Transport public gratuit ou payant ? Stratégie de la terre brûlée à Montpellier, campagne de lutte contre la fraude à Grenoble
Dans le grand débat sur l’opportunité sociale de rendre gratuit l’accès aux réseaux de transport urbain, les deux métropoles de Montpellier et Grenoble prennent des voies de plus en plus opposées. Tandis que Montpellier Méditerranée Métropole applique la politique « de la terre brûlée » en supprimant tous les distributeurs physiques de titres de transport et tous les valideurs alors même que sa gratuité ne s’applique qu’aux résidents attestés de son territoire, le Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG), autorité organisatrice des transports publics sur la métropole dauphinoise et deux autres intercommunalités, a lancé une vaste campagne d’information contre la fraude, parallèlement à l’existence de tarifs sociaux très incitatifs pour les bas revenus.
Appliquée sur une vitre d'une rame de tramway du réseau de Grenoble, cet autocollant illustre une stratégie économique et sociale diamétralement opposée à la gratuité érigée en principe par les élus de Montpellier qui estiment, par la voie de la vice-présidente de la métropole, qu'elle va "dans le sens de l'histoire". ©RDS
D’un côté, à Montpellier, une gratuité totale pour les résidents de la métropole, de l’autre, à Grenoble, des tarifs sociaux mais une contribution maintenue pour financer un réseau qui a un grand besoin de maintenance et de développement. Il est intéressant de noter que ces deux réseaux sont exploités par le même délégataire de service public, Transdev, dont les cadres en poste doivent donc s’adapter à des stratégies diamétralement opposées. Le grand écart…
A Montpellier, la stratégie vise à éviter le retour à un système de paiement
A Montpellier, les élus qui dirigent la métropole « se livrent à une stratégie de la terre brûlée pour empêcher tout retour en arrière », analyse le magazine en ligne « tramwaydemontpellier.net », l’un des sites indépendants consacrés à un réseau de transport urbain parmi les mieux informés et les plus anciens de France (1). L’article explique que dans cette métropole de 491.000 habitants « il sera bien difficile de passer d’une gratuité de transports sept jours sur sept partielle dans la mesure où elle ne s’appliquera qu’aux seuls habitants de la métropole titulaires d’un Pass gratuité (…) à un réseau de transport en commun de nouveau totalement payant, sauf pour quelques catégories de personnes ».
Rame Alstom Citadis 302 à proximité de la gare de Montpellier Saint-Roch face aux hôtels de l'immeuble Belaroïa, assurant un service circulaire de la ligne 4. L'extension du réseau TaM est en cours avec les travaux de la ligne 5, dont le projet initial a été nettement réduit. ©RDS
Les dirigeants de la commune centre de la métropole de Montpellier détiennent la majorité absolue des sièges au conseil métropolitain, la commune de Montpellier comptant 299.000 habitants soit 61 % de la population. Il ne suffit donc que de quelques alliances aux représentants au conseil métropolitain de la majorité municipale de Montpellier pour imposer sans risque d’échec leur conception économique du transport public.
Michaël Delafosse, maire de Montpellier et président de la métropole, ainsi que Julie Frêche, vice-président déléguée aux Transports et accessoirement fille de feu Georges Frêche qui fut maire et élu à de nombreux autres postes à Montpellier et en région, « se chargent de mettre en place les obstacles à ce retour en arrière (concernant la gratuité, NDLR) en se livrant à une stratégie de la terre brûlée ». L’analyse de Tramwaydemontpellier.net poursuit : « Cette dernière consiste principalement à supprimer l’ensemble des valideurs embarqués, dont sont équipés les bus et les rames de tramway, la totalité des valideurs sur quais, dont sont actuellement dotées onze stations de tramway, et l’intégralité des distributeurs automatiques de titres de transport installés dans les stations de tramway et dans le hall supérieur de la gare de Montpellier Saint-Roch. »
Démontage des distributeurs de titres de transports, des valideurs « et suppression des câbles »
Au total, 112 distributeurs de titres de transport seront démontés durant l’année 2024 et 62 sur la période 2025-2026, de même que 54 valideurs sur quais, en plus de ceux placés dans les rames, durant l’année 2024, « ainsi que de la suppression de l’ensemble des câbles », souligne l’article. Il conclut que « le rétablissement d’un système de billettique complet de dernière génération coûterait 20 M€ H.T. environ », soit l’équivalent de huit rames de tramway neuves. Notons au passage que la société publique locale TaM, qui exploite le réseau en délégation à Transdev, va investir 5,3 millions d’euros pour équiper son parc d’un système de comptage des voyageurs, soit le prix de deux rames de tramway neuves. La suppression de la validation de titres de transport prive en effet l’exploitant de toute donnée en matière d’évaluation des flux en temps et lieux réels, handicap majeur pour le pilotage de l’exploitation et l’élaboration des projets.
Vue de quais en gare de Montpellier Sud-de-France, notoirement excentrée. De même que le projet de ligne 5 de tramway a été réduit, l'extension de la ligne 1 d'Odysseum à la gare Sud-de-France est passée de deux à une seule station et d'un terminus sur le parvis de la gare à un terminus à environ 200 mètres de son entrée. ©RDS
La gratuité montpelliéraine sera conditionnée à la détention d’un Pass gratuité, physique ou dématérialisé, que les résidents de la métropole pourront obtenir en prouvant leur domicile fiscal. Pour les non-résidents ou les résidents n’ayant pas effectué cette démarche, le titre de transport de dix voyages à dix euros, lancé voici huit ans sous la précédente mandature par le maire et président Philippe Saurel « sera seulement disponible sur l’application M’Ticket TaM téléchargeable sur Smartphone Android ou sur iPhone », indique tranmwaydemontpellier.net. Les personnes ne disposant pas de cet équipement ou peinant à s’en servir en seront donc exclues.
Seuls seront disponibles sur support papier des titres occasionnels touristiques. Un « City Pass » sera ainsi disponible à l’Office de tourisme, situé dans l’hypercentre de Montpellier, pour des voyages sur tout le réseau pendant 24 heures. Les abonnements payants, sur smartphone ou sur cartes magnétiques payantes, sont disponibles soit via le réseau numérique soit à l’espace mobilités.
A Grenoble, le SMMAG estime que la vraie question est celle du développement de l’offre
Toute autre l’est l’approche du SMMAG, autorité organisatrice des transports publics sur les aires de Grenoble Alpes Métropole (447.000 habitants, 49 communes) et des communautés d’agglomération du Pays Voironnais (95.000 habitants, 31 communes) et de communes Le Grésivaudan (103.000 habitants, 43 communes). Au total, l’aire administrée affiche 645.000 habitants et 123 communes. Le SMMAG est composé d’élus représentant les trois intercommunalités précités, eux-mêmes représentant les communes membres. La commune de Grenoble (158.200 habitants) ne représente que 24,5 % de la population couverte par le SMMAG, ce qui garantit un débat nettement plus équilibré qu’à Montpellier. Ce syndicat est présidé par Sylvain Laval, maire de la petite commune de Saint-Martin-le-Vinoux, dans la périphérie nord-ouest de Grenoble.
Travaux de renouvellement d'appareils de voies à la station Gares, commune aux lignes A et B du réseau de tramways de Grenoble, cet été. Mises en service à partir de 1987, voici 36 ans, les voies du réseau sont fortement sollicitées par une fréquence élevée, malgré le gabarit largeur des rames de 2,40 m, moins agressif pour la voie que celui de 2,65 m choisi par Montpellier. Outre les dépenses de maintenance et renouvellement, une moitié du parc va devoir être remplacé : les TFS Alsthom acquis en deux vagues, 1987 et 1996. ©RDS
Pour le président du SMMAG, le concept de gratuité généralisée est un faux concept car le coût du transport est toujours payé par quelqu’un, en l’occurrence par le contribuable, qu’il soit usager ou non du transport public, bien ou mal desservi par lui, en fragilité économique ou non. Dans un précédent article, Raildusud rapportait l’analyse de Sylvain Laval : « La vraie question (…) c’est celle de l’offre et de la qualité des transports, notamment la relation entre la périphérie et le centre urbain, c’est le cœur du débat. (…) En tant que président du SMMAG, le tarif n’est pas le sujet numéro 1 pour rendre le réseau plus attractif. La qualité et l’offre de service rendu, si. On ne peut pas investir des dizaines de millions d’euros sur un réseau et en même temps proposer ne mesure tarifaire qui est une fausse gratuité puisque, en réalité, la gratuité n’existe pas. La question est de savoir qui la paie. Si c’est la collectivité, c’est donc l’impôt des contribuables ».
Il convient de souligner que le taux de couverture des dépenses par les recettes commerciales des réseaux de transport urbain ne dépasse guère 50 %. Ce qui signifie que l’impôt et les taxes financent déjà une part importante de leur exploitation (énergie, salaires des personnels, maintenance…), tandis que la construction de leurs infrastructures et l’achat de leur matériel roulant sont déjà financés sur les seuls budgets des collectivités contributrices, donc par leurs contribuables. Le « gratuitisme » ne fait donc qu’alourdir une charge déjà partiellement assumée par les citoyens, qu’ils soient ou non usagers.
Prenant le contre-pied d’une fraude déjà élevée et de revendications de gratuité totale portées par une extrême-gauche locale avide de droits mais avare de devoirs, les élus grenoblois ont lancé une vaste campagne de communication. Des affiches ont été plaquées sur la totalité de la surface des armoires techniques de la plupart des 82 stations de tramway du réseau TAG, et des autocollants apposé sur certaines vitres des véhicules. Tous portent un message ironique teinté de fermeté.
Ci-dessus et ci-dessous : deux affiches très grand format installées cet automne dans les stations du réseau de tramway de Grenoble. En caractères fins, au bas des affiches, ces mises en garde: "Sans titre de transport en cours de validité et validé, chacun connaît la chute de l'histoire : 110 euros d'amende" ou bien: "On ne se lassera jamais de vos petites histoires, mais ça vous coûtera 110 euros". ©RDS
Ces messages reprennent quelques prétextes communément délivrés aux contrôleurs par les fraudeurs : urgence extrême qui n’aurait pas permis d’acheter un titre de transport, oubli tout à fait exceptionnel, etc… Sous le message placardé en très gros corps de caractères aux mots ironiquement soulignés, la mention en caractères réduits du montant de l’amende, celle qui termine l’histoire…
Un enjeu économique, mais aussi moral
Terminons en soulignant que l’enjeu du débat entre accès gratuit et contribution financière au fonctionnement du réseau n’est pas seulement économique. Il s’agit aussi d’une question morale. La gratuité ne fait pas de détail entre habitant d’une zone centrale très bien desservie et habitant d’une périphérie très peu desservie. Pourtant ce dernier, qui contribuera autant à la compensation de la gratuité que le premier par ses impôts - à revenu équivalent -, ne pourra se passer d’utiliser largement son véhicule privé. D’autre part, le « gratuitisme » relève d’une idéologie du droit, occultant la question du devoir.
Contribuer même modestement au prix du transport public revient à partager directement ses coûts au proprata de son usage (et de ses moyens en fonction des tarifs sociaux) : rémunération des conducteurs, techniciens et administratifs ; paiement de l’énergie ; participation au remboursement des emprunts… Le paiement responsabilise en impliquant l’usager dans le financement du service. Il limite aussi l’usage intempestif (prendre le tramway pour une seule station parce qu’il est gratuit…) et, partant, la surcharge des véhicules liée à l’effet d’aubaine.
La modulation des tarifs en fonction des besoins, des revenus et de l’implication dans la cause des déplacements est une chose. La négation de toute référence aux coûts en est une autre. L’avenir dira quel sera l’impact des deux stratégies sur l’évolution de l’offre et l’extension des réseaux de Montpellier et Grenoble. On pourra se reporter à un autre article de tramwaydemontpellier.net, récemment publié, pour évaluer l'impact financier de la politique des élus métropolitains de la préfecture de l'Hérault, dont voici le lien :
Photo prise à Montpellier, en bordure de la rue du Professeur Blayac, le mercredi 1er novembre 2023. Copyright : Edouard Paris A 50 jours de l'instauration de la gratuité des transports 7J/7, le jeudi 21 décembre 2023, au seul bénéfice des habitants de la Métropole de Montpellier, sous réserve de la détention d'un Pass gratuité dématérialisé...
http://tramwaydemontpellier.net
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(1) Lien vers le récent article consacré à la gratuité, publié par le magazine en ligne tramwaydemontpellier :
Capture d'écran d'une partie de l'avis d'appel public à concurrence mis en ligne par la société publique locale TaM, le vendredi 6 octobre 2023. Document : TaM Dans la Métropole montpelliéraine, il sera bien difficile de passer d'une gratuité des transports 7J/7 partielle*, dans la mesure où ce dispositif ne profitera qu'aux seuls habitants de la...
http://tramwaydemontpellier.net
(2) Lien vers l’article de Raildusud traitant de l’argumentaire des élus de Montpellier et Grenoble sur le sujet de la gratuité :
" Le sens de l'histoire, c'est la gratuité des transports ", affirme Julie Frêche, vice-présidente aux transports de Montpellier...
http://raildusud.canalblog.com