Course de lenteur pour l'avant-projet définitif de ligne d'accès au tunnel Lyon-Turin: la France risque de perdre l'aide de l'UE
Dix ans après sa déclaration d’utilité publique « et urgente », la section française de la liaison nouvelle Lyon-Turin, qui permettra l’accès au tunnel de base du mont Ambin, n’est toujours pas dotée du dossier de demande de subvention qui permettra à la Commission européenne de doter de 70 millions d’euros la constitution de l’avant-projet détaillé. Pendant ce temps, une nouvelle version de la carte des corridors ferroviaires transeuropéens a été publiée par l’UE après adoption par les Etats membres. Cette carte donne de nouveaux arguments au Lyon-Turin puisqu’elle ajoute à l’axe Espagne-Italie-Europe-centrale un potentiel embranchement vers Turin de Irlande-Paris-Marseille.
La France devra avoir déposé, avant le 30 janvier, un dossier de demande de subventions (70 M€) dans le cadre d’un avant-projet définitif (APD) pour cofinancer la prochaine grande étape de la section française de la liaison Lyon-Turin, le projet détaillé. Selon le comité Transalpine, qui rassemble les collectivités locales et responsables politiques de tous bords, grandes entreprises, organisations représentatives du monde économique, syndicats professionnels, associations, les administrations françaises compétentes sont à pied d’œuvre pour monter le dossier. Mais pour le déposer, il faut au préalable que le plan de financement de la part française (100 M€) soit bouclé, ce qui n'était toujours pas le cas début janvier. Après des semaines de négociations, l’État et les collectivités locales concernées n’étaient pas parvenus à un accord. Un ultime tour de table était programmé mi-janvier.
Le risque : aucun financement avant 2029
« A vrai dire, personne de censé n'ose imaginer un échec », prévient le comité Transalpine : « Passée l'échéance du 30 janvier, la France ne pourra en effet pas bénéficier de financements européens sur ce projet avant 2029 ». Une série de blocages en cascade, depuis le projet détaillé jusqu’à la mise en travaux via le bouclage du financement comprenant une part européenne au titre des projets transnationaux, conduirait alors à une longue paralysie du dossier, « voire à son sabordage avec les conséquences financières et diplomatiques que l'on peut imaginer », prévient encore le comité. L’Italie, qui a lancé son projet de voies d’accès comportant comme la partie française d’importants tunnels, considèrerait sans nul doute le blocage français comme un casus belli économique. L’absence de voies d’accès nouvelles côté France limiterait considérablement le flux sous le tunnel de base du mont Ambin, péjorant la rentabilité socio-économique de l’ensemble de l’investissement déjà réalisé.
Sous le mont Ambin, le percement du tunnel de base avance. Long de 57,5 km, il est principalement constitué de trois tubes, deux tubes à grand gabarit de circulation des trains permettant d'admettre les camions chargés sur wagons et les plus grands des conteneurs, et un tube de service.
Le tunnel de base du mont Ambin, à peu près parallèle au tunnel de faîte du Fréjus mais situé un peu plus au nord, en cours de percement, sera long de 57,5 km. Il sera livré en 2032, en même temps que les voies d'accès à l'ouvrage côté italien. « Compte tenu des délais de travaux pour réaliser les 140 km de voies nouvelles d'accès au tunnel transfrontalier depuis Lyon (côté français), il est désormais acquis que la France ne sera pas au rendez-vous de 2032 », déplore le comité Transalpine. L'enjeu est donc désormais que la ligne nouvelle d’accès français et son embranchement vers Chambéry soient livrés le plus rapidement possible après 2032. Faute de quoi la France deviendra durablement un goulot d'étranglement empêchant l'écoulement fluide et massif des trafics venus d'Italie.
Pour que la liaison Lyon-Turin atteigne au plus vite ses objectifs environnementaux et économiques, le dépôt auprès de la Commission européenne de l’avant-projet définitif avant la date butoir du 30 janvier est donc impératif, sauf à reporter de plus d’une décennie l’exploitation optimale du tunnel en cours de percement. « On ne peut s'empêcher de s'interroger à nouveau sur la procrastination et les retards accumulés depuis dix ans sur la section française du Lyon-Turin, maillon indispensable d'un projet européen stratégique porté par trois traités internationaux », s’indigne le comité Transalpine.
L’UE complète sa carte du Réseau transeuropéen de transport
Pendant ce temps, le Parlement européen et le Conseil européen, ce dernier représentant les 27 exécutifs des Etats membres, se sont entendus sur une carte complétée et modifiée du Réseau transeuropéen de transport, dit RTE-T dans le jargon technocratique européen. Le fait qu’un projet d’infrastructure, tel l’ensemble des lignes d’accès et tunnels de l’axe Lyon-Turin, soit inclus dans l’un des corridors du RTE-T lui permet d’accéder au cofinancement du mécanisme pour l’interconnexion en Europe, le PIE. Ce mécanisme est doté d’un budget de 21,3 milliards d’euros pour son volet transports.
Le règlement actuel date de 2013 et nécessitait d’être modifié au regard des nouveaux enjeux en matière de transport et d’environnement à l’horizon 2050. Malgré les divergences de point de vue, et de longues discussions entamées fin 2021, Parlement et Conseil se sont accordés sur une position relativement alignée avec la proposition initiale de la Commission européenne. La Commission, accordera ainsi des financements massifs aux Etats membres pour réaliser des infrastructures stratégiques d’intérêt européen, sans pour autant détenir de pouvoir contraignant sur les Etats pour qu’ils réalisent en temps et en heure lesdits grands travaux d’infrastructure d’intérêt international.
Nouvelle carte du réseau transeuropéen de transport (RTE-T). En vert clair, l'axe Espagne-Europe centrale, pour lequel la ligne nouvelle Lyon-Turin constituera un maillon-clé. En vert foncé, l'axe Irlande/Bénélux-Marseille/Italie. La ligne nouvelle Lyon-Turin pourra évidemment servir à ses trains, vers le Piémont et Gênes. (Doc. UE)
Le comité Transalpine commente : « Il en résulte souvent des dissonances entre les politiques nationales et les priorités de l’UE pour structurer le réseau européen. C’est par exemple le cas de la section française de la liaison Lyon-Turin ». Il ajoute cependant que « le rôle des coordinateurs européens a été renforcé et l’alignement des plans nationaux avec les priorités européennes sera un peu plus contraignant sur la base de nouveaux mécanismes liés notamment aux modalités de financements ». Il conclut que la section française du Lyon-Turin devrait bénéficier de ces nouvelles règles… et incitations.
Le transport routier en pénurie de chauffeurs
Les hésitations de la France au sujet de la ligne d’accès au tunnel de base du mont Ambin ne font pas que menacer de retarder dramatiquement le report modal du fret de la route au rail. Elles fragilisent les échanges entre la France et l’Italie, tous modes confondus. La route paraît au bord du collapsus puisqu’il manque quelque 60.000 chauffeurs routiers dans l’Hexagone, malgré les efforts des entreprises de camionnage, tant en matière de salaires que de conditions de travail. Les départs en retraite, de plus en plus nombreux, sont de plus en plus difficiles à remplacer.
File de poids-lourds en Maurienne à proximité de l'éboulement de La Praz, sur l'autoroute Chambéry-Modane. Le trafic routier est archi-dominant sur les relations France-Italie. (Doc. France Bleu)
Plus largement o estime qu’il manquera deux millions de chauffeurs d’ici trois ans pour l’ensemble de l’Europe. Or la part du transport routier de marchandises atteint 88 % en France, celle du rail se limitant à environ 10 % malgré les encouragements récents pour le ferroutage. En France, 60.000 entreprises réalisent 50 milliards de chiffre d’affaire par an. Ce phénomène n’est pas propre à la France. Selon les prévisions, il manquera deux millions de chauffeurs en Europe d’ici trois ans.
La situation est inquiétante car le transport routier est de très loin le mode autour duquel se structure les chaines logistiques et d’approvisionnement : 88% des marchandises transportées en France le sont par camions. Près de 60.000 entreprises réalisent chaque année environ 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
L’importance stratégique d’un report modal et d’une sécurisation de l’itinéraire ferroviaire
Cette situation souligne l’importance stratégique d’un report modal, en particulier dans l’environnement alpin marqué par de profondes et longues vallées propices à l’accumulation de polluants atmosphériques, avec des populations concentrées le long des axes de transport.
Cérémonie de mise en service d'un nouveau tunnelier, en décembre dernier, sur les chantiers de percement du tunnel tritubes du mont Ambin. Une fois le tunnel de base mis en service, sera-t-il possible d'y accéder aisément côté français ? (Doc. TELT)
Par ailleurs, l’effondrement de la falaise de La Praz, qui interrompt l’axe ferroviaire historique Lyon-Turin jusqu’à la fin de cette année, soit un total de près d’une année et demie, souligne l’importance de disposer, pour assurer le report modale entre la France et l’Italie du nord (sa partie la plus industrialisée), d’une infrastructure ferroviaire protégée, c’est-à-dire majoritairement en souterrain. Tout en conservant bien sûr la ligne historique, tant pour la desserte locale (à courte ou longue distance) que pour disposer d’une solution alternative en cas d’interruption de la ligne nouvelle.
Aux dernières informations, il reste 4.000 m3 de roches réputées instables sur la falaise de La Praz, menaçant directement la ligne ferroviaire. En conséquence, SNCF Réseau ne peut entamer les travaux de réhabilitation, tant de la voie que de la galerie de protection recouverte de matériaux.