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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
23 décembre 2021

Réouverture d’Epinal-Saint-Dié : tardives promesses gouvernementales pour 9.200 km de lignes des territoires oubliés

 Le Premier ministre du gouvernement français, Jean Castex, s’est fait le chantre de la réhabilitation des 9.200 km lignes ferroviaires à faible trafic lors de la cérémonie de remise en service, le 12 décembre dernier, de la principale section ferroviaire reliant Epinal à Saint-Dié, ligne régionale transversale, c’est-à-dire hors réseau radial et ne voyant donc pas passer de trains de et vers Paris.

 Entre Epinal et Saint-Dié, la section longue de 46,33 km reliant les embranchements d'Arches et Saint-Dié était fermée depuis le 22 décembre 2018 en raison de la dégradation accélérée de la superstructure et de menaces dans deux tunnels, laissés en déshérence par SNCF Réseau. Lors d’une visite en avril 2018, interpellé par les élus locaux, le président de la République avait promis sa rénovation et sa réouverture.

Epinal saint dié inaugurationCoupure du ruban à Saint-Dié lors de l'inauguration de la remise en service de la section Arches-Saint-Dié, sur la relation TER Epinal-Saint-Dié-Strasbourg. Ce fut l'occasion pour le Premier ministre (au centre de la photo) de promettre une réhabilitation du tiers du réseau français laissé à l'abandon et de jurer sa passion pour le chemin de fer. En ce 12 décembre, on était à quatre mois de l'élection présidentielle et à six mois des législatives. (Doc. Région Grand Est)

 Non seulement Jean Castex, accompagné du ministre délégué aux Transports Jean-Baptiste Djebbari, s’est félicité que la promesse présidentielle ait été tenue – moyennant trois années d’interruption complète pour moins de 46,33 km de renouvellement, soit une moyenne de 16,5 km rénovés par an… - mais il a affiché son ambition pour le reste du réseau régional à faible trafic.

 Alors que son mandat prendra fin dans environ quatre mois, le Premier ministre a affirmé que l’Etat investira, aux côtés des régions, pour la rénovation de 9.200 km de ces lignes desservant les territoires « oubliés » d’un pays métropolisé et centralisé à outrance. Mais il faudra pour cela que la France opère une véritable révolution copernicienne, son taux de dépense par habitant pour son réseau ferroviaire étant considérablement inférieur à celui de ses voisins, l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume-Uni.

En principe, SNCF Réseau n’investit plus dans la réhabilitation des lignes de catégorie 7 à 9

 Ces lignes, qui représentent plus du tiers du réseau ferroviaire national, appartiennent aux catégories 7 à 9 selon le classement de l’UIC adapté par la SNCF. Ce classement identifie chaque ligne en fonction non du nombre de trains quotidiens mais de la masse circulée. Une ligne qui voit passer quotidiennement et par sens cinq trains de fret longs et lourd  sera mieux classée qu’une ligne qui voit passer une douzaine d’autorails légers. Et, pour ces lignes 7 à 9, le principe retenu jusqu’ici était que SNCF Réseau n’investît aucune somme pour leur réhabilitation, la totalité incombant aux pouvoirs publics, Etat et surtout régions. Ces dernières pourtant ne sont pas propriétaires de ces lignes et les TER qu’elles financent paient à SNCF Réseau des droits d’usage, même s’ils sont réduits.

Saint DiéFaisceau de remisage de la gare de Saint-Dié. Une rame à grande vitesse en préparation pour Paris mais, pendant trois ans, aucun train pour la préfecture du département, Epinal, à 50 km, par une ligne transversale dont deux tunnels menaçaient d'éboulement. (Doc. Wikipedia/Cham)

 Ce réveil du chef du gouvernement – et de la coalition parlementaire qui le soutient – paraît quelque peu tardif, alors que la législature s’achève. Or il va falloir un effort considérable aux finances publiques pour renverser la vapeur, alors que les suspensions de circulation se sont multipliées depuis une décennie, sans parler des innombrables ralentissements permanents dans l’attente d’une rénovation effectuée sous le régime du transfert sur route. Il serait temps pour les élus nationaux encore en place pour quelques semaines de prendre conscience de l’ampleur de l’effondrement du réseau ferroviaire régional français, alors que l’alerte a été donnée au cours de la précédente décennie par l’audit effectué par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.

Les plus hautes autorités de l’Etat ont avalisé par leur passivité et leur jacobinisme quantité de fermetures

 Il est surprenant que les plus hautes autorités de l’Etat aient avalisé par leur passivité et leur jacobinisme le fait que Bordeaux ne soit plus relié à Lyon par train, que des villes importantes de la région Auvergne-Rhône-Alpes ne soient plus reliées entre elles par le rail (Clermont-Ferrand-Saint-Etienne par neutralisation de Thiers-Boën, Montluçon-Lyon par suspension de tout service voyageurs entre Gannat et Saint-Germain-des-Fossés…), que des villes d’eau aussi réputées que Luchon, Le Mont-Dore, La Bourboule, Evaux-les-Bains, Néris-les-Bains, Digne-les-Bains aient pu voir leurs lignes purement et simplement fermées, ou encore que des installations industrielles telles qu’une carrière Lafarge dont est cliente… SNCF Réseau (La Patte, vallée de la Brévenne), des usines d’isolants pour le bâtiment (Saint-Eloy-les-Mines, ligne Lapeyrouse-Volvic) et tant d’autres aient pu être privées de desserte ferroviaire.

Jean Castex s’est félicité le 12 décembre devant la gare de Saint-Dié que la réouverture de la ligne soit « un investissement d’avenir ». Cet investissement de réhabilitation n’a au demeurant pas pesé bien lourd dans les comptes du ministère des Finances puisqu’il ne s’est élevé pour l’Etat qu'à 8,4 millions d’euros, soit 40 % d’une facture de 21 M€. Les 12,6 M€ restant ont été pris en charge par la région Grand Est.

Epinal-Saint-Dié CarteSchéma de la section Arches-Saint-Dié, élément de relations Epinal-Saint-Dié-Strasbourg, rétablies depis le 12 décembre après réhébilitation de la voie pour 21 millions d'euros. En tiretés, l'amorce de ses lignes affluentes, toutes fermées, vers Rambervillers, Gérardmer et Fraize. (Doc. Wikipedia)

 Jean Castex, auteur d’ouvrages sur les lignes Perpignan-Villefranche et Villefranche-Latour-de-Carol alors qu’il était maire de Prades (Pyrénées-Orientales), n’a pas manqué de rappeler qu’il était « un grand amateur de trains et passionné de choses ferroviaires » et a dénoncé les « décennies pendant lesquelles l'Etat considérait que ces lignes de desserte du monde rural, ça coûtait très cher quand même ». Il a donc assuré que la volonté gouvernementale de rénover les 9.200 km de lignes les moins circulées, mais qui assurent tout de même 17 % du trafic régional voyageurs, constituera « un mouvement de grande ampleur ».

 Le Premier ministre a ajouté : « Ce que nous faisons ici (dans les Vosges, NDLR), ce n'est pas une opération ponctuelle et symbolique, nous le ferons partout en France. Cela concerne les petites lignes. En France, c'est 9.200 km régénérés et remis à neuf. Après le Grand Est, je serai en Occitanie pour signer le protocole des petites lignes dans cette région. C'est un mouvement de grande ampleur. Nous le faisons partout car nous y croyons. »

Comme Boën-Thiers, Epinal-Saint Dié était peu utilisée à cause d’une offre squelettique et  de sa dégradation

 La relation Epinal-Saint-Dié était peu utilisée et très déficitaire à sa fermeture, en raison d’une offre squelettique, de ralentissements de vitesse, de dégradation des conditions d’accueil, de fermeture de gares intermédiaires, d’absence de toute promotion commerciale. L’abandon délibéré de la part de l’exploitant entraînait la fuite de la clientèle, argument brandi par les fossoyeurs du réseau ferroviaire régional, fort nombreux au ministère des Finances, pour parachever leur entreprise de liquidation. Les exemples surabondent dans le grand Sud-Est, de Boën-Thiers à Alès-Bessèges, en passant par Béziers-Neussargues pour l’instant en service de réanimation, pour reprendre la phraséologie médiatico-sanitaire.

IMG_20200714_172331A l'autre bout de la France, loin des Vosges, au pied des Cévennes, aperçu de deux voies à quai de la gare d'Alès. Leur simple état résume le sous-investissement dramatique dans les réseaux des territoires non métropolitains. L'embranchement vers Bessèges, qui dessert une zone industriellement sinistrée (mais qui conserve une usine à Salindres et a vu s'implanter de nouvelles activités), est privé de services voyageurs depuis 2012. Leur rétablissement est programmé par l'Occitanie. ©RDS

 Rénovée, la ligne Epinal-Saint-Dié est désormais desservie par dix allers-retours en semaine, dont sept à destination de Strasbourg. Ils ne desservent au départ d’Epinal vers Saint-Dié que deux gares intermédiaires : Arches et Bruyères. Cette situation a fait protester des élus des localités délaissées. Le temps de parcours par train entre Epinal et Saint-Dié est désormais étagé entre 50 mn et 58 mn, avec toutes les variations intermédiaires (51 mn, 52 mn, 54 mn, 55 mn), malheureusement sans  effet de cadencement dans les heures de départ et d'arrivée. Les huit autres localités intermédiaires, parmi lesquelles Docelles-Cheniménil, Lépanges, Biffontaine…, sont desservies par des services d’autocars omnibus Epinal-Bruyères ou Bruyères-Saint-Dié, deux d’entre eux effectuant la totalité du parcours Epinal-Saint-Dié en 1 h 42/45 mn, soit le double du train.

 La ligne Epinal-Saint-Dié fait partie du lot de lignes dont la délégation de service public sera mise en concurrence fin 2023 par le conseil régional Grand Est, avec cette spécificité qu’outre l’exploitation, la rénovation et la maintenance de l’infrastructure feront partie du lot. Regioneo, filiale de la RATP et de Getlink, qui s’est publiquement félicitée de la réouverture d’Epinal-Saint-Dié, devrait en hériter. Jean Castex a par ailleurs assuré que le gouvernement expérimenterait une baisse des péages de l’activité TER Grand Est à SNCF Réseau en échange d'investissements sur l’infrastructure.

Dépenses  pour l’infrastructure ferroviaire par habitant en 2020 : 131 € en Grande-Bretagne, 120 € en Italie, 88 € en Allemagne, 49 € en France

 Rappelons qu’en juillet dernier Jean-Baptiste Djebbari avait acté un investissement de près de 7 milliards d'euros de 2021 à 2031 pour pérenniser certaines des 9.200 kilomètres de lignes de classe 7 à 9 en coordination avec les conseils régionaux. Mais si l’on s’en réfère au classement des dépenses publiques par habitant dans l’infrastructure ferroviaire, dressé par l’association allemande Allianz ProSchiene (Alliance pour la voie), la France est très loin du compte.

 Avec 49 € par habitant en 2020, la France se situe loin derrière l’Allemagne qui affiche 88 €/habitant, et plus loin encore de l’Italie, qui affiche 120 €/habitant, ou de la Grande-Bretagne, avec 131 €/habitant. Ces chiffres doivent être pondérés du fait que la France métropolitaine ne compte qu’une moyenne de 117 habitants par km2 contre 233 habitants/km2 en Allemagne, 200 habitants/km2 en Italie et 275 habitants/km2 au Royaume-Uni. L’investissement moyen rapporté à la surface est donc proportionnellement bien plus faible en France que dans ces autres pays voisins.

Investissements ferroviairesDépenses par habitant en 2020 pour l'infrastructure ferroviaire dans dives pays européens. La France est en queue de liste avec l'Espagne. La statistique serait pire pour l'Hexagone si on la rapportait à la surface et/ou si l'on s'en tenait aux 97,5% du territoire situés hors Ile-de-France. (Doc. Allianz Pro Schiene)

 Par ailleurs, il convient de pondérer ces chiffres par la répartition territoriale des dépenses pour l’infrastructure ferroviaire. Or la France se caractérise par une surconcentration de lignes ferroviaire dans et autour de l’Ile-de-France. Il en résulte un sous-investissement flagrant dans l’ensemble des autres régions, particulièrement celles dont le réseau ferroviaire originel a été frappé de nombreuses fermetures. Ceci explique que la déconnexion de populations entières par rapport au train se soit aggravée depuis le début de la liquidation de nombreuses lignes régionales, avec l’arrivée de la SNCF en 1938. Le tout au bénéfice de la route et au grand dommage de l’attractivité des territoires dits « périphériques » alors qu’ils sont souvent géographiquement centraux.

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Commentaires
B
En sus, c' est 2 A/R journaliers supplémentaires, en sus des bus actuels.
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B
Mr DEBANO, c' est pourtant évident, au voyageur que je suis, que les Alès - Bessèges seront, en réalité, amorcés depuis Nimes . Peut-être pas précisé dans les documents d' enquête publique, mais tellement évident - sauf pour les responsables Occitants des transports, selon vous (?).<br /> <br /> <br /> <br /> Enfin, j' ignore comment les circulations seront réparties, mais si elles répondent par exemple au "domicile-travail" ? Et, par la suite, elles peuvent être augmentées, si succès !
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B
"Service ridicule" . Vos sources ? Et, avec Nimes en point de mire, et ses 150000 habitants (185000 en agglo), avec ZFE à prévoir, vous croyez pas que cette ligne Gardoise aura son utilité ?
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B
Mr DEBANO, vous avez quand meme idée que "le rayonnement d' Alès - Bessèges n' est pas limité à " ALES - BESSEGES", mais bien au delà (?) - Nimes par exemple.
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B
Mr Jean-Marie, "jouez au train" coûtent peut-être cher, mais les ZFE vous pourrir la vie de millions de personnes..................sauf si les trains devenaient une alternative crédible pour nombres de trajets ; or, on en prend pas le chemin !
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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