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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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29 août 2023

Le Puy-Langogne : destin gâché d’une petite transversale à vocation inter-régionale, sous-valorisée et précocement liquidée

Il est une suppression de ligne ferroviaire qui passa pratiquement inaperçu et qui pourtant, parmi tant d’autres, affaiblit le maillage régional du Massif central et limita gravement les possibilités de relations interrégionales. Il s’agit de la liquidation, dès la deuxième année d’existence de la SNCF, du service voyageurs de la petite transversale Le Puy-Langogne. Cette ligne, d’apparence anodine, permettait pourtant de relier le Languedoc et les Cévennes au bassin stéphanois et au-delà à Lyon par un itinéraire certes acrobatique, mais au kilométrage fort intéressant.

 Longue de 53,36 km, la ligne se débranchait de la ligne Saint-Etienne-Saint-Georges-d’Aurac à environ 1 km à l’est de la gare de Puy, après avoir été tracée en accotement de la voie courant vers Saint-Etienne. Elle atteignait la commune voisine de Brives-Charensac au km 3,19. Puis elle desservait sept autres gares intermédiaires : Coubon-Volhac (km 8,78), Solignac (km 17,84), Le Brignon (km 23,10), Costaros-Cayres (km 28,89), Landos, sa gare la plus haute à 1.115 m d’altitude, (km 35,51), Saint-Etienne-du-Vigan (km 42,55), Pradelles (km 46,50),  avant d’atteindre Langogne au km 53,365. A Langogne, elle s’embranchait sur la ligne Nîmes-Clermont-Ferrand au nord de la gare avec liaison vers un vaste chantier  fret en partie dédié au chargement de grumes, de produits de scieries, de bétail.

Profil de la ligne Le Puy-Langogne extrait du Carnet de profils de la compagnie de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM). Les déclivités sont constantes mais ne dépassent pas 22 millimètres par mètres. La traction fut à vapeur puis diesel. (Doc. RDS)

Point culminant à 1.149 m d’altitude, atout touristique indéniable

 Son altitude était supérieure à 1.000 m, approximativement du Brignon (964 m) jusqu’à Saint-Etienne-du-Vigan (1.002 m). Soit une vingtaine de kilomètres comportant de beaux alignements, sur le rebord du haut plateau du Velay séparant la Loire, à l’est, de l’Allier, à l’ouest, dominé par le mont Burel (1.226 m)  approché par notre ligne entre Costaros et Landos. C’est sur ce haut plateau à proximité de ce dernier village qu’elle franchissait la ligne de partage des eaux entre les deux bassins versants, avec un point culminant à 1.149 m d’altitude. Un atout touristique indéniable.

LandosGare de Landos, à plus de 1.000 m d'altitude, sur le bord occidental du haut plateau du Velay, avec un train au départ vers Le Puy, photographiés au début du XXe siècle. (Carte portale ancienne, doc. wikiplm.railsdautrefois.fr)

 La partie depuis Le Puy jusqu’à Solignac, soit 18 km environ, se frayait un chemin en surplomb de la haute vallée de la Loire, tourmentée avec des courbes relativement serrées et cinq tunnels de belle longueur : 1.142 m, 1.268 m (en courbe), 565 m (en courbe), 307 m, 281 m. Les déclivités étaient continues, entre 12 et 22 ‰. Affichant les mêmes déclivités, la course sur le haut plateau était en revanche nettement plus rectiligne jusqu’à Landos, sur 17 km environ, puis la descente vers Pradelles restait assez peu tourmentée avec quelques déclivités certes conséquentes (jusqu’à 22 ‰) mais moins longues qu’au nord.

 De Pradelles à Langogne, dans un environnement forestier, les courbes se resserraient en surplomb de la vallée de l’Allier sur sa rive droite face à la voie Nîmes-Clermont-Ferrand courant sur la rive gauche. Deux petits tunnels, et la ligne franchissait le cours d’eau par un viaduc de 80 m avant de remonter jusqu’en gare de Langogne deux kilomètres plus loin, à 913m d’altitude. La limite entre les départements de Haute-Loire et de Lozère était franchie à quelques centaines de mètres au nord du viaduc sur l’Allier. Celui de l’Ardèche quant à lui est voisin, tout proche de Langogne.

Une interminable gestation de 33 années

  Mise en service par le PLM en juillet 1912, la ligne avait connu une interminable gestation de 33 années puisque sa déclaration d’utilité publique datait de mars 1879, signe du peu de cas que l’on s’en faisait à Paris. Elle eut toutefois plus de chance que sa voisine dite du Transcévenol, qui devait relier Brives-Charensac à Lalevade d’Ardèche. Cette dernière, longue de 93 km et au profil spectaculaire, avait été déclarée d’utilité publique en avril 1906, mise en chantier en 1911 mais jamais achevée durant l’entre-deux guerres. L SNCF avait bloqué les travaux. Le gouvernement de l’Etat français déclassa l’infrastructure dans sa vaste charrette de déclassements de la fin 1941.

 Le Puy-Langogne ne connut qu’une offre voyageurs régionale, vite suspendue en avril 1939 par la même nouvelle SNCF, soit une durée de vie de 27 années. De 1944 à 1950, toutefois, une voiture voyageurs fut accrochée aux deux navettes fret quotidiennes, réalisant la seule desserte exclusivement « MV » (marchandises-voyageurs) de tout le réseau. Ces « MV » étaient par définition lents (il fallait charger/décharger ou manoeuvrer dans toutes les gares ayant un client fret) et inconfortables. Ce n’était pas nouveau : l’offre voyageurs initiale (1912) se limitait à trois allers-retours quotidiens sept jours sur sept en toutes saisons, en 2 h 05 mn au mieux, par trains « mixtes » voyageurs-marchandises, imposant donc de longs arrêts à chaque station pour chargements et déchargements.

TDS71835Situation de la ligne Le Puy-Langogne sur la carte officielle du réseau datant du début des années 1930. On mesure l'économie de distance et de temps que cette section permettait entre le Languedoc et les Cévennes d'une part, la ville du Puy et la métropole de Saint-Etienne de l'autre. (Doc. RDS)

 Le fret subsista plus longtemps, démontrant une certaine pertinence de cette ligne. Il ne disparut qu’en 1981 au sud entre Landos et Langogne, au nord en 1987 entre Brives-Charensac et Landos et en 1992 sur la courte section d’à peine plus de 3 km entre Brives-Charensac et Le Puy.

 Le déclassement – retrait du réseau ferré national – fut prononcé en septembre 1992 pour l’ensemble de la ligne à l’exception de Brives-Charensac-Le Puy, qui ne fut déclassé qu’en  mars 2009, délai pour le maintien d’une éventuelle desserte de proximité.

Aujourd’hui la ligne d’autocars H01 est réduite à la portion congrue

 Cette ligne traverse une région peu peuplés mais aux indéniables atouts de « tourisme vert ». Sur le plateau, Landos, à son point culminant, ne compte que 872 habitants en 2020, soit presque deux fois moins qu’en 1906 (1.562 habitants). Sur la Loire à 17 km du Puy, Solignac, qui fait partie de la communauté d’agglomération du Puy,  compte 1.274 habitants en 2020, soit un regain depuis le point bas de 1968 (793 habitants) mais une population moindre qu’en 1906 (1.618 habitants).

 A l’autre extrémité de la ligne, Pradelles, limitrophe de l’Ardèche et de la Lozère, ne compte plus que 545 habitants alors qu’elle en compta1.952 en 1906… Langogne compte 2.875 habitants en 2020, en baisse régulière depuis son optimum de 4.332 habitants en 1946. Quant au Puy, la commune compte 18.945 habitants en 2020 après un optimum de 26.574 habitants en 1975.

 Le maintien d’une desserte voyageurs sur cet axe était à l’évidence une gageure commerciale, aggravée par l’abandon du wagon isolé et la montée en puissance de la route malgré l’hiver rigoureux de ces hautes contrées. Aujourd’hui, la ligne d’autocars régionaux H01 de la région Auvergne-Rhône-Alpes ne relie Le Puy à Langogne via Landos que deux fois par jour du lundi au jeudi, deux fois le vendredi mais avec un des deux horaires décalé. Le tout est complété par une rotation supplémentaire le mercredi de bout en bout,  une rotation  Landos-Langogne du lundi au vendredi sauf le mercredi, et une rotation Pradelles-Langogne du mardi au vendredi.  Aucun service n’est proposé le samedi et dimanche.

Tableau horaire de la ligne régionale d'autocars Le Puy-Langogne à partir de la rentrée 2023. Aucun service les samedis, les dimanches et les jours fériés, ce qui renvoie les déplacements de loisirs aux oubliettes. En semaine, la trame est aussi transparente que compliquée. Cette situation constitue un facteur de relégation supplémentaire quand on sait que les autres services publics disparaissent des petites communes (poste, trésor public, sécurité sociale...) et que certaines tranches d'âge ou certains groupes sociaux n'ont que l'autocar pour outil de déplacement vers les agglomérations qui les ont gardés.

 Le temps de parcours de bout en bout est de une heure pile pour un peu plus de 50 km, soit une vitesse commerciale d’environ 25 km/h. Horaires minimalistes, grille principalement destinée aux scolaires et habitués locaux, fiche difficilement lisible : voilà de quoi rendre cette ligne d’autocars à peu près aussi déficitaire que l’ancienne ligne ferroviaire si l’on inclut la part du bus dans l’entretien de la voirie, la courte longévité du véhicule et la part éventuelle du fret dans le bilan potentiel de la ligne.

La région est peu peuplée mais la vocation inter-régionale de la ligne est certaine

 Or la ligne Le Puy-Langogne avait une vocation interrégionale, malheureusement non exploitée. Elle permettait à la région du Puy d’accéder rapidement aux Cévennes et au Languedoc par la section sud de la ligne des Cévennes et les gares de La Bastide-Saint-Laurent-les-Bains, Villefort, Génolhac, Sainte-Cécile-d’Andorge, La Grand-Combe, Alès et Nîmes. Une fois fermée, l’itinéraire restait possible par les sections Le Puy-Saint-Georges-d’Aurac (52,54 km) et Saint-Georges-d’Aurac-Langogne (74,13 km) section la plus lente de la ligne des Cévennes, dans les célèbres gorges de l’Allier et leurs cinquante tunnels ou galeries. Cet itinéraire totalise 126,67 km, soit exactement 73,31 km de plus que l’itinéraire via Landos et la ligne Le Puy-Langogne.

Le Puy-Langogne 1Circulation voyageurs dans l'immédiat après-guerre, sur la ligne vers Le Puy. Ce jour-là, le fret n'est pas présent... (Doc. POM)

 Cette donnée n’avait pas échappé après-guerre à des dirigeants de la SNCF encore soucieux d’équilibre territorial. Alors que la ligne était encore ouverte au fret (elle le demeura jusqu’en 1981 dans son intégralité), il fut question de faire transiter l’autorail saisonnier Lyon-Toulouse, mis en service en 1958, non plus par Saint-Georges-d’Aurac mais par la ligne Le Puy-Langogne et ainsi d’économiser de précieux kilomètres. Cela ne remettait pas en cause les correspondances depuis l’amont et Clermont-Ferrand, qui eussent été reportées de Saint-Georges-d’Aurac à Langogne. L’autorail effectuait le reste de son parcours par La Bastide-Saint-Laurent-les-Bains, Mende, Le Monastier, Séverac-le-Château, Rodez…

LangogneGare de Langogne. L'importance du bâtiment voyageurs témoigne de l'importance relative de la ville et de l'activité originelle de l'étoile ferroviaire avec trois destinations (Nîmes, Clermont-Ferrand, Le Puy),voir quatre si l'on ajoute Mende, préfecture, par la ligne La Bastide-Le Monastier.

 Victime de ralentissements en série (Le Puy-Saint-Georges-dd’Aurac, Séverac-Rodez) et d’un évident manque de soutien commercial, ce Lyon-Toulouse d’été fut supprimé à l’automne 1988 après trente saisons de service. Son éventuel transit par Landos avait été abandonné en raison du coût des travaux qu’il eût fallu entreprendre pour restaurer la voie sur la section Le Puy-Langogne, alors entretenue a minima pour un trafic fret moribond. Il eût pourtant apporté un précieux argument commercial.

L’économie de 73,31 km aurait bénéficié à des services Saint-Etienne-Nîmes

 Notons que l’économie des 73,31 km précités pouvaient aussi concerner les relations Saint-Etienne-Alès et Nîmes. Le kilométrage Saint-Etienne-Nîmes par la ligne Le Puy-Langogne s’établit à 276,5 km. Via Lyon et la vallée du Rhône, il s’établit à 343 km par la ligne classique. Avec les lignes nouvelles,  ce différentiel de 66,5 km est largement compensé par la grande vitesse. Mais avant leur mise en service (1994 jusqu’à Valence, 2001 au-delà vers le sud) il eût plaidé en faveur d’une relation directe par la ligne des Cévennes qui de plus épargnait le changement de train à Lyon. Aujourd’hui encore, cette courte ligne permettrait de cumuler des origine-destination à longue distance avec des cabotages que le TGV, son principal défaut, ne permet en aucune sorte.

DSCN1394Couple d'automoteurs quittant La Bastide-Saint-Laurent-les-Bains en direction de Nîmes. Située dans un magnifique environnement forestier et au faîte de la ligne Nîmes-Clermont-Ferrand, cette gare se situe à 18 km au sud de Langogne et l'origine de la ligne vers Mende. L'autorail estival Saint-Etienne-Lyon passait à cet endroit jusqu'à sa suppression en 1988, bifurquant vers Mende puis Le Monastier où il rebroussait vers Séverac-le-Château et Rodez. ©RDS

 Destruction « pro-cyclique » (en négatif) d’une relation de proximité dans des régions en déclin ; perte d’un potentiel interrégional notable, tant sur les itinéraires Lyon-Toulouse que Saint-Etienne-Nîmes (possible économie par raccord à Langogne avec une circulation provenant de Clermont-Ferrand) ; perte d’un potentiel touristique remarquable, tant pour les Méridionaux désirant se rafraîchir en altitude que pour les Auvergnat désirant se réchauffer au soleil ; perte d’un trafic potentiel dont la ligne des Cévennes aurait bien besoin… : la liquidation de la ligne La Puy-Langogne, dès 1939 pour les voyageurs, aura été l’archétype de l’économie immédiate imposée par un Etat acquis à l’industrie automobile en plein développement. Cette décision, d’une faible économie à l’échelle du pays, induit la perte réelle d’une liaison potentiellement intéressante, désormais définitivement obérée.

  Aujourd’hui, un vélorail est proposé sur une section entre Landos et Langogne. Côté Le Puy, la destruction d’un pont-rail et le comblement d’une tranchée à l’amorce de la ligne pour aménager le contournement du Puy par une importante route départementale efface progressivement la continuité de la plate-forme. Ce qu’il en reste, à Brives-Charensac, est aménagé en « voie verte », autre nom des cimetières de lignes ferroviaires et cache-sexe du déclassement régional.

Landos vue généraleVue générale du bourg de Landos (Haute-Loire). Située entre les gorges de La Loire et celles de l'Allier, cette commune donne accès aux GR40 du Tour du Velay, GR70 du Chemin de Stevenson, GR470 du sentier des Gorges de l’Allier et GR700 de l'antique Voie Régordane. (Doc. municipalité de Landos, Landos.fr)

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Commentaires
J
Circulation voyageurs dans l'immédiat après-guerre, sur la ligne vers Le Puy. Ce jour-là, le fret n'est pas présent... (Doc. POM)<br /> Sur le viaduc de la Gagne ou Veynères, (nord de Solignac sur Loire) surement pas juste après-guerre avec une BB 6600 en tête, revoyez vos sources<br /> De plus, l'autorail dont il est question, joignait Lyon à Toulouse, via Saint Etienne, Le Puy, Langogne, La Bastide-Saint-Laurent-les-Bains, Mende, Le Monastier, Séverac-le-Château, Rodez…, là, nous sommes dans la logique de l'itinéraire<br /> Voilà
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M
Cher lecteur,<br /> <br /> Ajoutons que l'autorail Lyon-Toulouse transitait par Saint-Georges d'Aurac et non par la ligne directe Le Puy-Langogne.
M
Cher lecteur,<br /> <br /> Tout dépend jusqu'à quand est sensé durer l'immédiat après-guerre...<br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> La rédaction
P
Je comprends, c'était un parcours complexe<br /> <br /> Merci pour votre réponse
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P
Je ne vois pas comment cela était possible, c'est un non-sens, La Bastide ne se trouve pas entre St Etienne et Lyon :<br /> <br /> L'autorail estival Saint-Etienne-Lyon passait à cet endroit jusqu'à sa suppression en 1988, bifurquant vers Mende puis Le Monastier où il rebroussait vers Séverac-le-Château et Rodez. <br /> <br /> Vous avez oublié de préciser le parcours exact de cet autorail
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X
Le train sur le viaduc mixte de la Gagne avec BB66000 et voitures Bruhat est à l'initiative d'un enseignant qui avait obtenu, sans grosse difficultés, la hiérarchie était pas aussi regardante qu'aujourd'hui, d'adjoindre au train de marchandises habituel ces 2 voitures pour les voyages de fin d'années de scolaires bien chanceux ! Il y a eu au moins deux trains comme ça les ultimes années de circulation au-delà de Brives-Charensac.
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J
Cette ligne était le prolongement logique de la ligne de St Germain des Fossés à Darsac dont la mise en service s'étalera de 1862 à 1902...<br /> <br /> <br /> <br /> Ces lignes "régionales" ne seront jamais exploitées convenablement.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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