Projet SNCF de 3 allers-retours classiques « Oslo » Paris-Lyon : complémentaires avec les TER mais sans intégration tarifaire ?
Il aura probablement fallu d’intenses cogitations et quelques bras de fer dans les milieux dirigeants de la SNCF pour que la société d’Etat parvienne, quarante ans après, à accéder aux demandes des associations d’usagers de faire circuler des trains nationaux sur lignes classiques parallèlement aux lignes à grande vitesse. Certes, l’entreprise publique avait déjà lancé de rares trains classiques à bas coût au départ de Paris avec ventes sur internet exclusivement, sortes de Ouigo bas de gamme. Le reste de la desserte classique a été transféré aux régions, priées de les financer. Désormais avec son projet Oslo, Voyages SNCF semble aller plus loin, sans pour autant sortir de son schéma centralisé en étoile autour de Paris et apparemment sans cohérence tarifaire avec l’offre existante des quatre TER puisqu'il s'agirait de trains à bas coût hors gamme tarifaire classique.
Le 11 juin, ont été publiées par l’Autorité de régulation des transports (ART) deux notifications de demandes de sillons portées par la SNCF, pour des circulations de rames tractées sur lignes classiques entre Paris et Lyon et entre Paris et Nantes. Ces trains à vitesse « moyenne » (mais tout de même tracés à 160 km/h sur les nombreuses sections le permettant, tout est relatif) semblent répondre aux demandes de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports qui, dès la mise en service des lignes à grande vitesse, exigeait que fussent maintenus des services nationaux sur lignes classiques pour desservir les villes abandonnées par les TGV. La Fnaut allait dans le même sens que les régions concernées.
Deux notifications de demandes de sillons pour le service 2023
La SNCF a toujours répondu à ces demandes en exigeant le transfert aux régions des services classiques maintenus de bout en bout, sous le statut TER, même sur longues distances. C’est le cas des quatre Lyon-Paris Bercy qui effectuent un cabotage relativement serré dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Ile-de-France. C’est aussi le cas des Marseille-Lyon cadencés aux deux heures pour les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Auvergne-Rhône-Alpes. Mais ces TER hésitent entre une desserte fine et une desserte express. D‘autre part, leur statut inter-régional relèverait logiquement d’une responsabilité nationale.
Lyon Perrache. Dans cette gare centrale qui a vu disparaître tous les TGV origine hors Lyon, il reste de la place pour loger les départs et l'arrivée de futurs trains classiques pour Paris tracés via le tunnel de Saint-Irénée sans passer par Part-Dieu. ©RDS
Le projet Oslo, conçu quarante années après la mise en service de la première LGV (Sud-Est), ne verra pourtant le jour qu’au service 2023 et dans une pure optique concurrentielle. Le projet initial prévoyait un démarrage d’exploitation au printemps 2022 mais la notification auprès de l’ART la repousse au service annuel 2023, qui commence le 11 décembre 2022. D’après un membre du Comité d’entreprise européen de la SNCF, Laurent Fauviau, les engins moteurs seront des motrices électriques bicourant BB22200 ou équivalent. Elles tracteront des voitures Corail qui n’ont pas encore été ferraillées, comme l'ont été tant d’autres de leurs congénères. La capacité de chaque rame sera comprise entre 500 et 800 sièges.
Trois allers-retours quotidiens, assez hétéroclites : deux départs de Paris Bercy, un d’Austerlitz
Selon les données publiées par l’ART, le service Paris-Lyon serait constitué de trois allers-retours quotidiens aux définitions assez pittoresques. Dans le sens Lyon-Paris, les départs de la capitale des trois Gaules auraient lieu à 6 h 00, 12 h 40 et 18 h 30 pour des temps de parcours de respectivement 5 h 00 mn, 5 h 30 mn et 5 h 00 mn (arrivées à 11 h 00, 12 h 40 et 23 h 30). Le premier et le dernier de ces trains serait réceptionné à Paris-Bercy, celui de milieu de journée à Paris Austerlitz. Tous partiraient de Lyon Perrache, rejoignant le val de Saône directement par le tunnel de Saint-Irénée. Ils ne desserviraient donc pas Lyon Part-Dieu, retrouvant l’itinéraire classique des grands trains d’avant la LGV. Rappelons au passage qu’autrefois un train de nuit pour Paris partait de Lyon Saint-Paul, empruntant le raccordement à voie unique de Gorge-de-Loup vers Vaise.
Dans le sens Paris-Lyon, les horaires des trois départs sont prévus à 6 h 30, 12 h 20 et 18 h 50, le premier et le dernier de Paris Bercy, celui de milieu de journée de Paris Austerlitz, pour des temps de parcours respectivement de 5 h 30 mn, 5 h 20 mn et 4 h 50 mn (arrivées à 12 h 00, 17 h 40 et 23 h 40).
La disparité des origines-destinations et de la durée des parcours s’explique à l’évidence par l’engorgement de l’étoile ferroviaire parisienne. Elle constitue néanmoins un handicap commercial. Ces temps de parcours sont équivalents (voire supérieurs) à ceux des quatre TER Paris-Lyon quotidiens cadencés aux mêmes minutes (h+16) dans le sens Lyon-Paris. (1)
Depuis Lyon Perrache, les gares desservies par les trois Oslo seraient Lyon Vaise, Mâcon, Chalons-sur-Saône, Dijon Ville, Melun, Villeneuve-Saint-Georges (et Juvisy si destination Paris Austerlitz), avec mêmes arrêts au retour.
La question de l’intégration tarifaire et billettique pour permettre des correspondances TER
On notera que les gares de moyenne importance du Val de Saône (Villefranche-sur-Saône, Tournus, Chagny, Beaune…) ne seront pas desservies, laissant ce soin aux TER. De même, les gares de Bourgogne (Les Laumes-Alésia, Tonnerre, Saint-Florentin, Laroche-Migennes, Sens…) sont laissées aux bons soins des TER.
On souhaiterait donc que la tarification et l’accès à la billettique de ces services « Oslo » intègrent des correspondances TER-Oslo, et que les titres de transport uniques soient aussi vendus aux guichets. La transparence billettique la plus poussée paraît indispensable, ne se limitant pas à un système purement internet, étanche au reste des services voyageurs, type Ouigo calqué sur l’aérien. Or la consistance de l’offre Oslo, conçue dans une optique concurrentielle, annonce ce type de système à prix cassés moyennant contraintes maximales.
TER Auvergne-Rhône-Alpes vers Villefranche sur Saône à l'approche de son arrêt à Lyon Vaise. Cette gare, jadis desservie par de nombreux trains de et vers Paris, est aujourd'hui largement sous-exploitée, les TER vers l'Auvergne passant par Part-Dieu et la boucle du tunnel de Caluire. Pourtant, Lyon Vaise est en correspondance directe avec la ligne D du métro, dessert le IXe arrondissement en plein développement, La Duchère, Tassin... ©RDS
Pour Oslo, les commerciaux de Voyages SNCF ont privilégié les arrêts en périphérie de Lyon (Vaise) et de Paris (Melun, Villeneuve-Saint-Georges), réalisant avec quelques décennies de retard qu’un parcours sur ligne classique pour Lyon au départ de Melun est plus intéressant qu’un parcours RER+TGV via Paris gare de Lyon. Il en va de même à Lyon pour les quartiers hyper-centraux et ouest, mieux desservis par Perrache et Vaise (IIe, Ve IXe arrondissements, Tassin, Sainte-Foy…) que par Part-Dieu, relativement excentrée.
Les temps de parcours des trois TER Paris-Lyon sont équivalents alors qu’ils desservent 17 gares intermédiaires contre 6 ou 7 pour Oslo
Reste à connaître le futur sort commercial des quatre TER Lyon Part-Dieu-Paris Bercy, dont les temps de parcours affichent 5 h 08 mn pour l’un, 5 h 11 mn pour les autres, et de leurs retours. Non seulement Oslo est conçu pour répondre à une menace de concurrence type Flixtrain, mais le projet risque de siphonner la trame TER. Pour un temps de parcours équivalent, les circulations TER Paris-Lyon desservent bien plus de gares que les futurs Oslo : dix-sept stations intermédiaires contre six (ou sept). La similitude des temps de parcours rapportée aux gares intermédiaires desservies interroge.
L’autre service Oslo est annoncé entre Nantes et Paris Austerlitz, avec deux allers-retours quotidiens desservant six gares intermédiaires : Angers, Saumur, Saint-Pierre-des-Corps, Blois, Les Aubrais, Juvisy. Le temps de parcours annoncé est d’environ 4 h 02 mn.
Façade de la gare de Paris Austerlitz. Un des trois "Oslo" vers Lyon y serait amorcé, les deux autres depuis Bercy comme les quatre TER Paris-Lyon. L'hétérogénéité des gares d'origine complexifiera un peu plus la trame globale de l'offre SNCF sur la ligne classique de cet axe, s'ajoutant à la probable tarification spécifique et étanche des trains "Oslo" annoncés "à bas coût". (Doc. Wikipedia/Ignis)
Nous noterons pour terminer que le tropisme parisien de la SNCF reste inentamé puisque ce projet Oslo est centré exclusivement sur la capitale. Les dessertes inter-régionales hors étoile de Legrand sont renvoyées aux projets en cours d’étude du schéma directeur des futurs trains d’équilibre du territoire sur lignes classiques, type Lyon-Toulouse, Grenoble-Metz, Lille-Nantes, Lyon-Nice. Là encore, la cohérence et l’intégration horaire avec les offres TER d’un côté, TGV de l’autre, viendra poser question.
Le projet Oslo, s'il s'intègre bien dans la trame horaire Paris-Lyon classique, cède au dogme de la libre concurrence en jouant probablement la singularité tarifaire sur le mode Ouigo. N’est-il pas temps de repenser le chemin de fer comme un réseau intégré et non comme une superposition d’offres commerciales plus ou moins étanches ? On en arrive à un point où l'intérêt particulier d'entreprises mises en compétition par principe en vient à s'opposer à l'intérêt général.
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(1) Si l’on superpose les départs de Lyon pour Paris TER (depuis Part-Dieu) et Oslo (depuis Perrache), on obtient la trame suivante (trains Oslo en italiques) :
6 h 00, 11 h 16, 12 h 40, 13 h 16, 15 h 16, 17 h 16, 18 h 30
Au départ de Paris pour Lyon :
6 h 30, 7 h 36, 12 h 20, 13 h 33, 15 h 33, 17 h 27, 18 h 50
Les deux services paraissent donc très complémentaires, avec des temps de parcours comparables. Il leur manque un cadencement minuté, un départ-arrivée depuis les mêmes gares et une tarification homogène. Ce dernier point paraît malheureusement le moins probable, dogme de la libre concurrence par "produits" oblige.
