Auvergne-Rhône-Alpes mise 5,7 milliards d’euros sur dix ans : priorité au matériel, l’infrastructure renvoyée à l'Etat
La région Auvergne-Rhône-Alpes a annoncé le 20 octobre, par la voix de son président Laurent Wauquiez, un plan de financement régional (avec une aide de l’UE) de 5,7 milliards d’euros entre 2023 et 2035, prenant le contrepied d’une stratégie politique jusqu’ici centrée sur son bras de fer avec l’Etat concernant la rénovation des infrastructures. Mais ce financement ne concerne que les matériels roulants et les équipements qui ne relèvent que de la compétence régionale stricto sensu. Pour les infrastructures, et en particulier les lignes neutralisées ou en passe de l’être, la région Auvergne-Rhône-Alpes renvoie aux annonces de subventionnement par l’Etat qui ne s’élèvent, jusqu’en 2027, qu’à 54 millions d’euros pour les lignes régionales et à 110 millions pour le réseau « structurant ». Le conseil régional maintient donc implicitement son refus de participer à la restauration des voies, propriété de l’Etat. En revanche, la région a demandé à l’Etat d’élargir ses propres compétences au réseau routier.
Répndant à Laurent Wauquiez lors d'une visite aux rencontres du Transport public à Clermont-Ferrand le 19 octobre, le ministre délégué aux Transports Clément Beaune a confié à France Bleu au sujet de la demande de réouverture de Boën-Thiers: « Les autres lignes (qu'Intercités) relèvent de la Région. Il y a des choix qui sont faits. Moi, je suis tout à fait prêt à discuter avec le président de Région en particulier, mais je respecte aussi ses choix, les priorités qu'il a ». M. Beaune ne rappelait pas que la compétence de la région concerne essentiellement les services TER, qui paient des sillons à SNCF Réseau, et non l'infrastructure.
Dix nouvelles rames par an pendant treize ans, de quoi anticiper les services métropolitains
Le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes annonce l’achat chaque année de 10 nouvelles rames régionales à deux niveaux, soit 130 rames de 2023 à 2035. Il promet une augmentation des fréquences de 30 % autour des quatre métropoles de la région, Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand et Saint-Etienne. De quoi se rapprocher des normes de ces services express métropolitains annoncés par le président de la République, mais sans aborder la question des infrastructures. Or dans bien des cas l’augmentation des fréquences périurbaines se heurtera aux limites de capacité du réseau : jonctions imposant un cisaillement, sections en manque de triplement ou quadruplement, gares terminus à aménager, absence de stations au droit de quartiers nouvellement urbanisés…
TER quittant la gare de Voreppe sur la section Grenoble-Moirans commune aux lignes de Lyon et Valence. De toute évidence, cette section devra être équipée au moins d'une troisième voie pour absorber un surcroît de trafic dans la perspective d'un service express métropolitain. Mais la présence d'un souterrain (à l'avant de la rame, sur la photo) risque fort de limiter cette extension à la section Grenoble-Voreppe... ©RDS
La région promet enfin de passer le nombre de places sécurisées pour les bicyclettes de 4.000 à 10.000 et de poursuivre les expérimentations sur le train à batteries. Le train à hydrogène reste annoncés pour 2026 entre Clermont-Ferrand et Lyon, bien qu’il connaisse des retours d’expérience négatifs, abandonné par exemple en Basse-Saxe.
Si Auvergne-Rhône-Alpes persiste à refuser d’investir dans le réseau, annonçant que c’est à l’Etat propriétaire de se charger du financement de sa maintenance, de sa restauration et de sa modernisation, cette région maintient sa participation, certes marginale, au financement de la ligne nouvelle mixte Lyon-Turin, « liaison internationale et donc totalement hors compétences », s’alarment seize association signataires d’un communiqué commun publié le 24 octobre en réaction aux annonces de la région.
Pour les « petites lignes », l’Etat se limite à promettre 54 millions d’euros de 2024 à 2027
Or, souligne ce communiqué, « à part le chiffre de 54 millions d’euros de l’Etat (dont 22 millions dédiés aux lignes du Cévenol et de l’Aubrac), le maintien et la modernisation de tout le réseau régional TER ne sont pas financés ni, bien entendu, la réouverture de lignes demandées par les citoyens ». Rappelons quelles sont les sections de lignes actuellement neutralisées sur le territoire d’Auvergne-Rhône-Alpes : Boën-Thiers (ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand), Oyonnax-Saint-Claude (relation birégionale Saint-Claude-Lyon), Volvic-Le Mont-Dore/Ussel (relation régionale et birégionale Clermont-Ferrand-Le Mont-Dore/Brive-Bordeaux), Sathonay-Trévoux (relation Lyon-Trévoux). Le rétablissement d’une relation TER Romans-Le Teil par rétablissement d’une offre voyageurs sur la section Le Teil-Livron impliquera des aménagements dans les gares desservies.
Les 54 millions d’euros pour les « petites lignes » promis par l’Etat, complétés par 110 millions d’euros pour le réseau structurant, principalement l’axe Paris-Clermont-Ferrand, jusqu’en 2027 sont à comparer aux plus de 100 millions d’euros de préannonce de devis pour une éventuelle restauration de la voie entre Boën et Thiers, soit seulement 47 km, afin de rétablir enfin des TER entre les deux métropoles de Saint-Etienne et Clermont-Ferrand, distances de quelque 150 km.
Bâtiment voyageurs rénové mais voies en état de délabrement avancé en gare de Lus-la-Croix-Haute (Drôme) sur la ligne Grenoble-Veynes. Après une première salve de travaux voici deux ans, cofinancée par les collectivités territoriale - régions, départements et métropole de Grenoble compris - la seconde salve prévue pour restaurer la ligne et revenir aux vitesses originelles au sud de Clelles pourra-t-elle être financée ? ©RDS
Les discussions entre la région et l’Etat se poursuivent au sujet du volet « petites lignes » du Contrat de plan Etat-Région, dont la finalisation serait annoncée pour décembre de cette année. La région se refuse désormais à abonder en quoi que ce soit le financement des infrastructures, rejoignant dans ce bras de fer avec l’Etat la région mitoyenne d’Occitanie. Une différence de taille subsiste néanmoins entre ces deux vastes collectivités : l’Occitanie a d’ores et déjà commencé à investir les 800 millions d’euros qu’elle a promis sur une décennie pour la restauration des voies du réseau parcourus par ses TER, qu’il s’agisse de modernisation ou de réouverture (Limoux-Quillan, Alès-Bessèges, Montréjeau-Luchon).
Les seize associations signataires du communiqué du 24 octobre se félicitent que la région « ait enfin échafaudé une stratégie claire jusqu’en 2035 », elles estiment que son annonce ait été obtenue « à la demande » de leur collectif.
Laurent Wauquiez rappelle avoir investi sur Perrache et Part-Dieu à Lyon
Ce n’est pas le point de vue de Laurent Wauquiez. Le président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes explique : « Quand nous sommes arrivés à la tête de la Région, nous avons récupéré une situation où il y avait un sous-investissement sur le train, explique Laurent Wauquiez. La première priorité, ça a été d'investir sur les sites de la Part-Dieu et de Perrache à Lyon. Parce que vous ne faites rien dans notre région si vous ne desserrez pas le nœud Part-Dieu-Perrache. C'était la première condition pour avancer. Il a fallu faire les choses dans l'ordre. Puis on a enclenché une première rénovation, avec aussi de premiers achats. Maintenant, si on veut franchir le cap, il faut des ambitions et des moyens supplémentaires. »
Aperçu de la plateforme en travaux destinée à recevoir la douzième voie du faisceau voyageurs de la gare de Lyon Part-Dieu, photographie prise en mars 2022. En cofinançant cette extension, la région a participé à un investissement d'infrastructure, de même qu'elle l'a fait pour sauver la section Langigne-Saint-Georges d'Aurac sur la ligne des Cévennes et plusieurs autres opérations de même type. Mais aujourd'hui le bras de fer est engagé avec l'Etat propriétaire des voies. ©RDS
Frédéric Aguilera, vice-président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes chargé des Transports, a confié pour autant que les 5,7 milliards d’euros investis sur treize ans par la région ne permettraient pas « un big bang » de l’offre, puisque ces dépenses s’étaleront sur plus d’une décennie. Les seize associations membres du collectif concluent : « Le jour où la région Auvergne-Rhône-Alpes se battra pour la réouverture de lignes et la modernisation de son réseau, alors elle deviendra volontariste en matière ferroviaire, ambitieuse à la hauteur des enjeux ». Cette perspective semble d’autant plus lointaine que Laurent Wauquiez refuse d’investir dans l’infrastructure alors que la loi LOM le lui permet, y compris en prenant sous gestion ou propriété régionale directe des sections parcourues majoritairement par les TER.
Le « plus gros défi » : éviter les fermetures de petites lignes par l’Etat propriétaire, admet M. Wauquiez
Pourtant, dans son plan d'investissements, Laurent Wauquiez estime que le « plus gros défi » pour l’Auvergne c'est d'éviter les fermetures des petites lignes : « C'est essentiellement en Auvergne que sont les menaces de fermetures ». « Nous avons, à ce stade, refusé les fermetures de petites lignes, dont la décision est du ressort de l'État... mais auxquelles on s'oppose », a martelé Laurent Wauquiez dans un entretien publié par La Montagne.
De haut en bas: - Travaux en gare de Tassin au printemps 2023, sur le faisceau des lignes du train-tram de l'Ouest-Lyonnais, afin de renouveler les voies des TER à destination de Lozanne. Malheureusement, cette rénovation n'inclut pas l'électrification de la ligne Tassin-Lozanne, alors que les autres branches (Brignais, Sain-Bel) ont été électrifiées. Cette situation maintiendra l'obligation de changement de train à Tassin pour les voyageurs en provenance de l'amont (Lyon) et à destination de l'aval (Lozanne).- Panneau mettant en valeur le financement majoritairement régional de ces travaux d'infrastructure. Depuis, la position d'Auvergne-Rhône-Alpes s'est manifestement durcie. ©POM/RDS
Pierre Pommarel, président de l'association des usagers des transports d'Auvergne membre de la Fnaut souligne pour sa part « qu’il y a l'acquisition du matériel, mais il y a aussi le problème des infrastructures ». Il poursuit : « Dans ce domaine, c'est l'État qui doit être appelé à contribution. Il doit s'engager à un niveau bien supérieur que celui qu'il envisage dans le CPER qui est en cours de discussion. On nous annonce un peu plus de 40 millions d'euros, là où la SNCF a chiffré les besoins entre 200 et 300 millions d'euros. L'État doit être plus présent, c'est de sa compétence. »
Le collectif des seize associations déplore de son côté que la région « ait demandé la compétence sur les routes, et donc leur financement, comme par exemple les 200 millions d’euros engagés sur la RN88 ».