Liquidation de l’étoile de Sommières, contre-sens historique devant l’explosion démographique et l’impératif environnemental - 1
Dans la longue liste des suppressions de lignes régionales en France, la liquidation en 1969 et 1970 de l’étoile de Sommières, centre du généreux réseau ferroviaire de l’ouest du Gard et de l’est de l’Hérault, est un exemple du tragique manque d’anticipation de l’évolution démographique, sociale et environnementale de la part des lointains « décideurs » français. La ville des bords du Vidourle est actuellement peuplée de 5.100 habitants, chiffre en augmentation de 72 % depuis 1982, tandis que sa communauté de commune « Pays de Sommières » affiche 24.000 habitants pour 18 communes. Sommières était le centre d’une étoile ferroviaire à quatre branches, vers Les Mazes-Le Crès (Montpellier), Nîmes Saint-Césaire, Gallargues (Lunel), Quissac et au-delà vers les Cévennes. Il n’en reste rien.
Pourtant, Sommières se situe dans la conurbation Nîmes-Montpellier en forte croissance dans l’est du Languedoc. Sa gare, qui comportait 5 voies à quai soit autant que la gare de Nîmes Centre aujourd’hui, ne se situe qu’à 28,1 km de Montpellier Saint-Roch (21,5 km de l’embranchement des Mazes-Le Crès, sur la grande ligne Tarascon-Sète) et à 35,9 km de Nîmes Centre (32,2 km de l’embranchement à Nîmes Saint-Césaire). Elle se situe ainsi au cœur de la zone d’attraction métropolitaine des deux préfectures, de l’Hérault et du Gard.
1 – Une première ligne depuis Gallargues vers Le Vigan
Historiquement, Sommières fut d’abord reliée à la grande ligne Tarascon-Sète à partir de Gallargues, à 5,4 km à l’est de Lunel sur la ligne Tarascon-Sète. Cette première ligne était longue de 12,1 km et desservait Junas et Aubais. Au nord de Sommières, elle se poursuivait jusqu’à Ganges par Quissac. L’ensemble fut mis en service en 1872 par le PLM, puis poursuivi jusqu’au Vigan en 1874. La section Sommières-Quissac était longue de 20,2 km, celle de Quissac au Vigan de 42,8 km. Cette dernière, au cœur des Cévennes, ne comptait pas moins de 16 tunnels dont un de 1.846 m, et 12 viaducs dont un de 234 m sur le Vidourle et un autre, spectaculaire, de 161 m sur l’Hérault.
Rotonde en ruine de la gare de Lunel (2022) désormais située hors du domaine du réseau ferré national. Les premières liaisons vers Sommières étaient assurées depuis Lunel par la ligne embranchée à Gallargues, distante de 5 km, sur la magistrale Tarascon-Sète. Avec l'embranchement qui existait à la sortie est de la gare vers Aimargues et Le Cailar sur la ligne Nîmes-Le Grau-du-Roi, et l'antenne vers Saint-Gilles et Arles, Lunel était au centre d'une véritable étoile ferroviaire. La section Lunel-Aimargues, qui aurait pu permettre des relations Montpellier-Lunel-Le Grau-du-Roi, est transformée en voie verte. Lunel est une simple station TER sur la seule ligne principale. ©RDS
On notera qu’au-delà du Vigan, par le plateau du Larzac, la compagnie du Midi mit en service en 1896 une transversale de 61,8 km rejoignant Tournemire-Roquefort à travers le plateau du Larzac, dans la perspective d’une liaison Nîmes-Albi, qui ne fut jamais mise en service au-delà de Saint-Affrique.
Quissac était une gare d’embranchement : une section de 20,8 km la reliait vers l’est au Mas-des-Gardies, sur la ligne Nîmes-Clermont-Ferrand, à seulement 9,8 km au sud d’Alès. La section Quissac-Le Mas-des-Gardies fut mise en service en 1881, simultanément avec un embranchement amorcé à Lézan vers Anduze (7,3 km). Ce dernier fut prolongé sur 13,2 km d’Anduze à Saint-Jean-du-Gard en 1909 dans le cadre d’un projet jamais réalisé de connexion avec la ligne Béziers-Neussargues entre Millau et Séverac-le-Château pour établir une liaison ferroviaire continue entre Nîmes et Rodez. Cette prolongation eût comporté un embranchement vers Florac. Cette dernière ville, au sud de la Lozère fut finalement desservie par fer grâce à la ligne départementale à voie métrique au départ de Saint-Cécile d’Andorge, sur l’axe Nîmes-Clermont-Ferrand.
Extrait de la carte des réseaux ferroviaires français éditée au début des années 1930. On constate le remarquable maillage de l'ouest du Gard et de l'est de l'Hérault, entre la magistrale Tarascon-Sète au sud (et aujourd'hui son doublement partiel par le CNM) et la voie Nîimes-Alès-Clermont-Ferrand à l'est. (Doc. RDS)
Côté sud, les mises en service furent relativement tardives, la première liaison depuis Gallargues reliant déjà Sommières au grand axe languedocien. Ayant l'avantage de desservir les villages proches des deux préfectures et d'être plus directes, la ligne Sommières-Les Mazes-Le Crès fut mise en service en 1882 et la ligne Sommières-Nîmes Saint-Césaire en 1885.
2 – Le maillage particulièrement dense des premiers plateaux et des Cévennes
L’étoile de Sommières était ainsi l’un des éléments du maillage particulièrement dense de ces premiers plateaux du Languedoc et des Cévennes gardoises. Globalement, elle était située sur un « X » de deux axes, l’un reliant Nîmes au Vigan et au-delà, l’autre Montpellier à Alès, avec section commune de 20,2 km de Sommières au Vigan. De plus, Sommières était reliée directement à Lunel par la courte ligne de Gallargues.
Il résultait de cette situation ferroviaire remarquable que l’équipement de la gare de Sommières était celui d’une gare importante : bâtiment voyageurs à neuf portes, vaste bâtiment marchandises, buffet dans un bâtiment séparé, cinq voies à quai plus une voie parallèle hors quai, un faisceau marchandises.
Vue de la gare de Sommières au début du XXe siècle. Elle desservait un centre de petite industrie et de commerce important et constituait un point de correspondances et de régulation pour une étoile à quatre voire cinq branches si l'on tient compte de la bifurcation de Quissac. (Carte postale ancienne, reprise par www.passe-montagnes.fr)
L’établissement comporta, au temps de la vapeur, trois grues à eau, un château d’eau, deux postes d’aiguillages et une rotonde. Le tout était installé au flanc d’une colline excavée contenue par un considérable mur de soutènement, avec remblai côté plaine du Vidourle. L’ensemble était accessible depuis la voirie générale par une longue rampe amorcée à la sortie sud de la ville de Sommières.
3 - Fermetures massives au service voyageurs en 1969-1970
La liquidation de cet important réseau de l’ouest du Gard, des Cévennes et de l’est de l’agglomération de Montpellier s’opéra progressivement à partir de 1940 pour s’achever avec les déclassements de la plupart de ces lignes en 1991 avec retrait du réseau ferré national et aliénation partielle.
Le service voyageurs fut supprimé entre Gallargues et Sommières dès 1940. La suppression du service marchandises suivit et la voie fut déposée par les autorités d’occupation en 1942 et 1943. La ligne fut retirée du réseau ferré national en 1954. Sa plate-forme fut détruite au droit de Gallargues pour assurer le passage de l’autoroute A9 mise en service sur cette section en 1968.
Aperçu de la façade actuelle du bâtiment voyageurs de la gare de Sommières côté plateau de voies. La réhabilitation de ce bâtiment PLM à neuf portes a permis l'installation d'un hôtel de belle facture, doté d'un jardin, d'une piscine et d'une véranda aménagée sous l'ancien abri du quai 1. La photographie est prise depuis une piste cyclable, "voie verte" longue de 21km, ici aménagée sur l'emprise de la voie la plus éloignée du bâtiment. Tous les échanges autour de Sommières sont désormais monopolisés par le mode routier. ©RDS
Le service voyageurs fut supprimé en 1940 entre Lézan et Saint-Jean-du-Gard. Une activité touristique fut rétablie par le Train à vapeur des Cévennes en 1982 entre Anduze et Saint-Jean-du-Gard. Le service marchandises fut supprimé entre Anduze et Saint-Jean du Gard en 1971, puis entre Lézan et Anduze en 1989.
Le service voyageurs fut supprimé de Sommières au Vigan et à Alès en mars 1969, de Sommières à Nîmes et Montpellier en janvier 1970. Un service marchandises, qui va déclinant, est maintenu sur la ligne de Montpellier jusqu’en juillet 1973, année de sa suppression entre Castries et Sommières. Un ultime service fret sera maintenu à proximité de Montpellier pour desservir le dépôt d’un grand distributeur à Vendargues jusque dans les années 1990.
4 - Le service marchandises subsista en déclinant, pour être liquidé en 1987
Le service marchandises resta assuré entre Nîmes, Sommières, Quissac et Le Vigan jusqu’en avril 1987. Sur cette longue relation de quelque 99 km un train de desserte fret circula les jours ouvrables jusqu’en 1978. Puis il ne circula plus que trois fois, puis deux fois par semaine de 1979 à 1987.
Dans une étude publiée en 1991 pour une exposition intitulée « Sommières, carrefour du rail », l’historien Jean Chassefeyre écrivait : « Le 1er avril 1987, le trafic marchandises est supprimé entre Caveirac (à 5,7 km à l’ouest de Saint-Césaire sur la ligne Sommières-Nîmes, NDLR) et Quissac et entre Ganges et Le Vigan. Il s’agit pour la SNCF de faire des économies imposées par les pouvoirs publics. A titre anecdotique, la gare de Sommières ne reçut qu’un seul wagon en 1987 ».
Ancienne gare de Boisseron, entre Sommières et Montpellier. La commune en fort développement fait partie de l'intercommunalité du Pays de Lunel. Elle se situe à 11km de Lunel, située sur la ligne Tarascon-Sète, très bien desserive par TER. Mais la suppression de la ligne qui desservait Boisseron impose soit une rupture de mode et de charge à Lunel, soit un long parcours en autocar. Le bâtiment voyageurs est rénové et occupé par le club de tennis local. Les courts occupent l'ancien et vaste espace ferroviaire jadis consacré aux marchandises, principalement liées aux activités agricoles. ©RDS
A la fin des années 1980 ne demeure sur ce vaste réseau languedocien en agonie avancée qu’un trafic de minerai de plomb extrait à La Maline. La production de la plus importante mine de plomb de France est acheminée par train depuis Ganges jusqu’à Quissac, où le convoi rebrousse pour repartir vers Alès par Lézan et Le Mas-des-Gardies. Cette activité cesse en 1989, entraînant la fin de tout trafic sur les deux sections subsistantes : Ganges-Quissac (27,6 km) et Quissac-Lézan-Le Mas-des-Gardies (20,81 km) soit un total de quelque 48,5 km. La mine de La Maline, située sur la commune de Saint-Laurent-le-Minier et devenue propriété de Peñarroya en 1965, fut fermée trois ans plus tard, en 1992.
5 - Rupture de tout lien ferroviaire entre le réseau ferré national et le Train à vapeur des Cévennes
Rappelons que la section Lézan-Anduze fut neutralisée la même année 1989. Depuis lors, la jonction entre le réseau ferré national et la section Anduze-Saint-Jean-du-Gard, réactivée par les exploitants du Train à vapeur des Cévennes (TVC) depuis juin 1982 est rompue. Le TVC constitue un isolat ferroviaire qui impose le transport sur camions de son matériel roulant éventuellement traité par des ateliers éloignés.
Il ne demeure donc plus de nos jours de l’étoile de Sommières dans le réseau ferré national qu’une courte section de 3 km entre Les Mazes-Le Crès et Vendargues, dans la proche banlieue de Montpellier, neutralisée mais susceptible d’être réactivée pour la desserte du faisceau industriel et commercial de la zone d’activité de Vendargues.
Lors de la rénovation de la voie et du ballast de la section Montpellier-Nîmes de la ligne Tarascon-Sète, les aiguillages d’accès vers Vendargues ont été maintenus.
6 - Au total, 161 km de lignes fermées à tout trafic, certaines transformées en « voies vertes »
La liquidation des lignes ferroviaires dans le moyen pays languedocien et les proches Cévennes, compte non tenu de la ligne Le Vigan-Tournemire (61,8 km) fermée aux voyageurs dès 1939 ni de la réouverture purement touristique d’Anduze-Saint-Jean-du-Gard, atteint un total d’environ 161 km, ce qui est considérable sur une surface équivalant à celle d’un demi-département. Les décisions de fermetures des services ont été suivies d’un retranchement complet achevé en 1991.
Voie verte à proximité de l'ancienne gare de Sommières, dans la tranchée menant au tunnel (réaménagé, entretenu et sécurisé par le département) qui passe sous l'ancien château de la ville et voyait circuler les trains vers Quissac et au-delà vers Alès et les Cévennes. ©RDS
Les emprises ont été récupérées par les collectivités locales qui ont largement investi pour y installer des « voies vertes », dans une véritable épidémie de ludisme touristique dont les effets ne paraissent perceptibles que les dimanches et fêtes. Le département du Gard a récupéré une large tranche des lignes fermées. On recense ainsi une « voie verte » de 21 km entre Sommières et Caveirac, sur l’ancienne ligne Sommières-Nîmes Saint-Césaire, aménagée par le département du Gard. Elle inclut le long tunnel à la sortie nord de l’ancienne gare de Sommières, en direction de Quissac, long de 334 m et percé sous le château de la ville. Ce souterrain est joliment bitumé et éclairé de lumières vertes et blanches.
La métropole de Montpellier, qui a récupéré l’emprise située sur son territoire de la ligne vers Sommières, a envisagé de créer sa propre voie verte entre Castries et Vendargues, parallèlement aux voiries surchargées (de voitures particulières, de camions et d’autobus urbains) de cette banlieue nord-est. Un projet plus récent envisage d'y installer à moyen terme une section de BHNS bien que l'emprise soit à voie unique. Le département du Gard fait de même entre Anduze et Lézan, après qu’il a fait déposer des ponts-rails métalliques.
(A suivre)