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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
28 mars 2024

Liquidation de l’étoile de Sommières, contre-sens historique devant l’explosion démographique et l’impératif environnemental - 2

(Suite de notre étude publiée le 23 mars)

Dans la longue liste des suppressions de lignes régionales en France, la liquidation de l’étoile de Sommières, centre du généreux réseau ferroviaire de l’ouest du Gard et de l’est de l’Hérault, est un exemple du tragique manque d’anticipation de l’évolution démographique, sociale et environnementale de la part des lointains « décideurs » français. Notre précédent article a évoqué l’histoire des 161 km de lignes qui ont été progressivement fermées au service voyageurs (jusqu'en 1969-1970) puis marchandises (1987), ainsi que la consistance de ce réseau. Dans ce second volet, Raildusud aborde la situation actuelle du transport collectif dans cette portion de la région Occitanie.

  Si le réseau de l’étoile de Sommières n’avait pas été détruit pour des raisons comptables à courte vue, le chemin de fer pourrait jouer sur ces territoires un rôle éminent. Car il a été bradé à l’époque même de la renaissance démographique de cet espace délimité par le quadrilatère Nîmes-Montpellier-Le Vigan-Alès.

Entre 1970 (fermeture de l'étoile de Sommières aux voyageurs) et 2020, la population de Montpellier a bondi de 85%, celle de communes situées sur la ligne de plus de 250%

 Entre 1970 et 2020, la seule commune-centre de Montpellier a vu sa population passer de 162.000 à 300.000 habitants, soit une augmentation de 85 % par rapport à l’année de suppression du service voyageurs jusqu’à Sommières. La métropole de Montpellier, potentiellement desservie côté nord-est par l’ancienne ligne Montpellier-Sommières, affiche aujourd’hui près de 490.000 habitants.

IMG_20220206_145740032Bâtiment voyageurs de la gare de Quissac, aujourd'hui restauré et transformé en restaurant de qualité. Cette gare de jonction vers Alès et Le Vigan vit passer des Montpellier-Alès et autant de Nîmes-Le Vigan, soit une douzaine de circulations voyageurs quotidiennes avant-guerre. Le trafic fret était relativement important, entre produits de l'industrie textile du pied des Cévennes, produits agricoles, bétail, produits miniers... ©RDS

 Outre Sommières, dont nous avons vu la forte croissance démographique de 72 % en quarante ans, Castries (à 12,5 km de Montpellier Saint-Roch) a vu sa population exploser de 251 % depuis la fermeture de la ligne aux voyageurs en 1970, à 6.300 habitants en 2020.  Saint-Geniès-des-Mourgues (à 16,5 km) a vu sa population bondir de 134 % à 2.100 habitants ; Boisseron (à 25 km) de 256 % à 2.100 habitants…

 Côté Nîmes, la ligne en provenance de Sommières traverse des communes qui sont elles aussi en forte expansion démographique. Depuis la fermeture de la ligne aux voyageures en 1970, Calvisson (à 18 km de Nîmes Centre) vu sa population bondir de 226 %, à près de 6.000 habitants.  Saint-Dionisy (à 12,5 km) a vu sa population bondit sur la même période de… 568 % à 1.100 habitants. Ces deux communes de la périphérie nîmoise sont certes desservies par un site propre, mais c’est celui de la « voie verte ».

Les cyclistes roulent le dimanche sur la voie verte, la semaine les étudiants et salariés sont sur la route

 Tandis que la collectivité départementale permet à quelques familles et sportifs de rouler tranquillement à vélo ou roller les dimanches sur une ancienne voie ferrée confortablement réaménagée et décorée à leur intention, les scolaires, salariés et particuliers souhaitant faire leurs achats à Nîmes sont priés de subir les risques et les embouteillages de la route, qu’ils soient en voiture ou en autocar. Rappelons que la collectivité départementale n'a pas de compétence en matière ferroviaire, et n'aurait pas les moyens de rétablir seule une voie ferrée et de l'exploiter.

 Nous retiendrons par ailleurs que l’activité économique et touristique de ce moyen pays languedocien est redevenue dynamique. A proximité d'Anduze, la « forêt de bambou » de Prafrance, pôle touristique considérable desservi par une halte du TVC, est difficilement accessible en transport public depuis Nîmes, quasiment impossible depuis Montpellier sauf à transiter par Nîmes et la ligne 112 de bus régionaux (1 h 10 mn de temps de parcours depuis Nîmes à ajouter au temps de correspondance et aux 35 mn de trajet par TER).

IMG_20220206_123532774Bel aménagement, sécurisation et commentaires historiques : la "voie verte" Sommières-Caveirac qui remplace la voie ferrée est vue ici à la sortie nord de la gare de Sommières, dans la tranchée qui mène au tunnel qui permettait à la ligne vers Quissac de franchir le promontoire du château. Long de 334 mètres, l'ouvrage a été soigneusement aménagé pour les cyclistes et autres promeneurs, avec éclairage mixte de couleur verte ("voie verte" oblige) et blanche. Les arrivées d'eau à l'entrée sud de l'ouvrage, provenant de cette colline mêlant calcaires et sables, ont été soigneusement traitées. L'une des vertus du concept de "voie verte" est d'obliger les collectivités propriétaires à entretenir la plateforme et les ouvrages d'art. En matière de répartition modale, c'est une autre histoire. ©RDS 

 On relèvera l’effort relèvera l’effort de la région Occitanie pour doter son réseau d’autocars d’abris rénovés, quoique toujours en bord de route, dans ces régions désertées par le chemin de fer. Mais les horaires routiers restent difficilement compréhensibles, avec des spécificités en fins de semaines, en période scolaire, en petites vacances scolaires et en plein été. Ils affichent globalement d’assez faibles fréquences.

Comparaisons entre les services d'autocars en 2022 et le service ferroviaire en 1956

 Entre Nîmes et Le Vigan, le temps de parcours par autocar à l’horaire 2022 est de 2 heures proposé cinq fois par jour (sauf erreur de lecture d’une fiche indéchiffrable) en période scolaire et jour ouvrable de base, avec de multiples compléments ou exceptions en fins de semaines. Il était proposé en 2 h 16 mn par autorail à l’horaire 1956, avec desserte de toutes les 21 gares intermédiaires du parcours, trois fois par jour tous les jours.

Saisie d'écran de la fiche horaire de la ligne 140 des cars régionaux d'Occitanie LiO reliant Le Vigan à Nîmes. Le service est marqué par une adaptation particulière aux scolaires et une desserte très fine du territoire. L'aperçu de la fiche résume à lui seul la difficulté d'accès pour un non-initié. (Doc. LiO Service public de transport de la région Occitanie)

En revanche, le service d'autocars régionaux LiO Montpellier-Le Vigan, sont plus attractifs que la relation ferroviaire ancienne qui jadis imposait de transiter par Sommières et d'y prendre une correspondance. Dans ce cas précis, la route ne remplace pas mais aurait complété une offre ferroviaire si elle avait été maintenue.

Entre Nîmes et Sommières, le temps de parcours par autocar à l’horaire 2022 est d’environ 1 heure proposé une dizaine de fois par jour en période scolaire et jour ouvrable de base, avec multiples compléments ou exceptions en fins de semaines ou en périodes de vacances. Il était proposé à l’horaire 1956 en 51 mn par autorail trois fois par jour avec desserte de chacune des 8 gares intermédiaires.

 La liaison ferroviaire Montpellier-Alès par Sommières et Quissac n’a pas été remplacée par des services routiers équivalents. La liaison entre les deux villes est proposée en train par Nîmes (avec quelques bus de substitution entre Nîmes et Alès en fin d’horaire). Mais cette solution ne remplace pas les cabotages que permettaient en 1956 les deux liaisons quotidiennes par autorail Montpellier-Alès via Sommières et Quissac en 1 h 57 mn pour quelque 60 km (trois avant la seconde Guerre mondiale).

IMG_20220206_112729741Boisseron, à un peu plus de 25 km de la gare historique de Montpellier par l'ancienne ligne ferroviaire, à 11 km de Lunel et de sa gare TER par la route. Les clients du transport public de cette commune, qui a vu sa population bondit de 256% depuis la suppression des services ferroviaires voyageurs, attendaient le train dans le bâtiment voyageurs situé à droite sur la photographie. Aujourd'hui, ils attendent l'autocar sous le petit abri installé à quelques mètres de la chaussée. ©RDS

 Aujourd’hui, les 99 km séparant Montpellier d’Alès via Nîmes Centre exigent un changement avec un temps global de 1 h 11 mn à 1 h 43 mn et des règles de tarification et d’accès variables en raison de l’emprunt éventuel de TGV ou Intercités sur une partie du parcours. Des services ferroviaires via Sommières et Quissac sans changement, avec du matériel plus puissant, une voie améliorée et quelques arrêts mineurs non desservis par des missions express eussent été fortement concurrentiels.

Les autorails quotidiens Montpellier-Alès par Sommières permettaient correspondances et cabotage 

Plus encore, les deux autorails quotidiens Montpellier-Alès par Sommières et Quissac permettaient une série de combinaisons de cabotage considérables entre les gares du parcours. Outre la possibilité de relier les deux gares extrêmes, ils desservaient 18 gares intermédiaires, celles de la périphérie de Montpellier, de Sommières, de Quissac puis de la périphérie d’Alès (Saint-Hilaire-de-Brethmas, Mas-des-Gardies, Ribaute-les-Tavernes…) avec les multiples combinaisons de parcours possibles entre elles.

 Aujourd’hui, cet axe n’est plus desservi par aucun service routier de bout en bout.  Sont proposées les lignes 142 Alès-Anduze-Le Vigan, 608 Le Vigan-Ganges-Montpellier, 615 Quissac-Montpellier, 612 Sommières-Montpellier. Côté Montpellier, toutes sont terminus en périphérie, en correspondance avec les lignes de tramway 1 ou 2.

IMG_20220206_105537515Ancienne gare de Saint-Geniès-des-Mourgues, à 16,5km de la gare historique de Montpellier par l'ancienne ligne de Sommières. Voici l'image, saisie en ce mois de février 2022, qu'offre le patrimoine industriel ferroviaire d'une commune membre de Montpellier Méditerranée Métropole et dont la population a presque triplé depuis la suppression de la desserte ferroviaire voyageurs. A proximité, un terrain de jeux pour enfants a été aménagé sur l'ancien faisceau. ©RDS

 Pour exemple, la ligne 612 Sommières-Montpellier effectue le parcours 5 fois par jour de bout en bout (4 fois hors période scolaire), avec quelques compléments partiels (Montpellier-Sussargues…). Le temps de parcours est d’environ 55 minutes, auxquelles il faut ajouter le temps de correspondance au terminus de la ligne, à la station de tramway (ligne 2) de Notre-Dame-de-Sablassou de Castenau-le-Lez, et 19 minutes de parcours en tramway jusqu’à la gare Saint-Roch. Le total est d’environ 1 h 20 mn. Il était de 41 minutes trois fois par jour par autorail à l’horaire 1956, avec desserte des six gares intermédiaires et arrivée au cœur de Montpellier, à la gare depuis baptisée Saint-Roch.

Le sacrifice de l’étoile de Sommières et de son réseau qui irriguait l’ouest du Gard jusqu’aux Cévennes constitue l’un des plus beaux exemples de régression du service de transport. L’offre voyageurs, entièrement transférée sur route, offre souvent des fréquences supérieures au rail d’autrefois, alors notablement sous-exploité. Mais le réseau routier est d’une singulière confusion tant en matière de configuration des lignes que de complexité des horaires. Les temps de parcours ne sont guère améliorés, voire détériorés par rapport à une offre ferroviaire minimaliste proposée voici 66 ans.

La relance du wagon isolé n'a aucune chance de concerner directement les agglomérations de l'ouest du Gard

 En matière de fret, la relance du wagon isolé actuellement conçue par la SNCF n’a aucune chance de concerner cette région, malgré ses ressources économiques. Ganges, dont 15 % des habitants sont réputés travailler dans la métropole de Montpellier dont le centre est situé à 46 km par route, conserve quelques entreprises dans les secteurs de la métallurgie et de l’habillement. Sauve, au nord de Quissac, abrite une importante usine de textile Eminence et quelques petits manufacturiers de ce secteur. L’industrie textile fournissait au rail d’importants chargements avant que la désindustrialisation ne fasse son œuvre et que le rail ne disparaisse du paysage.

IMG_20220206_142602579Sur la section Sommières-Quissac, tranchée en courbe à proximité du hameau de Quilhan situé au bord du Vidourle. Le ballast garde la forme du dévers. Le pont franchissant l'ancienne voie à grande hauteur est intact. ©RDS   

 Les Cévennes gardoises sont couvertes d’un massif forestier parmi les plus importants de France. Leur exploitation pourrait fournir au rail un trafic fret notable, tant en grumes qu’en produits manufacturés.

 La relance du fret ferroviaire dans ce secteur n’a pas d’avenir à vue humaine. La consistance de l’offre ferroviaire, c’est d’abord celle du réseau. Or il ne reste rien de l’étoile de Sommières. A Quissac, des logements ont été construits à proximité de la gare sur le tracé de la ligne côté Sommières. Le bâtiment voyageurs a été transformé en restaurant de qualité.

Le tout-routier atteint son niveau optimal, comme la destruction du patrimoine ferroviaire

 A Sommières, le vaste bâtiment voyageurs est devenu un bel hôtel doté d’un vaste jardin et d’une piscine qui occupent une section de deux voies et des quais 1 et 2. A Boisseron, la petite gare est transformée en siège du club de tennis, dont les courts occupent une partie du plateau de voies et de l’ancienne cour marchandises. Les voyageurs attendent l’autobus dans un minuscule abri posé sur un étroit trottoir, au-dessus de la gare.

IMG_20220206_143525788

IMG_20220206_143148497Deux vues de la tranchée de Quilhan, entre Sommières et Quissac, à proximité de l'ancienne gare d'Orthoux. Les bâtis de soutènement s'affaissent (en h.) ou s'effondrent (en b.), obligeant les services du département à déblayer les terres afin qu'elles ne détériorent pas le mur situé à gauche, qui sépare la plateforme ferroviaire de la route. ©RDS

 A Saint-Geniès-des-Mourgues, la gare est un débarras. Au nord de Sommières à proximité du hameau de Quilhan (commune d’Orthoux-Sérignac-et-Quilhan), les murs de soutènement de la haute tranchée qui permettait à la ligne de traverser le pied d’une colline s’effondrent par endroit. Les services du département du Gard, qui a récupéré la complète propriété de la ligne, ont vaguement dégagé les déblais. Les routes parallèles, en revanche, sont bien entretenues, leur tracé régulièrement amélioré et leurs carrefours équipés de beaux ronds-points et d’une signalétique dernier cri.

 Entre Cévennes et plaine littorale languedocienne, le « tout-routier » atteint son niveau optimal, la destruction d'un patrimoine ferroviaire lentement construit au fil des décennies au service des populations et des économies régionales, aussi.

 F I N 

IMG_20220206_145025738Parallèle à l'ancienne section ferroviaire Sommières-Quissac à proximité d'Orthoux, la RD999 est remarquablement entretenue et a été optimisée par les services du conseil départemental du Gard qui en a la compétence et la charge. Les autorités nationales ayant sacrifié le rail dont elles ont la compétence et dont elles se sont débarrassé de l'entretien, la collectivité départementale n'a guère d'autre choix que d'investir dans les voiries routières, désormais seuls supports des déplacements. ©RDS 

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Commentaires
J
Une réflexion ferroviaire mériterait en effet d'être menée, à la fois pour l'étoile de Sommières et celle de Paulhan. Ces deux secteurs, non loin de Montpellier, ont une démographie bien plus avantageuse qu'à l'époque où les lignes ont commencé à péricliter. Aujourd'hui le potentiel est là, et les voies vertes ne sauront jamais y répondre - aussi souhaitables soient-elle - si elles prennent la place du chemin de fer.
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B
Le département n'a pas "dégagé les déblais", ce sont les prémices des travaux pour l'aménagement en voie verte du tronçon Sommières-Quissac. Tronçon plus complexe que ces voisins car traversant de nombreuses tranchées rocheuses en mauvais état aujourd'hui. Auriez-vous des informations sur les éboulements rocheux ayant affecté ces tracés par le passé ?
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F
Oui la France est peuplée de médecins spécialistes Covid et depuis peu de Généraux 4 étoiles. Par contre de grand visionnaires ......
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D
Deux petits compléments: <br /> <br /> à propos du fret, lorsque la section de Caveirac à Quissac a fermé en 1987, celle de Lézan à Quissac qui était alors en sommeil a été réactivée afin de pouvoir desservir Ganges dans des conditions économiques acceptables. En revanche comme vous l'avez signalé, la mine de Ganges a finalement fermé et faute de trafic le fret ne pouvait se maintenir.<br /> <br /> Concernant la desserte voyageurs, elle a été confiée à des autorails légers, soit des FNC, soit des 5500 (les fameuses mobylettes) qui n'étaient pas des foudres de guerre loin s'en faut. Donc les temps de parcours seraient probablement bien meilleurs aujourd'hui avec des 73500 ou des AGC.
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M
et en particulier pour l'image de Jean-Luc Gibelin, "Vice-Président en charge de la mobilité pour tous et des infrastructures de transport de la Région Occitanie" (groupe des élus communistes, républicains et citoyens) qui réside à Salindres sur la ligne ex et future d'Alès à Bessèges.<br /> <br /> No comment!
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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