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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
18 mars 2024

Clermont-Ferrand – Paris : outre les tribulations des Intercités, une incroyable dispersion des services voyageurs

 

 Le bilan accablant du service Intercités  entre Clermont-Ferrand et  Paris met en lumière une réalité jusqu’ici peu évoquée par les grands médias : la dispersion, voire la dislocation des services voyageurs sur l’ensemble de l’axe, entre un service Intercités (Trains d’équilibre du territoire) conventionné par l’Etat et trois services TER dépendants de trois régions traversées, sans parler des services Transilien sur la territoire de l’Ile-de-France, dont la densité fragilise la régularité des Intercités entre Moret-Veneux-les Sablons, voire Montargis, et Paris.

Au lendemain de l’intervention ministérielle, le 5983 du 24 février a pris plus de 3 h de retard

 Samedi 24 février au soir, l’Intercités 5983 Paris Bercy-Clermont-Ferrand est parvenu à destination avec plus de trois heures de retard sur un temps de parcours théorique de 3 h 49 mn, soit un temps de trajet presque doublé. La locomotive BB26000 est tombée en panne après environ deux heures et 25 mn de trajet et a dû s’arrêter en gare de Saincaize. Cette dernière est située à 10 km de la gare de Nevers, dont le convoi venait de partir. Le dépannage n’ayant pu être effectué sur place, une rame TER a pu être mobilisée après une longue attente pour acheminer les voyageurs jusqu’à Clermont-Ferrand, où ils sont arrivés après minuit. La fin du parcours a dû s’effectuer debout pour certains voyageurs, la rame TER n’offrant pas la même capacité que la rame Corail de l’Intercités.

 Ce énième « incident » survenait le lendemain même de l’annonce d’un plan d’urgence par le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, le 23 février à Clermont-Ferrand. Trois ministres et trois dirigeants de la SNCF avaient fait le déplacement, signe de la fièvre qui s’empare de l’Etat face à l’effondrement du service sur un axe pourtant radial et qui concerne quatre régions (Ile-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val-de-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes) et relie la capitale politique du pays à la capitale de l’Auvergne, par ailleurs siège de l’un des premiers fabricants mondiaux de pneus.

Rames Intercités de l'axe Clermont-Ferrand - Paris Bercy en stationnement dans la capitale auvergnate. (Doc. wikimedia commons F. Pépellin)

 Le ministre Christophe Béchu avait, avec les cadres dirigeants de la SNCF, annoncé en particulier la suivi du dernier train de la journée par une locomotive de secours à partir de mai. Entretemps et à partir du 4 mars, une locomotive de secours serait positionnée à Nevers, en attente statique. Cela permettrait de réduire de 2 h 30 mn le temps d’intervention en cas de détresse. On peut s’interroger  sur l’absence de ce type de mesure jusqu’à ce jour, alors que la fragilité de la ligne est proverbiale et que jadis des locomotives à vapeur restaient « au feu » dans des dépôts successifs.

 Par ailleurs l’installation de grillages, à l’image des autoroutes et des LGV, sera réalisée dans les zones giboyeuses et des coupes d’arbres seront imposées aux riverains. Les associations d’usagers de la ligne, réunies dans un Collectif, insistent pour aller plus loin avec un temps de parcours réduit à deux heures et demie, soit une heure et quart de moins qu’à ce jour. Les deux sections admettant une vitesse de 200 km/h (15,8 km et 38 km) devraient alors être pleinement utilisées et non plus réservées à des rattrapages de retards. Et les rames « Oxygène » promises pour 2026 sur la ligne, construites par CAF France, longues de 188 m offrant 420 places et aptes à circuler en composition de deux éléments, devront faire la preuve de leur puissance, de leurs accélérations et de leur fiabilité.

Sur l’ensemble de l’axe Paris-Clermont-Ferrand, de nombreuses offres segmentées

 Reste le problème rarement évoqué par les grands médias : celui de la cohérence de l’offre nationale et régionale sur cette ligne longue de 419,2 km. Traversant quatre régions dont l’Ile-de-France, elle n’est pas seulement parcourue par les trains de voyageurs Intercités Paris-Clermont-Ferrand dont les services de maintenance et de gestion sont basés à Paris et accessoirement à Clermont-Ferrand. Un professionnel du ferroviaire explique : « La SNCF étant découpée en activités, l'activité TET (ex Grandes Lignes) n'étant présente qu'à Paris et Clermont-Ferrand, quand il y a un problème, les autres activités ne sont pas concernées, voire incapables de porter assistance. Un conducteur fret n'est plus autorisé aux autres matériels, idem pour l'activité TER (etc...), du coup un seul être vous manque est tout est dépeuplé... ».

 Or, pour l’offre voyageurs le nombre d’intervenants  sur l’axe Paris-Clermont-Ferrand est impressionnant. Paris-Montargis = Transilien ; Paris-Montargis-Gien-Briare-Nevers = TER Rémi (acronyme des TER de la région Centre-Val-de-Loire dont fait partie le Loiret, traversé par la ligne, et le Cher, qu’elle longe longuement à hauteur de Cosne) ;  Cosne-Nevers = TER Mobigo (acronyme des TER de la région Bourgogne-Franche-Comté) ; Paris-Nevers-Moulins-Clermont = TET Intercités ; Nevers-Moulins = TER Mobigo ; Nevers-Clermont = TER AURA ; Moulins-Clermont-Ferrand = TER AURA.

 On notera que l'axe Paris-Clermont-Ferrand a perdu nombre de ses lignes affluentes, susceptibles  de lui apporter une clientèle supplémentaire si elles avaient été maintenues. A Montargis depuis Orléans, Malesherbes etToucy-Ville; à Gien depuis Orléans, Romorantin, Bourges et Auxerre; à Cosne depuis Bourges et Clamecy; à Nevers depuis Clamecy; à Moulins depuis Montluçon par Commentry;  à La Ferté-Hauterive depuis Gannat; à Saint-Germain-des-Fossés depuis Gannat (section de l'axe Bordeaux-Lyon demeurée ouverte au fret); à Vichy depuis Courty, Darsac et Le Puy. Nous ne comptons par les anciennes connexions avec des réseaux départementaux à Souppes, Nogent-sur-Vernisson, Cosne, Nevers, Moulins, Varennes-sur-Allier, Vichy, Riom, tous disparus.

Carte postale ancienne de Moulins (03000) - La Gare - Actuacity

Gare de Moulins au début du XXe siècle. Aujourd'hui, cette gare de l'axe Clermont-Ferrand-Paris ne possède plus q'un seul embranchement, celui de la ligne vers Paray-le-Monial avec continuations vers Lyon et Montchanin. Elle fut pourtant un noeud ferroviaire nettement plus important avec l'embranchement de la ligne vers Commentry et Montluçon (première liaison Paris-Montluçon) et de la ligne départementale à voie métrique vers Cosne d'Allier par Bourbon l'Archambault. A 19 km au sud, la section La Ferté-Hauterive-Gannat tardivement mise en service par le PLM permit brièvement une liaison plus directe vers Clermont-Ferrand. (Carte postale ancienne)

Ainsi l’offre voyageurs sur cet axe est-elle dispersée entre sept missions différentes et cinq services ferroviaires voyageurs : TET, Transilien, Remi, Mobigo, TER AuRA. Or chacun de ces services dépend d’une autorité organisatrice et d’une convention différente qui imposent leur tarification particulière – acceptation ou non des cartes de réduction nationales, abonnements spécifiques… - sans parler de la réservation obligatoire sur les Intercités TET.

La question de la répartition des fonctions entre Etat et régions

 Pourtant, seule SNCF Voyageurs est pour l’instant l’entreprise conventionnée sur l’ensemble de ces prestations. Ce qui, malgré la segmentation interne de l’entreprise publique, lui a permis samedi 24 au soir, de – péniblement – mobiliser une rame TER afin de secourir les passages de l’Intercités 5983 dont la locomotive était en détresse. Mais « que se passera-t-il quand en plus il y aura des "intervenants" hors SNCF voyageurs ? », s’interroge  notre professionnel du ferroviaire. Qui en vient à plaider pour un transfert des services TET et TER dispersés de l’axe à un consortium TER des régions desservies, ce qui induirait une unité d’exploitation, de gestion et de tarification. Les services en antennes (Moulins-Lyon, Lyon-Nantes, Clermont-Montluçon) ne seraient pas concernés. Nous plaiderions bien sûr pour que l’Etat soit financièrement partie prenante puisque l’axe est de nature transrégionale, donc nationale.

Rame Transilien en gare de Montargis, sur l'axe Paris-Clermont-Ferrand. Au nord, vers Paris, ce flux cohabite avec les Intercités Clermont-Ferrand-Paris et avec les TER Remi de la région Centre-Val-de-Loire Paris-Nevers. Une densité de circulations telle que les moindres retards sont répercutés en série. 

 Outre le démembrement de la logique de réseau, les tribulations des Intercités Clermont-Ferrand-Paris interpellent sur la logique de répartition des fonctions entre autorités organisatrices. Dans une saine organisation, l’application du principe de subsidiarité implique que ce qui n’est pas réalisable par le niveau inférieur (manque de moyens, dépassement des frontières…) soit pris en charge par le niveau supérieur ; mais aussi que le niveau supérieur soit pleinement responsable de ce qui n’est pas réalisable par le niveau inférieur.

 Il résulte de ce sain principe, propre aux institutions fédératives mais que la France moderne ignore ou applique dans la plus grande confusion, que les trains interrégionaux devraient relever de la compétence, au moins organisationnelle, et du financement – ou du cofinancement – de l’Etat central. Aujourd’hui, les Intercités sont réduits à la portion congrue (ou nocturne). De jour, seules subsistent les lignes Bordeaux-Nantes, Bordeaux-Marseille, Lyon-Nantes, Paris-Clermont-Ferrand, Toulouse-Paris, Toulouse-Hendaye, et très accessoirement Clermont-Ferrand-Béziers, ligne coupée en deux à Neussargues faute de matériel bimode et réduite à un seule aller-retour quotidien. Pour couronner le tout, les services diurnes Intercités imposent ou non la réservation obligatoire selon les lignes.

Les Intercités, trains interrégionaux, ont disparu sur de nombreuses liaisons

 Ailleurs, les Intercités ou ex-Grandes lignes ont disparu. Les lignes interrégionales normandes et lorraines (Paris-Strasbourg et Paris-Mulhouse) sont passées sous statut TER, de même que les reliquats de la liaison Lille-Strasbourg-Bâle par Charleville-Mézières, ou Nîmes-Clermont-Ferrand. Plus grave encore les Lyon-Bordeaux, qui arrosaient le Massif central par le nord et par le centre ont été liquidés avec, pour la liaison via Brive, neutralisation d’une  importante section de voie.

  L’opération de transfert vers les TER s’est souvent faite avec aides de l’Etat, en particulier pour l’achat de matériel (ainsi sur Nîmes-Clermont-Ferrand). Mais elle induit souvent une segmentation des services : fin des Paris-Béziers/Nîmes-Marseille, des Genève-Nice, etc… et s’accompagne de complications d’accès : réservation obligatoire sur certains TER normands et depuis peu sur certains TER lorrains ! Quant aux liaisons TGV interrégionales, on sait qu’elles sont les premières victimes de la mobilisation des sillons en faveur des nouveaux entrants sur les segments les plus chargés.

 Le spectacle d’ensemble est chaotique. Le chemin de fer qui, depuis ses débuts et dans tous les pays qui l’ont adopté,  constitue l’ossature de l’unité nationale en opérant à la fois le rapprochement des régions et la péréquation de l’offre de service entre elles, semble réduit en France à un patchwork de services, de tarifs et de fréquences laissant des trous béants aux dépens de régions en souffrance démographique et économique. Le cas de la ligne Clermont-Ferrand-Paris, et plus largement de l’étoile de Clermont-Ferrand est l’une des manifestations de cette déréliction territoriale.

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Commentaires
R
Il n'y a pas que la ligne de Clermont qui pose problème : au cours de ces dernières 48 heures (20/21/22 mars) la ligne "historique" Paris-Toulouse a été interrompue à deux reprises plusieurs heures entre Limoges et Brive. Un train de travaux défaillant (!) en aurait été la cause..... Sans commentaire !
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B
Saincaze est a 10-15 kilomètres de Nevers, en aucun cas "39" !
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M
Cher lecteur,<br /> <br /> Tout à fait ! Les deux gares sont distantes de 10 km. Nous réparons cette coupable erreur sans délai.<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> La rédaction.
Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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