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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
15 décembre 2019

Saint-Etienne-Clermont-Ferrand : le transfert sur route le plus inique de ce début du XXIe siècle

 Le transfert sur route de la liaison ferroviaire la plus courte entre les deux métropoles de Saint-Etienne et Clermont-Ferrand est sans doute la décision la plus inique de la hiérarchie ferroviaire française en ce début d’un XXIe siècle qui pourtant en a vu d’autres. Rappelons les faits concernant cette ligne de 145km qui unit les plaines du Forez (où coule la Loire) et celle de la Limagne (où coule l’Allier), en franchissant la longue barrière des monts du Forez. Le 1er juin 2016, sous prétexte d’une « dilatation des rails » sous l’effet de la chaleur tout trafic était suspendu entre Montbrison, au pied des monts du Forez, et Thiers, côté Clermont-Ferrand, soit 56km.

Saint-Etienne, métropole de 405.000 habitants et Clermont-Ferrand, métrople de 290.000 habitants, distantes de 145km, avec trois intercommunalités intermédiaires cumulant 165.500 habitants, privées de relation ferroviaire continue. Une désastreuse spécificité de la "province" française.

 La ligne transversale était réduite à deux moignons périurbains, Saint-Etienne-Montbrison (33km) et Clermont-Ferrand-Thiers (46km), perdant l’avantage comparatif propre au rail qui est celui de massifier en cumulant les origines-destinations à courte et longue distance et multipliant les combinaisons entre gares intermédiaires. Des courses de cars semi-omnibus remplaçaient les trains qui effectuaient le parcours de bout en bout, dans des temps nettement supérieurs à ce qu’ils avaient été par rail quinze ans auparavant… alors que les deux métropoles de Clermont-Ferrand (290.000 habitants) et Saint-Etienne (405.000 habitants) venaient d’être réunies dans la même région d’Auvergne-Rhône-Alpes. Des courses de car directes, ne desservant donc aucune gare intermédiaire contrairement aux trains supprimés, affichent un temps de parcours à peine inférieur (1h45mn contre 1h55mn) à celui des meilleurs trains des années 2000 qui pourtant marquaient plusieurs arrêts intermédiaires.

SNCF Réseau a consenti à rouvrir 18,4km de voie pour 8,3M€, région et intercommunalité ont mis au pot

 A la suite de nombreuses protestations, dont celle du jeune maire de Boën Pierre-Jean Rochette (DVD), pourtant à la tête d’une entreprise de transport routier, SNCF Réseau consentait à restaurer 18,4km de voie de Montbrison à Boën pour 8,3 millions d’euros cofinancés à 26% par… l’intercommunalité Loire-Forez-Agglomération et par un apport de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Cinq allers-retours trains, toujours complétés par des cars qui parfois parasitent le remplissage des premiers, touchèrent à nouveau Boën à l’hiver 2018 mais uniquement en semaine. L’autorité organisatrice régionale et SNCF Mobilité ne peuvent apparemment concevoir que les Boënnais puissent aller en train à Saint-Etienne le samedi ou en revenir le dimanche soir en évitant les attentes en bord de route et les temps de parcours allongés par car. Boën-Saint-Etienne est parcouru en 53mn par train omnibus mais en 1h26mn en car (qui saute pourtant une des sept stations intermédiaires, La Fouillouse) soit une augmentation de temps de parcours de 33 minutes ou 62%.

 Quant aux relations inter-métropolitaines, le bilan du transfert sur route est édifiant, parfois comique. Alors que le meilleur temps de parcours Clermont-Ferrand-Saint-Etienne s’établissait en 2000 à 1h55mn pour 145 km avec cinq rotations par jour et une desserte des principales stations intermédiaires, les fiches horaires TER Auvergne-Rhône-Alpes du service annuel 2020 donnent un temps de parcours en car - omnibus sur un des deux flancs de la ligne – d’environ trois heures avec 2AR quotidiens, complétés par une liaison train-car avec correspondance à Thiers en 3h15mn du lundi au vendredi. La Région y ajoute 3AR directs quotidiens par cars en 1h45mn via l’autoroute A89 mais évidemment sans aucune desserte intermédiaire, plus quelques rotations de fin de semaine aux dessertes intermédiaires instables, qui atteignent 3h05mn. La fiche horaire devient proprement illisible, dans la pire tradition des années 1970-1990.

Screenshot_2019-12-15 11 af-hiver 2020- version du 10 déc 2019_tcm72-108884_tcm72-108883 pdfFiche horaire TER du sens Clermont-Ferrand-Saint-Etienne au service annuel 2020. Une profusion de solutions bancales pour palier l'interruption de la voie ferrée sur 46km.

 La concurrence privée Flixbus offre (décembre 2019) un AR quotidien direct lui aussi sans aucune desserte intermédiaire Clermont-Ferrand-Saint-Etienne en 1h45 en pleine nuit (4h10-5h55, retour 0h30-02h15), avec un complément les vendredis, dimanches et lundis (7h00-8h45, retour 20h55-22h20), éléments de trajets au long cours pas précisément adaptés à deux métropoles voisines et ignorant tout ce qui existe entre elles.

Des chapelets de communes aux populations en croissance, handicapées par une offre dégradée

 Car il convient de souligner que Clermont-Ferrand et Saint-Etienne ne sont pas seules concernées. Le chapelet de communes de la branche Est est privé de relations ferroviaires avec celles de la branche ouest, et inversement. Or les collectivités situées entre les deux métropoles ne sont pas négligeables (aucune population ne devrait l’être au demeurant) et sont donc gravement handicapées pour se déplacer de l’une à l’autre, condamnées aux cars sur routes souvent surchargées, aux horaires fragiles, au confort douteux (les chaussées sont usées), à la sécurité inférieure à celle du rail, et éventuellement aux décourageantes correspondances train-car. La dispersion de l’offre transport entre ferroviaire et routier sur un même axe est un encouragement décisif au transport individuel.

 Comptons. La nouvelle communauté d’agglomération Loire-Forez créée en 2017 (87 communes), qui court des abords de Saint-Etienne jusqu’à la frontière du Puy-de-Dôme, soit tout le sud-ouest du département de la Loire précisément desservi tout au long par la ligne étudiée, abrite 109.000 habitants, en nette hausse. On notera en particulier Bonson, ancienne gare de bifurcation vers Sembadel et le réseau des monts du Forez (3.900 habitants), Montbrison (15.600 habitants après 10.700 en 1962), Boën (3.310 habitants) et au-delà Noirétable (1.600 habitants), principale commune située sur la section ferroviaire abandonnée, au faîte de la ligne.

 Noirétable est située à 22km par rail de Thiers, terminus de la section ferroviaire Ouest maintenue, et à 26km de Boën, terminus de celle maintenue à l’Est. Cette charmante commune d’altitude allie, côté séculier, un casino, et côté spirituel, un lieu de pèlerinage, Notre-Dame de l’Hermitage, qui attire une foule nombreuse, particulièrement l’été, tenu par les sœurs de la Salette. Que ce soit pour parier ou pour prier, on est désormais prié de venir à Noirétable par la route.

 Côté ouest, Thiers compte 11.800 habitants et sa communauté de communes Thiers Dore et Montagne quelque 37.500, en progression elle aussi. Sa voisine qui jouxte la métropole de Clermont-Ferrand, la communauté de communes Entre Dore et Allier compte 19.000 habitants et 14 communes avec un chef-lieu, Lezoux, desservi par la ligne, affichant plus de 6.000 âmes, et Peschadoires où est établie la gare de Pont-de-Dore (ex-lieu de croisement avec l’axe Saint-Germain-des-Fossés-Darsac qui n’est plus exploité sauf pour partie par l’association Agrivap), qui affiche 2.200 habitants. Toutes ces régions ne peuvent plus être connectées par rail avec celles de la partie est de la ligne et doivent subir correspondances train-car ou car en desserte semi-omnibus assymétrique limitant les combinaisons d’origine-destination.

  Au total, ce sont donc deux métropoles et trois autres intercommunalités qui sont directement handicapées par la fermeture partielle de la ligne, soit quelque 860.500 habitants répartis sur 145km.

Un passé modeste mais parfois brillant d’une ligne régionale et interrégionale

 A l’horaire 1992-1993, 3 allers-retours Clermont-Ferrand-Saint-Etienne étaient proposés, tous origine-destination Lyon-Perrache. Le temps de parcours par autorail était au mieux de 2h45 de Clermont-Ferrand à Lyon, de 1h57 de Clermont-Ferrand à Saint-Etienne. La relation Lyon-Clermont-Ferrand ainsi proposée affiche 204km contre 229km via Tarare, Roanne et Saint-Germain des Fossés. Cette dernière était proposée en 2h51mn au mieux par turbotrain, démontrant la supériorité de l’itinéraire via Saint-Etienne (sans parler des combinaisons entre principales gares intermédiaires, parmi lesquelles cette dernière).

A l’horaire 1956, 3 allers-retours étaient proposés sur Saint-Etienne-Clermont-Ferrand dont deux amorcés à Lyon-Perrache, relevant des correspondances de Genève et Marseille. Le flanc Ouest de la ligne proposait en plus 3 AR Thiers-Clermont-Ferrand dont deux amorcés à Noirétable l’été et les fins de semaine. S’y ajoutait 1AR Pont-de-Dore-Clermont-Ferrand amorcé à Saint-Etienne via Le Puy et Sembadel. Le flanc Est  ajoutait 2 AR Saint-Etienne-Montbrison et 1AR Bonson-Saint-Etienne, amorcé à Sembadel et poursuivi jusqu’à Lyon. L’axe était aussi nourri de l’existence de lignes affluentes.

Une ligne de maillage du territoire à rétablir d'urgence

 La ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand, située dans une zone peuplée et active, reliant deux métropoles par le plus court chemin tout en desservant un chapelet de petites villes, est sans doute l’une des plus urgentes à rétablir dans le Grand Sud-Est. Sa réouverture pour un service cadencé entre les deux métropoles (voire trois avec Lyon) imposerait une réfection de la voie sur quelque 47km (Boën-Thiers), section de moyenne montagne dotée de 16 tunnels. Elle imposerait aussi l’installation d’une signalisation performante se substituant au cantonnement téléphonique assisté d’avant 2016.

BoënLaurent Wauquiez, président du conseil régional Rhône-Alpes-Auvergne, à la gare de Boën. La réouverture de 18,4km de voie depuis Montbrison est un signe positif mais évidemment très insuffisant car elle ne restitue pas à la ligne sa fonction inter-métropolitaine, seule à même d'en augmenter la chalandise. (DR)

 La relance de cette ligne offrirait une alternative remarquable à la voiture individuelle. Pour l’emprunt de sa voirie par un véhicule léger, le concessionnaire autoroutier facture 10,70€ entre Saint-Etienne et Clermont-Ferrand, auquel il convient évidemment d’ajouter le coût moyen kilométrique du véhicule soit 78,73€/100km pour une 5CV au barème fiscal, soit un total de 97,43€. Le TER facture 18,20€ en plein tarif, toutes charges comprises. Le transport public ferroviaire est un outil territorial et un outil social.

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Commentaires
N
Remarque: il convient de lire: le coût moyen aux 100 km du véhicule soit 78,73€ pour une 5CV (et non pas au km)
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F
Bravo
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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