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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
23 octobre 2023

Trains transversaux en France : retour à un schéma centré sur Paris après un passé de maillage inter-régional

 Comme Raildusud a maintes fois eu l’occasion de le souligner, les relations ferroviaires transversales directes auront été sciemment sacrifiées par l’Etat depuis plusieurs décennies. Qu’elles soient régionales telles les relations interrompues Saint-Etienne-Clermont-Ferrand, Avignon-Digne, Millau-Rodez, ou interrégionales telles Lyon-Bordeaux par Montluçon ou Ussel, Bordeaux-Nice limitée à Marseille, Clermont-Ferrand-Marseille limitée à Nîmes, Genève/Annecy-Méditerranée limitée à Valence, c’est le principe même de maillage du territoire qui est liquidé sous prétexte de substitution par le réseau noyau à grande vitesse.

D’une vision maillée du territoire à un « hub » parisien dominant… et excluant

 Aux relations transversales sont substituées des relations radiales à grande vitesse, entièrement centrées sur l’Ile-de-France, région devenue une sorte de « hub » ferroviaire national. Mais, outre le fait que ce « hub » francilien et parisien est gravement décentré par rapport à l’ensemble du territoire, outre le fait que ce système impose souvent des correspondances entre gares dans une ville saturée, il laisse de côté les innombrables « origines-destinations » intermédiaires des anciennes relations transversales, ces parcours de cabotage qui mettaient en relation les villes entre elles. Ce système participe enfin à l’engorgement ferroviaire de l’Ile-de-France et des plusieurs sections à grande vitesse, avec des graphiques de circulations qui deviennent de plus en plus fragiles et saturés au fur et à mesure qu’on s’approche de la ville prétendument « lumière ».

Pourtant cette dérive centralisatrice, typique du jacobinisme français qui conçut le réseau ferroviaire autour d’une étoile parisienne - l’étoile de Legrand - fut jadis partiellement compensée par une politique de relations transversales. Elles furent menées par les anciennes compagnies, dissoutes en 1938 au bénéfice d’un monopole d’Etat, puis poursuivie à moindre échelle par la SNCF qui leur succéda. Le sacrifice de pans entiers du réseau physique, entamé dès 1938, et l’abandon de projets de lignes nouvelles transversales (Saint-Germain-des-Fossés-Limoges en particulier) limita progressivement les possibilités de tracer des relations transversales. L’incompréhensible suspension de tout trafic entre Laqueuille et Ussel sur la « ligne des Puys » de l’axe Clermont-Ferrand-Brive, bloquant toute relation transversale entre Lyon et Bordeaux par Brive, constitue une illustration consternante de cette « anti-politique » menée toute honte bue par le système centralisateur.

Rail Passion 312

Couverture de la livraison d'octobre du mensuel Rail Passion. Raildusud relaie quelques données concernant les régions du grand Sud-Est présentes dans ce numéro.

 Une remarquable étude publiée par Rail Passion n°312, signée du grand spécialiste de l’histoire ferroviaire Bernard Collardey, énumère les nombreuses relations transversales passées aux diverses époques depuis l’après-guerre de 1914-1918.  Par contraste, cette étude souligne la pauvreté actuelle de ce type de prestations, isolant les « territoires » les uns des autres et accentuant le tropisme parisien du pays. (1)

Sur les trois régions du grand Sud-Est, de nombreux trains transversaux entre les deux guerres

 Sur les trois régions objet des études de Raildusud – Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA) – l’entre-deux guerres voyait circuler de nombreux trains transversaux sur des itinéraires aujourd’hui segmentés à l’extrême.

 La compagnie du Midi en coopération avec le PLM proposait au départ de Bordeaux trois trais de jour vers Marseille, l’un d’eux continuant jusqu’à Nice. Si la SNCF propose aujourd’hui six Bordeaux-Marseille, partiellement cadencés, plus aucun ne poursuit jusqu’à Nice, handicapant les relations intermédiaires du type Montpellier-Toulon ou Narbonne-Nice. D’autant qu’aucun des quelques TER bi-régionaux Occitanie-PACA n’est poursuivi à l’est de Marseille Saint-Charles. Cette dernière gare constitue donc un « mur » de correspondances d’autant plus handicapant pour le voyageur qu’il s’agit d’une gare en cul-de-sac… tant que la gare souterraine n’est pas percée, ce qui ne devrait guère advenir avant 2030. Le train de jour Bordeaux-Nice était doublé d’un train de nuit Bordeaux-Vintimille avec voitures origine Hendaye attelée à Toulouse. Un second train de nuit reliait Bordeaux à Marseille. Il n’existe plus aucune relation nocturne sur cet axe pourtant majeur. Tous les trains de nuit conçus ou rétablis aujourd’hui sont origine Paris.

DSCN2221Avignon Centre, jadis amorce ou étape de nombreuses relations inter-régionales, vers l'Espagne, la Suisse, l'Italie... Cette gare ne voit plus passer que trois TGV "vallée du Rhône" et une belle batterie de TER. La gare voisine d'Avignon TGV voit passer des TGV de et vers Paris, ainsi que les TGV Intersecteurs vers le Nord ou l'Ouest par l'Ile-de-France... et seulement quelques TGV vers l'Est par la LGV Rhin-Rhône. ©RDS

Le Midi et le PLM, traçaient aussi un Hendaye-Pau/Bordeaux-Avignon, train à deux tranches, maillant ainsi le réseau entre le Sud-Ouest d’une part, la vallée du Rhône, les Alpes et Lyon d’autre part. Avignon était un nœud de correspondances capital. Les deux compagnies proposaient enfin un train de nuit origine Cerbère avec pour destinations une tranche Genève, une tranche Strasbourg et une tranche Marseille, dételées-attelées probablement à Nîmes et Valence. Il n’existe aujourd’hui aucun Perpignan-Strasbourg, SNCF Voyageurs proposant des transits TGV-TGV avec correspondance à Paris et bien sûr aucune Perpignan-Genève. En revanche, quelques Port-Bou-Marseille sont proposés par TER Occitanie.

Genève-La Rochelle, Genève-Marseille, Genève-Clermont-Ferrand…

 Du côté réseau PLM, Lyon expédiait entre les deux guerres des trains vers Strasbourg (aujourd’hui des TGV), Nantes (aujourd’hui des Intercités), Bordeaux par le Massif central (aujourd’hui disparus) et Milan (aujourd’hui des Frecciarosse et TGV). D’autres relations transversales ont disparu corps et biens depuis : Genève-La Rochelle/Bordeaux par Lyon et Montluçon, Genève-Marseille (récemment brève relation TGV disparue malgré le coûteux raccordement de Valence-TGV), Genève-Clermont-Ferrand. Côté trains de nuit on relevait une Zurich-Vintimille/Cerbère, un Lyon-Munich par Genève, Zurich et Lindau.

 En Auvergne, relève Bernard Collardey,  on notait les trains de nuit Vichy-Clermont-Ferrand-Marseille par Alès et Nîmes et Clermont-Ferrand-Vichy-Marseille par Lyon, un train estival de jour Clermont-Ferrand-Bordeaux par Ussel, Brive, un Clermont-Ferrand-Vichy-Genève. Plus surprenant encore pour nos contemporains, on relevait un train de  jour Nevers-Saint-Gervais par Roanne, Lyon et Annecy. Toutes ces relations ont disparu.

EygurandesGare d'Eygurande-Merlines (Corrèze) au croisement de l'ancien axe Paris-Montluçon-Aurillac et de la transversale Lyon-Bordeaux par Clermont-Ferrand et Ussel. Il n'en reste aujourd'hui rien. 

 Enfin, les relations internationales au départ des régions affichent un bel éventail le long de la Méditerranée, toutes disparues de nos jours. Outre le Bordeaux-Vintimille qui ne faisait qu’effleurer l’Italie, on relevait des trains de luxe périodiques Cannes-Vienne, un Riviera Express de Cannes à Milan, Bâle, Berlin, et même une Cannes-Budapest trois fois par semaine. Dans le haut-pays niçois, la ligne Nice-Breil voyait passer deux Nice-Turin prolongés vers la Suisse (Bâle et Zurich), l’un d’eux proposant des voitures directes Lausanne amorcées à San-Remo, parvenant à Breil par Vintimille.

 On soulignera combien la technique des rames tractées permettait, bien plus que les automoteurs, de multiplier les origines-destinations concentrées sur un même parcours à traction unique dans leur partie commune.

Après la IIe Guerre mondiale, rétablissement d’une bonne offre transversale

 Quelques années après la guerre de 1939-1945, le réseau français, quoique déjà fortement contracté (9.000 km de lignes ont été fermées aux voyageurs, une partie déclassée, en 1938-1939) et après avoir rétablit les lignes détruites par les bombardements et sabotages, propose de nouveau de nombreuses relations transversales. Elles continuent de proposer une offre inter-régionale bien maillée pour le grand Sud-Est, indique le recensement effectué par Bernard Collardey.

 Outre les Bordeaux-Toulouse-Marseille du « Grand Sud », l’un d’eux prolongé à Nice grâce à l’adjonction d’un coupon au Genève-Nice à Marseille, on note une importante batterie de trains hors du schéma radial.

DSCN1570Rame Thello au départ à Marseille Saint-Charles (2019). Initiée par l'opérateur public italien Trenitalia (groupe FS), cette relation Marseille-Milan a fait long feu. Elle fut la dernière tentative en date pour rétablir une offre ferroviaire transversale le long de la Méditerranée, après un XXe siècle riche en circulations de ce type. ©RDS

 Vers la Côte d’Azur, le célèbre train de nuit Genève-Nice via Chambéry et Grenoble ainsi qu’un Lyon-Nice de jour. Si la première de ces deux relations a disparu corps et bien, imposant une correspondance à Valence TGV malgré la présence d’un raccordement entre la ligne du sillon alpin et la LGV, d’un coût de 40 millions d’euros mais qui n’est plus utilisé, la seconde est aujourd’hui assurée par trois relations TGV quotidiennes. Sur la Côte d’Azur on relève un Rome/Venise-Nice « dédoublé l’été ».

 Après-guerre, et sur le même faisceau, la SNCF propose aussi un Evian/Saint-Gervais-Grenoble-Toulouse de nuit, ainsi qu’un Lyon-Perpignan-Cerbère de nuit raccordé à celui-ci sur le parcours commun Valence-Narbonne. Seule la relation Lyon-Perpignan est aujourd’hui assurée par les AVE de Renfe et quelques TGV SNCF intersecteurs.

 Coté transversales est-ouest, on trouve  un Lyon-Nantes-Le Croisic de nuit via Saint-Etienne, Moulins et Vierzon ; un Lyon-Bordeaux de nuit via Saint-Etienne, Gannat et Montluçon avec coupon poursuivi jusqu’à Hendaye ; un Lyon-Bordeaux de jour via Tarare et Montluçon. Si les Lyon-Bordeaux ont disparu, la relation Lyon-Nantes est aujourd’hui assurée par quelques Intercités de jour.

 Côté Est, un recense un Dijon-Berne par Pontarlier ; un Clermont-Ferrand-Besançon via Moulins, Paray-le-Monial.

De nouveaux développements à partir des années 1950

 Cette offre va encore se développer dans les années 1950.  En voici quelques exemples, dont l’offre s’est égrenée au cours de la seconde moitié du XXe siècle.

 La relation Bordeaux-Nice est prolongée à Milan ; la rame Hendaye-Marseille de nuit l’est jusqu’à Rome. Les deux ont disparu depuis, comme les TEE Marseille-Milan lancés en 1957, puis amorcés à Avignon.

 Dans le Massif central, un Bordeaux-Aurillac est créé ; un Toulouse-Montpellier via Castres, Saint-Pons-de-Thomières, Bédarieux et Faugères est mis en service, doublant par l’intérieur l’axe de la plaine en économisant quelques kilomètres et mettant en relation de nombreuses localités intermédiaires. Ce dernier itinéraire a physiquement disparu. Un Lyon-Toulouse par Saint-Etienne, Mende, Rodez est créé. Dans les Alpes, un Genève-Digne est baptisé Alpazur, en correspondance directe par les CP vers Nice. Tous deux ont disparu.

DSCN0443 - COPIETGV provenant de Paris à Toulouse Matabiau, son terminus. La grande gare de la capitale d'Occitanie reste desservie par deux flux d'Intercités transversaux: Bordeaux-Marseille et Toulouse-Hendaye. Le troisième flux Intercités est radiale: c'est celui qui la relie à Paris via la ligne classique Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. ©RDS

 Dans les Pyrénées, un Marseille-Irun par Pau est lancé, disparu depuis. Dans les Cévennes, la ligne Nîmes-Clermont-Ferrand voit passer un Marseille-Vichy de jour, un Nice-Vichy de nuit. Le train de jour Lyon-Bordeaux est amorcé à Genève. La ville de Calvin voit arriver en 1955 le célèbre Catalan depuis Port-Bou en correspondance avec les trains espagnols. Tous ont disparu, de même que la relation de jour Genève-Marseille via Grenoble qui circula de 1964 à 1971.

 La mise en service progressive, de 1981 à nos jours, de quelque 3.000 km de lignes nouvelles à grande vitesse entraîna la quasi-disparition des trains de nuit, relancés seulement depuis deux ans et sur un schéma exclusivement centré sur Paris. Les relations « province-province » sont progressivement supprimées au bénéfice d’une concentration des flux sur la grande vitesse et d’une fragmentation régionale des relations de proximité, les TER, avec de dévastateurs effets de frontière.

Des relations province-province concentrées sur LGV, un réseau classique déshabillé

 Nous ne détaillerons pas les relations province-province du réseau à grande vitesse. Ne sont exploitées, hors du système radial c’est-à-dire sans transit via l’Ile-de-France, que les quelques TGV Lyon-Strasbourg, l’un d’eux poursuivi à Francfort et amorcé à Marseille, ainsi que la paire de TGV Languedoc-Lorraine-Luxembourg via l’Alsace. Tous empruntent la LGV Rhin-Rhône. Notons aussi quelques Lyon-Marseille et Lyon-Toulouse, itinéraire assuré aussi par des TGV amorcés à Lille et transitant par l’Ile-de-France.

Seuls subsistent sur  le réseau classique, celui qui dessert au passage les villes moyennes, quelques rares relations Intercités transversales : Bordeaux-Marseille (sans prolongation à Nice), Bordeaux-Nantes (sans prolongation au-delà vers Quimper ou Rennes), Lyon-Nantes (sans prolongation depuis Grenoble, comme ce fut le cas à la fin du XXe siècle) et Toulouse-Hendaye (sasn amorce en-deçà de Toulouse comme ce fut le cas par le passé). Toutes les autres relations Intercités sont radiales. Si l’automoteur sous convention Intercités Clermont-Ferrand-Béziers est tracé sur un itinéraire radial, subsistance dégradée de l’ancien Paris-Béziers, on peut considérer que sa fonction parît inter-régionale, de même que la partie sud Lyon-Valence-Veynes-Briançon de l’Intercités de nuit Paris-Briançon, et quelques autres. Mais le tropisme parisien reste dominant.

 Notons que l’Intercités qui subsistait sur la ligne des Cévennes Clermont-Ferrand-Nîmes a été versé au régime TER partagé entre les deux régions Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes.

 Le bilan, sur le réseau classique, est donc accablant. Le principe consistant à assurer des relations transversales pour mettre en relation des métropoles de régions différentes avec desserte intermédiaire de villes moyennes a été abandonné. Les quelques économies réalisées l’ont été aux dépens des « territoires » et de leurs populations, désormais considérés comme marginaux.

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(1) Lien vers le site de Rail Passion, magazine du groupe La Vie du Rail :

Magazines - Rail Passion

La Vie du Rail vous informe de ses nouveautés, la sortie de ses magazines, livres, événements ...

https://www.railpassion.fr

 

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Commentaires
B
Une liaison, style TET, Metz - Lyon va reprendre fin 2024 . Matériel de type Régiolis 6 caisses (pour commencer) prêté par la Région Grand-Est, 2 A/R par jour . A l' horizon 2029, c' est 4 A/R envisagé, et un matériel dédié - Régiolis, Régio 2N (Omnéo ?), ou même CAF Oxygène . Source Transportrail.
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S
À l'heure où l'on prône la décarbonation des transports, c'est lamentable ...😡
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F
Il n'y a pas de Port Bou Marseille !!! Mais en soirée Marseille Narbonne et retour matin matin en agc ''sud de France '' région au sud est...<br /> <br /> Et expression volée au Languedoc Rosselló.
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F
Vous oubliez le ( Barcelona ) Cerbère Romme avec voitures ajoutées à nice pour Firenze. Vers
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E
Le groupe SNCF n est pas en déficit amha
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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