Aubrac : L'Etat se résout enfin à commencer de financer la restauration de la section Saint-Chély-Neussargues, mais...
La ligne Béziers-Neussargues ne devrait pas être amputée à partir de fin décembre comme redouté de sa section nord entre Saint-Chély-d’Apcher et Neussargues via Saint-Flour, la seule qui supporte un trafic fret. Devant le refus catégorique des deux régions Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes de financer le remplacement de rails à double champignon antédiluviens datant de la compagnie du Midi, l’Etat a finalement accepté de mettre la main à la poche pour financer, a priori dans un premier temps en partie, le devis qui s’élève à 41 millions d’euros.
Le ministre délégué aux transports, Clément Beaune, a répondu au député Pierre Morel-à-l’Huissier (UDI, Lozère) qui l’interpellait, qu’un chantier allait démarrer pour changer les rails « compte tenu de l’urgence avérée ». L’État, selon nos dernières informations, va financer 13,7 millions d’euros sur les 41 millions exigés par SNCF Réseau, mais le ministre délégué n’a pas indiqué quand il allait payer le reste. La somme partielle annoncée devrait permettre d’éviter la fermeture aux voyageurs fin décembre et au fret en 2024, grâce au renouvellement des sections de voie les plus dégradées. Il ne s’agira donc que d’un sursis.
Deux régions de bords politiques opposés unies face à l’Etat
Les deux régions mitoyennes, qui se partagent cette section de ligne, arguent à juste titre pour expliquer leur refus de financement, que non seulement le réseau ferré national est propriété de l’Etat et que son gestionnaire public SNCF Réseau est rémunéré par les péages des circulations, mais aussi qu’entre Saint-Chély-d’Apcher et Neussargues ne circulent qu’un aller-retour voyageurs Intercités, donc conventionné par l’Etat. Sur ce type de circulations, les régions n’ont aucune autorité. Les circulations fret qui ne les concerne pas plus.
Foule en gare de Saint-Flour pour célébrer la réouverture après onze mois de travaux de la section Saint-Chély-d'Apcher - Neussargues, en novembre 2021. La région Auvergne-Rhône-Alpes avait accepté de participer au devis à hauteur d'un tiers. Aujourd'hui, indique-t-elle à l'Etat, la coupe est pleine. Notons que si Occitanie est moins concernée par cette section qui court majoritairement dans le Cantal, l'usine ArcelorMittal qui fournit le flux fret, est située sur son territoire. A Sait-Flour ce jour-là, les élus des deux régions avaient tenu à être présents. ©RDS
La section dégradée, toujours équipée de rails à double champignon, est longue d’environ 25 km, à cheval sur Lozère et Cantal entre Loubaresse et Andelat. Sur ce parcours, qui franchit le célèbre viaduc de Garabit, la vitesse est limitée à 50 km/h depuis plusieurs années et l’alerte a été donnée depuis longtemps. Paris se réveille enfin.
Fait politiquement aussi inhabituel que symptomatique, les deux présidents de conseils régionaux mitoyens Carole Delga (PS, Occitanie) et Laurent Wauquiez (LR, Auvergne-Rhône-Alpes) avaient signé un courrier commun rappelant au ministre délégué que l’infrastructure ferroviaire est une compétence de l’Etat. Cette démarche avait d’autant plus de poids que Mme Delga et M. Wauquiez sont respectivement présidente et vice-président de Régions de France, le syndicat des régions qui s’apprête à tenir son congrès en Bretagne ce mois-ci.
Il s’agit d’un raidissement qui manifeste le ras-le-bol de collectivités que l’Etat centrale semble de plus en plus considérer comme les substituts obligés de ses démissions. La population pourrait mettre au débit des élus les plus proches d’elle la responsabilité d’une fermeture, semble-t-on penser dans les couloirs du ministère des Finances. Les régions en ont assez de se voir ainsi « refiler le mistigri » et entendent le faire savoir, alors que les investissements publics dans les infrastructures ferroviaires surabondent en Ile-de-France, de l’ordre d’une cinquantaine de milliards d’euros sur la décennie en cours (métro Grand Paris Express, RER E, trains-trams, etc…).
Auvergne-Rhône-Alpes avait déjà financé un tiers d’une première campagne de travaux sur cette section
Au conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, on rappelle, indique le quotidien clermontois La Montagne, que la région avait déjà finance le tiers (11,5 M€) du montant de travaux sur la même section, qui avaient permis de la rouvrir après onze mois d’interruption en 2021. Alors que le Contrat de Plan Etat-Région est au point mort avec Auvergne-Rhône-Alpes qui refuse désormais de dépenser « le moindre euro » pour une infrastructure propriété de l’Etat, on rappelle opportunément à Lyon qu’au cours du précédent mandat, Laurent Wauquiez étant président, deux plans de sauvetage du réseau ferré régional avaient été cofinancés par le conseil régional, pour 111 M€ puis 65 M€, cette dernière somme dans le cadre du plan de relance. (1)
La Montagne rappelle aussi qu’en 2009 la région Auvergne, alors autonome avant d’être fusionnée d’autorité et contre son gré à Rhône-Alpes sous l’autorité de François Hollande, avait financé un plan rail de 213 M€, malheureusement insuffisant au regard des besoins.
Sur la section nord de la ligne Béziers-Neussargues, submergée par la neige d'automne. Aumont-Aubrac, Saint-Chély-d'Apcher, Loubaresse, sont des cités du nord de la Lozère et du Cantal particulièrement isolées et à ce titre très attachées aux services de transport ferroviaires. ©RDS
Quant à Occitanie, elle investit une nouvelle fois - de l’ordre de 800 M€ sur dix ans – dans l’infrastructure ferroviaire, demandant, à l’évidence en vain, que l’Etat investisse autant. Déjà, d’importants travaux de rénovation sur la section Béziers-Saint-Chély-d’Apcher ont été réalisés ou sont prévus – comme sur nombre d’autres lignes occitanes -, démontrant que jusqu’ici la région Occitanie est allé bien au-delà de ses compétences en matière de réseau ferroviaire.
Frédéric Aguilera, vice-président chargé des transports au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, justifie le changement d’attitude des régions en matière d’infrastructure en rappelant que « jusqu’à présent, parce que la demande (de trafic voyageurs TER, NDLR) était stagnante, les régions pouvaient accompagner l’Etat alors que dans les dix années à venir, elles vont devoir se concentrer sur leurs compétences premières, le matériel et le service ». « Nous ne pourrons plus financer les lignes ferroviaires », ajoute-t-il. La fréquentation des TER affichait une hausse de 15 % l’année dernière.
L’éventuelle responsabilité de nouvelles fermetures de lignes devra donc être politiquement endossée par l’Etat central, ce que les régions comptent bien faire savoir haut et fort.
Amiga, Comité pluraliste, élus locaux…
Sur le terrain, les élus municipaux et les associations d’usagers comptent bien relayer le message. Sur Béziers-Neussargues les associations (Amiga, Comité pluraliste de la ligne de l’Aubrac…) ont défendu becs et ongles le maintien au statut Intercités de l’unique circulation voyageurs quotidienne Clermont-Ferrand-Béziers : « L’Aubrac », au demeurant scindée en deux à Neussargues par manque de matériel bimode électrique-diesel, Béziers-Neussargues étant électrifiée. (3). Ce statut renvoie d’autant plus l’Etat central à ses responsabilités, ne pouvant arguer d’un usage TER de la section au nord de Saint-Chéy-d’Apcher. Notons que sur la ligne parallèle Nîmes-Clermont-Ferrand, l’Etat a transféré au service TER de la région Occitanie le seul aller-retour Intercités (sur trois rotations quotidiennes de bout en bout), moyennant achat à ses frais de rames neuves.
Train de travaux à Marvejols (Lozère), après campagne de régalage du ballast au sud de cette cité. Marvejols constitue désormais la frontière entre section admise au fret (côté nord) et section interdite au fret (côté sud). Pourtant, cette ligne fut conçue puis électrifiée de bout en bout par la compagnie du Midi, principalement pour... le fret. ©RDS
Selon Antoine Lévesque, vice-président de l’association d’Amiga interrogé par Laurent Bernard, journaliste à La Montagne, « une hausse de la fréquentation de l‘Aubrac est relevée parce que, pour la première fois depuis plusieurs années, la ligne n’a pas été fermée pour rafistolage pendant l’été ». M. Lévesque estime que « cela montre qu’il existe une demande, et c’est très encourageant », ajoutant : « S’il y avait une offre cadencée, la fréquentation augmenterait fortement, nous le disons depuis des années. C’est pour cela aussi que nous réclamons la mise en place d’une offre TER ». Jusqu’à présent, seuls les TER Occitanie desservent la ligne, entre Béziers et Saint-Chély-d’Apcher. Aucun TER Auvergne-Rhône-Alpes n’est engagé sur Béziers-Neussargues, laissant la sous-préfecture du Cantal Saint-Flour desservie par un seul aller-retour voyageurs quotidien, l’Intercités « Aubrac » susmentionné.
L’association Amiga propose aussi que l’Intercités de nuit Paris-Aurillac, qui devrait être rétabli l’année prochaine, soit poursuivi jusqu’à Mende via Saint-Flour, Saint-Chély-d’Apcher, Marvejols et Le Monastier. Cette extension, qui éviterait un interminable stationnement de la rame à Aurillac, permettrait de desservir en matinée à l’aller et en fin d’après-midi au retour, le nord de la Lozère et Saint-Flour (2). Dans un premier temps, note une source professionnelle, cette extension pourrait être limitée à Saint-Flour, en attendant que la voie soit sérieusement modernisée entre Loubaresse et Andelat, section située au sud de Saint-Flour.
La remise en peinture du viaduc de Garabit, l’autre défi, alors que la ligne est un outil industriel pour ArceloMittal
Outre le complément de financement nécessaire à la réfection complète de Loubaresse-Andelat, l’autre défi pour la ligne réside dans l’entretien du viaduc de Garabit. Le matériau utilisé pour sa construction le fer puddlé impose une remise en peinture régulière, qui va devoir être effectuée dans les prochaines années. Selon le ministère délégué aux transports, la rénovation des ouvrages d’art des deux lignes radiales du Massif central, Nîmes-Clermont-Ferrand et Béziers-Neussargues, est évaluée à un demi-milliard d’euros pour la décennie à venir, rappelle La Montagne.
Pour un Etat qui peine à prendre conscience des exigences du territoire dont il a la responsabilité, et alors que la plupart des réseaux publics s’effondrent hors des métropoles (Poste, réseau hospitalier, Finances publiques…) le défi est de taille. D’autant que sur Béziers-Neussargues, l’enjeu est aussi industriel. Le trafic fret assure l’acheminement, de Fos à Saint-Chély-d’Apcher via Lyon, Clermont-Ferrand et Neussargues, de 700 tonnes de coïls d’acier destinées à l’usine lozérienne ArcelorMittal. Cette dernière, qui vient d’investir 10 M€ dans une nouvelle ligne de production, produit de l’acier électrique, dont il est le premier producteur européen.
Vue aérienne de la gare de Saint-Chély-d'Apcher avec TER Occitanie, Intecités Aubrac et rame fret pour l'usine ArceloMittal. L'activité est relativement intense et justifierait une augmentation des fréquences voyageurs tant vers le nord (actuellement une seule par sens et par jour avec l'Intercités Aubrac), que vers le sud (deux par sens et par jour avec l'Aubrac et un TER Occitanie). La prolongation du futur train de nuit Paris-Aurillac vers Mende constituerait un premier pas. Quant au fret, son intensification est ppossible avec le projet d'Arcelor-Mittal de confier au rail, non seulement ses arrivages, mais aussi certaines expéditions. Notons que la circulation TER doit parfois être doublée, en raison de l'affluence de lycéens et d'étudiants. (Doc. usagers-transports.haut-allier.eu)
Un basculement sur la route – comme cela a été le cas en 2021 pendant la fermeture de la section pour travaux, avec transbordement rail-route à Arvant -, jetterait 10.000 camions par an sur les routes, qui traverseraient Saint-Chély », indiquait à La Montagne Philippe Chapus, un cadre d’ArcelorMittal. L’entreprise n’utilise pour le moment le rail que pour ses arrivages de coïls. Mais elle envisage désormais de basculer jusqu’à 50 % de ses expéditions de la route au rail, après essais ayant satisfait ses clients allemands. Le gouvernement actuel, qui se pique à la fois de réindustrialisation et de transfert modal, pourra difficilement échapper aux obligations que lui confère la propriété du réseau ferroviaire.
Relevons enfin avec la belle initiative promotionnelle lancée de conserve par la région Occitanie (financeur), SNCF Voyageurs (exploitant) et l’association des Amis du viaduc de Garabit Amiga : ce 17 septembre, un « liO Train événementiel des viaducs de l’extrême » (liO est la marque commerciale des TER d’Occitanie) circulera pour le deuxième année consécutive à l’occasion des Journées du Patrimoine et de la Semaine de la Mobilité. Cette circulation d’exception reliera les viaducs de Millau et de Garabit. Elle quittera Millau à 7 h 15, fera halte à Saint-Georges-de-Luzençon et Saint-Rome-de-Cernon avant de rejoindre le viaduc de Garabit et retour. (4)
- - - - -
(1) Lien vers l’article de La Montagne (payant) :
Pour éviter la fermeture de la ligne Clermont-Béziers cette fin d'année, 25 km de voies doivent être changées entre entre Cantal et Lozère, pour un montant de 41 millions d'euros. Les Régions refusant de participer, l'Etat va engager 13,7 millions afin d'assurer la poursuite du service au-delà du 31 décembre.
https://www.lamontagne.fr
(2) Lien vers le site d’Amiga :
(3) Lien vers le site du Comité pluraliste :
(4) Lien vers l’annonce du Train des viaducs de l’extrême :
Découvrez une sélections d'évènements se déroulant en région Occitanie et accessibles en liO Train.
https://www.ter.sncf.com