Béziers-Neussargues : au nord de Saint-Chély la voie est toujours fermée... alors que les besoins d’ArcelorMittal augmentent
Interrompue le 3 décembre 2020, la section de 55,9 km de la ligne Béziers-Neussargues qui court au nord de Saint-Chély-d’Apcher n’a toujours pas été remise en service en ce mois de février sans qu’on voie se dessiner une issue positive hormis une annonce de travaux du 17 au 21 mai 2021.
Cette neutralisation, qui dure donc depuis plus de deux mois, empêche la circulation sur la section concernée de l’unique aller-retour voyageurs quotidien de bout en bout, « l’Aubrac », et transfère sur route les convois de matériaux lourds pour l’usine ArcelorMittal de Saint-Chély-d’Apcher. S’il fallait illustrer jusqu’à la caricature la vacuité des déclarations solennelles pour un report modal en faveur du rail et la réactivation des lignes de desserte fine, SNCF Réseau et l’Etat, qui dicte sa conduite, ne s’y prendraient pas autrement.
Quinze millions d’euros investis sur le site d'ArcelorMittal (dont 10 par l’Etat) plus que le coût de la remise en état de la section neutralisée
La caricature est d’autant plus cruelle que l’usine ArcelorMittal de Saint-Chély-d’Apcher va bénéficier d’un investissement important qui va lui permettre d’augmenter sa production. Dans sa nouvelle ligne de production, ArcelorMittal va fabriquer des aciers magnétiques, qui vont donc pour l’instant tous être transportés par camions. Et pas question de faire transiter les trains par le sud. Les nouvelles installations d’ArcelorMittal ont nécessité un investissement de 15 millions d’euros, dont 10 M€ investis par l’Etat. Peu ou prou le coût d’une remise en état, au moins provisoire, des 55,9 km de ligne neutralisés.
Interrogé par le quotidien régional Midi Libre, Yves Béral, membre du « Comité pluraliste de défense et de promotion de la ligne Béziers-Neussargues-Paris » dénonce le fait qu’il n’y ait « pas de calendrier pour effectuer les travaux » alors même que le site métallurgique renforce ses capacités. (1)
Cité par le même quotidien Frédéric Laur, syndicaliste (CGT) insiste sur le fait qu’avec ArcelorMittal « nous avons la chance d’avoir une industrie qui se développe ». Il ajoute : « Il y a la mobilisation des élus locaux, de la Région, des motions. 80 communes ont par exemple délibéré en conseil municipal. Des initiatives de particuliers, des manifestations. Nous sommes dans une dynamique positive. Tous demandent que les trains fonctionnent. Mais la voie se dégrade ». Selon lui la rénovation, pour SNCF Réseau, « n’est pas à l’ordre du jour ». Pourtant, insiste-t-il, il s’agit d’une « ligne d’équilibre du territoire » et « c’est à l’État qu’incombe sa rénovation ». Mieux, « elle est aussi classée au schéma fret européen, c’est un paradoxe, on reconnaît son utilité, mais vingt ans après, on ne voit toujours rien venir ».
Frédéric Laur : « C’est l’Etat qui détient la clé de toutes ces petites lignes »
Frédéric Laur espère la venue, annoncée depuis mi-janvier, du ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire et d’Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Industrie, à Saint-Chély-d’Apcher pour les interpeler sur le sujet car « le dernier voyant, c’est l’État, c’est lui qui détient la clé de toutes ces petites lignes. »
Le train desservant l'usine de Saint-Chély-d'Apcher, vu ici à sa gare terminus lozérienne, est amorcé au triage des Gravanches à Clermont-Ferrand. Il transporte des coils et, en fonction de la masse transportée, il doit parfois être dédoublé. Notons la traction diesel sur les 55,9km électrifiés en 1.500V depuis Neussargues. (Doc. Rémi Lapeyre)
Du côté de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Martine Guibert, vice-président chargée des Transports et élue de Saint-Flour, avait déclaré le 19 novembre que des travaux de sauvegarde entre Saint-Chély-d’Apcher et Neussargues, section classée parmi les neuf lignes prioritaires de cette région, étaient confirmés pour un montant de 11,47 M€ avec cofinancement des deux régions mitoyennes et de l’Etat. Mais de la sauvegarde (travaux de maintien des circulations à court terme) à la pérennisation (rénovation lourde), il y a un pas qui est loin d’être franchi : on passe alors de 11,47 M€ à 54 M€, soit un multiple de 4,7...
Quinze jours plus tard, plus aucun train ne pouvait plus circuler entre Saint-Chély-d’Apcher et Neussargues. Cette interruption charge un peu plus la gestion chaotique de cette ligne de 283 km qui dessert de nord de l’Hérault, l’est de l’Aveyron, l’ouest de la Lozère (où se trouve Saint-Chély-d’Apcher) et le Cantal. La section de 55,9 km actuellement neutralisée pour défauts de la géométrie d’une voie parfois vieille de quelque 80 ans est située pour 45,09 km dans le cantal, donc en région Auvergne-Rhône-Alpes, le reste de la ligne étant en Occitanie.
Castex et Djebbari avaient inclus en octobre Béziers-Neussargues dans leur plan de relance ferroviaire
Dans une étude particulièrement fouillée publiée par la revue Chemins de Fer éditée par l’Afac (2), le Pr Guy Charmantier, l’un des meilleurs spécialistes de la ligne, rappelle que lors d’une visite de 5 octobre 2020 à Clermont-Ferrand, le Premier ministre Jean Castex et le ministre délégué aux Transports Jean-Baptiste Djebbari avaient annoncé « que neuf petites lignes » seraient « intégrés à l’accord Etat-Région pour le plan de relance du ferroviaire pour un montant de 130 M€ » financés à part égales par l’Etat et la région Auvergne-Rhône-Alpes. Parmi celles-ci, rappelle-t-il, figuraient les sections Brioude-Langogne (partie centrale de la ligne des Cévennes Nîmes-Clermont-Ferrand) et la ligne dite de l’Aubrac, soit Béziers-Neussargues.
Le même jour, la Fnaut Auvergne exigeait « la régénération de la voie Clermont-Béziers entre Neussargues et Loubaresse, permettant de pérenniser la liaison assurée par le train l’Aubrac ainsi que la desserte fret de Saint-Chély-d’Apcher (ArcelorMittal) (…) ainsi que l’accélération du train Intercités l’Aubrac Clermont-Béziers et son doublement par un train de nuit à destination de Millau et Aurillac ». La section Neussargues-Loubaresse, longue de 40,5 km, située au nord de Saint-Chély et qui comprend la traversée de la Truyère par le viaduc de Garabit, est celle, précisément, sur laquelle les déformations de la voie ont été détectées.
La maintenance a minima condamne le retour de trains de nuit
Au sujet des trains de nuit, quatre collectifs de défense d’usagers des lignes Nîmes-Clermont-Ferrand et Béziers-Neussargues ont dénoncé dans un communiqué commun l’absence de projet de trains de nuit pour le Massif Central dans le plan de l’Etat de réactivation de ces services présenté en janvier : « Faute de travaux de modernisation complète, les lignes du Cévenol (Paris-Clermont-Ferrand-Nîmes) et de l’Aubrac (Paris Clermont-Ferrand-Béziers) resteront sur le bord du chemin à cause d’une maintenance a minima depuis des décennies ».
Réunion d'autorails à Neussargues, saisie en 2013. Cette gare cantalienne était au centre d'une étoile à quatre branches: vers Aurillac par le Lioran, vers Arvant (et Clermont-Ferrand) par la vallée de l'Alagnon, vers Béziers par la ligne des Causses et vers Bort-les-Orgues. En ce début 2021, seul l'axe Clermont-Ferrand-Arvant-Aurillac fonctionne encore. La ligne vers Bort-les-Orgues a été fermée à tout trafic en 1991. La section Neussargues-Saint-Chély-d'Apcher est neutralisée depuis le 3 décembre 2020. ©RDS
Au chapitre des déclarations politiques, mais côté Occitanie, on rappellera celles de Carole Delga, présidente de cette région, et de Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, à Montpellier le 15 octobre 2020. Mme Delga s’engageait à ce que le conseil régional d’Occitanie finance la moitié des 1,6 milliards d’euros sur dix ans d’un plan de régénération de douze lignes de desserte fine, demandant que l’autre moitié soit financée par l’Etat. La SNCF ne participerait pas à ce financement mais, rappelle Guy Charmantier, s’engageait à réaliser les travaux et à créer en Occitanie une agence dédiée aux travaux de rénovation. Parmi les sections concernées, Béziers-Neussargues, le Monastier-Mende-La Bastide, Nîmes-Langogne. La région Occitanie demande elle aussi la remise en service de trains de nuit sur les deux radiales des Causses (Millau-Paris) et des Cévennes (Nîmes-Paris).
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(1) Lien vers l'article de Midi Libre (Lozère) consacré à l'interruption de trafic au nord de Saint-Chély :
Les cheminots réclament des travaux urgents pour rétablir la liaison. Explications. Le paradoxe est édifiant. L'usine ArcelorMittal de Saint-Chély-d'Apcher va bénéficier d'un investissement conséquent dans les mois à venir, et va donc augmenter sa production. Mais elle ne va pas pouvoir être livrée par le rail, à cause du mauvais état de la ligne SNCF qui l'achemine.
https://www.midilibre.fr
(2) Chemins de Fer, n°585, revue de l’Association française des amis des chemins de fer. Le numéro : 12 €. Abonnement (avec ou sans adhésion, à préciser) : 66 €. AFAC, BP 70296, 75464 Paris Cedex 10. Tél. : 01.40.38.20.92.
Lien vers le site de l'Afac :
Les dernières mesures sanitaires annoncées font que les locaux de l'association restent fermés à toute personne étrangère à l'AFAC, ce jusqu'à nouvel avis. De ce fait a ucune visite n'est autorisée et la possibilité d'accueillir un groupe est suspendue. Le secrétariat continue de fonctionner "à distance".
http://www.afac.asso.fr