Provence-Alpes-Côte d’Azur : promesse d’une fréquence au quart d’heure entre Cannes et Menton sur une section surchargée
Déjà l’une des lignes TER les plus chargées de France avec Lyon-Saint-Etienne, la relation Saint-Raphaël-Vintimille va voir sa fréquence encore augmentée, au moins sur sa section centrale Cannes-Menton, qui desserte les pôles très fréquentés de Nice et de la principauté de Monaco. C’est ce qu’a annoncé début septembre le président de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Renaud Muselier. Mais les contraintes liées à l’exiguïté de l’infrastructure et le retard des projets d’installations et de ligne nouvelle laissent planer un doute sur une amélioration substantielle des services TER de la ligne principale de ce département des Alpes-Maritimes qui concentre l’essentiel de ses 1,1 million d’habitants sur la bande littorale, population doublée depuis 1954.
Le conseil régional de PACA a décidé de viser pour fin 2024 une fréquence « au quart d’heure » dans chaque sens, avec une augmentation de la capacité unitaire des trains par doublement des rames à partir de l’été prochain. L’exiguïté de l’infrastructure, à double voie, limite pourtant les ambitions de l’autorité organisatrice régionale des TER. Le quadruplement un temps envisagé entre Cannes et Nice Ville (31 km) s’est réduit à un triplement entre Antibes et Cagnes-sur-Mer (9 km) à partir du moment où a prospéré le (lointain) projet d’une ligne nouvelle par l’intérieur.
Des aménagements ponctuels de la ligne historique côté Nice
Il est vrai qu’entre-temps a été élaboré pour PACA le projet de ligne nouvelle dite « des métropoles », avec une section envisagée entre Nice Saint-Augustin et Cannes par l’intérieur… mais dans une perspective encore lointaine. Selon Renaud Muselier, les travaux de la phase 1 de ce projet devraient débuter « en 2026 ». Mais ils se limiteront dans un premier temps côté Nice à des aménagements ponctuels sur l’axe historique.
Par ailleurs, a rappelé M. Muselier sur la station régionale France-Bleu, « nous mettons près de 600 millions d’euros dans la totalité de la réfection » des voies supportant des trafics TER, sur l’ensemble de la région. Il se distingue ainsi des présidents des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie qui, lassés du désengagement de Paris, refusent désormais après des années d’investissements de participer à la régénération d’infrastructures dont l’Etat est pleinement propriétaire. Et alors que les régions paient des droits de circulation à SNCF Réseau pour que leurs TER puissent fonctionner.
TER Provence-Alpes-Côte d'Azur en gare d'Antibes. Cet établissement doté de seulement trois voies à quai est desservi tant par les TER de l'étoile de Nice vers Cannes, Grasse et Saint-Raphaël à l'ouest, Nice, Menton et Vintimille à l'est, que par tous les TGV de l'axe et les TER à longue distance Nice-Marseille. l'espace existe pour une quatrième voie à quai. La passerelle (à g.) mène directement à la gare routière, tête des (lentes) lignes de bus vers la technopole de Sophia-Antipolis. ©RDS
La section Cannes-Menton se caractérise par une capacité d’autant plus faible que les quatre principales gares hormis Nice-Ville - Cannes, Antibes, Monaco-Monte-Carlo, Menton – ne disposent que de trois voies à quai, ce qui est notoirement insuffisant. Certes les trois premières d’entre elles ne sont desservies que par des TER passants. Mais même pour elles cette situation est préjudiciable : tout dérèglement de l’horaire induit des conséquences en cascade en périodes de pointe.
L’ouverture, phasée, de l’axe Marseille-Vintimille a commencé en 1858 entre Marseille et Aubagne, alors que le Comté de Nice ne serait annexé par la France que deux ans plus tard. Dès l’année suivante la ligne atteignait Toulon, place navale stratégique pour le pays. Nice ne fut atteinte qu’en 1864, Menton en 1869 et Vintimille en 1872, l’année-même où la ville des « Vingt miles » fut atteinte depuis l’est par la ligne de la coté ligure, formant ainsi un continuum ferroviaire de Marseille à Gênes.
Déjà 45 allers-retours quotidiens en semaine entre Cannes et Menton
A l’origine, seule la section Marseille-Toulon était à double voie, le reste à voie unique. C’est au cours des décennies suivantes que l’ensemble de l’axe Marseille-Vintimille reçut une deuxième voie : progressivement de 1875 à 1898 de Toulon vers Menton ; de Menton-Garavan à Vintimille en 1910, de Menton à Menton-Garavan (percement d’un deuxième tube du tunnel passant sous la vieille ville de Menton) en 1913.
On dénombre déjà en jour ouvrable de base quelque 45 allers-retours entre Cannes et Menton, complétés par quelques Cannes-Nice ou Nice-Vintimille. Une partie de ces rotations sont prolongées à l’ouest de et vers Grasse. L’embranchement Cannes-Grasse a été heureusement et péniblement remis en service à partir des années 1970 après qu’il a été fermé aux voyageurs dès 1938, dans la rafale de plus de 4.236 km de suppressions de cette année-ci, suivie en 1939 par 4.154 km supplémentaires. La sous-section Cannes-Ranguin fut rouverte aux voyageurs de 1978 à 1995, avant réouverture complète de l’antenne et électrification en 2005.
Vue aérienne d'une circulation TER dans le quartier de Garavan à Menton, en provenance de Vintimille. Ces circulations sont sous haute surveillance en raison de l'afflux d'immigrés clandestins qui tentent de se cacher dans les espaces techniques de rames. ©RDS
Une autre partie de ces TER sont prolongés à l’ouest jusqu’à Saint-Raphaël, à l’est jusqu’à Vintimille. Il convient d’ajouter à ces missions les six TER à grand parcours Marseille-Nice, qui assurent un complément de fréquence entre Cannes et Nice. La fréquence entre Cannes et Nice dépasse donc la cinquantaine de circulations dans chaque sens. Pour autant, le cadencement sur Cannes-Vintimille n’est pas exact en raison du chevauchement de missions amorcées à Saint-Raphaël ou Grasse et bien sûr Marseille d’une part, Vintimille ou Menton d’autre part. Notons pour mémoire qu’est prévue une paire de missions courtes Nice-Monaco-Monte-Carlo et retour pour alléger les trains très chargés à l’est de Nice.
Sur Cannes-Menton, la question de la cohabitation avec TER à long parcours, TGV et fret
Au demeurant ces TER sont globalement tous très chargés aux heures de pointe sur l’ensemble de la section Cannes-Menton. La fréquence portée au quart d’heure annoncée par M. Muselier s’entend certainement – il ne l’a pas précisé – aux périodes de pointe. On peut donc estimer que le nombre de TER destinés à circuler sur l’ensemble de cette section pourrait passer de quelque 45 par sens aujourd’hui à plus d’une cinquantaine par sens. On en dénombrerait 68 si l’on comptait un TER chaque quart d’heure sur une plage de 17 heures, ce qui serait évidemment impossible à appliquer en raison de la cohabitation avec les six TER à grand parcours Nice-Marseille, avec les sept TGV au départ de Nice.
Reste que le nombre ne doit pas faire oublier le cadencement. L’idéal serait certes de caler les circulations à des minutes fixes de chaque heure dans les gares intermédiaires. Mais là encore se pose la question de la cohabitation entre missions diverses au sein même du service TER propre à la section. Certaines haltes sont traversées sans arrêt par quelques missions : Cap-Martin-Roquebrune, Cap d’Ail, Eze à l’est de Nice ; Cros-de-Cagnes, Villeneuve-Loubet, Biot à l’ouest de Nice. Cela complexifie le graphique en rendant les temps de parcours hétérogènes.
Comme signalé plus haut, la circulation de TGV et TER à grand parcours contraindra d’autant plus la mission des horairistes que la densité de TER locaux sera élevée. Il faut enfin prendre en compte les circulations fret qui, quoique peu nombreuses, ont leurs exigences… et pourraient augmenter jusqu’à l’été prochain en raison de l’interruption en septembre dernier pour près d’une année de la ligne de la Maurienne.
Projets d’infrastructures nouvelles à court et moyen terme : extension des gares et section sous Marseille
On mesure à quel point s’impose la nécessité d’une augmentation de la capacité de l’infrastructure. Or la ligne nouvelle Nice-Cannes devra attendre de nombreuses années avant son éventuelle mise en service. Les seuls projets avancés sont ceux des phases 1 et 2, qui ne concernent que l’adaptation ou l’extension des installations sur la ligne historique hormis, en phase 2, la création d’une gare souterraine à Marseille Saint-Charles, encadrée par deux sections souterraines nouvelles sous la ville.
Dans la région niçoise, la phase 1 prévoit, indique SNCF Réseau, la création de la gare de Nice Aéroport, sur le site de Nice Saint-Augustin. Nice Aéroport sera équipée de quatre voies à quai TGV/TER. La phase 2 consistera à équiper la gare de Nice Ville de deux voies à quai supplémentaires, et celle de Nice Saint-Roch, sur la ligne de Breil et Tende, d’une voie de remisage TER.
Marseille Saint-Charles, gare en cul-de-sac. La création d'une gare souterraine passante - du type de celle de Zurich Hauptbahnhof - constituera une avancée décisive en matière de capacités, avec deux sections encadrantes amorcées à l'ouest à la tête sud du tunnel de la ligne à grande vitesse existante, à l'est dans la zone de a Blancarde. ©RDS
La phase 2 prévoit d’autre part d’équiper la gare de Cannes d’une voie à quai supplémentaire (malgré la forte contrainte urbaine et la couverture de la gare d’une dalle routière, il est possible d’utiliser l’espace d’une voie de service). Elle prévoit aussi de créer une véritable gare TER multimodale sur l’espace du site de Cannes Marchandises, dotée de quatre voies à quai, et de construire un « terrier » pour éviter le cisaillement des voies principales Marseille-Vintimille par les circulations TER à destination de Grasse. L’enquête publique pour les phases 1 et 2 a été menée en janvier-février 2022.
Si les travaux de la phase 1, c’est-à-dire ceux de la gare de Nice Aéroport, débutent en 2026, on ne peut guère espérer voire cette station mise en service avant 2028 et ceux de Cannes et Nice Ville avant la décennie 2030. Les horairistes de la Côte d’Azur ont donc encore de nombreuses années de migraine devant eux. Et plus que la fréquence et la régularité, c’est sur l’augmentation de la capacité des trains que les usagers devront compter.
Questions sur la faisabilité d’un réseau express métropolitain
Cette situation pose la question de la faisabilité d’un réseau express métropolitain (REM) autour de Nice. La mise en service de la gare souterraine de Marseille et ses sections encadrantes induiront certainement une augmentation du nombre de trains à grande vitesse à destination de Nice. La prochaine augmentation du nombre de TER Marseille-Nice, qui sera assurée sous la responsabilité de Transdev est déjà actée. Le rétablissement de liaisons à grand parcours Marseille-Milan est envisageable, de même que la prolongation, annoncée, d'une des circulations Intercités Bordeaux-Marseille jusqu'à Nice. Le fret pourrait se développer, dans la logique d'un rééquilibrage des trafics de la route vers le rail.
Sur la section maîtresse Cannes-Vintimille, la fréquence des TER en heures de pointe ne paraît pouvoir dépasser le quart d’heure et, en heures « normales » la fréquence actuelle déjà honorable paraît proche de son plafond.
La création d’une ligne 4 du réseau de tramway niçois jusqu’à Cagnes-sur-Mer sera susceptible d'alléger pour partie la demande sur cette section péri-urbaine ouest de Nice (11 km) du réseau ferré national.
Gare de Nice CP. Cet établissement moderne mis en service en 1991 a l'inconvénient de ne pas être en correspondance directe avec la ligne 1 du réseau de tramway. La gare originelle, en revanche, l'eût été. Son beau bâtiment a été conservé mais dédié à des activités commerciales, et son faisceau de voies a été aliéné et construit. L'opération immobilière et commerciale a été réalisée aux dépens du chemins de fer et de la cohérence des réseaux de transport public... ©RDS
Quant aux régions de l’arrière-pays niçois, la desserte par des axes de REM paraît difficile vu la faiblesse des infrastructures. Si l’on peut développer la desserte de la vallée du Var par la ligne des chemins de fer de Provence, son amorce dans sa gare isolée dans Nice, sans connexion directe avec le tramway, est un handicap. Une connexion avec la ligne 3 du tramway à Lingostière semble hautement souhaitable, prévue mais pour l’instant reportée, de même que la réalisation d’un avant-projet de doublement de la ligne par la rive droite du Var.
La question préoccupante de la desserte de Sophia-Antipolis
Si la liaison avec Grasse a été heureusement rétablie, la voie unique limite la capacité de l’antenne. Mais le plus préoccupant réside dans la non-desserte de Sophia-Antipolis, la technopôle qui réunit des sites d’entreprise de haute technologie et d’importants établissements universitaires ? Située sur les communes d’Antibes et de Valbonne cette zone d’activités été conçue pour l’automobile. Un projet de tramway n’a jamais été réalisé malgré amorce de la construction des structures d’un viaduc qui lui eût été destiné. De récents aménagements destinés aux lignes d’autobus ne résolvent guère la question de la rapidité des dessertes, avec de multiples détours pour desservir des sites d’emploi et d’études. Le service d’autocars régionaux express à deux niveaux entre Sophia-Antipolis et Nice reste tributaire des aléas de la route.
Croisement d'un TER à grand parcours Marseille-Nice et d'un TER de l'étoile de Nice en gare d'Antibes. En aval, la ligne est désormais équipé de trois voies jusqu'à Cagnes-sur-Mer. En revanche l'entrée dans Nice, très contrainte par une densité élevée d'habitations et de voiries, reste à deux voies, goulot d'étranglement sur l'une des sections les plus chargées de France. ©RDS
Le projet d’une section de ligne nouvelle mixte TER-TGV entre Nice Aéroport et Cannes La Bocca, doublant par l’intérieur la ligne du littoral et comportant une station intermédiaire à hauteur de Sophia-Antipolis, semble au mieux reporté aux années 2040. D’autant qu’il a suscité de puissantes oppositions écologiques et urbanistiques, entraînant plusieurs hypothèses pour la localisation de la station Sophia-Antipolis : au cœur de la technopôle, vers le quartier Garbejaire, ou plus près d’Antibes, près du péage autoroutier, au risque de l’éloigner un peu plus de la zone d’emplois ?
Enfin, la desserte nord-est par la ligne de Breil et Tende pose la question de sa modernisation. La création d’une voie nouvelle de stockage à Nice Saint-Roch ne permettra guère qu’une meilleure approche urbaine. C’est jusqu’à Sospel, voire Breil, que cette ligne devrait être réhabilitée - voire électrifiée pour assurer une homogénéité de la traction avec le reste du réseau à voie standard de la région. – et desservie par des services cadencés à l’heure sur la partie haute, possiblement amorcés sur la ligne littorale par exemple à Cannes dotée d’une quatrième voie à quai.