Espoir de réouverture d’Evian-Saint-Gingolph : la convention d’avant-projet sommaire (1,09 M€) votée par Auvergne-Rhône-Alpes
Entre 157 et 300 millions d’euros annoncés pour la très controversée autoroute du Chablais, 1,09 million d’euros promis par SNCF Réseau et la région Auvergne-Rhône-Alpes (à 31,2 %) pour des études d’avant-projet sommaire (APS) préalables à une éventuelle réouverture de la section Evian-Saint-Gingolph de la ligne dite « du Tonkin » : le bouclage de l’itinéraire ferroviaire au sud du Léman avance à pas comptés dans la France soumise aux lobbys routiers. En revanche, le gouvernement du Valais vient de renoncer de son côté à construire un contournement routier de Saint-Gingolph puisqu'il vient de lever le blocage des terrains lié au projet.
La convention d’APS entre SNCF Réseau et la région a été approuvée le 16 octobre 2020, annonçant une concertation préalable à l’automne 2021 et une enquête publique un an plus tard, fin 2022. Cette section affiche un linéaire de quelque 17,55 km et sa rénovation avec électrification est évaluée dans une fourchette comprise entre 125 et 180 millions d'euros soit 7 et 10 millions d’euros par kilomètre.
Circulation suisse exceptionnelle en 2015 à l'occasion des dix ans de l'association RER-Sud Léman, qui milite pour la réouverture d'Evian-Saint-Gingolph. La girouette de la rame Colibri affiche "Evian"... Le contraste entre les transports publics de part et d'autre de la rivière Morge qui fait frontière à proximmité immédiate de la gare de Saint-Gingolph (Suisse) est saisissant. (Doc. RER-Sud Léman)
Une convention internationale pour la réalisation du projet devrait remplacer la convention initiale de 1886 et pourrait interdire tout trafic fret. Côté suisse, le Parlement fédéral a voté une enveloppe de 200 millions de francs suisses qui pourrait abonder le futur budget de réactivation d’Evian-Saint-Gingolph.
La procédure de mise en concession des 16 km de l’autoroute du Chablais pour 300 M€ a été lancée en février
L’autoroute du Chablais ou A412, contestée en justice française par la République et canton de Genève pour concurrence qu’elle ferait au RER Léman Express largement financé par son gouvernement, relierait Machilly à Thonon soit 16 km. Sa construction, qui pourrait atteindre les 300 millions d’euros, afficherait un coût kilométrique de plus de 18 millions d’euros, soit environ deux fois celui de la rénovation d’Evian-Saint-Gingolph.
Malgré les contestations, la procédure de mise en concession de l’A412 a été lancée par le gouvernement français en février dernier. Outre Genève, la Confédération helvétique s'inquiète aussi de l'impact de ce tronçon autoroutier sur l'utilisation des transports publics et la thrombose autoroutière à Genève. Interpellé par la conseillère nationale Delphine Klopfenstein Broggini (Verts), le Conseil fédéral (gouvernement) « estime que cette construction irait à l'encontre des efforts de transfert du trafic motorisé individuel », rapporte Swiss Info. Des compléments d'information ont été demandés à la France.
La section Evian-Saint-Gingolph de la ligne du Tonkin a vu son service voyageurs supprimé dès 1939, lors de la seconde fournée de liquidation des services voyageurs régionaux engagée par la toute jeune SNCF (4.236 km en 1938, 4.154 km en 1939). La desserte fret y fut supprimée en 1988, après une activité marchandises très importante durant la Seconde Guerre mondiale, Saint-Gingolph étant un temps demeuré le seul point de transit ferroviaire entre la France et la Suisse. De 1986 à 1998, un train touristique y a circulé.
Côté suisse, une desserte ferroviaire cadencée à l’heure, côté français quelques autocars lents et aucun le dimanche
Le conseil régional de l’ex-région Rhône-Alpes avait voté fin 2008 à l’unanimité en faveur de la réouverture de ce maillon permettant de boucler le trou ferroviaire du Léman, avec annonce début 2009 d’une étude préliminaire qui ne se concrétisa pas. Pourtant les atouts de cette section sont nombreux, tant pour la desserte locale que pour la desserte régionale du grand Léman, voire la desserte à longue distance. A l’est de Saint-Gingolph, le réseau ferroviaire suisse offre une desserte cadencée et électrifiée vers Saint-Maurice et le Valais, sur la magistrale Lausanne-Brigue.
En ce qui concerne la desserte des localités entre Evian et Saint-Gingolph, le temps de parcours en autocar (ligne 131 de la communauté de communes) demande 30 minutes pour 18 km, sans aucun service les dimanches et fêtes. Le temps de parcours proposé par autocar entre Thonon et Saint-Gingolph (27 km) s’élève à 50 minutes et entre Thonon et Evian (9 km) en 19 minutes, contre 9 minutes par les services ferroviaires cadencés du Léman Express.
Carte du réseau TER de l'ex-région Rhône-Alpes (comprenant deux sections fermées depuis son édition : Boën-Thiers et Oyonnax-Saint-Claude). On distingue l'intérêt d'un maillage supplémentaire avec la Suisse par la section Evian-Saint-Gingolph. Il s'agirait de la neuvième ligne franco-suisse.
Le temps de parcours ferroviaire estimé des 17,5 km séparant Evian de Saint-Gingolph une fois la ligne rénovée est estimé à environ 15 mn, soit deux fois moins que l’actuel service routier malgré la desserte de stations intermédiaires. Ces stations, à rénover ou créer, pourraient être Evian-Est Neuvecelle, Maxilly, Lugrin, Meillerie, cette dernière station devant être équipée d’une voie d’évitement pour permettre un service cadencé à l’heure.
Distance réduite par rapport à l'itinéraire nord de 12 % sur Genève-Saint-Maurice, 53 % sur Annemasse-Saint-Maurice, 19 % sur Bellegarde-Saint-Maurice
En ce qui concerne la desserte régionale et bi-nationale du Grand Léman, le rétablissement d’une continuité ferroviaire entre Genève et Saint-Maurice par Evian et le sud du lac permettrait de réduire la distance de 12,05 km (99,78 km contre 111,83 km via Lausanne) soit une économie de 12 % et l’assurance d’un itinéraire de substitution. Sur la relation entre le nœud ferroviaire d’Annemasse et la gare de jonction de Saint-Maurice, le différentiel est proportionnellement plus important : 83,65 km via Evian et Saint-Gingolph contre 127,96 km via Genève et Lausanne, soit une différence de 44,31 km correspondant à une économie de presque 53 %. Cet avantage concerne en outre les voyageurs en provenance du bassin annecéien.
En ce qui concerne le voyages à grande distance entre Lyon, Grenoble via Culoz, Paris via Genève et leurs au-delà (la Méditerranée, le Massif Central) et le Valais, qui transitent par Bellegarde, le différentiel de distance entre les itinéraires nord ou sud Léman est encore importante : Bellegarde-Saint-Maurice affiche 121,92 km via Evian et Saint-Gingolph contre 144,99 km via Lausanne, soit une différence de 23,07 km correspondant à une économie de 19 %.
Il serait donc intéressant de concevoir la réouverture d’Evian-Saint-Gingolph avec la possibilité d’y réserver quelques sillons pour trains à grande distance, type TGV tricourants, pour d’éventuels services hivernaux type Ile-de-France-Valais tracés via Bourg, la ligne rénovée Nantua-Bellegarde et celle du Tonkin, allégeant d’autant le très encombré nœud genevois et la ligne Genève-Lausanne, l’une des plus chargées d’Europe. Plus court, l’itinéraire par Dijon et Lausanne a l’inconvénient d’offrir la grande vitesse sur un linéaire proportionnellement beaucoup plus court (Pasilly-Paris).
Travaux sur l’infrastructure (plate-forme, tunnels, ponts…) et la superstructure (voie, ballast, électrification, signalisation…)
Une remise en service d’Evian-Saint-Gingolph devrait inclure une série de travaux, tant pour l’infrastructure que la superstructure.
Pour l’infrastructure, il conviendra de dégager une importante végétation, de conforter l’assise (drainage, ouvrages en maçonnerie et en terre) et de mettre au gabarit d’électrification en courant monophasé les tunnels des Croisettes (217 m) et de la Balme (805 m). Les trois viaducs du Locum (14 m), du Tréton (40 m) et de la Morge (34 m) qui fait frontière devront être restaurés, quelques murs anti-bruit et clôtures installés, des passages à niveau sécurisés. Les haltes devront être aménagées, voire créées, avec quais normalisés.
Rame Regionalps en provenance de Sion via Saint-Maurice en mission omnibus, à l'arrivée. Le long temps d'arrêt au terminus suisse de Saint-Gingolph permettrait d'effectuer un aller-retour jusqu'à Evian sans matériel roulant supplémentaire. (Doc. RER-Sud Léman)
Pour la superstructure, la voie et le ballast devront être entièrement renouvelés, une signalisation moderne ERTMS installée. L’électrification se ferait soit en mode suisse (15 kV, 16 2/3 Hz), soit en mode français (25 kV, 50 Hz). La première solution permettrait de s’en tenir à une prolongation jusqu’à Evian de la desserte voyageurs omnibus de RegionAlps (coentreprise CFF-Transports de Martigny et Région TMR-canton du Valais), actuellement cadencée à l’heure depuis Sion jusqu’à Saint-Gingolph, moyennant une convention spécifique avec la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Un matériel bi ou tri-courant pour assurer des courses transfrontalières type Léman-Express, TER voire TGV saisonniers
Quelle que soit la solution électrique retenue, elle impliquera un matériel bi ou tri-courant pour les liaisons régionales à moyenne distance intégrées au réseau RER Léman Express, avec par exemple prolongation les courses cadencées à l’heure Coppet-Evian jusqu’à Saint-Maurice ou au-delà, et/ou des courses TER terminus Evian poursuivie jusqu’en Valais. Il en irait de même pour des trains internationaux type TGV des neiges depuis l’Ile-de-France et ses au-delà vers le Valais via Mâcon, Bourg, Bellegarde, Evian.
Ce court tronçon recèle de grands atouts. Il reste à trouver une volonté politique qui ne s’en limite pas à une période préélectorale, à définir le statut futur de la ligne (SNCF Réseau, régie régionale… ?) et donc son maître d’ouvrage, le maître d’œuvre offrant le meilleur rapport fiabilité-rapidité-qualité-prix et les financeurs. Sans oublier l’opposition locale de quelques riverains acrimonieux ou d’élus amis des transporteurs routiers et des garagistes. Il est plus facile de fermer une ligne que de la rouvrir.