Loi climat : le texte initial oublie le fret ferroviaire, les opérateurs exigent des actes pour passer sa part modale de 9 à 18%
La « loi climat » qui est arrivée devant les députés le 29 mars pour trois semaines de discussions, est un texte comportant 69 articles qui couvre une quantité de secteurs allant de la limitation de la publicité aux pratiques agricoles en passant par les économies d’énergies dans le logement. Mais il semble que la question des transports, et en particulier celle du transport ferroviaire, soit pour l’instant son parent pauvre alors que le train est parmi les modes les plus économes en énergie : massification des flux, forte capacités d’emport, faible consommation énergétique par tonne/kilomètre ou passager/kilomètre, sécurité proverbiale…
Le fret ferroviaire n’a pas été inscrit dans la première mouture de la « loi climat »
Le secteur du transport de fret ferroviaire est particulièrement remonté contre cette absence de référence. Alors que l’autorité gouvernementale prétend doubler la part du fret ferroviaire d’ici 2030 en France, passant de 9 à 18 %, le secteur n’a pas été inscrit dans la loi climat qui pourrait lui permettre d’être avantagé. L’alliance 4F ou pour Fret ferroviaire du futur (1) a écrit aux députés pour leur faire part de son inquiétude à ce sujet et l’urgence qu’il y a d’inscrire le secteur. Elle demande en particulier que la loi permette le passage des camions destinés au transport combiné d’une masse de 44 à 46 tonnes.
Par un bel après-midi d'hiver, cette rame de conteneurs s'apprête à traverser la gare de Montpellier Saint-Roch à 90 km/h. Ce mode de transport permet une économie d'émissions de CO2 d'environ 80% par rapport à la route et une économie d'énergie nette de 57%. ©RDS
Le lobby routier français, qui se pose souvent en victime, a profité de la suppression de l’écotaxe par Ségolène Royal alors ministre de l’Environnement, en passant ses tonnages de 40 à 44 tonnes alors que cette augmentation de masse autorisée constituait à l’origine une compensation à l’instauration de ladite taxe. Dans l’affaire, la route a gagné sur tous les plans.
L’alliance 4F enjoint le gouvernement d’éviter « un décrochage rédhibitoire par rapport aux pays européens performants »
Dans sa lettre aux députés, l’alliance 4F écrit en particulier : « Toutes les entreprises ferroviaires, les acteurs du transport combiné, chargeurs et logisticiens qui font œuvre commune pour éviter un décrochage rédhibitoire par rapport aux pays européens performants vous sollicitent pour donner un cadre législatif à la hauteur des enjeux ». Elle poursuit : « Nous vous demandons notamment de faire du doublement de la part modale du fret ferroviaire un objectif national, porté par cette loi qui vise la conciliation de l'écologie et de l'économie ».
Portiques de transfert de conteneurs à Avignon. Pour l'alliance 4F, qui regroupe tous les opérateurs de la filière ferroviaire fret, des plus grands - Fret SNCF, DB-ECR... - aux plus modestes - opérateurs de proximités ou OFP -, l'heure n'est plus aux imprécations écologisantes mais à l'inscription dans la loi des mesures permettant le transfert du fret depuis la route vers les modes les plus économiques et écologiques. ©RDS
Il faut de fait une certaine dose de cynisme – ou d’incompétence – au gouvernement en place pour omettre dans son projet de loi initial la question du mode de transport quand on sait que le transport routier de marchandises émet à lui seul 30,1% des gaz à effet de serre du secteur des transports (19,1 % pour les utilitaires, 21 % pour les poids-lourds), que les véhicules routiers de particuliers en émettent 53 %, alors que le ferroviaire n’en émet que 0,3 % (2). La part modale du ferroviaire dans le transport de fret est de 9 %.
Autre série de chiffres illustrant l’urgence d’un basculement modal si l’on prétend viser un développement économe en énergie et en émissions de gaz : le montant des émissions d’équivalent C02 des grands secteurs économiques français (3).
En 2019, le transport routier a émis 127,7 millions de tonnes d’équivalent CO2, le rail moins de 450.000 tonnes
Il apparaît ainsi qu’en 2019 le secteur du transport routier a émis 127,7 millions de tonnes d’équivalent CO2, se posant de loin comme le premier émetteur. Il arrive loin devant l’agriculture et les sylviculture, qui ont émis 85,5 Mt, le résidentiel et le tertiaire qui ont émis 80,8 Mt, l’industrie manufacturière qui a émis 78,3 Mt, la transformation de l’énergie qui a émis 45,8 Mt, le traitement centralisé des déchets qui a émis 14,2 Mt. Quant aux « autres transports », dont le ferroviaire, le fluvial et surtout l’aérien, ils n’ont émis en 2019 que 8,2 Mt, soit 15,5 fois moins que le secteur du transport routier. Et dans cette part, le ferroviaire (fret et voyageurs) est nettement minoritaire, de l’ordre de 5,3 % des émissions de GES du secteur transport non routier, soit moins de 450.000 tonnes.
Selon le calcul de l’opérateur multimodal T3M, le transport d’un conteneur par rail, c’est 85 % d’émission de CO2 en moins qu’un transport par la route.
Conteneurs rail-route de l'entreprise TAB, sur wagons-berceaux, en attente sur le chantier de Lille. TAB est, avec T3M, intégrée dans le groupe Open Rail, entreprise privée en pointe dans le domaine du transfert modal. (Doc. T3M)
L’alliance 4F est d’autant plus remontée contre l’amnésie du projet de loi climat initial que l’objectif du doublement de la part modale du fret ferroviaire de 9 % à 18 % figure dans les conclusions de la « Convention citoyenne pour le climat », conclave il est vrai singulièrement controversé, mais qu’il a surtout été approuvé par le gouvernement.
Avec une part de 9 %, le fret ferroviaire est loin derrière la moyenne européenne de 18 %... et de celle des Etats-Unis, de 40 %
Or la France figure dans le bas du tableau européen en matière de transport ferroviaire de fret : la part du rail est actuellement de 18 % à l’échelle de l’Union européenne (malgré le mauvais chiffre de la France, qui y est inclus). La Commission européenne s’est donné pour objectif de passer ce taux à 30 % en 2030, se rapprochant ainsi des Etats-Unis où il est de l’ordre de 40 % (mais seulement de 33 % pour les poids-lourds, les pipelines jouant un rôle important), mais loin de la Russie où il atteint 55 %.
Il apparaît donc que la France, plaque tournante en Europe de par sa taille et sa situation, est littéralement submergée par le trafic de poids-lourds, qui atteint 88 % de part modale, comme l’indique un simple coup d’œil sur les autoroutes de transit (A9 et N10 depuis l’Espagne, A1 depuis la Belgique, A6 et A31 depuis l’Allemagne, A40 et A43 depuis l’Italie, etc…).
Non seulement l’alliance 4F demande l'autorisation de camions de 46 tonnes pour le transport combiné rail-route, contre 44 t actuellement, mais elle demande l'obligation de procéder à des études pour connecter les zones d'activités économiques au réseau ferré. Elle entend aussi que l'affichage de l'impact carbone du transport soit ajouté à l'article 1 du projet de loi, qui vise à améliorer l'information du consommateur sur l'empreinte carbone des produits.
La loi climat lutte contre le papier dans les boîtes aux lettres et crée un délit « d’écocide »... mais oublie le transport ferroviaire
Près de 5.000 amendements au projet de loi climat ont été déposés, parmi lesquels 1.500 provenant de la majorité. Mais les débats semblent s’attacher à des détails parfois ubuesques, tels que la réglementation de la publicité déposée dans les boîtes aux lettres ou à des contraintes aussi fumeuses que dangereuses, telles que celle du « délit d’écocide ». Delphine Batho, ancienne ministre de l’Écologie de François Hollande durant un an, juge que ce texte « tourne le dos aux propositions de la Convention citoyenne ». Le groupe LREM est lui-même divisé.
Aperçu du chantier conteneurs de Vénissieux, près de Lyon. La situation tant économique qu'environnementale de la France, pays submergé par les poids-lourds, devrait pousser l'Etat à investir dans le réseau ferroviaire et à inciter au transfert modal. La loi climat semble passer à côté de l'essentiel. ©RDS
La députée Modem, parti allié à LREM, Nadia Essayan déplore dans une tribune publiée par Euractiv.fr que le projet de loi aborde peu l'enjeu de la répartition modale, qu'elle juge « pourtant essentiel » : « Il propose bien la nécessité d’améliorer la performance écologique du transport routier, et c’est indispensable. Mais il ne la situe pas dans la perspective d’une logistique verte européenne intermodale, contributive à la souveraineté de l’Europe, alors que cette idée monte en puissance et commence à mobiliser les régions ». Ce projet de loi « muet sur la double performance, énergétique et écologique, du fret ferroviaire, peu consommateur d’énergie et adaptable à toutes les énergies propres », poursuit-elle.
La « crise sanitaire » autant que la crise économique et financière qui nous guette devraient recentrer les débats sur l’urgence d’un basculement modal vers des transports vertueux en terme d'énergie, de consommation d'espace, de sécurité, de productivité. L'effort devrait porter tant en matière de réglementation qu’en matière d'investissement dans la maintenance et le redéploiement territorial du réseau ferré, préalables à tout développement du fret ferroviaire.
L’actualité du fret ferroviaire est inquiétante : fermetures de lignes, report de l’autoroute ferroviaire Cherbourg-Bayonne
Or la réalité n’augure rien de bon. Raildusud a rapporté le véritable scandale sanitaire et énergétique qu’a constitué la neutralisation de la ligne Sain-Bel-Courzieu-Brussieu près de Lyon, faisant basculer sur la route le transport des produits des carrières de La Patte (Lafarge) jusqu’ici chargées sur wagons, à hauteur de 10.000 poids-lourds par an. La menace est identique dans le Puy-de-Dôme avec les eaux du Mont Dore, menacées de passer à la route en raison de la dégénérescence de la voie Volvic-Laqueuille-Le Mont-Dore. Chaque fois, le désengagement de l’Etat via une SNCF Réseau aux finances exsangues est mis en cause.
Faisceau de chargement des granulats extraits de la carrière de La Patte, dans la vallée de la Brévenne. Cette installation est neutralisée depuis fin 2019 en raison du refus de maintenance de la ligne Sain-Bel-Brussieu par SNCF Réseau, en manque de ressources financières. Dix mille camions supplémentaires circulent depuis sur la route de la vallée, notoirement encombrée. A Paris des discours, sur le terrain des camions. ©RDS
Dans le domaine du transport international la mise en service de l’autoroute ferroviaire Cherbourg-Bayonne, maillon d’une liaison entre le Royaume-Uni et la péninsule ibérique, qui devait être effective en ce printemps 2021 est repoussée (officiellement) à la fin de l’année 2022. Initiée par Brittany Ferries, cette autoroute visait à transporter par trains les semi-remorques sur leur parcours français. Elle permettrait ainsi d'éviter aux camions 950 kilomètres de route jusqu'à la frontière espagnole, avec de conséquentes économies de temps, de carburant et d’émissions de GES. Le report est officiellement mis sur le compte de la « crise sanitaire » et du « Brexit ».
… mais plusieurs initiatives montrent que le travail paie : VIIA au Boulou, T3M en international
D’autres exemples montrent que les espoirs restent de mise. A l’est de la frontière franco-espagnole, VIIA Connect, filiale de la SNCF, agrandit le terminal raill-route du Boulou (Pyrénées-Orientales) qui expédie et reçoit des trains de Bettembourg, Mâcon, Calais. La capacité d’accueil de ce « port sec » va être augmentée de 4.500 m2 « pour répondre à la demande croissante », explique VIIA. SNCF Réseau accompagne ce développement en ayant installé, depuis janvier, un Block automatique à permissivité restreinte (BAPR), une signalisation moderne, sur l’antenne de 17 km qui relie les chantiers multimodaux du Boulou à Elne, sur la ligne Narbonne-Port-Bou.
En h.: aperçu des espaces de transit route-rail du chantier VIIA au Boulou (Pyrénées-Orientales). En b.: depuis la plateforme d'Aproport à Mâcon, des rames VIIA sont formées pour ou depuis Le Boulou et Calais. (Documents VIIA)
De son côté l’entreprise montpelliéraine T3M a connu une année positive malgré la « crise sanitaire ». La filiale du groupe Open Modal, qui réunit aussi le spécialiste rail-route TAB et le gestionnaire de onze terminaux BTM, n’a vu son chiffre d’affaire ne décliner que de 6 ,5 % à 43 M€. L’impact de la grève de début 2020 contre la réforme des retraites puis la « crise sanitaire » a été partiellement compensé par une augmentation des tonnages transportés dans certains secteurs tels que l’alimentaire, l’hygiène et les boissons. En fin d’année, T3M a été intégré à Open Rail, le nouvel opérateur ferroviaire du groupe. En 2021, la hausse des revenus de T3M pourrait atteindre 12 %, favorisée par le partenariat conclu par l’entreprise avec l’Allemand Hupac pour correspondance de la liaison T3M Paris-Novara avec les liaisons Hupac de Novara vers Pescara et Bari soit des parcours atteignant 1.700 km.
Voici des exemples d’initiatives (privées ou parapubliques) misant sur le fret ferroviaire. Il serait temps que le législateur les encouragent avec, comme autre priorité, la maintenance et le développement du réseau. Car sans rails, pas de trains.
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(1) L’alliance 4F réunit les principales entreprises de transport ferroviaire de fret - Fret SNCF, DB Euro Cargo Rail ECR, VFLI, Europorte, Lineas, RegioRail, Millet Rail -, les principaux opérateurs de combiné multimodal en France - Novatrans, Naviland Cargo, T3M, Froidcombi -, l’opérateur d’autoroutes ferroviaires VIIA, le commissionnaire Forwardis, les opérateurs ferroviaires de proximité réunis au sein de l’association Objectif OFP, l’Association Française du rail (AFRA), le Groupement National du Transport Combiné et plusieurs autres associations d’entreprises spécialisées
(2) https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat/11-emissions-de-ges-des-transports
(3) https://www.insee.fr/fr/statistiques/2015759