(* Complété le 14 juillet par un paragraphe sur l'interruption due à l'incident du tunnel de Moriez, après le 5e intertitre)

 La ligne à voie métrique reliant Nice à Digne, longue de 149,862 km depuis le déplacement de la gare terminus de Nice de son bâtiment historique vers un bâtiment moderne situé à 185 m en amont, connaît une activité soutenue malgré la « crise sanitaire ». Elle bénéficie de l’attachement des populations desservies et d'une promotion régionale intense. Bel exemple de ce qu’auraient pu devenir certains des 15.000 km de lignes d’intérêt local supprimées en France depuis les années 1930, la ligne Nice-Digne dite « Chemins de fer de la Provence » dessert 51 gares ou stations, extrémités comprises. Il est vrai toutefois que Nice-Digne, si elle a l’apparence d’une ligne d’intérêt local, n’en est pas moins à l’origine une ligne concédée par l’Etat et non par un ou des départements. La ligne est actuellement interrompue côté nord en raison de travaux sur le tunnel de Moriez. Sa réouverture totale est prévue pour 2022. 

Du niveau de la mer à l’altitude 1.015 m à l’entrée du tunnel de la Colle-Saint-Michel, long de 3.455 m

 Partie de quelques mètres au-dessus du niveau de la mer à Nice, cette ligne atteint en 90 km l’altitude de 1.015 m au portail  sud de son long tunnel de faîte de La Colle-Saint-Michel, long de 3.455,25 m, entre la station du Peyresq et la gare de Thorame-Haute. Les déclivités les plus fortes sont observées entre Annot et ledit tunnel, avec un dénivelé de 312 m avalé sur 12,38 km. Sur cette section particulièrement vertigineuse, le tracé s’accroche au flanc de la montagne du Ruch (2.100 m) au-dessus de la profonde vallée de la Vaïre, face à l’impressionnante montagne du Puy de Rent (1.974 m), après un magnifique tracé en S quasi-hélicoïdal au-nord de la station du Fugeret.

CPGare de Thorame-Haute, la plus élevée de la ligne, à 1.013m d'altitude dans la haute vallée du Verdon. Située près de la tête ouest du long tunnel de faîte de la Colle-Saint-Michel, elle est la première gare, depuis Nice, située dans le département des Alpes-de-Haute-Provence. Elle est dotée d'un assez vaste espace côté voies, permettant des dépôts de matériel ou de matériaux nécessaires à cette section d'altitude. (Doc. Wikipedia/Pline)

 Il est peu de dire que cette ligne constitue un élément remarquable des réseaux ferroviaires français et un puissant outil d'identité territoriale. Au nord de Nice, dans la plaine du Var qu’elle atteint depuis le centre de la ville sans avoir à passer par la bande côtière, grâce à quatre tunnels à travers les plissements calcaires du nord-ouest de la commune, elle assure une desserte péri-urbaine. Sur la commune de Nice, elle dessert trois vallées intra-urbaines grâce aux stations de Parc-Impérial, Saint-Philippe et La Madeleine, perpendiculairement à des lignes de bus.

 Ce service mériterait encore mieux que  les 22 allers-retours quotidiens entre la gare de Nice et la station Pont-de-la-Manda (ou Colomars-La Manda) qui dessert la zone industrielle de Carros. C’est de cette station que se détachait la ligne du même réseau métrique à destination de Draguignan par Tourette-sur-Loup et Grasse, avec prolongement jusqu’à Meyrargues par Lorgues et Entrecasteaux.

 Ce service péri-urbain niçois mériterait son électrification et de nouveaux évitements. L’espacement des évitements actuels (un toutes les dix minutes de temps de parcours) ne permet qu’une cadence aux 20 mn par sens. Le service assure la liaison Nice-Pont-de-la-Manda en 23 mn. La ligne mériterait aussi une prolongation dans Nice au moins jusqu’à la ligne 1 du tramway, toute proche, voire plus loin en souterrain, à l'image du métro valencien. 

Sur la longue distance, le service régional assure quatre allers-retours par jour entre Nice et Digne, qui ne desservent pas les haltes intermédiaires en zone urbaine et péri-urbaine.

Une épine dorsale pour cinq anciennes lignes embranchées ou en correspondance

 Cette ligne, qui fut propriété du Sud France avant de passer aux Chemins de fer de Provence, a servi d’épine dorsale à un bouquet de cinq lignes ferroviaires à voie métrique rayonnant dans les montagnes et vallées de l’arrière-pays niçois et provençal.

 On a noté la longue transversale Colomars-la-Manda-Meyrargues, longue de 210 km, dont l’exploitation complète n’a pas repris après les destructions de trois viaducs en août 1944 par l’armée allemande, malgré une irrigation fine de ces hautes terres difficiles d’accès. La section ouest, entre Meyrargues, Draguignan et Tanneron (148 km), a continué d’être exploitée a minima jusqu’en 1950.

 Mais sur la ligne Nice-Digne s’embranchaient aussi, en correspondance, les lignes du réseau des tramways des Alpes-Maritimes (TAM), toutes électrifiées en 6,6 kV/50Hz : la première était amorcée à la station Pont Charles-Albert à destination de Roquestéron (29 km) ; la seconde était amorcée à la station La Vésubie-Plan-du-Var à destination de Saint-Martin-Vésubie (34 km) ; la troisième était amorcée à la station La Tinée, empruntant la voie du CP sur 2,7 km jusqu’au Pont de la Mescla où elle franchissait le Var pour rejoindre Saint-Sauveur-sur-Tinée (27 km) ; la quatrième s’amorçait à la station de Pont-de-Gueydan pour rejoindre Guillaume (29 km). Toutes ces lignes ont été fermées au printemps 1929, à l’exception  de la ligne La Tinée-Saint-Sauveur-sur-Tinée, fermée à l’été 1931.

Situation générale du réseau Sud France en 1923. Il comprenait les lignes Nice-Digne et Nice-Meyrargues, ainsi que la ligne isolée Toulon-Saint-Raphaël qui constituerait aujourd'hui un outil touristique de premier ordre sur la côte des Maures. Les deux dernières ont été supprimées après la Seconde Guerre mondiale. On remarque à l'est les tracés des tramways de Saint-Martin-Vésubie et de Saint-Sauveur de Tinée, relevant du réseau des TAM. Leurs lignes de Roquestéron et Guillaume ne sont pas mentionnées.

 A Digne, la ligne des Chemins de fer de Provence donnait correspondance à celle du réseau ferré national à destination de Saint-Auban, longue de 22 km et neutralisée en 1991 contre toute logique de réseau. La gare de Digne, dotée de deux bâtiments (PLM/SNCF et CP/Sud France) se faisant face, a vu les deux réseaux réunis dans la gare SNCF. A ce jour, les trains du CP en provenance de Nice n’offrent que des correspondances par autobus à destination de Saint-Auban, véhicules roulant sur la nationale surchargée de la vallée de la Bléone en contrebas d’une emprise ferroviaire nationale promise aux vélo-rails.

Nice-Digne, mise en service par tronçons de 1892 à 1911 sous convention d’Etat

 La ligne Nice-Digne fut concédée par l’Etat à la compagnie des chemins de fer du Sud de la France, qui mit en service cet axe tronçon par tronçon de Nice à Digne, entre 1892 et 1911. Cette ligne, d’intérêt militaire, a dû être construite au gabarit de la voie normale malgré son armement en voie métrique. Après une nouvelle convention signée avec l’Etat en 1925, la raison sociale de l’exploitant devint celle de « Chemins de fer de Provence ». La forte chute du trafic au début des années 1930, largement due à la suppression des lignes de tramways en correspondance et à la crise de 1929, entraîna une mise sous séquestre et un financement par l’Etat. Ce dernier reprit directement l’exploitation par l’intermédiaire d’une régie en 1952, avant menace de fermeture trois ans plus tard, contrée par une mobilisation des élus.

 En 1967 fut créé le Syndicat mixte à vocation unique Méditerranée-Alpes (SYMA), composé de quatre collectivités : les deux départements (Alpes-Maritimes et Alpes-de-Haute-Provence) et les deux villes de Nice et Digne. Une délégation de service public fut accordée en 1974 à CFTA, devenue ensuite Veolia. En 2007 le SYMA céda la place à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur qui reprit l’exploitation en régie directe, intégrant la ligne à son offre TER par la tarification « Zou ».

CPRame bi-caisse AMP 800 des Chemins de fer de Provence. Un matériel conçu pour dégager la vue sur les paysages exceptionnels de cette ligne parmi les plus spectaculaires de France. (Doc. Wikipedia/Gamau M.)  

Notons que depuis 1980 le Groupe d’étude des Chemins de fer de Provence (GECP) organise des circulations touristiques en trains à vapeur au départ d’Annot. Le GECP, qui compte 3.000 adhérents et 45 bénévoles, constitue par ailleurs une force de proposition. Il s’est opposé aux velléités de fermeture de la ligne exprimées par certains élus au fil des nombreux incidents survenus sur l’infrastructure en raison de sa vulnérabilité, en particulier dans la vallée du Var très encaissée dans sa partie supérieure.

La région va construire un nouveau centre de maintenance et acheter huit autorails hybrides

 Passée dans le giron de la région, la ligne bénéficie d’une attention soutenue. En 2020, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a annoncé la construction pour 25 M€ d’un nouveau centre de maintenance et de remisage à Lingostière, déjà coeur technique du réseau, ainsi que l’achat de huit rames neuves pour 56 M€.

Les huit nouvelles rames seraient dotées d’une motorisation hybride afin d’assurer la desserte périurbaine en mode électrique sur batteries entre Nice et  Plan-du-Var, avant de continuer en traction thermique plus au nord.

CP

CP

Deux architectures pour deux gares terminus de la ligne des Chemins de fer de Provence au coeur de Nice.

En h., le bâtiment d'origine datant de 1892 et dessiné par l'architecte Prosper Bobin pour la compagnie du Sud France. Monumentale et située sur l'avenue Malausséna désormais desservie par la ligne 1 du tramway, cette gare expédia des trains vers Digne mais aussi vers Grasse et Draguignan (avec correspondance en prolongation vers Meyrargues). Privée de trains depuis 1990 elle a été inscrite, y compris sa halle, aux monuments historique pour éviter les excès de la ville de Nice à laquelle l'Etat l'avait cédée. (Doc. Wikipedia/Gregory Derickère)

En b., le bâtiment de substitution, situé à moins de 200m du précédent, dont la monumentalité est singulièrement rétrécie, témoignage du peu de cas accordé alors au chemin de fer régional. Cette gare est en service depuis 1991 et ne donne aucune correspondance correcte avec les transports urbains. Entre l'ancienne et la nouvelle gare, un parc à voitures. (Doc. Wikipedia/Eric Coffinet)

 Les futures rames complèteront un parc assez disparate avec, en particulier : six autorails mono-caisses CFD des années 1972-1977 qui complétèrent puis remplacèrent les vénérables et puissants autorails Renault de 1935 et les petits Billard de 1938 ; un autorail bi-caisses Soulé-Garnéro de 1984 ; quatre rames bi-caisses AMP ; quatre voitures à voyageurs AT de 1949 et deux Appenzell de 1948...

 Notons que le service fret a été supprimé en 1977, seuls demeurant les petits colis de messagerie.

 En 2020, la régie employait 173,5 personnels équivalents temps plein sous convention collective VFIL, indique le dernier rapport d’activité de la régie des Chemins de fer de Provence. L’année 2020 a été fortement perturbée, non seulement en raison de la « crise sanitaire », mais aussi en raison des intempéries.

Plusieurs interruptions pour intempéries, au nord de Saint-André-des-Alpes depuis 2019 jusqu'en 2022

 Le 23 novembre 2019, la ligne a été interrompue en raison des conséquences de graves intempéries entre Colomars et Saint-André-les-Alpes, soit la totalité de son parcours longue distance hors zone péri-urbaine (136 km) (1). La reprise a été progressive, d’abord entre Colomars et Plan-du-Var (11,6 km) au 20 février 2020 mais elle reste partielle. L'effondrement d'une tête du tunnel de Moriez empêche la circulation au nord de Saint-André-les-Alpes, soit une section de 43 km usqu'à Digne. La réouverture totale de la ligne est désormais prévue courant 2022, grâce à la reprise des travaux de réparation qui devraient durer pour reprise du service à l'automne 2022.

 Vue du lancement des travaux de restauration du tunnel de Moriez, à 1,5 km au nord de Saint-André-des-Alpes. Le projet est piloté par la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Le rétablissement complet des services voyageurs de bout en bout est prévu au second semestre 2022. (Doc. Chemins de fer de Provence.)

 Le tunnel de Moriez, situé à 1,5 km au nord de la gare de Saint-André-les-Alpes, est long de 1.195 m. La première phase de sa restauration, gérée par Spie Fondation, vise à stopper l’effondrement en effectuant un comblement du tunnel depuis la surface situé a 45 mètre au-dessus. Les travaux ont démarré début juin et vont durer 6 mois. La deuxième phase concerne le confortement, la sécurisation et le renforcement de plusieurs zones, puis le recreusement de la zone comblée en phase 1. Ces travaux sont prévus pour une durée douze mois à partir d’octobre 2021.

 La tempête Alex, qui a gravement endommagée la ligne voisine Nice-Tende, a aussi frappé Nice-Digne, entraînant son interruption du 2 octobre au 28 novembre 2020. Elle a causé neuf coulées de boue et endommagé 3.700 mètres de voie.

 La maintenance de la voie métrique, malgré la « crise sanitaire » et la tempête Alex, s’est poursuivie en 2020 avec régalage et bourrage de ballast sur 16,38 km, après 42,33 km en 2019, 21,56 km en 2018, 24,24 km en 2017. Pour remédier aux dégâts de la tempête Alex du 2 octobre, 10 engins de travaux ont été mobilisés à partir du 6 octobre, dotés de 30 agents. Trois tonnes de ballast neuf ont été apportées pour régaler les sections de voie endommagées et affouillées.

CPGare de Plan-du-Var, à l'amorce de la partie la plus étroite de la vallée du Var, terminus provisoire pendant une période d'interruption de la section haute de la ligne. (Doc. Wikipedia/Eric Coffinet)

 Le bilan financier a été affecté par les coupures de voie sur l’année 2020, avec un coût kilométrique trains+cars de substitution de 22,95 € contre 19,36 € en 2019, indique le rapport d’activité. La contribution de la région, à 12,429 millions d’euros en 2020, était néanmoins en baisse de 4,9 % sur un an et de 0,6 % par rapport à 2017.

Le train à vapeur du GECP entre Puget-Théniers et Annot s’apprête à une saison estivale très active

 Signe supplémentaire du dynamisme de cet axe ferroviaire à la fois indispensable et pittoresque, urbain et régional, touristique et structurant pour toute une région isolée, les circulations vapeur du GECP ont repris le 6 juin et dureront jusqu’au 31 octobre, sur 19,77 km au départ de Puget-Théniers vers Annot et retour, avec passage à Entrevaux. Un billet combiné permet de rejoindre Puget-Théniers depuis Nice et de poursuivre sur le train à vapeur du GECP. Toutes les autres gares délivrent des titres de transport pour le train à vapeur. (2)

 La circulation à vapeur est proposée tous les dimanches du 6 juin au 31 octobre, auxquels s’ajoutent les vendredis du 16 juillet au 27 août, tous les jeudis du mois d’août, ainsi que le 6 novembre au départ du Fugeret. Le départ de Puget-Théniers est programmé à 10 h 55, l’arrivée à Annot à 12 h 05. Le temps est laissé pour déjeuner au buffet et visiter le bourg, avant un départ d’Annot à 15 h 30 pour une arrivée à Puget-Théniers à 16 h 27.

CP

Circulation vapeur du GECP. Le Groupe d'Etude pour les Chemins de fer de Provence a constitué un fer outil déterminant pour le maintien en activité de la ligne durant les périodes de menace de fermeture. Le GECP organise aussi des stages d'insertion et d'initiation à la traction vapeur. (Doc. GECP)

 Notons pour terminer que la ligne Nice-Digne a servi au tournage de plusieurs films, en particulier : « Et Dieu… Créa la femme », (1956) ; « La Nuit Américaine » (1973) ; « Jamais Plus Jamais » (1983) ; « La Cité de  la Peur » (1994)… Le site des Chemins de fer de Provence explique aussi : « En 1938 déjà, Christian Jaque tournait Ernest le Rebelle avec Fernandel en exploitant trains, gares et décors naturels pour servir le propos de son œuvre. » Plus récemment, le distributeur Aldi a choisi la gare de Nice des Chemins de fer de Provence pour le tournage d'une campagne de publicité.

- - - - -

(1) Lien vers une vidéo sur les suites de la tempête Alex :

 

 

 

 

 

 

 

https://youtu.be/c05e_Dmka0Q

(2) Lien vers la page du site des Chemins de fer de Provence consacrée au train à vapeur :

Excursion Train Vapeur - Chemins de Fer de Provence

Puget / Annot : 10h55-12h05 Annot / Puget : 15h30 - 16h27 Nice / Puget : 09h25-10h38 Puget / Annot : 10h55-12h05 Annot / Puget : 15h30-16h27 Puget / Nice : 17h45 ou 19h38-20h57 Puget / Annot : 10h55-12h05 Annot / Le Fugeret : 12h30 -12h45 Fugeret / Annot :

https://www.cpzou.fr