Narbonne-Bize : Azurail a rénové 4,9 km de voie pour l’usine nucléaire Orano, mais le reste de la ligne est menacé
Sur la ligne Narbonne-Bize Minervois, la section Narbonne-Malvési, à l’embranchement de l’usine nucléaire Orano, a connu huit semaines de travaux de régénération cet été, du 6 juillet au 28 août. Cette modernisation va pérenniser le transport de matériaux sensibles par chemin de fer. Elle constitue un exemple de l’importance de ces lignes fret de desserte fine, qui pourraient au demeurant servir à bien plus que du fret.
Les travaux ont été effectués, pour SNCF Réseau, par Azurail pour 2,3 millions d’euros financés conjointement par la région Occitanie (29,8 %), l'Etat, Orano, la communauté d’agglomération du Grand Narbonne et SNCF Réseau. Azurail, entreprise de renouvellement de voies ferrées basée près d’Avignon à Cabrières d'Avignon, avait pour partenaire Ferrotract pour la traction des trains de travaux, Railmat pour le bourrage mécanique lourd (groupe Unifer), Sages Rail (NGE, groupe TSO) pour l’expertise ferroviaire et Gexa Rail (Labège) pour la planification.
Des rails de réemploi de 60 kg/m provenant de la régénération de l’axe languedocien
L’armement de la voie a été amélioré par la pose de rails de réemploi provenant de la régénération de Nîmes-Montpellier sur l’axe languedocien, des barres lourdes de 60 kg/m. Ils supporteront le passage des quatre à cinq convois hebdomadaires desservant l’usine Orano Malvési.
Train de ballast mené par un engin Ferrotract sur le renouvellement voie-ballast de Narbonne-Orano Malvési. La voie nouvelle, armée de rails lourds issus de l'axe languedocien, sera à même de supporter en toute sécurité les circulations de matériaux destinés à l'industrie nucléaire, faute de quoi ils risquaient de passer à la route, avec tous les risques inhérents au camionnage. © Azurail
L’usine Orano de Malvési appartenait à la Comurhex avant de rejoindre en 2014 Areva devenu par la suite Orano. Elle stocke, transforme et expédie des matériaux radioactifs, en l’occurrence des concentrés uranifères dits yellowcake (concentré de minerai d’uranium) convertis en tétrafluorure d’uranium dit UF4. Elle entrepose des résidus radioactifs confinés issus de la transformation.
L’UF4 est expédié en majorité vers le Tricastin, à l’usine Comurhex de Pierrelatte où il est transformé en UF6, étape ultime avant transformation en uranium enrichi par l’usine voisine d’Eurodif. Une autre partie de la production d’UF4 part vers les Etats-Unis. Expédié pour partie par camions jusqu’en 2013, l’UF4 est expédié par train depuis. L’usine de Malvési réceptionne aussi par train du yellowcake. Deux incidents de transport par rail sont répertoriés jusqu’ici : en 1974 avec le choc de deux conteneurs sur wagons à la sortie de la gare de Narbonne avec perte de poudre d’uranium sur plusieurs kilomètres de voie ferrée ; en 2001 suite au déraillement d’un convoi par affaissement de la voie sur le faisceau fret en état de décrépitude avancée en gare de Narbonne.
D’Orano à Bize, la ligne pourrait servir à d’autres entreprises… comme aux scolaires et aux touristes
Nul besoin de souligner l’importance de la qualité de la voie pour des transports de matériaux aussi sensibles. Les travaux de régénération, avec renouvellement voie et ballast, concernaient la liaison entre la gare de Narbonne et l’usine Orano, soit 4,9 km de ligne à voie unique sans compter les faisceaux eux-mêmes. La ligne, longue de 21,5 km au total se poursuit au-delà, jusqu’à Bize via Moussan et Sallèle d’Aude et pourrait servir à d’autres entreprises.
Surveillés par un agent de l'entreprise partenaire Sentinelles du Rail, premiers travaux sur la voie à régénérer. On remarque la dégradation d'un équipement qui supportait pourtant des circulations de matériaux destinés à devenir du combustible nucléaire. Il n'y a pas de "petite" ligne... © Azurail
Dans des propos rapportés par le quotidien L’Indépendant, la CGT Cheminots a demandé que la régénération ne s’en limite pas à la section Narbonne-Orano et que la menace d’une fermeture pure et simple de la section Orano-Bize soit écartée. « Ces travaux pourraient être un bon début, on demande simplement que toute la ligne soit rénovée », ont déclaré Jérôme Curto, secrétaire général CGT Cheminots, et Nicolas Garcia, secrétaire de la section technique-équipement. « Au-delà d'Orano, la ligne a été coupée à cause de la dépose de l'aiguillage », ont-ils regretté, soulignant que la régénération des 4 km ne profitait « qu’à un seul client privé ».
« On a rencontré tous les acteurs, tous les maires concernés, ils sont tous d'accord pour la rénovation complète de la ligne Narbonne-Bize », ont ajouté les syndicalistes qui évoquent le projet de création d’un pôle d’échange multimodal à la gare de Narbonne.
A Sallèles d’Aude, la Toulousaine des Farines peut écraser jusqu’à 450 tonnes de blé par jour
Bruno Bréhon, autre syndicaliste CGT engagé en politique au niveau municipal, veut lui aussi « la réhabilitation de l’ensemble de la ligne (…) pour relier les entreprises, comme la Toulousaine des Farines, jusqu’à Bize-Minervois. » La Toulousaine des Farines, à Sallèle d’Aude, dispose d’une capacité d’écrasement de 450 tonnes de blé par jour.
Les syndicalistes cheminots proposent trois axes de développement. Ils prônent un retour du fret, soulignant que la ligne passant sur le pont de 290 m de longueur enjambant l’Aude sur la commune de Sallèle d’Aude avait été rénovée voici quelques années pour un million d’euros en pure perte, puisque aucun train n’y a jamais circulé depuis.
Extrait de la carte officielle du réseau ferré national (2019). La ligne Narbonne-Bize, au-delà de l'embranchement de l'usine Orano Malvésy, figure en pointillés, c'est-à-dire non exploitée. Pourtant, à Sallèle d'Aude, sur la section non exploitée, la Toulousaine de Farine écrase jusqu'à 450 tonnes de blé par jour...
Ils suggèrent ensuite une intégration de la ligne au réseau TER pour les voyageurs, avec pour clientèle de base les élèves des établissements scolaires qui aujourd’hui prennent l’autocar. Ils relèvent enfin la valeur touristique de la ligne qui fut exploitée à ce titre entre 1983 et 2004 par « l’Autorail touristique du Minervois » et demandent son rétablissement.
La CGT concluait : « La SNCF veut déclasser la ligne après Orano, les passages à niveau ont déjà été enlevés... C'est vraiment dommage pour l'emploi que générerait ce pôle d'échanges multimodal. On réclame un deuxième comité de pilotage très rapidement pour étudier la question. Et on défend l'idée que les mairies concernées participent au financement des travaux, même symboliquement, car de ce fait elles deviendraient actrices et décideurs du projet. Encore une fois, nous savons que les maires du territoire sont d'accord avec nous. »
Narbonne-Bize, une antenne qui ne devait pas rester un cul-de-sac mais qui perdit ses voyageurs dès 1939
Antenne en cul-de-sac mis qui ne devait pas le rester, la ligne Narbonne-Bize fut mise en service en 1887 par la compagnie du Midi. Le service voyageurs y fut supprimé par la toute jeune SNCF le 18 avril 1939, dans l’énorme charrette de 4.154,5 km de fermetures au service voyageurs qui ravagea le réseau cette année-là… après 4.236 km l’année précédente. Elle comporte depuis une série d’embranchements particuliers mais seul celui d’Orano est actif.
Bourreuse-niveleuse après pose de la nouvelle voie sur du ballast frais entre Narbonne et Orano Malvési, soit un peu moins de 5 km de linéaire. © Azurail
Concernant le même département de l’Aude et à la même date, quatre autres lignes furent fermées au service voyageurs : Belvèze-Limoux, qui reliait la ligne Carcassonne-Rivesaltes à la ligne Bram-Belvèze-Pamiers ; Moux-Caunes-Minervoix, antenne de la ligne Narbonne-Toulouse ; Quillan-Saint-Martin-Lys-Axat-Rivesaltes, sections centrale et méridionale de la ligne Carcassonne-Rivesaltes ; Bram-Belvèze-Lavelanet, autre antenne de la ligne Narbonne-Toulouse. Quasiment toutes les lignes fines irriguant l’Aude étaient ainsi fermées aux voyageurs.
Notons pour terminer que la ligne Narbonne-Bize n’était pas conçue à l’origine pour demeurer en cul-de-sac. Le plan Freycinet de 1879 prévoyait son prolongement à travers la Montagne Noire jusqu’à La Bastide-Rouairoux, dans le Tarn, sur la ligne Bédarieux-Saint-Pons-Mazamet-Castres. Il ne fut jamais construit.