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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
2 avril 2024

La surcentralisation ferroviaire sur l’Ile-de-France rend impossible le report modal pour des populations entières

 « Les bonnes idées franciliennes ne sont pas les réalités pratiques du reste de l’Hexagone », déplore un spécialiste de l’économie d’énergies en constatant l’organisation générale de l’offre ferroviaire à longues distances en France qui rend désormais impossible l’usage du train à des millions d’habitants et pour un grand nombre de relations transversales. La tentative avortée par la coopérative Railcoop, mise en liquidation ces jours-ci, de rétablir une liaison transversale entre Bordeaux et Lyon ne fait que confirmer cette situation unique en Europe.

 Car la surcentralisation française sur Paris et sa conurbation s’aggrave, puissamment favorisée par l’évolution récente du réseau ferroviaire. Le Second Empire et la IIIe République des débuts avaient équilibré le schéma directeur de Baptiste Legrand inclus dans la loi « relative à l’établissement des grandes lignes de chemin de fer en France » du 11 juin 1842, sous le règne de Louis-Philippe, qui faisait converger toutes les lignes vers Paris à l’exception de Marseille-Mulhouse et Bordeaux-Marseille. On avait appelé ce schéma « l’étoile de Legrand ». Les deux régimes qui avaient succédé à la monarchie de Juillet avaient en revanche favorisé les transversales – et donc les étoiles ferroviaires de nombreuses villes de France –, ainsi que les dessertes fines tant par le réseau d’intérêt général que par les réseaux départementaux.

Démaillage du réseau et centralisation de la grande vitesse

 Mais deux phénomènes sont venus contrarier le beau maillage territorial ainsi obtenu. Depuis la dernière décennie de la IIIe République – les années 1930 – puis l’après-guerre, la seule réponse des autorités aux problèmes financiers des réseaux ferrés, que ce soit celle de l’Etat ou des départements, fut de fermer des lignes. Plutôt que de rénover des superstructures régionales ou transversales qui entraient dans leur âge d’obsolescence, de concevoir une politique de l’offre, l’option dominante fut de les liquider après avoir pris soin d’en favoriser l’agonie technique comme commerciale. La France perdit environ la moitié de son réseau d’intérêt général originel long de quelque 50.000 km, et la quasi-totalité de ses réseaux départementaux qui avaient cumulé jusqu’à 15.000 km.

Illustration typique de la liquidation d'une ligne à la fois transversale (sur l'axe Lyon-Bordeaux par Saint-Etienne et Clermont-Ferrand) et aux caractéristiques d'une voie de détournement (entre Lyon et Clermont-Ferrand, alternative à la ligne via Roanne) : la ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand est neutralisée entre Boën (notre photo) et Thiers. Ici, des manifestants refusent la fermeture administrative (qui a été ajournée) de cette section sans aucun trafic depuis l'été 2016. (Doc. Letrain634269)

 La conséquence est qu’aujourd’hui la France ne dispose plus que rarement d’itinéraires de détournement, tels Montpellier-Toulouse par Bédarieux et Mazamet, d’un kilométrage légèrement inférieur à celui de la ligne principale via Narbonne auquel il aurait pu suppléer ; Lyon-Grenoble par Vienne et Saint-Rambert d’Albon, itinéraire originel susceptible de remplacer provisoirement celui via La Tour-du-Pin ; Orange-Marseille par Carpentras et Cavaillon qui pouvait suppléer l’itinéraire impérial par Avignon… Tous ont été interrompus. Par ailleurs, d’importantes transversales ont été interrompues, les plus connus étant l’axe Clermont-Ferrand-Brive, neutralisé entre Laqueuille et Ussel (le trafic voyageurs étant suspendu depuis Volvic vers l’ouest) ou l’axe Saint-Etienne-Clermont-Ferrand, neutralisé entre Boën et Thiers, sans parler de son complément Lyon Saint-Paul-Montbrison, qui permettait un itinéraire plus court de Lyon à Clermont-Ferrand et Bordeaux.

 Le second phénomène fut celui du tracé des lignes nouvelles, qu’elles soient nationales ou régionales. Les lignes nouvelles nationales, c’est-à-dire les lignes à grande vitesse mises en service à partir de 1981, s’inscrivent toutes, sans exception, dans le schéma de « l’étoile de Legrand ». Même la LGV Rhin-Rhône, dont une seule des trois sections prévues a été construite, bien que conçue pour favoriser les liaisons entre l’Alsace et le Sud-Est, est principalement orientée et exploitée vers Paris. Le projet de sa section sud vers Lyon à travers la Bresse est passé aux oubliettes.

Les nouvelles lignes régionales… toutes en Ile-de-France

 Quant aux lignes nouvelles régionales, toutes sans exception aussi ont été construite en Ile-de-France, depuis le RER A est-ouest jusqu’au métro Grand Paris Express (200 km, 60 stations nouvelles, une quarantaine de milliards d’euros) qui relève d’un concept de desserte périurbaine et régionale, en passant par la future liaison directe vers Roissy après la prolongation nord du RER B, ou la liaison vers Cergy qui fut l’une des premières extensions modernes du réseau. Les créations modernes de ligne ferrées hors Ile-de-France se sont limitées aux espaces urbains avec métros et tramways, ces derniers étant aussi réintroduits en masse en Ile-de-France.

  Spécialiste des questions environnementales et climatiques, Guillaume Pakula, codirigeant du projet Celsius qui vise à aider les entreprises à optimiser leur consommation d’énergie et leurs émissions de gaz, s’interrogeait récemment sur un réseau social sur la raison qui poussait les français à continuer à se déplacer massivement en automobile individuelle. « Pourquoi les Français s’acharnent-ils à prendre la voiture alors qu’on est en pleine crise climatique », demandait-il sans même évoquer par ailleurs les surcoûts énergétiques, la surconsommation d’espace, la pollution sonore. Il répondait : « Parce que la France n’est pas Paris ». Et de s’expliquer, désignant une carte des relations de trains à grande vitesse en France, la quasi-totalité étant amorcées à Paris ou transitant par l’Ile-de-France : « Il suffit de regarder cette carte pour se convaincre que les bonnes idées franciliennes ne sont pas les réalités pratiques du reste de l’Hexagone ».

Carte des liaisons TGV en exploitation au service annuel 2024. Notons que certains de ces services empruntent des lignes classiques sur une partie de leurs parcours, par exemple Paris-Toulouse entre Bordeaux et Toulouse. La concentration sur l'Ile-de-France est caricaturale, bien que de rares liaisons transversales sur lignes classiques existent en sus, à savoir les Intercités Bordeaux-Marseille, Nantes-Bordeaux et Lyon-Nantes.

 Or l’Ile-de-France ne représente que 18 % de la population française, entassée sur un territoire (12.012 km2) qui ne représente qu’à peine 2 % du territoire du pays (643.801 km2). Malgré une population hors Ile-de-France massivement majoritaire, la comparaison entre offre ferroviaire radiale et offre ferroviaire transversale entre métropoles hors Paris est accablante.

 Le conseiller en action climatique explique : « Un Paris-Marseille, c’est seulement 3 h 30 mn de trajet (en fait entre 3 h 05 mn et 3 h 28 mn, NDLR) pour quelques kilos de CO2. On peut aller déguster un bretzel à Strasbourg ou une galette-saucisse à Rennes en moins de deux heures ou plonger les pieds dans l’océan girondin en moins de temps qu’il ne faut pour découvrir le nouvel opus de Dune au cinéma. La France est à votre porte, à ce détail près : il vous faudra habiter la capitale (ou sa région, NDLR) ».

De Toulouse, Lyon, Bordeaux… les transversales négligées voire supprimées

 A l’inverse, poursuit-il, « pour un Toulousain, c'est une autre limonade : Il faudra 4 heures pour se rapprocher de Marseille, Lyon ou Tours, et quasiment une journée complète pour aller retrouver famille et amis à Nantes, Rennes ou Dijon. Six heures de votre vie, et un passage obligatoire par... Paris ! » Le constat est le même à partir des autres grandes métropoles du pays, à l’exception des liens empruntant des sections du réseau radial, type Montpellier-Lille ou Lyon-Rennes.

 Au départ de Lyon, aucune relation directe par LGV n’est proposée avec Bordeaux : le voyageur ferroviaire doit changer de train soit à Paris, soit à Montpellier ou Toulouse. Les liaisons sur lignes classiques par le Massif central ont disparu depuis une décennie, qu’elles passent par Brive (section de voie neutralisée) ou par Montluçon (succession de TER nullement coordonnés). Et la tentative de rétablissement d’un service voyageurs sous le régime du service librement organisé par Railcoop vient d’échouer dans les pires conditions, avec liquidation de cette coopérative dans laquelle des dizaines de milliers de particuliers, mais aussi des collectivités avaient investi. Par ailleurs Bordeaux n’est plus relié par aucun train direct avec Nice, tous les Intercités terminant à Marseille.

A l'heure où nous mettons en ligne, la coopérative ferroviaire Railcoop vient d'être placée en liquidation judiciaire. Si l'échec est patent, cette initiative aura eu le mérite de souligner enfin l'inanité de la conception centraliste du réseau ferroviaire par l'Etat et de ses impacts profondément négatifs sur des régions entières. Voici les propositions de liaisons nouvelles que les groupes de  travail de cette coopérative avaient envisagées. Le plus ironique, est que nombre d'entre elles ont existé par le passé. (Doc. Railcoop)

« Il sera plus évident d’être vertueux et climato-irréprochable quand les infrastructures et les alternatives de mobilités décarbonées seront disponibles et accessibles pour tous », poursuit Guillaume Pakula, et pas seulement pour les habitants des arrondissements parisiens.

 Plusieurs voix compétentes vont dans le même sens. Le consultant en ingéniérie André-Pierre Boller abonde dans le même sens en suggérant « d’en faire autant » en matière d’offre de transport ferroviaire « pour les 82 % de Français habitants la ‘’province’’ que pour les 18 % de Français habitant l’Ile-de-France », tout en reconnaissant que ce n’est facile « ni à expliquer ni à décider ».

 Henri-Vincent Amouroux, président de la section Gironde de la Fédération nationale du Mérite maritime, juge que « l’abandon des relations transversales est insupportable ».

Les liaisons TGV intersecteurs, « une désertion »

 Un maître d’ouvrage chez SNCF Réseau nuance quant à lui le jugement qu’on peut porter à la vue de la carte des liaisons TGV en France : « Les liaisons grandes distances ne se limitent pas au TGV. Les TET et certains TER y pourvoient (Paris-Mulhouse, Paris-Cherbourg, etc…). » Les TET ou Intercités assurent en effet quelques (rares) relations de rocade, telles Toulouse-Bayonne, Bordeaux-Nantes ou Lyon-Nantes. Mais il a fallu toute l’énergie des élus régionaux de Lorraine pour obtenir la réactivation d’une relation TGV Nancy-Lyon alors que la région Grand Est finance déjà deux TER Nancy-Dijon.

En gare de Grenoble centre. De g. à d. : autorail thermique X73500 à destination de Gap, rame électrique TER 2N à destination de Lyon Part Dieu et rame TGV 2N en provenance de Paris Gare de Lyon, seuls trains à grande vitesse desservant cette gare. La métropole dauphinoise (450.000 habitants) n'est plus desservie par aucune liaison à grande vitesse hors Paris. Elle a perdu ses rares TGV vers Lille par Roissy et vers Marseille par Valence-TGV et le raccordement entre la ligne du sillon alpin et la LGV Méditerranée (alors qu'elle disposa jadis d'un train de nuit Genève Nice). Elle ne dispose d'aucune liaison directe vers Montpellier alors qu'elle disposait du Catalan Talgo jusqu'aux années 1980, ni vers Toulouse ou Strasbourg. Les correspondances à Lyon ou Valence augmentent nettement les temps de voyage. ©RDS

 Ce cadre de SNCF Réseau admet en revanche que « les liaisons intersecteurs (entre régions hors ou via l’Ile-de-France, NDLR) à grande vitesse sont le parent pauvre du TGV puisque leur nombre a fortement diminué avec le temps ». Il se pose la question d’un nouvel entrant « pour se saisir de l'opportunité que constitue cette désertion » qu’il juge « difficilement justifiable car si les intersecteurs sont difficiles à produire, leur potentiel est considérable ».

Il suffit de constater le nombre de voyageurs en correspondance à Valence TGV entre les TER du sillon alpin et les TGV de la LGV Méditerranée, alors qu’aucune circulation n’emprunte plus le (coûteux) raccordement entre la ligne Valence-Grenoble  et ladite LGV pour constater à quel point ce type de relation transversale est délaissé par l’entreprise d’Etat.

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Commentaires
D
Tout n'est pas si noir, il existe quand même quelques liaisons TGV passe Paris (7 Lyon Lille, 4 Lyon Nantes) (j'ai exclu les ouigo qui ne sont notoirement pas pratiques sauf si on habite à côté de St Exupéry et qui en plus ont un mode de fonctionnement propre), 11 Lyon Marseille (hors ouigo). Mais il y a des trous dans la raquette (les propositions de liaisons TGV faites par le train et kevin speed illustrent bien le fait que la desserte TGV est essentiellement pensée depuis Paris).<br /> La carte de railcoop comprend quelques suggestions utiles pour des liaisons transversales, mais il faut rester pragmatique: ce n'est pas avec un train par jour qu'on crée un report modal, il faut en proposer entre 4 et 8 pour commencer à concurrencer la voiture individuelle. Par ailleurs Railcoop proposait d'utiliser des tronçons de ligne aux performances assez médiocres avec des LTV pour voie fatiguée (Montluçon Guéret, Poitiers Limoges, Grenoble Veynes) ce qui rend les temps de parcours de bout en bout assez peu attractifs. Par exemple entre Lyon et Tours, le TER par l'Azergues fait de l'aménagement du territoire, mais il met 1h de plus que les IC via Roanne et St Germain des Fossés.
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T
Et le même constat prévaut pour le retour des trains de nuit, qui seront tous au départ de Paris.<br /> Alors même que s'il est un créneau pertinent pour les trains de nuit, c'est bien les relations pour lesquelles l'infrastructure ne permet pas d'aller vite.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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