Le tourisme ferroviaire en Provence handicapé par le démantèlement des réseaux régionaux : emblématique Toulon-Saint-Raphaël
La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, désormais assez abusivement surnommée « Sud », est l’une des plus touristiques de France. Pourtant, c’est l’une de celles qui ont le plus perdu de lignes potentiellement touristiques. Il s’agit principalement de son important réseau à voie métrique construit par la Compagnie des Chemins de fer du Sud de la France, ou Sud-France, dont deux des trois lignes provençales ont été démantelées, toutes deux transversales est-ouest : sur la côte varoise avec Toulon-Saint-Raphaël par Hyères, Cavalaire ; et dans l’intérieur avec Nice-Draguignan-Meyrargues par Lorgues, Entrecasteaux. Sud-France avait aussi construit Nice-Digne, toujours active, dotée des quatre antennes affluentes des tramways des Alpes Maritimes (TAM) dans les hautes vallées du pays niçois. Existaient aussi les tramways montant depuis la côte ouest de Nice vers Vence et Grasse, depuis Menton vers Sospel...
On signalera par ailleurs la liquidation totale du réseau départemental à voie normale des Bouches-du-Rhône qui desservait par exemple Saint-Rémy de Provence, Fontvieille ou La Roque d’Anthéron... Du côté du réseau principal à voie normale en Provence, il convient de citer les disparitions de lignes potentiellement touristiques telles que Cavaillon-Volx/Manosque par Apt, Digne-les-Bains-Saint-Auban, Gardanne-Carnoules par Saint-Maximin, Orange-L’Isle-Fontaine de Vaucluse par Cavaillon, ainsi que la suppression du service voyageurs sur Cheval-Blanc-Pertuis par Mérindol et Cadenet qui longeait le Lubéron côté sud et longtemps offrit un autorail direct d’Avignon à Digne.
Ancienne gare de Bonnieux, sur la ligne Cavaillon-Apt-Saint-Même-Dauphin-Volx/Manosque. Au coeur d'une riche région viticole et arboricole et à proximité de lieux de villégiature plus que jamais fréquentés par la bonne société, cette ligne a été fermée aux voyageurs dès 1938, année même de la constitution de la SNCF.
L’énoncé de ces lignes et de quelques noms de localités jadis desservies suffit à démontrer la perte de potentiel touristique qu’ont entraîné ces fermetures de lignes, qu’elles fussent à voie métrique ou standard, de réseaux départementaux ou nationaux.
Certes des services d’autocars ont remplacé les anciens services ferroviaires, dont la fermeture au trafic voyageurs a commencé dès avant la Seconde Guerre mondiale, par exemple Arles-Salon de Provence dès 1933 (chemins de fer des Bouches-du-Rhône), Cavaillon-Volx/Manosque dès 1938 (SNCF, ex-PLM)… Ces services routiers ont parfois mieux maillé le territoire, caractéristique de la souplesse de la route. Mais la contrepartie réside dans la dispersion des réseaux, tant géographique qu’horaire. Les exploitants tendent à coller au plus près des besoins de la clientèle captive, généralement scolaire, rendant la lecture des plans et des horaires souvent illisibles, les fréquences difficilement impraticables pour la clientèle touristique.
La ligne Toulon-Saint-Raphaël, la plus emblématique des lignes touristiques de PACA
Dans ce bouquet – profus mais fané – de services ferroviaires originels en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, la ligne Toulon-Saint-Raphaël par la côte du massif des Maures est probablement l’une des pertes les plus emblématiques et les plus regrettables. Longue de 110 km (104 km plus antennes), cette ligne à voie métrique construite par la Compagnie des Chemins de fer du Sud de la France (dite Sud-France) disposait d’une gare spécifique près du port à Toulon, dotée d’une marquise abritant quatre voies, et donnait à son extrémité orientale correspondance avec le réseau national (PLM) devant les gares de Fréjus et de Saint-Raphaël.
Conçue par le polytechnicien Félix Martin, alors directeur général du Sud-France, elle fut mise en service depuis l’est avec une première section inaugurée en 1889 entre Saint-Raphaël et Cogolin-La Foux, entre Cogolin village et Saint-Tropez. Ces 33 km longeaient le nord du golfe de Saint-Tropez par Fréjus, Saint-Aygulf, Les Issambres, La Nartelle, Guerrevieille-Beauvallon, Saint-Pons, Sainte-Maxime. La ligne côtoyait les plages, avec des passages souterrains aménagés sous la voie pour les baigneurs depuis l’intérieur vers la mer.
Carte du réseau provençal de la compagnie Sud-France. La ligne de la côte contribua au lancement du tourisme le long du massif des Maures. La ligne dite "Centre Var" (Nice-Draguignan-Meyrargues) avait une vocation essentiellement rurale et agricole, mais aurait pu, de nos jour, contribuer au tourisme vert et culturel, desservant en particulier l'arrière-pays niçois et cannois (Tourrette, Vence, Grasse...). Notons que cette dernière était exploitée en deux tronçons pour les voyageurs : Nice-Draguignan et Draguignan-Meyrargues, en raison de l'importance des temps de parcours.
En 1890, la ligne est prolongée le long de la côte des Maures de Cogolin-La Foux à Hyères, soit 51 km par Gassin, La Croix-Valmer, Pardigon, Cavalaire, Le Rayol, Le Canadel, Cavalière, La Fossette, Le Lavandou, Bormes-les-Mimosas, La Londe-des-Maures. A Hyères, la ligne disposait d’une gare propre, dénommée Hyères-Ville car mitoyenne du centre historique. Une antenne fut construite jusqu’à la gare de Hyères-PLM, située au sud de la commune, plus éloignée.
Il faudra attendre quinze ans, 1905, pour que la ligne du Sud-France atteigne Toulon et sa gare spécifique Sud-France, soit 23 km supplémentaires au plus près de la côte, desservant l’Almanarre, Carqueiranne, Le Pradet, et quatre haltes à proximité de Toulon : Sainte-Marguerite, Pont-du-Suve, les Ameniers, Saint-Jean-du-Var. Ce retard fut dû aux difficultés d’acquisitions foncières selon certains historiens, selon d’autres à l’opposition du PLM qui craignait une concurrence pour sa liaison Hyères-Toulon permise par son antenne à voie unique Hyères-La Pauline. Notons qu’un tramway reliait aussi Toulon à Hyères. (1)
En 1904 fut mise en service une ligne de tramway reliant le village de Cogolin à Saint-Tropez par la gare de Cogolin-La Foux, où elle relevait la correspondance.
Cogolin-La Foux, gare active à l'époque de la vapeur. Outre les correspondances aménagées depuis Saint-Tropez et Cogolin village avec la ligne de la côte, on note la présence d'une activité fret. (Doc. carte postale ancienne via Cparama.com)
Les combats qui accompagnèrent le débarquement allié le 15 août 1944 entraînèrent de graves dégradations et une interruption partielle du trafic, qui fut définitivement suspendu en 1948 après l’incendie du dépôt de Saint-Raphaël. De rares navettes partielles furent maintenues jusqu’en 1949.
La Compagnie des Chemins de fer du Sud de la France, fondée en 1885, cumula un réseau de 879 km
La ligne faisait partie du réseau de la Compagnie des Chemins de fer du Sud de la France, fondée à Marseille en 1885 par le baron d’origine allemande Jacques de Reinach, banquier. Né à Francfort en 1840 et établi à Paris un peu avant 1860, Reinach fut administrateur de la Compagnie des chemins de fer de l’Est algérien, autour d’Oran, et investisseur du célèbre chemin de fer transcontinental Canadien Pacifique. Il fut impliqué, comme Félix Martin, dans le scandale de Panama. Reinach se suicida en 1892.
Le Sud-France exploita aussi des lignes en Dauphiné avec les 153 km des Tramways de l’Isère qui desservaient l’ouest du département au départ de Lyon-Montplaisir jusqu’à Saint-Marcellin et embranchements, et en Bourgogne avec les 358 km des chemins de fer départementaux de la Côte-d’Or. La Compagnie des Chemins de fer du Sud de la France exploita 879 km de lignes à son apogée, en 1910.
Gare de Hyères-Ville, du réseau Sud-France puis CP, abandonnée depuis la fin de la dernière guerre. Contrairement à celle du PLM, cet établissement jouxtait le centre de la ville, contrairement à la gare du "grand" réseau (PLM puis SNCF), plus éloignée. Hyères, 55.000 habitants de nos jours, partie de la métropole Toulon Provence Méditerranée, est aujourd'hui desservie par les TER Hyères-La Pauline-Toulon-Marseille et par les lignes de bus du réseau métropolitain Mistral. (Doc. carte postale ancienne via Marc-André Dubout, marc-andre-dubout.org)
Après la guerre de 1914-1918, le Sud-France connut d’importantes difficultés financières. La route développait sa concurrence, les autorités locales et nationales étaient travaillées par le lobby automobile et l’état de l’économie était difficile. Une quarantaine d’années après leur mise en service, les lignes ferroviaires nécessitaient des renouvellements de voies, d’équipements divers et de matériel roulant. En 1925 le Sud-France, qui avait déjà vu son réseau de la Côte d’Or transformé en régie en 1909 et celui de l’Isère mis sous séquestre en 1914, en grave situation financière, devint la compagnie des Chemins de fer de Provence (CP) obtenant une convention avec l’Etat. En 1933 les CP, de nouveau en difficultés financières, vit les lignes Nice-Digne et Nice-Meyrargues mises sous séquestre et sous tutelle de l’Etat. Les CP n’exploitèrent plus que la ligne Toulon-Saint-Raphaël. Ils ne récupèreront l’exploitation de Nice-Digne que de 1952 à 1972, année de sa reprise par le syndicat mixte réunissant des collectivités, le SYMA, jusqu’à son passage sous l’autorité de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur avec délégations de service public, en 2007, puis en régie régionale directe en 2014.
La ligne Toulon-Saint-Raphaël, à l’origine du tourisme sur la côte varoise
On mesure, à l’énoncé des localités desservies, le potentiel touristique de la ligne Toulon-Saint-Raphaël. Plusieurs historiens estiment qu’elle a été à l’origine du tourisme dans cette région de la côte varoise, desservant au plus près les plages de la région d’Hyères comme de celles du golfe de Saint-Tropez et laissant entre les deux admirer la corniche des Maures. Elle présentait un profil intéressant, avec des déclivités maximales de 28 ‰ dans la zone de la côte des Maures. Dans l’entre-deux guerres il fut question de l’électrifier, avant que les locomotives à vapeur ne soient remplacées par des autorails qui attirèrent la clientèle.
Avant la Seconde Guerre mondiale et grâce à la mise en service de ces autorails, la relation Toulon-Saint-Raphaël connut un succès croissant. Elle offrait en 1937, sous l’administration des CP, cinq allers-retours (A-R) de bout en bout (104 km) en 2 heures 33 minutes avec dessertes de toutes les gares et haltes. Cette trame était complétée par un service de soirée Toulon-Sainte-Maxime (arrivée 20 h 00) avec retour en début de matinée (départ 6 h 09) qui desservait en début et fin de service toute la côte des Maures et le golfe de Saint-Tropez.
Intérieur de la gare de Toulon SF/CP, à proximité immédiate du port, dotée d'une assez vaste maquise sur quatre voies. Cette photographie a été prise en 1936 et saisit un autorail Brissoneau & Lotz d'aspect moderne et de belle capacité. (Doc. carte postale ancienne via Cparama.com)
A l’ouest, on comptait cinq A-R Toulon-Hyères, un A-R de soirée/matinée Toulon-Le Lavandou ainsi qu’un Cavalaire-Saint-Raphaël de tout début de matinée avec, en symétrie, un Saint-Raphaël-Cogolin-La Foux en soirée, prolongé jusqu’à Toulon (arrivée 21 h 44) quelques journées d’été de forte affluence.
La disparition de cette ligne, au seuil de l’explosion touristique de l’après-guerre, déjà amorcée dès les années 1930 - l'exploitant éditait des documents à destination des visiteurs -, signe plusieurs caractéristiques des autorités publiques françaises : leur incapacité à concevoir le chemin de fer local comme un outil d’attraction en soi, libéré des contingences de la conduite et des risques routiers, libérant le paysage des parasitages propres à la route, offrant des espaces d'attente calmes et protégés ; leur soumission au lobby routier et autocariste, en pleine expansion dès les années 1930 ; leur manque de vista, elles qui ont liquidé une infrastructure au moment même où elle était en train de développer sa pertinence dans ce qui allait devenir une métropole, Toulon, et dans une région qui était déjà l'une des vitrines du tourisme européen de qualité.
- - - - -
(1) On pourra consulter avec intérêt les pages très documentées du site de Marc-André Dubout, doté de cartes très détaillées et de photographies d'époque :
Baguenaude sur la ligne Toulon-St Raphaël & Cogolin -St Tropez (Var) Marc André Dubout La ligne Toulon-St Raphaël (1/4) Toulon-Hyères La ligne Toulon-St Raphaël dite Ligne du Littoral est une ligne d'intérêt local appartenant à la Compagnie des Chemins de fer du Sud de la France.
http://marc-andre-dubout.org
