Perpignan-Figueras : dix ans mais une offre à dynamiser, entre régions mitoyennes comme vers le reste de l’Europe
C’était le 19 décembre 2010, il y a dix ans déjà. La section internationale mixte fret-grande vitesse qui franchissait la barrière pyrénéenne orientale par le tunnel bitube du Perthus (8.326m) fut mise en service ce jour-là. Le bilan de cette section de 44,4 km, construite puis gérée par TP Ferro (Eiffage-ACS Dragados) avant d’être reprise après dépôt de bilan en 2016 par LFP Perthus (Lineas Figueras Perpignan SA), copropriété des deux gestionnaires d’infrastructures encadrants, Adif (Espagne) et SNCF Réseau (France), reste largement en-dessous des espérances. Le trafic fret est resté limité à quelques trains de conteneurs avant d’être tout récemment ouvert à des citernes. Le trafic voyageurs, conçu côté SNCF dans une optique purement parisienne et négligeant gravement les relations interrégionales transfrontalières, est limité à environ trois Paris-Barcelone SNCF. La Renfe quant à elle, a été chargée d’exploiter les relations « province » française-Espagne ce qui répond à une division du travail assez édifiante. Elle exploite un Lyon-Barcelone et un heureux Marseille-Madrid.
Côté français, la mixité de la totalité de la future ligne nouvelle Perpignan-Montpellier est demandée par les associations
La ligne à grande vitesse et écartement UIC (1,435 m) côté espagnol ne fut mise en service qu’en 2013, handicapant gravement le lancement des services internationaux par Le Perthus durant trois années. Ce retard a été plus grave que le retard à la construction d’une ligne à grande vitesse Montpellier-Perpignan, le réseau classique français n’étant pas, contrairement à son voisin espagnol, d’un écartement différent de celui de la ligne binationale LFP Perthus. La totalité du trafic peut donc poursuivre au nord sur les 160 km qui séparent Perpignan de Lattes, à l’entrée ouest de Montpellier, amorce de la ligne mixte fret-grande vitesse CNM (Contournement de Nîmes et Montpellier.) On remarquera qu’aucun train à grande vitesse binational SNCF ou Renfe, d’emprunte actuellement le CNM et ne dessert ses gares exurbanisées. Pourtant ils avaient été présentés lors de leur conception comme des équipements précisément destinés à la grande vitesse internationale.
Extrait de la carte du Réseau ferré national, concernant la zone de l'axe oriental France-Espagne. On remarque qu'au nord de Samse, la ligne historique longe ou traverse de vastes étangs. Le maintien sur cette ligne des trains de fret comme il est envisagé avec construction d'une ligne nouvelle Narbonne-Perpignan exclusivement grande vitesse, est vivement dénoncé par les associations adhérentes de la Fnaut.
Reste que la construction du segment Montpellier-Perpignan de ligne nouvelle présente un intérêt considérable, surtout s’il est conçu pour un trafic mixte fret-grande vitesse sur la totalité de son parcours. Or à ce jour, seule la partie la plus avancée du projet, la section Montpellier-Béziers, est garantie pour accepter un tel trafic mixte. Pour des raisons d’économies, Paris privilégie pour la section Béziers ou Narbonne-Perpignan une ligne exclusivement grande vitesse, qui en exclurait le fret. Cette conception minimaliste est vivement critiquée par les associations liées à la Fnaut telles Sud TGV Environnement.
De fait, le maintien de tout le fret sur a ligne classique du littoral entre Narbonne et Perpignan heurte de plein fouet plusieurs autres impératifs : celui du désengorgement de la ligne classique en faveur de trafic voyageurs régional, celui du report du trafic international de la route sur le rail qui exige une augmentation de la capacité de l’axe, et celui de l’éloignement de l’infrastructure des zones palustres et de la mer. De fait, de Narbonne à Port-la-Nouvelle, la ligne classique traverse en particulier l’étang de Bages au ras des flots et constitue ainsi l’une des lignes les plus exposées à la mer que compte le réseau français.
Le bilan du trafic binational par le tunnel du Perthus laisse à désirer
Un bilan dressé par l’agence de presse catalane ACN, et rapporté par le quotidien perpignanais L’Indépendant, pointe la sous-utilisation de ces 44,4 km de ligne binationale. En dix ans, seulement 30.000 circulations commerciales l’ont empruntée soit une moyenne d’un peu plus de huit trains par jour deux sens confondus, ce qui est effectivement dramatique pour un investissement initial dans l’infrastructure d’environ 1,1 milliard d’euros valeur 2004, soit 24,77 millions d’euros par kilomètre.
Le bilan du trafic voyageurs, indique l’ACN, s’élève à 6,1 millions sur la décennie. Si le nombre paraît élevé, il ne correspond qu’à une moyenne d’environ 1.670 par jour. Pour autant, avant la « crise sanitaire » qui a paralysé le trafic voyageurs trois mois durant au printemps puis plus d’un mois cet automne, le nombre de circulations voyageurs atteignit jusqu’à quatorze par jour en saison.
ACN indique que 29 % des voyageurs qui ont utilisé le tronçon Perpignan-Figueras vivent en France, 25 % ont une résidence en Espagne et 47 % dans d'autres pays, ce qui souligne la dimension touristique de ces services. Un autre chiffre le confirme : 88 % ont choisi ces trains pour raisons touristiques, avec un taux de satisfaction qui atteint 86 %.
Montpellier et Perpignan font partie des destinations préférées alors que l’amplitude horaire de leur desserte est limitée
En France, Paris, Montpellier et Perpignan sont les destinations préférées des usagers. Ces trois villes représentent 70 % du trafic Espagne-France. A l'inverse, Barcelone capte 68 % de la clientèle française suivi de Figueras et Gérone (27 %). Ces quelques chiffres démontrent l’importance, au moins potentielle de la clientèle interrégionale, soit Occitanie-Catalogne.
Viaduc sur la Muga, à Pont de Molins, à 5,7 km au nord de la gare de Figeras Villafant. Long de 656 m, il s'agit du plus long viaduc de la ligne Perpignan-Figueras, laquelle totalise 44,4 km dont 8,325 km en souterrain sous le col du Perthus. (Doc. Wikipedia/Jordi Coll Costa)
Or l’amplitude horaire de l’offre voyageurs via le tunnel du Perthus est tout sauf adaptée aux trafics entre les deux régions mitoyennes. Non seulement le train à grande vitesse AVE de la Renfe reliant Toulouse à Barcelone a disparu hors quelques circulations estivales, mais les horaires de départ/retour depuis Nîmes, Montpellier, Béziers, Narbonne et Perpignan vers Figueras, Gérone et Barcelone interrégionale ne permettent pas d’effectuer un déplacement dans la journée digne de ce nom. En période normale, le premier train à grande vitesse disponible à partir des gares du Languedoc à destination de l’Espagne est le Marseille-Madrid qui dessert Nîmes Centre et Montpellier Saint-Roch autour de 9 h 00/9 h 30 seulement, largement trop tard pour permettre un séjour d’une journée à Barcelone.
C’est la raison pour laquelle une société espagnole du nom d’Ilsa (intermodalidad del Levante SA), filiale d’Air Nostrum, avait prévu d’introduire deux allers-retours en début et fin de service, pour compléter cette trame qui ignore les besoins de populations pourtant physiquement proches. Ces trains en « open access », projetés entre Montpellier Saint-Roch, Barcelone et Madrid à partir de 2018, n’ont jamais vu le jour.
La diversification s’impose : à courte distance entre Languedoc et Catalogne, à longue distance avec Provence, Suisse et Italie, à très longue distance avec l’Allemagne, le Luxembourg
Pourtant, il est impératif que cet investissement monte en puissance. Pour le trafic voyageurs par une diversification de l’offre à destination des régions mitoyennes, nous l’avons vu, mais aussi de la longue distance et très longue distance, en sortant de l’étoile parisienne.
Pour la longue distance, le rétablissement d’une liaison Genève-Barcelone étendue à Madrid, par le sillon alpin, ne serait pas moins légitime que le Catalan Talgo des années 1960. Sur l’axe sud-sud, une liaison Vintimille-Barcelone amorcerait un lien ferroviaire voyageurs Italie-Espagne tout en réintroduisant enfin des parcours directs Provence-Languedoc, supprimée depuis la raccourcissement d’un Bordeaux-Nice à Marseille.
Proposition de réseau TEE 2.0 imaginé par le ministère fédéral allemand des Transports et de l'Infrastructure digitale. La section binationale Perpignan-Figueras est concernée dès la phase de court-terme (à g.) avec un Amsterdam-Barcelone et un Berlin-Barcelone. Ces TEE 2.0 sont proposés soit sous forme de rames à grande vitesse diurnes, soit sous forme de trains de nuit. La phase de long terme est représentée sur la carte de droite. Mais d'autres liaisons binationales sont bien sûr recommandables. (Doc. Bundesministerium für Verkehr u. digitale Infrastruktur)
Pour la très longue distance, le programme TEE 2.0 proposé récemment par l'Allemagne imagine déjà un Berlin-Francfort-Lyon-Montpellier-Barcelone et un Alsterdam-Barcelone par Paris et Lyon. En outre, l’extension vers l’Espagne du TGV quotidien Luxembourg-Montpellier via Strasbourg pourrait avoir toute sa pertinence, voire la création d’un Luxembourg-Lyon-Barcelone direct de Metz à Dijon via Culmont-Chalindrey.
Côté fret, la moyenne actuelle de 3,5 trains par jour est évidemment cruelle. La Commission européenne avait estimé en 2018 que le trafic n'était utilisé qu'à 7,5 % de ses capacités en transport de marchandises. Comme nous l’indiquions par ailleurs (1) la Renfe, qui compte étendre son réseauà voie UIC, teste un nouveau trafic de citernes entre Tavaux (Jura) et Martorell (Catalogne), par le tunnel du Perthus, afin de valider l'acheminement de wagons classiques sur cette ligne à écartement standard, une première pour ce type de rames fret.
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(1) Voir notre article