire et sa rentabilité par kilomètre-train. Toutes les relations à grande vitesse entre Méditerranée, Rhône-Alpes et la Lorraine voire le Luxembourg empruntent désormais la LGV « Rhin-Rhône » entre Villers-les-Pots à proximité de Dijon et Petit-Croix près de Belfort, desservant Mulhouse et Strasbourg. Côté nord, les clientèles alsacienne et lorraine s’additionnent donc mais au prix d’un détour de 175 km pour les secondes par rapport à l’itinéraire directe via Neufchâteau. Le temps de parcours Lyon-Nancy est logiquement considérablement augmenté nonobstant un peu de grande vitesse. Lyon-Nancy est assuré en 5 h 24 mn par l’unique TGV quotidien Nice-Nancy n°5516 presque une heure de plus que par l’itinéraire classique avec correspondance à Dijon. Notons que le Montpellier-Lyon-Strasbourg-Luxembourg n°9898 ne dessert pas Nancy mais assure une relation TGV directe Lyon-Metz.

DSCN3070Rames à grande vitesse en gare de Valence TGV. Au coeur de la Drôme, cette gare est difficilement accessible depuis la Lorraine, avec itinéraire obligatoire des (rares) TGV Midi-Lorraine via Strasbourg. La massification des flux est réalisée au prix du sacrifice de nombreuses relations inter-régionales de qualité. ©RDS 

 Si la relation TGV directe Lyon-Nancy par Strasbourg est assurée en 5 h 24, l’unique relation quotidienne TGV+TER avec correspondance à Dijon ne demande que 4 h 32 mn, et 4 h 48 mn au retour en combinaison TER+TER. Demeure en effet en ce moment pour raison de travaux un unique aller-retour TER quotidien entre Nancy et Dijon qui assure la liaison en 2 h 31 mn. En remplacement du second TER quotidien, il est complété sur cet itinéraire de 229 km par un autocar TER Nancy-Dijon qui exige en revanche 3 h 40 mn de temps de parcours… Quant au temps de parcours Nancy-Lyon par Strasbourg en TGV, il est équivalent au temps de parcours exigé via Paris avec correspondance inter-gares.

 Il a fallu que les élus nationaux s’en mêlent. Le sénateur de Meurthe-et-Moselle Jean-François Husson (LR) a fait adopter un amendement  au Projet de loi de finance de fin de gestion 2023 prévoyant le financement du rétablissement d’une relation Intercités entre Metz, Nancy et Lyon. On se souvient au passage que cette liaison (poursuivie jusqu’à Grenoble) faisait partie des projets de relations inter-régionales travaillés par les équipes de Railcoop dont le premier objet reste le rétablissement d’une liaison sur l’axe Lyon-Bordeaux.

Une solution transitoire de 2025 à 2029 Etat-Région-départements-métropole

 Le temps de commander et recevoir en 2029 de nouvelles rames pour un budget prévisionnel de 35 millions d’euros, l’Etat s’engage à financer à hauteur de 50 % quelque 35 autres millions d’euros destinés à rétablir une relation directe de type Intercités Nancy-Lyon dès 2025. La région Grand Est, qui finance l’unique TER quotidien Nancy-Dijon, financera 25 % de ce budget transitoire et le dernier quart sera apport épar les collectivités départementales et métropolitaines concernées en Lorraine (Moselle, Meurthe-et-Moselle, Metz et Nancy). Il convient de saluer l’effort de ces collectivités pour lesquelles l’exploitation ferroviaire n’entre aucunement dans le champ de compétence.

 Jusqu’en 2029, l’Etat sous-traitera à la région Grand Est cette relation enfin rétablie, avec des rames régionales actuellement disponibles. Le temps de parcours ne devrait pas dépasser 4 h 30 mn entre Nancy et Lyon et environ 5 heures entre Metz et Lyon, si l’on tient compte des temps de parcours additionnés des TER en service (Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté). Il s’agit probablement d’un maximum, le futur Intercités affichant peut-être moins d’arrêts intermédiaires que les TER.

Dijon GareRame TER Bourgogne-Franche-Comté en gare de Dijon Ville. Après avoir perdu les flux à longue distance Paris-Méditerranée et Paris-Alpes versés sur la ligne à grande vitesse Paris-Sud-Est à partir de 1981, la grande gare de la capitale bourguignone a perdu l'essentiel des circulations voyageurs de la ligne historique vers la Lorraine. Le retour d'une ligne Intercités diurne Lorraine-Lyon lui rendra une partie de son lustre perdu. Le rétablissement de circulations de nuit Lorraine-Méditerranée/Alpes la complèterait heureusement. (Doc. Région Bourgogne-Franche-Comté)

 Côté fréquence et placement des horaires, on ne peut aujourd’hui que se livrer à des suppositions faute de plus amples informations. On peut imaginer sans trop y croire des circulations nouvelles au label Intercités s’ajoutant aux TER Nancy-Dijon. Elles complèteraient la combinaison TER+TER Nancy-Lyon susmentionnée, qui affiche un temps de parcours de 4 h 48 mn (et 4 h 32 mn TGV-TER dans le sens sud-nord). Une prolongation d'un ou des deux TER actuels en courses rapides jusqu’à Lyon, bien plus probable, permettrait d’économiser la correspondance à Dijon. Celle-ci exige une vingtaine de minutes, qu’il s’agisse de la combinaison TER+TGV ou TER+TER. On obtiendrait alors deux courses allers-retours Intercités mode TER entre Metz et Lyon par le plus court chemin. Dans le cas d’une création stricte de deux Intercités s’ajoutant aux TER existants, on obtiendrait quatre liaisons trains Nancy-Dijon, à laquelle ajouter les liaisons TGV via Strasbourg, l’une touchant Nancy, l’autre Metz.

 L’itinéraire historique n’aurait jamais dû être abandonné et aurait dû être versé d’emblée au réseau Intercités si SNCF Voyageurs estimait ne pouvoir l’assurer financièrement en service librement organisé TGV. Il en allait de la responsabilité de l’Etat à garantir l’équité territoriale et le maintien d’un maillage décent entre les grands pôles du pays hors capitale.

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Commentaires
D
Le manque créé par la disparition de Nancy Dijon est le plus flagrant. D'autant que la ligne est à double voie électrifiée, avec des évitements fret, et que la VL des trains automoteurs au Sud de Neufchâteau reste modeste du fait de la sinuosité. Mais on pourrait noter aussi le manque de desserte de Vittel depuis le Sud (un seul AR par semaine uniquement pensé pour les Parisiens c'est un peu juste) qui pourrait être proposé au minimum en rétablissant une correspondance à Merrey. Côté Epinal il y aurait probablement plus de potentiel en prolongeant les Epinal Belfort à Méroux (cela servirait aussi à Luxeuil et Lure pour la Haute Saône) plutôt qu'avec un car pour Neufchâteau (même si cette liaison aurait un sens avec des arrêts intermédiaires pour la desserte locale).
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B
Comme vous le dîtes, l' itinéraire historique n' aurait jamais du être abandonné . Je ne suis pas anti-LGV, bien au contraire, mais il est aberrant de voir que toute LGV provoque la diminution de l' offre sur la ligne classique existante - qui parfois se trouve à plusieurs dizaines de kilomètre de la LGV . Nous avons le cas sur ce cas Dijon - Moselle, mais on peut citer la LGV Rhin-Rhône aux conséquences sur les circulations de la Ligne 4 et du Revermont, la LGV Méditerranée et ses conséquences les plus graves sur Les Causses et Les Cévennes.
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A
Il y a normalement deux AR Nancy - Dijon en TER, mais le second est actuellement reporté sur autoroute en raison de travaux.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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