Les urgentistes de SNCF Réseau au chevet de « l’étoile de Breil », qui a démontré sa fonction vitale après la tempête Alex
Les lignes Nice-Breil (44 km) et Cuneo-Tende-Breil-Vintimille (99,5 km) font la une de l’actualité depuis que les hauts cantons des Alpes-Maritimes et de la province d’Imperia ont été dévastés par la tempête Alex le 2 octobre 2020. Ces axes ferroviaires à voie unique de « l’étoile de Breil », mis en service en 1928, interrompus entre Breil et Tende pour faits de guerre en 1943 et 1944, rouverts en octobre 1979, ont démontré leur fonction essentielle et l’excellence de leur construction.
Pourtant depuis des années les deux réseaux, français et italien, tendaient à considérer ces lignes comme une charge dont il convenait de se débarrasser par désinvestissement d’entretien, éventuel prétexte à une fermeture pour « dégradation des composants de la voie ».
Tout semble avoir changé avec Alex. Le 30 novembre, Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des Transports, a annoncé le déblocage de 10,5 millions d’euros par l’État pour achever les travaux qui permettront début 2021 le rétablissement des circulations entre Breil et Saint-Dalmas-de-Tende, la section mise à mal par Alex. La Région Provence-Alpes-Côte d'Azur s'est engagée à apporter 7,5 millions, le département des Alpes-Maritimes deux millions.
Le total des devis de confortement des ouvrages et réhabilitation de la voie s'élève à 20 millions d'euros, côté français. Toutefois pour Anne-Marie Dubois, du Collectif Ligne Nice Breil Tende Cuneo, « il ne faudrait pas en rester à la réparation de secours mais une vraie remise en état de cette ligne si utile, si résistante ! »
La « ligne de vie », conçue avec grand soin par les ingénieurs du début du XXe siècle
Malgré des dégradations en plusieurs endroits – affouillements, submersion avec lessivage de ballast – entre Breil et Tende, la continuité de l’exploitation a pu être assurée de Nice à Breil et plusieurs kilomètres au-delà, ainsi qu’au nord de Tende vers Limone et Cuneo. La ligne, conçue avec grand soin par les ingénieurs du début du XXe siècle, est ainsi devenue une « ligne de vie » essentielle alors que le réseau routier, construit plus près des cours d’eau, était bien plus gravement et durablement atteint.

Extrait de la carte du Réseau ferré national. La ligne Nice-Breil mesure 44 km, les sections Breil-Tende 26 km, Breil-Vintimille 21,7 km, la totalité de l'axe Cuneo-Tende-Breil-Vintimille 99,5 km. La distance entre Turin et Nice via Tende et Breil est de 208 km.
La SNCF a démontré en cette occasion, avec l’autorité organisatrice régionale de Provence-Alpes-Côte d’Azur, une remarquable adaptabilité. Très rapidement, une rame régionale AGC était convertie en rame fret pour acheminer des « biens essentiels », en particulier de l’eau potable.
D’autres mesures étaient rapidement prises : station provisoire en pleine ligne à proximité d’une interruption de voie, avant Saint-Dalmas de Tende, navettes voyageurs avec Nice. Du côté italien, des liaisons Tende-Limone étaient rétablies, palliant l’interruption durable de la route du tunnel du col de Tende. Parallèlement, les équipes de SNCF Réseau entamaient les travaux de rétablissement de la continuité de la voie et de confortement des ouvrages d’art dont la stabilité était menacée.
Des acheminements très rapidement rétablis de Nice à Fontan-Saorge puis Saint-Dalmas de Tende
« Après Alex, la mobilisation des équipes SNCF Réseau a permis de rétablir en quelques jours les circulations acheminant voyageurs, vivres et matériel jusqu’à Fontan-Saorge, puis jusqu’à Saint-Dalmas-de-Tende », rappelle la SNCF dans un communiqué mis à jour le 30 novembre. « Depuis, kilomètre après kilomètre, les agents de l’Infrapôle, de l'Infralog et ceux du Groupe NGE travaillent jour et nuit pour effectuer les travaux sur la voie et ses installations, sécuriser les ouvrages d’art, et permettre la réouverture de la ligne jusqu’à Tende en toute sécurité, et dans les meilleurs délais », poursuit la SNCF.
L’Infrapôle est l’établissement local de SNCF Réseau en charge de la maintenance, l’Infralog est son équivalent en charge des travaux lourds, principalement sur l’infrastructure. Le groupe NGE est une grande entreprise de travaux publics, adjudicataire de plusieurs missions sur ces chantiers d’urgence.
Vidéo explicative publiée par SNCF Réseau fin novembre. On mesure le souci d'assurer au plus vite la sécurité de cette ligne de vie.
Le principal problème que doit traiter SNCF Réseau en cette fin d’automne est celui de la stabilité de plusieurs ouvrages. « La violence des intempéries a par endroits rendu les pentes instables aux abords des voies, et la conduite des différents chantiers nécessite une vigilance permanente », explique SNCF Réseau.
« C’est par exemple le cas quelques kilomètres avant Fontan, au niveau du mur à arcatures, que les équipes sont en train de consolider et où les circulations s’effectuent aujourd’hui au pas : le talus sur lequel repose cet ouvrage de grande hauteur est fragile et les capteurs et autres relevés topographiques ont révélé que l’ouvrage est descendu de 14 mm ces derniers jours. La côte d’alerte, fixée à 20 mm, pourrait être atteinte rapidement. »
Des agents encordés, des enrochements et des coulées de béton pour le mur à arcatures proche de Fontan
Sur ce mur à arcatures proche de Fontan, SNCF Réseau a dû prendre le 29 novembre la décision de suspendre à nouveau la circulation des trains entre Fontan et Saint-Dalmas. « En parallèle des opérations de renforcement de l’ouvrage, que les agents effectuent le plus souvent encordés, des travaux d’enrochement supplémentaires sont nécessaires pour bloquer le talus au pied. Ils devraient durer environ trois semaines, en travaillant 7j/7 et 24h/24 », indique l’entreprise publique. Des injections de béton étaient en cours pour conforter l’assise de l’ouvrage.
L'imposant bâtiment de la gare de Breil. Inauguré en 1928 et au centre d'une étoile ferroviaire internationale vers Nice, Vintimille et Cuneo, il est un exemple de l'ambition ferroviaire des gouvernements et des compagnies durant l'entre-deux-guerres (ici le PLM). Son architecture remarquable, d'inspiration régionaliste, évoque celle des autres gares de la ligne, en particulier l'ancienne gare-frontière de Saint-Dalmas de Tende, alors en Italie, ou, sur d'autres réseaux, l'immense gare frontière Espagne-France de Canfranc (1928 aussi), la magnifique gare thermale de Néris-les-Bains (1931)... (Doc. Wikipedia)
Sur le long chemin de la réouverture complète de la « ligne de vie » des habitants de la Roya, c’est une étape de plus à franchir pour les équipes SNCF Réseau. Le simple fait que SNCF Réseau utilise l’expression « ligne de vie » peut laisser espérer que les anciens, dus au manque d’entretien en aval vers Nice seront enfin traités, eux aussi, pour revenir à des temps de parcours Nice-Breil inférieurs à 1 h 10 mn pour seulement 44 km. Et que les exploitants français et italiens rétabliront la fonction internationale/interrégionale de cette « étoile de Breil » qui vit à sa mise en service passer des Turin-Nice et des Turin-Vintimille.
À ce sujet, une conférence bigouvernementale à décidé la semaine dernière de revoir la convention qui confiait à l'Italie la gestion de l'axe Cuneo-Tende-Breil-Vintimille, prélude probable à sa reprise en main. « Les délégations se sont fixé comme objectif partagé de procéder dans les meilleurs délais à l'accomplissement des procédures nécessaires à l'entrée en vigueur de la nouvelle convention», ont fait savoir les deux gouvernements.