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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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22 juin 2022

Paris-Montluçon : une radiale dans un état pitoyable, une ville désindustrialisée délibérément marginalisée au plan ferroviaire

Même sur une partie de son réseau classique en étoile à partir de Paris, la France ne semble plus à même d’enrayer le déclin de son chemin de fer, comme en témoigne la dégradation inouïe de la relation Montluçon-Paris. Pourtant toute l’évolution du réseau – liquidation de lignes ou construction de lignes nouvelles – s'était opérée depuis les débuts de la SNCF en 1938 en préservant ou en favorisant les relations au départ de l’omniprésente capitale du pays. Ce sont les lignes régionales et les lignes transversales qui furent été sacrifiées en premier. Quant aux lignes nouvelles, elles épousent presque exactement l’étoile de Legrand, du nom de cet ingénieur qui conçut les grands axes du réseau dans une loi datée de 1842 qui privilégiait presque exclusivement Paris.

Plus aucun train direct de et vers Paris depuis décembre 2018

 La relation de Paris à Montluçon n’est plus assurée par aucun train direct depuis décembre 2018 (service annuel 2019) Le client du train, pour la première relation du matin, peut changer à Vierzon en empruntant depuis Paris-Austerlitz un train Intercités de l’axe classique Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) à réservation obligatoire dont le parcours Paris-Vierzon est abattu en 1 h 32 mn pour 201 km. A Vierzon, il monte dans un autocar de la région Centre-Val de Loire dont le service TER est baptisé « Rémi » depuis 2019, sans que l’on sache à quoi ce prénom peut bien correspondre. Le véhicule routier rejoint Montluçon en 2 h 48 mn pour 140 km avec un temps de correspondance à Vierzon de 10 mn seulement. Temps de transport total de cette première relation du matin :  4 h 30 mn pour 341 km.

 Le soir, une autre combinaison Paris-Montluçon avec changement à Vierzon par Intercités puis par train TER est assurée en 3 h 25 mn.

Fiche horaire des relations Bourges-Montluçon. Les services routiers tendent à supplanter les services ferroviaires sur une ligne dont certaines sections sont limitées à 80 km/h voire à 40 km/h alors que la vitesse normale est de 120 km/h. (Doc TER "Rémi" Centre-Val-de-Loire)

 Plus souvent, le client Paris-Montluçon change à Bourges en empruntant un TER « Rémi » depuis Paris, qui effectue le parcours en 1 h 55 mn pour 232,5 km via Vierzon, puis monte dans un autre TER « Rémi » qui rejoint Montluçon en 1 h 36 mn pour 109 km après un quart d’heure d’attente pour la correspondance. Le parcours est alors aussi assuré en 3 h 45 mn. Cette combinaison implique un aller-retour sur une section de 7 km entre la bifurcation de Marmagne (vers Montluçon) et Bourges, soit 14 km inutiles.

 Au total en semaine seulement cinq relations sont proposées chaque jour à la clientèle du train, trois les samedis et quatre les dimanches.

 Le Comité de développement du rail Montluçon-Val de Cher (Codérail) déplore cet état de fait et demande instamment aux deux conseils régionaux de trouver un accord pour rétablir une relation directe. La ligne Bourges (Marmagne)-Montluçon est en effet partagée entre le Centre-Val-de-Loire approximativement jusqu’à Urçay, et Auvergne-Rhône-Alpes au-delà jusqu’à Montluçon, soit 34 km.

 « Alors que le trajet prenait 2 h 53 il y a vingt ans, il faut, dans le meilleur des cas », 3 h 20 aujourd’hui, plus souvent 3 h 50, avec un détour par Bourges, explique le porte-parole de Codérail Daniel Coffin, cité par Le Parisien.

 Un élément de l’ancienne radiale Paris-Aurillac, la plus courte en kilométrage

Ces temps de parcours incompréhensibles pour une relation radiale en France à moyenne distance (341 km, soit environ la distance Paris-Dijon) sont dus, outre le temps de correspondance et l’éventuel détour par Bourges, à l’état déplorable de la section Bourges-Montluçon. Cette voie, qui suit la vallée du Cher, est un élément de l’ancienne radiale reliant Paris à Miécaze (Cantal), permettant de relier la capitale à Aurillac par le plus court chemin soit Vierzon, Montluçon, Eygurande-Merlines, Bort, Miécaze.

 La ligne dénommée « de Bourges à Miécaze » était longue de 304,6 km. Elle a été amputée de sa section Eugurande-Merlines-Bort  (fermée aux voyageurs en 1950), noyée par le barrage hydroélectrique de Bort-les-Orgues sans qu’une section de contournement, pourtant entamée, ne fût achevée. La section Bort-Miécaze a été fermée aux voyageurs en juillet 1994 (dès 1991 pour les marchandises). Plus au nord, la section Montluçon-Eygurande-Merlines a été fermée aux voyageurs en février 2008 suite à l’absence d’accord entre les régions Auvergne et Limousin pour financer la rénovation de quelques kilomètres de voie à cheval sur leur frontière commune. Les marchandises y avaient été éliminées dès 1995.

DSCN1915Evaux-les-Bains. Le dernier train en provenance de Paris a desservi cette gare de la ville thermale en 2008. Depuis, la municipalité consent d'importants efforts pour relancer le thermalisme, investissant en particulier dans l'établissement hôtelier et de soins. Le moins que l'on puisse écrire, est que l'Etat français et son bras armé ferroviaire ont tout fait pour la rayer de la carte nationale des transports. ©RDS 

 De ce grand axe radial ne demeure plus que la partie la plus septentrionale (Bourges-Montluçon), dont le trafic originel est amputé des flux vers la Creuse (Evaux-les-Bains), la Corrèze (Ussel) et le Cantal (Aurillac), et limité par la déflation démographique suite à l’effondrement industriel du bassin de Montluçon, ville dont la population a régressé à son niveau des années 1920.

Notons que la plupart des sections neutralisées au sud de Montluçon ont été retranchées du réseau ferré national. La dernière en date, Montluçon-Evaux-les-Bains, parcourue par des trains Paris-Ussel apportant leurs lots de curistes dans cette charmante et historique station thermale de l’est de la Creuse jusqu’en 2008, a été retranchée le 4 novembre 2011 et confiée aux collectivités locales pour la transformer en « voie verte ». Etrangement, seule la section Evaux-les-Bains-Eygurande-Merlines figure encore au catalogue du réseau ferré national, au titre de voie inexploitée.

Bourges-Montluçon : une ligne radiale dans un état dramatique

 Concernant la section Bourges (Marmagne)-Montluçon, le bilan est actuellement dramatique. Alors que cette ligne non électrifiée au beau tracé était autorisée à 120 km/h, un ralentissement à 40 km/h reste imposé sur plusieurs kilomètres près de Vallon-en-Sully en raison de fissures sur les rails, et à 80 km/h à proximité de Saint-Amand-Montrond.  « C'est une situation tout à fait intenable. Nous demandons à retrouver la vitesse d'il y a 30 ans » exige, au côté des syndicalistes cheminots, le représentant de Codérail cité par France Bleu.

 Ajoutons que cette ligne, progressivement mise à double voie  entre 1892 et 1908, a été remise à voie unique  entre Saint-Florent-sur-Cher et Montluçon (88 km) entre 1944 et le début des années 1950, limitant sa capacité sur l’essentiel de son itinéraire. La ligne est équipée  d’un Block automatique à permissivité restreinte de Bourges à Saint-Florent-sur-Cher et du block manuel au-delà vers Montluçon.

InkedTDS71835Carte du réseau ferroviaire du nord du Massif Central dans son expansion maximale, au début des années 1930. L'étoile de Montluçon présentait neuf destinations. Ont disparu celles vers Châteauroux, Eygurande-Merlines, Gouttières, Bézenet, Moulins et, à partir de Lapeyrouse, Volvic et Clermont-Ferrand.

 « On ne peut plus attendre. Des usagers qui habitent au sud du Cher et à Montluçon préfèrent aller à Vierzon en voiture. Là, ils sont sûrs d’avoir une solution, puisque c’est le carrefour de la ligne Paris-Toulouse », ajoute Daniel Coffin.

 Quelque 114 millions d’euros devraient être investis pour rénover Bourges-Montluçon, dans une série de travaux programmés de fin 2022 à 2026 si l’on s’en tient au plan d’urgence « lignes fines de desserte du territoire ». Ces chantiers devraient débuter mi-2023, avec une enveloppe annoncée de 27 millions d’euros. Une deuxième étape de travaux devrait être lancée en 2024.

 On est loin du rêve de certains élus d’une ligne à grande vitesse Paris-Orléans-Clermont-Ferrand, dont le budget assècherait probablement encore plus les capacités d’investissement sur le réseau historique.

Montluçon, une ville ferroviairement isolée

 La liquidation progressive de l’axe Paris-Aurillac par Bourges et Montluçon et la dégradation de sa section au nord de Montluçon isole un peu plus le nord du Massif Central du reste du pays, alors que l’exploitation de la transversale Lyon-Bordeaux par Montluçon est interrompue depuis huit ans. L’ancienne étoile de Montluçon, jadis florissante avec neuf destinations au départ de son bassin économique (Montluçon, Commentry, Lapeyrouse), deux axes nationaux à grand parcours qui s’y croisaient (Lyon Bordeaux et Paris-Ussel), est réduite à trois destinations TER sans aucune transversalité : toutes sont origine-destination Montluçon. On note, côté Nouvelle-Aquitaine, deux allers-retours TER quotidiens vers Limoges par Guéret ; côté Auvergne-Rhône-Alpes six AR vers Clermont-Ferrand par Gannat ; côté Centre-Val-de-Loire, on dénombre cinq AR Montluçon-Vierzon/Bourges par train en jour de semaine, complétés par quelques services partiels et par autocars. (1)

DSCN1903Ce voyageur nostalgique, en "gare" de Budelière-Chambon (dont le bâtiment voyageurs a été rasé de longue date mais dont les emprises fret témoignent d'une importante activité passée), sur la ligne fermée Montluçon-Eygurande-Merlines, ne verra plus passer aucun train. En revanche, l'argent public lui permettra bientôt de voir passer des vélos de promeneurs se dirigeant sur la future "voie verte" vers le magnifique viaduc voisin de la Tardes... qui devra être sécurisé et entretenu à grands frais. ©RDS 

 Montluçon présente ainsi le parfait portait d’une ville isolée : elle est non seulement mal reliée aux pôles régionaux voisins, sans débouché vers le sud, mais elle ne dispose plus d’aucune relation ferroviaire directe avec Lyon, pourtant capitale de la région à laquelle elle appartient désormais, ni… avec Paris. En matière de déconstruction du territoire français et de relégation socio-économique, on peut difficilement trouver pire pour un bassin qui fut un pôle industriel majeur jusqu’aux années 1990 et perdit successivement sa métallurgie, son industrie du pneu, de l’électronique, du textile... Montluçon  tente aujourd’hui de rétablir son activité avec, en particulier, le technopôle de la Loue.

 Il est peu probable que la « voie verte » jusqu’à Evaux-les-Bains que ses élus locaux ont appelé de leurs vœux et financent abondamment puisse relancer un tourisme déjà marginal et qui peine à se relever de la « crise sanitaire ». Il eût été préférable de miser sur le transport  que constitue le chemin de fer : il constitue en lui-même un formidable outil touristique tout en permettant d’éviter de transporter écoliers, lycéens, étudiants et salariés sur les routes.

Viaduc TardesCi-dessus: sur la future "voie verte", les cyclistes pourront bientôt franchir la Tardes par ce magnifique viaduc conçu par Gustave Eiffel et construit entre 1885 et 1887. Franchi par les trains Paris-Aurillac, puis Paris-Ussel jusqu'en 2008, sa hauteur maximale est de 91,33m et sa longueur de 250,50 m. Les scolaires, curistes d'Evaux-les-Bains, salariés allant travailler à Montluçon en revanche resteront sur les routes. (Doc. www.tourisme-creuse.com)

Ci-dessous: une vue du centre historique avec l'abbatiale du Chambon-sur-Vouèze. Voisine de la cité thermale d'Evaux-les-Bains, elle constitue l'un des attraits touristiques de cette région injustement marginalisée. ©RDS 

DSCN1901

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(1) Parmi les articles sur la région de Montluçon publiés par Raildusud, on pourra se reporter à celui-ci pour compléter son information :

 

Montluçon, archétype de la relégation territoriale et ferroviaire, revient à ses niveaux de population de 1920 - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Archétype de la relégation territoriale et ferroviaire avec la destruction méthodique de son réseau régional, Montluçon et son bassin continuent de subir leur longue descente aux enfers démographiques. Frappée de plein fouet par la désindustrialisation (sidérurgie, textile, pneumatiques, électronique...)

http://raildusud.canalblog.com

 

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Commentaires
B
Dernières nouvelles - en partie rassurantes - sur le nouveau topic de Transportrail.
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S
Rémi , (Ré)seau de (M)obilité (I)nterurbaine https://www.remi-centrevaldeloire.fr
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P
Peu de train en gare de Montluçon, mais néanmoins des travaux d'un montant de 4,5 d'euros sont en court dans cette gare.<br /> <br /> Réfection de la ligne entre Bourges et Montluçon sont prévus entre 2023 et 2026.<br /> <br /> Pour une gare fantôme, pas de train, peu de voyageurs, mais des travaux, peu être un futur musé ferroviaire il y aura au moins des touristes, qui viendront en bus.
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D
Merci pour l'article. Le problème de cette liaison est que son extrémité est à mi-chemin entre Bourges et Vierzon et que la solution de desserte retenue est de partager la misère en 2. Si on veut assurer une liaison longue distance avec Paris (et éventuellement Orléans), le mieux est de diriger les trains vers Vierzon. Si pour des histoires de différence de fréquentation entre l'Ile de France et le Berry un train direct sera soit surcapacitaire soit sous dimensionné, il faudrait relever systématiquement les correspondances à Vierzon. Malhereusement le cadencement intercité est loin d'être parfait et les minutes de passage des train vers Paris/Orléans sont très décalées de celles des trains en provenance de Paris/Orléans ce qui amènerait à un stationnement assez long à Vierzon (50min). <br /> <br /> En revanche pour les liaisons TER omnibus, le choix de les envoyer sur le chef lieu de département qui est Bourges s'impose. Il faudrait de toute manière une offre cadencée à longueur de journée pour être attractive.
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M
Chers lecteurs,<br /> <br /> <br /> <br /> Merci pour vos précisions, signe de votre attachement à cette belle région. En effet, la toute dernière photo a été victime d'une erreur de téléchargement, en lieu et place de l'église d'Evaux. Nous la maintenons toutefois et modifions la légende.<br /> <br /> <br /> <br /> Merci de tout coeur pour votre contribution.<br /> <br /> <br /> <br /> Le rédacteur et secrétaire de rédaction malheureux.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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