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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
9 août 2023

Le coût du « gratuitisme » pour les transports publics, futur mur financier (ou fiscal) ?

 Le « gratuitisme » - l’instauration de la gratuité totale ou partielle dans les transports publics – est une doctrine portée par plusieurs municipalités proches ou issues du parti socialiste. S’affirmant comme une valeur sociale, voire environnementale, elle favorise indistinctement les bas revenus comme les hauts revenus, ces derniers de plus en plus nombreux dans des métropoles dont le prix de l’immobilier est souvent devenu inabordable pour les petits salaires. Le coût de la gratuité des transports publics commence à être évalué. Il est considérable, de l’ordre de 50 millions d’euros annuels TVA incluse à Montpellier, une fois la gratuité totale instaurée en  2024, pour les résidents de la métropole exclusivement. Les non métropolitains continueront de payer, ce qui n’empêchera pas l’autorité organisatrice de retirer tous les valideurs situés dans les rames ou sur certains quais.

 Outre le cas de Montpellier qui pourrait ainsi faire face à un « mur » financier (ou fiscal), les métropoles de Nantes et Clermont-Ferrand se sont elles aussi lancées sur la voie de la gratuité, mais de façon nettement plus circonspecte. Ces deux grandes intercommunalités limitent pour l’instant le libre accès à leurs transports publics urbains aux samedis et dimanches sans nécessité de validation et pour tout usager, résidant ou non sur leur territoire. Montpellier en revanche exige le port d’un « passe gratuité » délivré, jusqu’à présent, pour une durée d’une année.

Montpellier, Nantes, Clermont-Ferrand : versions plus ou moins étendues de « gratuitisme »

  Alors qu’à Montpellier le conseil métropolitain est présidé par le maire de Montpellier Michaël Delafosse (PS), à Nantes il est présidé par la maire de Nantes Johanna Rolland (PS) et à Clermont-Ferrand le conseil métropolitain est présidé par le maire de Clermont-Ferrand Roland Bianchi (PS). Notons qu’à Strasbourg, dont la métropole est présidée par Pia Imbst (sans étiquette) et dont les vice-présidentes sont Jeanne Barseghian (maire de Strasbourg, EELV) et Danielle Dambach, (maire de Schiltigheim, EELV), un abonnement gratuit est désormais accessible pour les voyageurs âgés de moins de 18 ans. Obtenu par demande en ligne « au moyen d’un smartphone compatible Android NFC », ce titre de transport doit être validé avant chaque montée à bord, précise le site spécialisé tramwaydemontpellier.com dans un article très complet sur la gratuité à Montpellier (1).

IMG_20230703_113535Rame Citadis 402 (43 mètres de longueur) dont quelques exemplaires sont attribués à la ligne 2, saisie ici à Saint-Jean-de-Védas Centre, terminus sud-ouest de la ligne. La ligne 2 du tramway de Montpellier est très majoritairement équipée de rames Citadis 302 (30 mètres) qu'il n'est apparemment pas question d'allonger malgré la très forte augmentation de la population desservie, comme ce fut le cas pour les Citadis 301 originelles de la ligne 1, devenues 401. Il est revanche question de doubler la voie unique entre Sabines et le terminus sud-ouest, moyennant d'importants travaux, l'emprise héritée de la compagnie du Midi étant en fort remblai sur une partie de cette section, avec deux petits ponts. ©RDS 

La plus ancienne intercommunalité à avoir appliqué la gratuité des transports est la communauté urbaine de Dunkerque, actuellement présidée par Patrice Vergriete (divers gauche, actuel ministre délégué au Logement), mais son prédécesseur et initiateur de la gratuité était Michel Delebarre (PS).

 Montpellier est la plus avancée des métropoles dans l’application du « gratuitisme » aux transports publics. La chambre régionale des comptes d’Occitanie a chiffré l’année dernière la gratuité totale pour les résidents de Montpellier Méditerranée Métropole à quelque 42 millions d’euros hors taxes, au-delà des prévisions de l’autorité organisatrice. Cette somme s’ajoutera à la subvention versée avant même l’instauration de la gratuité aux Transports de l’agglomération de Montpellier  (TaM), l’exploitant. Ladite subvention s’élevait en 2021, dernière année de référence avant la « crise sanitaire » puis la mise en place progressive de la gratuité, à 73 millions d’euros.

 La contribution publique au fonctionnement du réseau de transports de Montpellier pourrait donc s’élever à 123 M€ annuels, selon les calculs publiés par le journaliste spécialisé Philippe-Enrico Attal dans le mensuel Rail Passion (2). Ce total, explique notre confrère, « explosera avec la mise en service de la ligne 5 du tramway fin 2025 pour atteindre 150 millions d’euros ».

9,3 millions d’euros d’argent public déjà versés au titre de la gratuité partielle en 2022

  Pour l’instant, Montpellier Méditerranée Métropole a déjà versé en 2022 une somme de 9,3 millions d’euros à TaM au titre de la compensation de la gratuité partielle instaurée dès 2021 pour les jeunes et les séniors. Si l’on s’en tient à la seule compensation annuelle de 50 M€ TTC envisagée par la Chambre régionale de comptes d’Occitanie pour la gratuité totale accordée aux résidents de la métropole dans l’état actuel du réseau, on peut estimer que cette mesure équivaut au prix de revient de la construction de deux kilomètres de ligne nouvelle de tramway à double voie, matériel roulant compris, chaque année. Elle équivaut aussi jusqu’à quatre kilomètres de nouvelle ligne de tramway à voie unique sur ancienne emprise ferroviaire déclassée chaque année, matériel roulant compris. Le projet de ligne de tramway express Montpellier-Poussan porté sous la mandature de Georges Frêche était évalué alors à 120 M€.

DSC04545Emprise délaissée de la ligne ex-Midi Montpellier-Paulhan, sur la commune de Saint-Jean-de-Védas. Le projet de récupérer cette infrastructure pour la convertir en ligne de tramway à voie unique vers Poussan, desservant au passage Fabrègues et plusieurs communes de cette plaine du sud-ouest de Montpellier, est au point mort. Le projet en cours est celui d'un BHNS sur voirie partiellement réservée. Sur le territoire de la métropole, les terrains de cette ligne ont été cédés par SNCF Réseau à l'intercommunalité.©RDS 

 Or la question centrale pour les décennies à venir à Montpellier réside précisément dans l’extension du réseau de tramway – grande capacité, site propre intégral, sécurité, régularité, durabilité du matériel roulant… - vers les zones péri-urbaines. Car la métropole de Montpellier est la seule en France métropolitaine continentale, à ne pas posséder d’étoile ferroviaire (elle en eut une, très fournie, réduite à néant à partir des années 1950) lui permettant d’instaurer un réseau express métropolitain efficace sur les voies du réseau ferroviaire national.

 Pour la technique ferroviaire, seule l’extension du réseau de tramway, avec des normes de circulation éventuellement portées à la vitesse maximale de 100 km/h, paraît pouvoir répondre aux exigences que remplirait un réseau express régional… pour lequel Montpellier Méditerranée Métropole a candidaté. Pourtant la ville n’est desservie que par l’unique ligne classique Tarascon-Sète, qui ne saurait répondre aux besoins de transport des communes en fort développement de « l’arrière-pays » montpelliérain vers le nord-est (Castries, Saint-Géniès des Mourgues, Boisseron, Sommières), le sud-ouest (Fabrègues, Poussan, Cournonterral), l’ouest (La Boissière, Aniane, Lodève)… toute jadis desservies par des lignes ferroviaires du réseau national ou départemental.

 La ligne mixte fret-grande vitesse du contournement de Nîmes et Montpellier (CNM), qui exclut toute circulation TER et ne comporte aucun raccordement intermédiaire avec les lignes classiques entre Nîmes Pont-du-Gard et Lattes, est hors-jeu. Tout projet de services express métropolitains sur réseau ferré national ne saurait donc concerner à Montpellier que l’axe littoral Nîmes-Sète, déjà fort bien doté en offre TER et largement à l’écart des communes de « l’arrière-pays » susmentionnées.

Montpellier toujours pas reliée à la mer par tramway

 Cette exigence de développement est plus frappante encore dans le rapport de la ville centre et de son littoral. Les conditions de transport offertes par le réseau restent déplorables jusqu’à Palavas ou Carnon, réduites soit à des lignes d’autocars sur voiries souvent surchargées à l’entrée de Montpellier (vers Palavas centre) soit à des correspondances tramway-autocar (vers Carnon ou Palavas Roquilles). La ligne 3 du tramway reste limitée à Pérols-Etang de l’Or, à 2 km des plages, que l’on atteint à pied ou à vélo par un parcours peu engageant le long de voiries très fréquentées. Les animosités politiques entre les intercommunalités Montpellier Méditerrannée Métropole et CA Pays de l’Or, à laquelle appartiennent Palavas et Mauguio-Carnon, ne sauraient uniquement expliquer cette situation pour le moins paradoxale dans une région qui affirme sa vocation balnéaire.

IMG_20230703_104628Outre les nombreuses interruptions de service depuis un an en raison des travaux de renouvellement d'appareils de voie, le réseau de tramways de Montpellier a été interrompu au niveau de la station Saint-Eloi pour la pause du triangle de doubles voies à la future jonction ligne 1-ligne 5 (ici en cours de construction fin juin 2023). Notons que cette jonction permettra, côté nord du triangle, des circulations de service à destination du dépôt des Irondelles, à La Paillade, et éventuellement un service commercial tangentiel à définir. ©RDS 

La charge supplémentaire induite par la gratuité à Montpellier doit enfin être mise en perspective des travaux entrepris depuis un an pour restaurer le réseau tramway existant (lignes 1 à 4). Moyennant de longs et complexes détournements ou interruptions de trafic, l’autorité organisatrice a procédé à de nombreux renouvellements de voie et d'appareils de voie sur ce réseau très maillé inscrit dans une voirie contrainte et tourmentée.

 Montpellier comporte peu de grands axes en raison de sa topographie de collines et de thalwegs mais aussi en raison de l’absence de plans d’urbanisme cohérents et ambitieux au cours des deux siècles passés. Le montant de ces travaux de rénovation s’établit selon les sources officielles à quelques 70 millions d’euros. Ils succèdent à plusieurs précédentes campagnes ponctuelles de rénovations d’appareils de voie (boulevard du Jeu-de-Paume, Pont Zuccarelli…), tous très sollicités en raison de faibles rayons de courbures – tantôt dus à la trame urbaine, tantôt aux choix d’économie lors de la conception du réseau (Pont Zuccarelli). Plus la tangente d’une aiguille est élevée (et court le rayon de courbure), moins est longue la courbe du rail à gorge, partie la plus coûteuse à l’achat…

 Cette caractéristique de fragilité du réseau montpelliérain est d’autant plus marquée que le gabarit des rames est maximal, avec sa largeur de 2,65 m en alignement, à comparer aux 2,40 m des réseaux de Lyon, Grenoble ou Toulouse. Ce surcroît de largeur – et de masse - augmente l’effort sur le rail dans les courbes, surtout si elles sont de faible rayon (ce qui est particulièrement le cas sur la ligne 2, conçue à l’économie). On notera par ailleurs que la station centrale Comédie (lignes 1 et 2) est en cours de reconstruction (pour la seconde fois) en raison de sa conception trop réduite et inconfortable : quais étroits, protection insuffisante contre les radiations solaires, particulièrement agressives sur cette immense place.

 Enfin, la commande massive de nouvelles rames – 70 éléments attribués à CAF – vise aussi bien à doter la future ligne 5 en matériel roulant qu’à remplacer la trentaine de rames Citadis 401 de la ligne 1 pourtant âgées de moins de 25 ans et à répondre à la hausse du nombre d’usagers induite par la gratuité, qu’ils soient convaincus par l’économie de paiement ou par l’économie de quelques centaines de mètres de marche à pied.

Le projet de ligne 5 a été raccourci, et le SEM conçu en autocars sur les axes privés de lignes ferrées

 Rappelons pour conclure que le projet de ligne 5 a été amputé de plusieurs kilomètres par rapport au projet initial : suppression de l’antenne à voie unique en accotement d’une voirie pourtant large jusqu’à Prades-le-Lez ; raccourcissement des extrémités à Clapiers et aux abords de Lavérune ; report de la courte antenne vers Les Bouisses.

IMG_20220206_105816390Vue de la gare abandonnée de Saint-Geniès-des-Mourgues, commune membre de Montpellier Méditerranée Métropole. La gare est située à 16 km de Montpellier Saint-Roch. Depuis la suppression en janvier 1970 des services voyageurs  la ligne de chemin de fer Montpellier-Sommières qui la desservait, avant déclassement définitif, la population de Saint-Géniès-des-Mourgues a augmenté de 145 %, à plus de 2.000 habitants. ©RDS 

 Quant à l’avant-projet de service express métropolitain avancé par la métropole, il se limite pour l’instant à… des bus accélérés sur voirie partiellement réservée vers les nombreuses communes périphériques non desservie par l’unique ligne du littoral, ce qui ne répond pas à la définition d’un service ferroviaire de haute capacité. Notons que Montpellier disposa de lignes ferroviaires dans à peu près toutes les directions : Rabieux (Lodève), Palavas,  Béziers par Saint-Thibéry du réseau départemental à voie normale, et Sommières (Quissac, Alès, Le Vigan), Paulhan (Bédarieux, Toulouse) des ex-PLM et Midi.

 Si les emprises des lignes déclassées du réseau ferré (ligne de Paulhan, ligne de Sommières) ont été versées au patrimoine de la métropole, cette dernière envisageait aux dernières nouvelles d’en faire des « voies vertes » piétons-cyclistes.

 La densité de circulations sur la ligne classique Tarascon-Sète peut encore être augmentée grâce au report sur le CNM d’une majorité du fret et d’une partie des TGV qui desservent ses gares excentrées. Cette ligne classique devrait rester ainsi le seul axe ferroviaire d’un hypothétique service express métropolitain.

- - - - -

(1) Lien vers l’article de tramwaydemontpellier.net consacré à la gratuité :

1er août 2023 - Gratuité des transports 7J/7 en France : Montpellier Méditerranée Métropole emboîte le pas à Ris-Orangis

Rue Jules-Ferry à Montpellier, la rame 2049 Citadis 302 Alstom multilignes revêtue de la livrée " Montpellier Mobilité Gratuité en avant ", opérant sur la ligne 2 en direction du terminus intermédiaire " Sabines ", est photographiée à l'approche de la station " Gare Saint-Roch Provisoire ", le lundi 31 juillet 2023.

https://tramwaydemontpellier.net

(2) Lien vers un extrait de la livraison d’août du magazine Rail Passion, qui traite de Montpellier :

 

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Commentaires
R
Que les TC soient dependants du politique et de la démocratie, est une bonne chose… sinon ce n’est pas la peine d appeler cela service public.<br /> <br /> <br /> <br /> Considerer le « cout de la gratuité » à l’aune de la perte de recette est de courte vue. D’une part, car cet argent prétendument perdu, il est dans la poche des usagers, donc des citoyens, et donc le potentiel fiscal est augmenté (ce qui ne va pas, c’est le manque d autonomie fiscal des collectivités pour lever l impot, et un impot juste et progressif), et sur une assiette + large (incluant les non usagers, ainsi incités à devenir usagers).<br /> <br /> Le report modal permis par la gratuité a par ailleurs des externalités positives pour la collectivité : moins de pollution, moins de congestion, moins d usure des infra routieres…. A un moment donné tout ceci est aussi source d economie pour la collectivité.<br /> <br /> Donc il y a un double dividende avec la gratuité des TC
Répondre
E
Fausse solution que celle de la gratuité dans des agglomérations importantes...Cela rend les TC encore plus dépendants du politique...
Répondre
Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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