Les futurs « Services express régionaux métropolitains » ont désormais une loi... mais il leur manque un financement crédible
Ils seront désormais dénommés « Services express régionaux métropolitains », nouvelle appellation des pseudo-RER de « province » annoncés à grands bruits par le président de la république en novembre 2022, annonce renouvelée en septembre dernier. Le 8 novembre, une proposition de loi portée par le député LREM des Bouches-du-Rhône Jean-Marc Zulesi, président de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, a été adoptée à l’unanimité en commission mixte paritaire rassemblant les représentants des deux chambres. Ce 15 novembre, elle devrait être définitivement adoptée en séances plénières.
En CMP seul le Rassemblement national s’est abstenu, le projet étant à l’évidence sous-financé à l’heure actuelle. A un point tel que ce concept de SERM s’éloigne de sa référence de base – le RER francilien -, puisque désormais il n’est plus considéré comme purement ferroviaire mais multimodal, ce qui laisse la porte ouverte à des systèmes dégradés du type bus à haut niveau de service (BHNS) voire… covoiturage ! Les BHNS remplaceront probablement des réouvertures de lignes ferroviaires fermées. Il en ira ainsi certainement à Montpellier, principale métropole à ne plus disposer d’étoile ferroviaire, qui convertit ses anciennes lignes non point en prolongements de tramway mais en voies supposément « vertes ». Les service du président de la métropole Michaël Delafosse (PS) ont déjà annoncé leur projet de simples lignes d'autocars plus ou moins améliorées. L’étiquette SERM permettra dans ce cas précis, et probablement dans maints autres, de vendre une nouveauté qui ne sera en rien une disruption modale en faveur du ferroviaire et de ses capacités de rapidité, de volume et de séparation des engorgements routiers.
Des « systèmes multimodaux » allant du train au covoiturage et aux « transports doux »
Le texte parlementaire définit en effet désormais les SERM comme des « systèmes multimodaux » qui, autour d’un « socle ferroviaire », intégreront des dessertes par car, covoiturage voire « transports doux ». Il restera à évaluer précisément le degré de « douceur » des divers modes de transport, probablement réduit à la bicyclette et à la marche à pied. On comprend que les contraintes financières aient poussé les rédacteurs de la proposition de loi à considérer que le covoiturage relève d’un service express métropolitain. Mais on se rapproche ainsi de l’imposture.
Le texte entérine par ailleurs l’extension géographique des compétences de la Société du Grand Paris (SGP), rebaptisée Société des Grands Projets, et pressentie pour construire les infrastructures ferroviaires neuves nécessitées par les futurs services, quand il y en aura.
Ci-dessus: Voie désaffectée de l'ancienne ligne Montpellier-Paulhan sur la commune de Saint-Jean-de-Védas, contingue de celle de Montpellier, en direction de Fabrègues. Pas question de demander le rétablissement d'un service ferroviaire, mais projet de piste cyclable. Le transport public restera sur la route, dénommé "Service express"... ©RDS
Ci-dessous : Poteaux arrêt des services routiers d'autocars (urbains et départementaux) parallèlement à la voie ferrée désaffectée sus-mentionnée. Un BHNS consisterait à augmenter les fréquences, à construire un trottoir et à protéger le stationnement de l'autocar. La pollution sonore, atmosphérique resterat la même pour le voyageur. ©RDS
Le principal reste à venir. Il faudra réduire l’écart entre les 15 à 20 milliards d’euros de besoins d’investissements évalués par le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) et les « 767 millions d’euros en entrée de discussion avec les régions », promis par le ministre des Transports Clément Beaune, dans le cadre des négociations sur les Contrats de plan Etat-Régions. Autant dire que la promesse du gouvernement peine à convaincre devant le coût des projets. Le président de la république avait annoncé en septembre une enveloppe immédiate de 700 à 800 millions d'euros pour lancer «treize projets».
Lors du débat au Sénat sur la proposition de loi, la plupart des groupes ont fait part de leur scepticisme. Franck Dersin (groupe centriste) avait lancé : « Nous avons un devoir de vigilance. Il ne faut pas promettre de miracles sans pouvoir les financer ». La proposition de loi stipule désormais qu’une conférence nationale de financement des services express régionaux métropolitains « sera organisée avant le 30 juin 2024 afin de débattre des solutions à mettre en œuvre pour assurer un financement pérenne des dépenses d’investissement, d’une part, et de fonctionnement, d’autre part, de ces services ». La nouvelle dénomination et le nouveau périmètre technique de ces SERM permettra à l’Etat de solliciter des communes aux régions en passant par les métropoles voire les départements.
Les « parties prenantes » réunies en conférence, de l’Etat aux usagers en passant par les collectivités
Cette conférence nationale réunira les représentants de l’Etat, des conseils régionaux, des conseils métropolitains, ainsi que ceux des associations nationales de collectivités territoriales et de leurs groupements, les techniciens de SNCF Réseau, de la SGP, ainsi que les entreprises et les opérateurs publics de transport public routier et ferroviaire urbain et interurbain ayant une activité en France. Les associations nationales d’usagers des transports y seront aussi conviées, telle la Fnaut.
Le texte législatif expose que « préalablement à l’actualisation du Contrat (de Performance entre l'Etat et SNCF Réseau) mentionné à l’article L. 2111-10 du Code des transports », cette conférence formulera « des propositions visant à le rendre compatible avec, d’une part, le maintien en bon état du réseau ferroviaire national et sa modernisation et, d’autre part, les investissements de SNCF Réseau relatifs aux projets de services express régionaux métropolitains ». Toutes les « parties prenantes » devront arbitrer les financements tant attendus, et définir les contributeurs aux budgets.
Simultanément et pour souligner l’importance de l’enjeu, le Groupement des Autorités responsables des Transports (GART) a désigné le 17 octobre deux vice-présidents délégués aux SERM : Gérard Chausset, président de la Commission transports de Bordeaux Métropole, qui représentera les métropoles ; et Jean-Pierre Serrus, vice-président en charge des transports et de la Mobilité durable de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui représentera les régions. Ces deux élus piloteront un groupe de travail dont les résultats seront transmis au gouvernement et aux deux chambres du Parlement.
TER Provence-Alpes-Côte d'Azur en gare de Menton. Le vice-président de cette région chargé des transports co-pilotera le groupe de travail du GART sur les futurs SERM. Sa région a déjà promis une augmentation importante des fréquences sur l'axe littoral autour de Nice. ©RDS
Le GART, dans un communiqué, demande que le cadre définissant les SERM soit « suffisamment souple » pour permettre à chacun des projets de SERM « tous assez différents les uns des autres », de pouvoir aboutir. Il souligne : « Avant tout, un SERM est un projet de service plus qu’un projet d’infrastructure. L’accent doit être mis sur la nécessité d’intégrer ces nouveaux services dans la démarche plus large que mène actuellement le GART, en lien avec les autres associations de collectivités, sur le financement de la mobilité, en prenant non seulement en compte les besoins en matière d’investissement mais également ceux liés au fonctionnement ».
Lyon en tête des avant-projets de devis, à 7,5 milliards d’euros
De fait, un état des lieux effectué par Le Moniteur démontre l’hétérogénéité des concepts de SERM… et des coûts d’investissement qui leur sont liés en matière d’infrastructure ferroviaire en particulier. Parmi les projets avancés et dont les pré-devis peuvent être évalués, le journal de référence des travaux publics énumère les métropoles qui suivent, par ordre de coût. Ces évaluations et le contenu des projets restent souvent imprécis et fournis à titre purement indicatif.
Lyon arrive en tête, malgré la récente mise en service d’une douzième voie en gare de la Part-Dieu, avec un investissement évalué à 7,5 milliards d’euros. Ce pré-devis comprend le Contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise, reliant dans son acception la plus large la ligne d’Ambérieu à celle de la rive droite du Rhône avec embranchement sur la future ligne d’accès à Chambéry et au tunnel du mont Ambin (futur axe Lyon-Turin). S’y ajoute le quadruplement de la section Guillotière-Grenay de la ligne de Grenoble et Chambéry, soit environ 23,5 km, actuellement à double voie. Enfin, pour la bonne bouche, le projet prévoit la remise à double voie de la courte section du Train-tram de l’Ouest lyonnais (TTOL) entre les abords de Lyon Gorge-de-Loup et ceux d’Ecully, soit le passage sous le tunnel des Deux-Amants (Lyon Ve arrondissement), maintenu à voie unique jusqu’ici pour des questions de sous-financement chronique malgré le coût de la signalisation et des appareils de voie que cela a impliqué lors de la création du TTOL.
Suit Lille, avec un pré-devis évalué à 7 milliards d’euros pour la pose de 56 km de voies nouvelles, la création d’une gare et d’un tronc commun souterrain.
Nice exigerait 4,2 milliards d’euros pour la construction de la nouvelle gare aux abords de l’ancienne halte de Nice Saint-Augustin. Cette gare de Nice Aéroport sera dotée de six voies et servira d’amorce à l’éventuelle ligne nouvelle Nice-Cannes par l’intérieur. Par ailleurs, une nouvelle voie à quai serait créée à Nice Ville.
Marseille devrait atteindre une somme équivalente, jusqu’à 4 milliards d’euros, pour la création d’une voie supplémentaire depuis Blancarde sur la ligne d’Aubagne, la création de la gare souterraine de Saint-Charles et de ses tunnels de liaison. Mais pour l’instant rien n’est évoqué pour une remise en service de la ligne Rognac-Aix, qui permettrait de relier la capitale des comtes de Provence aux Milles, à Vitrolles et à l’aéroport de Marignane.
Gare de Saint-Sulpice (Tarn). L'important faisceau de voies s'explique par l'histoire de ce noeud ferroviaire, jadis intersection entre la transversale Montauban-Castres-Bédarieux-Montpellier de a Compagnie du Midi et la radiale Toulouse-Albi/Figeac-Brive de la compagnie du Paris-Orléans. Aujourd'hui elle n'est plus que l'embranchement de l'antenne vers Mazamet sur la ligne Toulouse-Albi/Figeac... L'établissement d'un service express ferroviaire imposerait de doubler entièrement la section Toulouse-Saint-Sulpice, dont les tunnels sont restés à voie unique faute de financement lors du récent doublement. ©RDS
Toulouse exigerait jusqu’à 3 milliards d’euros pour le quadruplement des voies (Aménagement ferroviaire Nord-Toulouse AFNT) de Matabiau à Castelnau d’Estrétefonds, l’électrification de la section périurbaine de la ligne d’Auch, la modernisation de la gare Matabiau. Il conviendrait d’y ajouter un saut-de-mouton ou terrier pour éviter le cisaillement de futurs services métropolitains empruntant la ligne de Montauban d’une part, celle de Narbonne de l’autre.
Grenoble demanderait 1 milliard d’euros pour une augmentation de capacité des voies en gare, la création de voies de retournement aux extrémités des futures relations ferroviaires du SERM, la création de nouvelles haltes ferroviaires, la création d’au moins une voie nouvelle sur l’axe Grenoble-Moirans, au moins sur 13 km jusqu’à Voreppe (au-delà jusqu’à Moirans, soit 5,2 km, le tunnel de Voreppe long de 350 m devrait être doublé) et probablement un réaménagement du format de circulation entre la gare centrale de Grenoble et la bifurcation de la ligne de Veynes, section banalisée en raison de l’absence de saut-de-mouton et même de possibilité de cisaillement à ladite bifurcation – les circulations de et vers Veynes s’effectuent sur « voie unique ».
Mulhouse exigerait 800 millions d’euros pour diverses modernisations du noeud ferroviaire mais aussi « la mise en place de cars express », selon Le Moniteur. L’axe Nancy-Metz demanderait 600 millions d’euros pour une rationalisation des plans de voies en gare, l’allongement de quais et la suppression de passage à niveau ainsi que la construction d’un technicentre. Enfin Toulon, pour ses services ferroviaires métropolitains est-ouest, demanderait 310 millions d’euros pour aménagement du plan de voies en gare de Toulon Ville, aménagement de voies de rebroussement aux extrémités.
Avant-projets moins avancés… et réalisations en cours
Les projets moins avancés concernent Rouen, Tours et Nantes pour une centaine de millions d’euros chacune. Rennes demanderait autour d’un milliard d’euros pour la création de nouvelles voies ou doublage partiel de Nantes-Chateaubriand.
Chambéry exigerait à titre d’avant-projet éventuel quelque 200 millions d’euros pour la création de voies d’évitement, de rebroussement et la création d’un nouveau quai.
Enfin, au titre des projets déjà engagés, on relèvera le devis concernant la métropole de Bordeaux pour 680 millions d’euros, incluant une troisième voie sur l’axe sud-Bordeaux entre Bordeaux et Langon (Aménagements ferroviaires sud-Bordeaux, AFSB), la création de nouvelles haltes et de voies de rebroussement aux extrémités de futurs services. Au même titre, Strasbourg émarge en ce moment pour 115 millions d’euros pour la pose d’une quatrième voie sur l’axe nord vers Wendenheim.
Gare de Chambéry, détruite pendant la Seconde Guerre mondiale, reconstruite après-guerre à l'économie puis récemment remodelée et reconstruite à nouveau, offrant des espaces généreux - quoique complexes. La création d'un nouveau quai et de deux nouvelles voies à quai paraît indispensable, tant pour augmenter la fréquence des TER de l'étoile que pour accueillir à l'avenir les trains internationaux du futur tunnel du mont Ambin sur l'axe Lyon-Turin. ©RDS
Montpellier n’est pas citée par Le Moniteur : la métropole semble avoir renoncé à redéployer une étoile ferroviaire malgré la conservation de la plupart des emprises (vers Paulhan et vers Sommières), préférant jouer la carte des « voies vertes » sur les lignes désaffectées… et des autobus à « haut niveau de service » sur des emprises routières déjà surchargées et physiquement contraintes. Au point qu’un projet de BHNS est envisagé en voie unique en centre de chaussée sur la route départementale entre Lavérune et Cournonteral. Le projet d’extension de la ligne 2 su tramway en mode accéléré entre Saint-Jean-de-Védas et Pignan par l’ancienne voie Montpellier-Paulhan, qui pourrait s’intégrer à un système de SERM polymodal, est passé à la trappe. La gratuité des transports publics a un prix…
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(1) Lien vers le tableau récapitulatif et l'article du "Moniteur" sur les projets de SERM :
Le Sénat a adopté lundi 23 octobre une proposition de loi permettant le déploiement de RER métropolitains dans plusieurs villes de France....-Travaux publics
https://www.lemoniteur.fr