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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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22 février 2023

Valse des directeurs, mise en garde de la Cour des comptes : le complexe réseau de Montpellier dans le piège de la gratuité

Le piège de la gratuité des transports publics est en train de se refermer sur les élus de la métropole de Montpellier. La chambre régionale des comptes vient d’évaluer le manque à gagner annuel de recettes commerciales, une fois la gratuité étendue à tous les habitants de la métropole en décembre prochain, à  42 millions d’euros. Simultanément, le réseau subit rénovations sur rénovations en raison de son tracé complexe, de son maillage central excessivement dense et de sa géométrie qui souffre de son matériel à grand gabarit (2,65 m) avec de nombreuses courbes aux rayons à l’évidence bien trop courts. Enfin, la métropole a confié à CAF un marché géant de 77 rames neuves, pour remplacer les Citadis 401 de la ligne 1, alimenter la future ligne 5 en cours de construction et répondre à l’augmentation du trafic lié à la gratuité.

Signe de la crise qui couve à Montpelllier, le directeur général de TaM (exploitant du réseau montpelliérain) Laurent Sénigout, ancien directeur général de Keolis Rennes, en fonction depuis le 4 avril 2022, a démissionné en date du 9 février 2023, soit après un mandat de neuf mois seulement. Si ce départ est officiellement expliqué pour « raisons familiales », l’hebdomadaire satyrique de Montpellier L’Agglorieuse écrit qu’il s’explique plutôt par « l’obstination de Michael Delafosse, maire de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole, à mettre en œuvre le projet irréaliste de la gratuité des transports, couplée à l’impossibilité de dialoguer avec la vice-présidente déléguée aux transports, Julie Frêche. »

IMG_20211119_125638396Rame de la ligne 4 du tramway de Montpellier au franchissement d'une aiguille et d'une traversée qui vont être l'objet de travaux de rénovation à la sortie de la très complexe station Corum commune aux trois lignes 1, 2 et 4. ©RDS

 Cette dernière, fille de l’ancien maire de Montpellier feu Georges Frêche, a quitté ses fonctions au sein du conseil d’administration de TaM en octobre 2022, tout en restant vice-présidente du conseil métropolitain déléguée « aux Transports et aux Mobilité actives », rappelle le magazine en ligne Tramwaydemontpellier.net, ce qui souligne les divergences probables entre élus et responsables du réseau, géré par l’entreprise semi-publique Transdev dont certains dirigeants n’ont jamais fait mystère de leur opposition au dogme de la gratuité intégrale (1).

Accroissement du poids des politiques

 Le conseil d’administration de TaM a parallèlement accru le poids des politiques dans son système de gouvernance « en confiant la direction générale au président de TaM en la personne de l’élu municipal montpelliérain et conseiller métropolitain, Laurent Nison, à compter du jeudi 9 février 2023 à midi, en remplacement de Laurent Sénigout, Nicolas Silberzahn étant désigné en qualité de directeur général délégué du jeudi 9 février 2023 à midi au lundi 31 juillet 2023 », indique tramwaydemontpelier.net. Nicolas Silberzahn a déjà assuré la fonction de directeur général délégué de TaM du vendredi 15 octobre 2021, date de la révocation de Luc Egoumenides de son mandat social de directeur général de TaM, au dimanche 3 avril 2022.

 On le constate, l’administration des transports publics sur la métropole de Montpellier n’est pas un long fleuve tranquille : trois directeurs généraux de TaM en moins d’un an, tension évidente entre les décisionnaires politiques et les gestionnaires du réseau…

Sur la plan financier, la dogme de la gratuité générale entraînera selon la Chambre régionale des comptes une perte de recettes annuelles de quelque 42 millions d’euros. Cette somme équivaut à la création chaque année, matériel roulant compris, de deux kilomètres de lignes de  tramway en zone urbaine mais surtout d’au moins 5 km de lignes de tramway à voie unique en zone périurbaine, a fortiori sur anciennes emprises ferroviaires telles que celles, revenues en propriété à la métropole sur son territoire, des anciens axes Les Mazes-Le Crès-Castries-Sommières ou Montpellier-Saint-Jean-de-Védas-Fabrègues-Montbazin-Paulhan.

DSCN2881A g., voie de la ligne 2 du tramway à l'entrée de la station Saint-Jean-le-Sec, à d., rails inutilisés de l'ancienne ligne Montpellier-Paulhan, dont l'emprise a été reprise par la ligne 2 depuis la sortie de la station Sabines jusqu'à l'entrée de la station Condamine mais, curieusement, pas entre Condamine et Saint-Jean-le-Sec (pour raisons d'économies?) section sur laquelle le tramway roule parallèlement à la voie désaffectée... L'emprise de l'ancienne ligne aurait pu être reprise jusqu'à Fabrègues et  la zone de Gigean par une ligne de tramway accéléré, comme prévu dans un projet des années 2000 désormais malheureusement enterré, au grand dam des habitants de l'ouest de la métropole, promis aux embouteillages et à un étrange futur BHNS... sur voie routière unique. ©RDS 

 Or la Chambre régionale des comptes souligne dans son rapport la caractéristique suivante, plusieurs fois soulignée par Raildusud : « L’offre de transport est essentiellement concentrée sur le tramway dans la ville-centre et le réseau des autobus peine à apporter une offre complémentaire attractive ». Elle écrit que « Si le réseau des transports publics de la métropole de Montpellier couvre le ressort territorial de la collectivité, il ne dessert que marginalement les communes à sa périphérie et ne propose pas d’accès au littoral ni à l’aéroport, qui relèvent de la compétence d’autres intercommunalités ou syndicats. »

Pas de projets de tramways pour plusieurs périphéries en développement : Fabrègues, Castries…

 On pourrait ajouter qu’au sein même de la métropole, le système ferroviaire urbain est massivement concentré sur la ville-centre et que son extension aux communes intra-métropolitaines périphériques est passé par profits et pertes. L’extension de la ligne 2 jusqu’à Fabrègues par l’ancienne ligne susmentionnée a été abandonnée malgré un coût kilométrique réduit ; les demandes d’extension de cette même ligne par une antenne jusqu’à Castries sont  ignorées alors que l’offre bus est squelettique, engluée dans les embouteillages et limitée à la station de tramway Notre-Dame de Sablassou, terminus partiel. L’extension de la ligne 1 dans Juvignac, un temps évoquée, est apparemment abandonnée.

 Conçu de manière extrêmement maillée dans la zone dense de la commune de Montpellier, le réseau de tramway présente de très nombreux appareils de voie, dans une trame urbaine complexe et privée de grands axes, hormis la rive gauche du Lez, quartier dont la « bétonnisation » massive (immeubles à 13 niveaux sur plusieurs kilomètres de linéaire) contraste fortement avec la délicatesse de la ville ancienne, médiévale et classique.

DSC04619Vue prise en mars 2022 d'une section de la future ligne 5 en chantier dans le quartier des universités, au droit de la future bibliothèque interuniversitaire Atrium et près de l'entrée de l'université Paul Valéry. Le devis de cette ligne est particulièrement élevé. ©RDS 

 « Le tracé, l’importance des croisements et la charge voyageurs entraînent une usure du réseau ainsi que du matériel roulant, que TaM doit prendre en considération », écrit la Chambre régionale des comptes. Son rapport, cité in extenso par Tramwaydemontpellier.net, poursuit : « Le besoin de rénovation des voies et appareils de voie, connu dès 2017, était évalué entre 28 et 32 millions d’euros (M€) pour la période 2018-2025, et à 50 M€ pour la période 2018-2032. Or, le contrat de délégation, qui couvre la période 2018-2024, ne prévoit qu’une enveloppe de 4,9 M€ pour les rails et appareils de voie, portée à 8,3 M€ en prenant en compte le revêtement des plateformes. Un audit réalisé en 2021 a constaté l’obsolescence de certains équipements et estimé le coût des travaux complémentaires à effectuer à 19,1 M€. En 2022, la métropole a adopté un plan d’urgence d’entretien et de modernisation du réseau d’un montant de 70 M€, dont le terme se prolonge désormais au-delà de la délégation de service public (DSP) en cours ».

 Ces 70 millions d’euros correspondent à seulement vingt mois de pertes de recettes une fois la gratuité étendue à tous les habitants de la métropole, l’année prochaine. C’est dire l’impact de cette décision politique sur les finances publiques et l’avenir du réseau : son extension, on l’a vu, mais aussi sa maintenance.

Des tracés aux courbes brutales et donc fragiles, souvent pour raisons d’économies

 D’autant qu’à l’exception de la ligne 1 du tramway, mise en service en juin 2000, les tracés des autres lignes ont souvent cédé à des impératifs d’économie. Avec des rails à gorge, une section en alignement coûte moins cher qu’une section courbe, d’où la conception de courbes courtes et donc serrées, qui de plus n’imposent pas d’acquisitions foncières. Or ces économies à la construction entraînent des dépenses récurrentes.

  La conception de la ligne 1 avait été réalisée avec l’assistance d’un ancien directeur de projet d’une ligne à grande vitesse à la SNCF. Hormis plusieurs configurations de voiries incontournables, de nombreuses de ses courbes ont été conçues avec de longs raccordements paraboliques et on avait préféré payer des acquisitions foncières plutôt que des courbes trop serrées (section Saint-Eloi-Hôpital Lapeyronie par exemple). A l’opposé, les concepteurs des lignes 2 et 3 ont cédé aux économies : les rayons de courbure en entrée et sortie des sections à deux voies de la ligne 2 côté nord sont excessivement faibles (stations Aube Rouge ou Via Domitia) ; sur la ligne 3, la courbe à la sortie nord de la station Place Carnot vers la station Voltaire a dû être reprise pour l’adoucir, peu après sa mise en service suite aux protestations des conducteurs.

DSCN4316Vue partielle du triangle de voies de tramway face à la gare Saint-Roch. Deux lignes s'y croisent (2 et 3), et d'autres s'y débranchent (1 et 3, 4 et 3). La courbe située à d. de la photo, utilisée par la ligne 1 entre la rue Jules-Ferry et la rue Maguelone, est très serrée en raison de l'angle formé par ces deux rues. Elle a déjà été l'objet de nombreux travaux, de maintenance ou de remplacement. ©RDS 

 La courbe sur les lignes 1 et 3 à la sortie ouest du pont Zuccarelli vers la station Moularès est d’une rare brutalité malgré une large voirie, évoquant plus un tracé de dépôt que de ligne en exploitation (il est vrai qu’à l’origine la ligne 3 ici devait poursuivre tout droit vers Garcia Lorca et au-delà, avant que soit imaginée la ligne 4 circulaire). Au demeurant, c’est l’un des points du réseau qui aura subi le plus de remise en état depuis sa mise en service. Or ce type de tracé entraîne une dégradation d’autant plus rapide de la voie que la charge par essieu ou la fréquence sont importantes (la gratuité accroîtra la charge à moins que l’augmentation attendue du trafic ne soit compensée par la fréquence). Quant au gabarit large (2,65 m), il induit un effet de levier latéral d’autant plus marqué que les courbes sont serrées.

 Rappelons aussi que le maillage central du réseau est d’une densité exceptionnelle. Par exemple, entre Gare Saint-Roch et l’hôtel de ville situé à proximité des stations Moularès, le voyageur a le choix entre trois itinéraires : ligne 1 via Léon Blum – six interstations- ; ligne 3 via Place Carnot – quatre interstations - ; ligne 4 via Garcia Lorca – sept interstations)…

Amélioration du réseau ferré existant (doublement de voie, nouvelles stations) mais pas de prolongation

 Pour charger un peu plus les finances publiques métropolitaines, les élus métropolitains ont voté un plan d’augmentation de la capacité et de la desserte du réseau existant de tramway – sans pour autant en étendre les lignes existantes. Il s’agira de doubler une partie de la section à voie unique de la ligne 3 entre Boirargues et Parc expo afin de faire face à l’afflux de passagers lors des matchs qui se tiendront dans le futur stade prévu dans cette zone. La création de deux nouvelles stations sur cette lignes 3 et d’une voie unique de raccordement entre la ligne 3 et la ligne 1 au rond-point Ernest Garnier – prévue dans le premier projet de ligne 3 puis abandonnée pour raisons d’économies- sont aussi au menu. L’ensemble est budgété à hauteur de 14,3 millions d’euros.

 Enfin, l'extension de la ligne 1 jusqu'aux abords de la gare excentrée de Montpellier Sud-de-France, desservie uniquement par des TGV sans possibilités de correspondance avec des TER, est évaluée à 50M€, dont 3,9M€ apportés par l'Etat. Le devis est en forte hausse sur une décennie puisqu'il n'était que de 40M€ à l'origine du projet, et ce malgré l'abandon de la construction d'une station intermédiaire face au lycée Mendès-France et le raccourcissement de l'extension, qui n'atteindra plus le parvis de la gare malgré la réserve pour son terminus prévue sur la dalle surplombant les voies.

IMG_20210413_161420587Vue prise depuis le parvis de la gare excentrée de Montpellier Sud-de-France. La partie goudronnée devait recevoir les voies du terminus de la ligne 1, prolongée depuis Odysseum. Par mesure d'économie, cette extension s'achèvera au bas de la pente, pénalisant un peu plus les clients des trains à grande vitesse qui desservent cet établissement de SNCF Gares & Connexion. L'emprise abandonnée a été plantée d'arbustes (au second plan), par souci de lutte contre le CO2 peut-être...  ©RDS 

 Nous terminerons en soulignant qu’en plus de ces lourdes charges d’entretien et d’amélioration du réseau existant, le budget de la ligne 5 - de 440 M€ dont 346 M€ pour la métropole – bien que légèrement rogné par abandon de quelques sections d’extrémités - affiche l’un des coûts kilométriques des plus élevés : plus de 30 millions d’euros au kilomètre pour quelque 14 kilomètres de lignes à construire, un situation dénoncée par Marc Le Tourneur. Cet ancien directeur général de TaM compare ce prix aux 20 M€/km du tramway d’Avignon, entièrement en zone centrale ou aux 26 M€/km de celui de Grenoble.

 Enfin, la récente envolée des prix de l’énergie, même si elle n’est probablement que temporaire, grève les finances du réseau. L’estimation du manque à gagner de la gratuité totale par la Chambre régionale des comptes, soit 42 M€ annuels, contraste avec l’évaluation optimiste du maire-président Michaël Delafosse qui ne le chiffre qu’à 25 M€/an. Cette dernière évaluation est sujette à caution, « le montant des recettes générées par l’achat de titres de transport (tickets et abonnements) par les seuls métropolitains s’est élevé à 33 M€ environ en 2019 », rappelle Tramwaydemontpellier.net.

Une justification politique qui ne résiste pas à l’analyse sociologique

 Reste la justification politique apportée par la majorité au pouvoir à Montpellier, qui se targue de faire de la métropole la plus grande ville de France à transports gratuits, bien que la Fnaut (usagers) et l’UTP (exploitants) aient uniment condamné ce type de mesure. Selon Montpellier Méditerranée Métropole, la fréquentation des transports publics par les moins de 18 ans aurait été multipliée par deux en 2022 par rapport à 2019, avec pour conséquence des véhicules particulièrement bondés en pointes sur les lignes 1, 2 et 3 de tramway et la ligne 15 de bus. La fréquentation par les 65 ans et plus a été multipliée par 1,5 en 2022 toujours par rapport à 2019. Ces chiffres  ne laissent guère augurer de report modal important, ces deux types de populations étant les moins dotés de véhicules personnels. Il est probable que le report se fait plutôt depuis la marche à pied, comme dans d’autres exemples français de gratuité des transports publics (Aubagne, Dunkerque).

DSC04548Ancienne ligne de Montpellier à Paulhan au droit de la halte de Saint-Jean-de-Védas aujourd'hui transformée en restaurant (à g.). Le terrain occupé par la voie est passé dans le domaine de la métropole qui n'a apparemment aucun projet pour y faire circuler un tramway accéléré. Quelle est la décision la plus "sociale": faire bénéficier les populations les plus éloignées du centre d'un transport ferroviaire rapide, fréquent, sûr et hors voirie générale, ou garantir une gratuité de principe à tous, hors considération de niveau de revenu et, inévitablement, aux dépens de la qualité du transport ? ©RDS 

Mais la métropole veut continuer à y croire : « En libérant les passagers des démarches d’achat et de validation du titre de transport, la gratuité est la plus à même de créer un réflexe transport en commun. Un droit à la mobilité est ainsi créé sur le territoire ». Le fait que ce type de mesure bénéficie sans distinction à l’habitant aux revenus modestes domicilié à la périphérie du réseau et qui ne pourra voire sa desserte améliorée faute de financements,  et à l’habitant à gros revenu propriétaire d’un bel appartement en hypercentre situé à moins de 500 m de quatre et bientôt cinq lignes de tramway ne semble pas perturber les défenseurs affichés de cette supposée « justice sociale ».

Les tarifs sociaux ont un impact redistributif certainement bien plus légitime. Quant à la défense de la qualité de l’air, une extension du réseau ferré vers les grandes banlieues – et ici les plages – aurait un impact probablement plus positif qu’une gratuité qui les interdira. On attend enfin la position de l'Etat quand la métropole lui demandera de cofinancer de nouveaux investissements alors qu'elle a délibérément fragilisé son budget.

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(1) Le magazine en ligne tramwaydemontpellier.net suit depuis près de 25 ans, avec une compétence journalistique exceptionnelle et une régularité non démentie, l’actualité du réseau de tramway de l’ancienne préfecture de la région disparue du Languedoc-Roussillon. Il constitue probablement l’un des meilleurs médias spécialisés, sur une agglomération donnée, dans le domaine du transport urbain, reléguant loin derrière les organes locaux de la presse écrite et de l’audiovisuel sur le sujet. Il a créé une base de donnée et un traitement de l'actualité du réseau appréciée de nombreux professionnels et amateurs. Il traite aussi de sujets hors Montpellier, permettant au passage d'utiles comparaisons.

 

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Commentaires
B
Un article que ferait bien de lire les responsables municipaux Bisontins . On peut toujours rêver.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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