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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
23 janvier 2023

Liaisons transversales, isolement des régions : une lettre au ministre dénonce la liquidation du réseau, fait des propositions

 La gestion du territoire par le régime centralisateur et jacobin qui prévaut en France a une traduction aveuglante dans la désertification ferroviaire de pans entiers du pays. La destruction méthodique des relations transversales par train, en particulier au niveau du Massif central, en est l’une des illustrations la plus criante. Tandis que des associations se battent contre la scandaleuse interruption de la ligne ferrée Saint-Etienne-Clermont-Ferrand, une lettre ouverte au ministre délégué aux Transports Clément Beaune publiée par un professionnel du rail dénonce la liquidation de l’ensemble des relations transversales à travers le Massif central.

Paris, ville-capitale très décentrée côté nord, est au centre d’une étoile ferroviaire qui ne laisse que très peu de place aux relations inter-régionales, pourtant indispensables dans un pays aussi vaste que la France. Rappelons que Paris est à quelque 205 km à vol d’oiseau de la frontière belge la plus proche mais à 715 km de la frontière espagnole. Concevoir les liaisons ferroviaires en étoile autour d’un « hub » (noyau) parisien, et cela nonobstant l’importance du réseau de lignes à grande vitesse convergeant toutes vers Paris, n’a de sens que pour les cerveaux d’une haute fonction publique déconnectée des réalités territoriales.

La longue liste des liquidations de relations transversales

 La lettre envoyée par François Gendron à Clément Beaune dénonce la disparition complète de relations transversales sans passage par l’Ile-de-France, à vocation à la fois inter-régionale et nationale. La suppression en 2014 des derniers trains Clermont-Ferrand-Bordeaux en est l’illustration la plus consternante.

Laqueuille Périchon neige 3Gare de Laqueuille sous la neige. N'y transitent plus que de rares trains de fret chargés de bouteilles d'eaux du Mont-Dore. Cet établissement de jonction entre l'antenne du Mont-Dore et la "ligne des Puys" vers Eygurande-Merlines et Ussel est devenue une gare fantôme depuis la neutralisation de cette dernière et la suppression du dernier train trans-Massif central.  ©RDS/S.Perrichon

 La lettre ouverte dresse d’abord un  diagnostic des liaisons transversales TET (ironiquement dénommées « Trains d’équilibre du territoire »). Relations TET de jour en 2023 :

Reims/Lille-Nice – jour : 0 ; nuit : 0 – liaison de nuit supprimée en 2009

Nantes-Nice - jour : 0 ; nuit : 0 – liaison de nuit supprimée en 2010

Lyon-Strasbourg avec desserte des villes du Jura – jour : 0 ; nuit : 0 – supprimée en 2011, transférée aux régions mais sans continuité ; relations TGV via Dijon uniquement.

Bordeaux-Lyon – jour : 0 ; nuit : 0 – train de jour supprimée en 2012, train de nuit supprimée n 2009 ; transféré aux régions mais désormais sans aucune continuité (voire section par bus).

Bordeaux-Clermont-Ferrand – jour : 0 ; nuit : 0 – supprimé en 2014, transféré aux régions mais continuité impossible au service 2023.

Nantes-Lyon – jour : 3 ; nuit : 0 – liaison de nuit supprimée en 2010, un troisième aller-retour rétabli en 2023.

Bordeaux-Nantes – jour : 4 ; nuit : 0 – liaison de nuit supprimée en 2010, un quatrième aller-retour de jour réactivé en 2023.

Toulouse-Hendaye – jour : 4 ; nuit : 0 – trois allers-retours Toulouse-Bayonne, un quatrième prolongé jusqu’à Hendaye.

Bordeaux-Marseille – jour : 6 ; nuit : 0 – liaison de nuit jusqu’à Nice supprimée en 2013, liaison de jour poursuivie de Marseille à Nice supprimée en 2017.

On pourrait ajouter la liaison Clermont-Ferrand-Marseille par Alès et Nîmes, partiellement radiale (Paris-Marseille par Clermont-Ferrand) mais aussi partiellement inter-régionale (Auvergne-Languedoc-Provence), supprimée voici quelques années de Nîmes à Marseille et son TET Clermont-Ferrand-Nîmes transféré à la région Occitanie en 2020.

Ouest, Nord, est et Centre, « zones blanches dépourvues de dessertes transversales »

 La lettre au ministre conclut : « Les trains de nuit ont déserté le champ des transversales. L’ouest, le nord, l’est et le centre de la France sont des zones blanches dépourvues de dessertes transversales, ce qui oblige les trajets intervilles à passer par Paris. En cas de service disparu ou quasi absent, le voyageur se voit proposé par les canaux de vente SNCF un trajet par Paris. C’est plus cher qu’une liaison directe et c’est au détriment du bon sens. »

 De fait, les relations proposées par Paris ou l’Île-de-France ne s’adressent qu’à la clientèle des villes d’extrémité. De ce fait « les territoires intermédiaires sont lésés et perdent en connectivité et en attractivité ». La lettre poursuit : « Le transfert de certaines liaisons aux régions signifie leur suppression. En effet, le parcours est divisé en plusieurs segments de trajets TER, les Régions n’ayant pas obligation de réaliser des trajets grands parcours. »

RailcoopCarte des projets de relations ferroviaires transversales envisagés par la coopérative d'intérêt collectif Railcoop. La question est de savoir quelle est la pertinence d'une exploitation sous le régime "d'Open Access", soit aux risques et périls de l'exploitant, sur des liaisons qui relèvent à l'évidence d'un rééquilibrage du territoire, mission incombant normalement à une république qui se prétend "sociale" et égalitaire. (Doc. Railcoop)

La fiche horaire Bordeaux-Clermont-Ferrand en est une illustration d’autant plus accablante que la section de ligne ferroviaire (Clermont-Ferrand) Volvic-Ussel n’est plus parcourue par aucun train de voyageurs, la voie entre Laqueuille et Ussel étant tout simplement neutralisée. Sur Clermont-Ferrand-Bordeaux, « la combinaison des multiples segments rend les trajets longs, compliqués, soumis à aléas, dépendant de plusieurs régions qui ne communiquent pas au demeurant entre elles ». Le choix en termes de voyages est réduit compte tenu des périodicités différentes des segments. Pire : « Ces trajets ne sont pas commercialisés par la SNCF dont les outils limitent les parcours à deux correspondances. Seul un trajet TET de bout en bout permettrait de revenir à une offre de transport adaptée à ce type de voyage grand parcours. »

 Il y a même pire. Jusqu’en 2022 il était possible de relier Bordeaux à Clermont-Ferrand par une combinaison de services TER via Montluçon : Bordeaux 12 h 29-Limoges 15 h 05/15 h 10- Montluçon 17 h 16/18 h 43-Clermont-Ferrand 20 h 18. Or au service 2023 « les horaires ont changé et le TER Limoges-Montluçon est avancé à 15 h 07, ce qui ‘’plante’’ la correspondance »… pour trois minutes.

L’absence de trains de nuit transversaux interdit des arrivées matinales

 Sur plusieurs de ces transversales dont les TET ont été maintenus, en l’absence de liaisons de nuit il est impossible d’arriver à destination à une heure matinale. A ce jour, les rétablissements de trains de nuit sont tous centrés sur Paris.

 A l’horaire 2023, les premières arrivées sont les suivantes :

 Sur Bordeaux-Nantes, la première arrivée à Bordeaux depuis Nantes et les gares intermédiaires situées sur la région d’origine (Clisson, La Roche-dur-Yon…) : 12 h 07 ; dans l’autre sens, à Nantes à 12 h 05.

Sur Nantes-Lyon, la première arrivée à Lyon est fixée à 13 h 10 ; dans l’autre sens, à Nantes à… 16 h 04 !

Sur Toulouse-Bayonne, la première arrivée à Bayonne est fixée à 13 h 31 ; dans l’autre sens à Toulouse à 10 h 30.

Sur Bordeaux-Marseille la première arrivée à Marseille est fixée à 12 h 34 et dans l’autre sens à Bordeaux à 13 h 37.

 Il est important d’insister sur le fait que ces heures d’arrivées tardives ne concernent pas seulement les voyageurs en provenance de la gare d’origine de la liaison mais aussi, et tout autant, de nombreuses gares intermédiaires situées dans la région la plus éloignée de la destination (et souvent pour ceux circulant entre les gares séparées par une frontière inter-régionale).

DSC04849Gare de Lyon Part-Dieu. La première arrivée depuis Nantes par TET est fixée à 13h10. Une arrivée plus matinale est permise par TGV via Paris (avec changement de gare) à 10h56 ou, par TGV direct, à 11h26. Mais certaines gares intermédiaires ne sont desservies que par le TET, qui assure aussi une importance fonction de cabotage. ©RDS

 Conséquence de cette situation, relève aussi François Gendron, « pour arriver tôt, il faut partir la veille ce qui n’est pas compétitif (…) et les solutions alternatives de voyages sont l’avion, les cars privés, le covoiturage et l’autosolisme ». La lettre ouverte propose au ministre un plan de « reconquête des territoires » et de « leur connexion pour créer un effet réseau ».

Rouvrir Bordeaux-Lyon et Bordeaux-Clermont-Ferrand et prolonger les itinéraires

 Pour ce faire, il demande « la réouverture des liaisons disparues Bordeaux-Lyon, Bordeaux-Clermont-Ferrand (impliquant la remise en état de la voie neutralisée entre Laqueuille et Ussel, NDLR), Strasbourg-Lyon, Strasbourg-Lille avec un service de jour et de nuit ». Railcoop propose pour sa part d’instaurer des liaisons entre la Lorraine et les Alpes, ou entre la Normandie et Nordeaux. Cette stratégie permettrait « de connecter les grandes villes entre elles et les territoires intermédiaires, petites et moyennes villes ». L’auteur insiste : « Les initiatives type Railcoop ne sauraient désengager l’Etat ni freiner ses capacités d’action, en particulier sur Bordeaux-Lyon ».

DSCN2288Gare de Lyon Saint-Paul. Ce bâtiment est intéressant car il abrita le siège de la Compagnie des Dombes et du Sud-Est qui ambitionnait d'établir la relation Lyon-Bordeaux la plus courte en kilométrage au départ de cette gare. Cet itinéraire eût emprunté la ligne Lyon Saint-Paul-Montbrison (fermée, emprise aliénée entre Sainte-Foy l'Argentière et Montbrison, à l'exception de la courte section ITE des carrières Delage à Bellegarde en Forez), puis Montbrison-Clermont-Ferrand (neutralisée entre Boën et Thiers), puis Clermont-Ferrand-Bordeaux (neutralisée entre Laqueuille et Ussel). ©RDS

La lettre demande même une extension des itinéraires au-delà « du carcan des itinéraires historiques de la SNCF (qui) mérite d’être actualisé pour répondre aux demandes de mobilité du XXIe siècle ». Elle indique ainsi que « les Bordeaux-Nantes auraient ainsi tout intérêt à être prolongés à Rennes et Toulouse (ils le furent aussi jadis jusqu’à Quimper, NDLR), les Toulouse-Bayonne prolongés à Irun, les Bordeaux-Marseille à Nice, au moins de nuit ».  On pourrait ajouter les Nantes-Lyon qui furent un temps prolongés à Grenoble.

 La lettre relève aussi que « le seuil limite de pertinence se trouve dans trois allers-retours de jour et un de nuit, tous quotidiens (afin de mettre un terme aux exceptions de circulation qui rendent les fiches horaires indéchiffrables, NDLR), spécifiquement pour Bordeaux-Lyon et Bordeaux-Clermont-Ferrand ». Une fréquence aux deux heures en journée « apparaît plus volontariste pour les liaisons Nantes-Lyon, Nantes-Bordeaux, Strasbourg-Lille et Strasbourg-Lyon, étant donné l’attractivité des agglomérations ». Cette fréquence, déjà appliquée sur l’axe Bordeaux-Marseille « rend l’offre crédible, pourtant sur un axe plus chargé que ceux précités ».

L’état du réseau, obstacle au rétablissement d’un maillage inter-régional

 Mais l’autre obstacle au rétablissement d’un maillage inter-régional digne de ce nom est l’état du réseau, dont les transversales – à quelques exceptions près dont Bordeaux-Nantes, nonobstant sa mise à voie unique sur sa partie centrale - souffrent de limitation de vitesse, qu’il s’agisse d’axes nationaux ou régionaux. La lettre rappelle fort opportunément au ministre délégué que « le propriétaire des rails est SNCF Réseau dont vous êtes l’autorité de tutelle et actionnaire ». C’est donc à l’Etat de participer financièrement aux chantiers de voie pour que la vitesse soit correcte.

 Les sections fermées pour manque d’entretien « cassent des possibilités de voyage ». La ligne Bordeaux-Clermont-Ferrand est interrompue depuis 2014 suite à la fermeture de la section Ussel-Laqueuille. La voie la plus courte entre Clermont-Ferrand et Saint-Etienne, via Noirétable, est interrompue entre Thiers et Boën alors qu’elle constitue un maillon de la liaison la plus courte entre Lyon et Bordeaux.

JobstRails rouillés sur la ligne des Puys Laqueuille-Ussel. Ils constituent pourtant un élément-clé de la transversale la plus courte à travers le Massif central, sacrifiée sur l'autel d'un centralisme outrancier qui passe les relations inter-régionales par profits et pertes. Ou la fracture territoriale à l'état pur... ©Christan Jobst - railwalker.de

« C’est à l’Etat d’entretenir son patrimoine, pas aux Régions de s’y substituer » ; insiste François Gendron, comme de développer « une commande centralisée déployée à l’échelle nationale (qui) permettrait d’augmenter le débit des circulations ».

Concernant le matériel roulant, « la SNCF a encore un contrat-cadre pour produire des rames bimodes Coradia Liner (avec Alstom, NDLR)) qui servent notamment aux Nantes-Lyon ». Ce marché est à la disposition de l’Etat pour relancer des liaisons, en développer d’autres, augmenter la capacité des trains déjà en circulation. Enfin, la lettre ouverte relève un autre aspect de la gestion calamiteuse du patrimoine ferroviaire des régions de France : « Il existe sept rames XTER tricaisses ‘’Intercités’’ (228 places chacune) garées dans une zone militaire à La Ferté-Hauterive (Allier). C’est un vrai gâchis de voir ces rames inutilisées. Moyennant une opération de maintenance, l’Etat est en mesure de les remettre en service et de restaurer des liaisons. »

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Commentaires
J
Pour faire rouler des trains (privés ou publics) sur le réseau UIC 7 à 9, il faudrait d'abord que sncf réseau (l'état) veuille bien le remettre à niveau...(le confier à d'autres ? Région ? Département ? Pas évident avec un ministère aux ordres...C'est le chat qui se mord la queue)<br /> <br /> Abandonné depuis les années 80, (années tgv) il est parfois tel que nos parents voire nos grands parents l'ont connu.<br /> <br /> Ce n'est pas comme cela que l'on gagnera la "bataille du rail"...
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D
La carte des relations proposées par railcoop est l'illustration en couleurs du besoin criant de liaisons transversales suite à un effet de ciseau entre le tout TGV qui a écrémé les liaisons grandes lignes, et la régionalisation qui a tronçonné la quasi totalité des liaisons inter-régionales. Toutefois les relations proposées par railcoop ne transporteront qu'un nombre anecdotique de voyageurs si elles se limitent à 1 AR quotidien. Or pour assurer plusieurs navettes sur es liaisons longue distance, il faut disposer d'un parc de matériel roulant significatif, au delà de ce que Railcoop peut se permettre actuellement.
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B
Il serait temps de réouvrir des liaisons directes (Thionville ?) Metz - Lyon, avec arrêt à Nancy, Toul, Neufchateau, Merrey, Culmont, Dijon, Beaune, Chalon sur Saône, et Macon . Correspondance si possible à Culmont avec des trains venant de Paris-Est, voire Reims........dont certains "Reims" pourraient aussi e^tre prolongés jusqu' à Dijon si correspondance impossible . Je ne me prononce pas pour Is sur Tille, cas qui mérite d' être étudié, mais j' ignore si nécessaire vraiment.<br /> <br /> <br /> <br /> Et des Strasbourg - Lyon via le Revermont, avec arrêt à Colmar, Mulhouse, Belfort, Montbéliard, Besançon Viotte, Mouchard, Lons le Saunier, Bourg en Bresse . A terme, une électrification des Dombes (et doublement jusqu' à Bourg ?) me parrait nécessaire.<br /> <br /> <br /> <br /> Suite plus tard.
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P
Article tout à fait pertinent. Bien vue la remarque sous la carte Railcoop. Mais, que font les Régions, et notamment Grand Est pour les relations Lorraine Lyon et Grand Est Lille; Grand Est attend l'initiative privée aux risques et périls, finance RailCoop (je suis très réservé sur RaillCoop) mais n'est pas capable d'avoir une étude de trafic pour Lorraine Lyon lui permettant éventuellement de faire appel à un opérateur motivé avec une formule de partage des risques commerciaux. Des discours, on n'en manque pas, mais du concret, on est en attente
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J
"Il y a même pire. Jusqu’en 2022 il était possible de relier Bordeaux à Clermont-Ferrand par une combinaison de services TER via Montluçon : Bordeaux 12 h 29-Limoges 15 h 05/15 h 10- Montluçon 17 h 16/18 h 43-Clermont-Ferrand 20 h 18. Or au service 2023 « les horaires ont changé et le TER Limoges-Montluçon est avancé à 15 h 07, ce qui ‘’plante’’ la correspondance »… pour trois minutes."<br /> <br /> il semblerait que cette situation soit le résultat des demandes de sillons de la "coopérative".<br /> <br /> Avec SNCF Réseau, tout est possible...
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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