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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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14 août 2023

Réseau ferroviaire : et si le bras de fer Auvergne-Rhône-Alpes-Etat annonçait une rébellion des régions ?

 On l’a vu, le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes a engagé un bras de fer avec l’Etat central au sujet de l’entretien, de la rénovation ou de la réouverture de lignes ferroviaires propriétés exclusives de l’Etat. Alors que d’autres régions se sont engagées à financer une grosse moitié de ces travaux dans le cadre de leurs contrats de plan Etat-région (CPER), la position d’Auvergne-Rhône-Alpes paraît pour l’instant isolée. Or des réticences commencent à poindre de la part d’autres conseils régionaux, certains se plaignant de devenir les « vaches à lait » de Paris. La négociation du volet mobilités du CPER Occitanie serait au point mort tandis que le conseil régional toulousain retarde les perspectives de remise en service des sections de lignes Alès-Bessèges et Limoux-Quillan. Quant au conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, son président Alain Rousset a déploré à maintes reprises les devis de SNCF Réseau et l’attitude de l’Etat.

 C’est à ce jour Laurent Wauquiez, président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, qui semble aller le plus loin dans ce bras de fer (1). Mais lors du prochain congrès de Régions de France qui aura lieu les 27 et 28 septembre prochain à Saint-Malo, sa stratégie et son argumentaire pourraient faire quelques émules. Déjà Loïg Chesnais-Girard, président de la région invitante la Bretagne qui abritera ce congrès, s’était joint à Carole Delga pour déplorer « le flou » qui entoure la promesse du gouvernement de doter les transports collectifs de 100 milliards d’euros.

Un propriétaire peut-il demander à son locataire de payer l’essentiel du remplacement de la chaudière ?

 « Si l’on va à la racine, la région (Auvergne-Rhône-Alpes, NDLR) est plutôt dans son bon droit » même si « la posture est évidemment difficile à tenir », estimait un contributeur informé de Raildusud dans un récent commentaire. Il ajoutait : « C'est plutôt la période depuis 2005 qui est "anormale", quand ont été élaborés les premiers CPER avec financement aux trois tiers Etat-Région-RFF (devenu SNCF Réseau, NDLR). Un propriétaire ne peut demander à son locataire de payer l'essentiel du remplacement de la chaudière ou la réfection de l'électricité dans sa maison. Même principe... ».

RVB Cévennes 22Chantier de préparation de renouvellement de voies pour la ligne des Cévennes. Chaque CPER et chaque menace de fermeture sont précédés d'interminables négociations pour trouver les fonds nécessaires aux travaux. 

 Depuis Bordeaux, Alain Rousset est depuis longtemps remonté contre les devis exorbitants de SNCF Réseau lors des réfections d’infrastructures et contre la façon dont l’Etat jacobin tente de « refiler » - sans ressources fiscales supplémentaires - une partie voire l’entièreté de la facture des réhabilitations de voies régionales, surtout si elles sont peu fréquentées (donc s’adressant à des populations par définition privées de nombreux services publics, la désormais célèbre « France périphérique »). Après une intervention remarquée au sujet des devis de SNCF Réseau au congrès de la Fnaut à Bordeaux en 2016, il déplorait récemment que « les Régions (soient) les cochons de payeurs ».

 Analyse de notre contributeur informé : « Maintenant, après quasiment 20 ans de dérive (et une part Région en général aux 2/3), le pli est pris »… de faire payer par les régions la rénovation de pans entiers du réseau ferré national propriété de l’Etat. Il ajoute, à propos de la stratégie d’Auvergne-Rhône-Alpes : « Problème n°1 : Laurent Wauquiez est isolé. La démarche aurait une toute autre envergure si elle était menée par l'ensemble des Régions. Problème n°2 : l'Etat n'a guère d'appétence pour le rail en dépit des discours grandiloquents. Le discours ne coûte pas grand-chose... et comme le ministère des Finances veut réduire la dérive des comptes de la nation, les coups de rabot vont se faire un peu plus secs. »

Carole Delga en état d’alerte

 Laurent Wauquiez est peut-être moins isolé qu’il ne paraît. Car c’est cette situation qui a amené la présidente de Régions de France et du conseil régional d’Occitanie, Carole Delga, à alerter solennellement le mois dernier, en préparation du congrès de Régions de France, l’Etat central sur sa responsabilité au sujet du maintien du maillage ferroviaire territorial – ou du moins ce qu’il en reste. Mme Delga affirmait ainsi que la moitié des lignes pourraient fermer d’ici cinq ans si des investissements massifs n’étaient pas accordés en faveur du réseau.

 Illustration de cette réalité : l’Occitanie, malgré un investissement de 800 millions d’euros annoncés sur dix ans pour la restauration de lignes régionales, décale de quatre années la remise en service de la courte section Limoux-Quillan, longue de seulement 28 km, de l’ancienne transversale Carcassonne-Rivesaltes. Le retour des TER ne pourra désormais être espéré qu’en 2030 au lieu de 2026 (objectif déjà reporté une première fois). Cette section ne compte que quatre tunnels et un seul viaduc, sur l’Aude à la sortie de Massia.

IMG_20200714_172331Voies à quai en gare d'Alès (ci-dessus) et de Brioude (ci-dessous). L'état de décrépitude de nombreux composants en dit long sur l'importance des investissements destinés à une remise à niveau, malgré d'importants efforts récents. La région Occitanie accepte de financer une large part des travaux de réhabilitation des lignes du Massif central sur son territoire, Nîmes-Clermont-Ferrand comme Béziers-Neussargues. Auvergne-Rhône-Alpes a jusqu'ici participé à des rénovations d'ampleur, telle celle de la gare de Brioude et de la section de l'axe Nîmes-Clermont-Ferrand située sur son territoire. ©RDS 

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 Toujours en Occitanie, la remise en service d’Alès-Bessèges, ligne de 32 km, vient d’être reportée de deux ans, soit 2028 au lieu de 2026. La décision de rouvrir cette section de l’ancienne transversale sud-ardéchoise Alès-Le Teil et son antenne Robiac-Bessèges avait été prise dès 2016. La remise en service aura donc pris dix années. Au demeurant Alès-Bessèges a été transférée sous autorité régionale. Elle est accablée de 13 passages à niveau que la circulaire Bussereau oblige à supprimer ou sur-sécuriser, même si l’interprétation en a été assouplie. La sous-section Alès-Salindres reste ponctuellement exploitée en fret, ce qui compliquerait encore les choses selon le vice-président chargé des transports Jean-Luc Gibelin. Mieux : la Haute autorité environnementale aurait de son côté exigé « une nouvelle étude équivalant à celle prévue pour l’ouverture d’une nouvelle ligne », a déploré l’élu. Pourtant cette section n’a jamais été légalement fermée et reste partiellement exploitée en fret.

Les 800 M€ annoncés par l’Occitanie étaient conditionnés à une aide équivalente de l’Etat

 Nul doute donc que la question financière reste sous-jacente dans ces deux décisions de report et que les embûches bureaucratiques semées pour Alès-Bessèges par la haute fonction publique de l’Etat ont quelques motivations opaques. Lorsqu’elle avait annoncé un investissement régional de 800 millions sur une décennie dans les lignes ferroviaires, Carole Delga avait assorti cette promesse de la demande d’un investissement équivalent de l’Etat. Il paraît loin d’être assuré si l’on en croit des informations venues du conseil régional.

 Car les 100 milliards d’euros promis par l’Etat pour le redressement du réseau ferroviaire français posent question. Carole Delga s’était déjà jugée « incapable de vous dire aujourd’hui de quoi seront faits » les 100 milliards d’euros d’investissements sur les transports collectifs : « De l’argent nouveau de l’État uniquement ? Un mélange de subventions d’État et de fonds européens ? Avec ou sans participation des Régions ? De la SNCF ? Avec une part d’actionnariat privé via des sociétés de projets ? On est dans un flou complet ! »

IMG_20221126_120915TER (surchargé, nous sommes en décembre) Briançon-Valence-Romans-Bourg-de-Péage en gare de Crest (Drôme). La ligne de la Drôme Livron-Aspres-sur-Buëch-Veynes a pu être sauvée grâce à d'importants travaux financés pour partie par les collectivités régionales. Sur la ligne voisine Veynes-Grenoble, la première salve de travaux de réhabilitation a été financée de la même manière, avec contribution des départements et de la métropole de Grenoble. Rappelons que pour ces dernières collectivités, le ferroviaire n'entre en aucune façon dans leur catalogue de compétences. ©RDS 

 L’Autorité de régulation des Transports (ART) pour sa part a publié un rapport accablant le 12 juillet (2). Selon elle, faute d’un budget suffisant, il faut s’attendre « à une stagnation des trafics durant les deux prochaines décennies » et à « une forte dégradation du réseau ». Selon l’ART, 16 ù du linéaire des lignes du réseau ferré national « sont proches de leur fin de durée de vie nominale ou l’ont dépassée ».

 L’investissement annuel par habitant dans le réseau ferroviaire est en France, selon Allianz pro Schiene (association d’exploitants ferroviaires allemands),  de 46 euros, soit 2,5 fois moins qu’en Allemagne (115 €). Le réseau français est long de quelque 28.000 km (extrêmement concentré en et autour de l’Ile-de-France) pour 68 millions d’habitants et 544.000 km2 en métropole (51,47 km par 100 km2). Il est de 41.000 km en Allemagne pour 84,3 millions d’habitants et 357.600 km2 (114,6 km par 100 km2). Plus frappant encore, cette dépense annuelle par habitant pour le réseau ferroviaire est de 115 € en Italie et de 187 € au Royaume-Uni, soit quatre fois plus qu’en France. Le Royaume-Uni que de nombreux médias français s’obstinent à présenter comme un enfer ferroviaire.

 Le ferroviaire, élément capital de structuration de l'espace et d'équité territoriale pourrait être pour l'Etat central la bombe politique amorcée par des régions à bout de souffle. Et cela sous le regard inquiet de nos voisins européens.

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(1) Lire notre article mis en ligne le 4 août :

 

http://raildusud.canalblog.com/archives/2023/08/04/39996484.html

 

(2) On lira à ce sujet l’excellent exposé publié par Transportrail :

 

http://transportrail.canalblog.com/archives/2023/07/24/39976833.html

 

 

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Commentaires
E
Et si en contrepartie de leur financement les régions devenaient propriétaires de leur réseau?Cela serait plus cohérent que la situation actuelle...<br /> <br /> <br /> <br /> Ou alors l Etat doté correctement SNCF reseau et on arrête le "bricolage"...
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E
Et si en contrepartie des financements les régions devenaient propriétaires de leur réseau? Parce que la,actuellement on est en pleine incohérence...
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J
Equipement puis Infra et maintenant sncf réseau, même constat.<br /> <br /> Des devis "surgonflés" et des factures 30% plus élevés vis à vis de ses petits camarades du groupe quand ils sont obligés de passer par les fourches caudines de ce "partenaire" quelque peu indélicat.<br /> <br /> <br /> <br /> En ce qui concerne la régionalisation des transports ferroviaires, nos petits roitelets ne peuvent que s'en prendre à eux-mêmes...<br /> <br /> <br /> <br /> Par contre pour les routes et le bétonnage ils sont bien de connivence avec le pouvoir central.<br /> <br /> <br /> <br /> Actuellement, c'est "au théâtre ce soir" tous les jours...
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P
Pour Alès Bessèges, on peut se poser la question de la pertinence d’une réouverture ferroviaire. Pour Limoux Quillan, on a «rénové» Carcassonne Limoux selon les principes SNCF inadaptés à ce type de ligne et ne prenant pas en compte toutes les potentialités, idem beaucoup plus au Nord, pour Belfort Delle et Epinal Saint Dié ; mais les Régions se complaisent à ne vouloir entendre que ce que propose la SNCF et à ne pas vouloir connaître, donc prendre en compte, d’autres propositions, et du coup, il y en a des occasions manquées. Mais en communication, c’est quand même beaucoup plus porteur de parler de Draisy, Flexy et autres élucubrations, que de dire qu’on va copier ce qui se pratique avec succès de l’autre côté des frontières.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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