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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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27 août 2020

Bureaucratie, gaspillage, marginalisation territoriale : l’histoire de la section fret Souvigny-Moulins

 Longue de 66,7 km, la ligne Commentry-Moulins était l’élément principal de l’axe ferroviaire structurant reliant Montluçon à Moulins (80,65 km), grandes  villes du département de l’Allier, toutes deux en grande souffrance économique et démographique. Cette section a été officiellement fermée, donc retirée du réseau ferré national, en avril 2019 tandis que la route express presque parallèle est élargie et transformée en autoroute à péage pour 506 millions d’euros. L’histoire récente de la section nord Souvigny-Moulins (14 km), reliquat ferroviaire réservé au fret jusqu'en 2014, est emblématique de la gabegie bureaucratique et du mépris des territoires.

 Près de Souvigny, par ailleurs site clunisien historique et touristique de grande valeur, la société CERF, filiale de Colas (Groupe Bouygues), exploite la carrière de Meillers, de laquelle sont expédiées des tonnes de quartzite destinée à l’industrie lourde des hauts-fourneaux de Maurienne, en Savoie, et de calcédonite. La carrière produit de l’ordre de 55.000 tonnes de quartz par an.

BB67400 Moulins à Souvigny 08-2012BB67400 à Souvigny, en août 2012, tractant des wagons tombereaux destinés au transport de la quartzite de la carrière de Meillers, deux ans avant le début de travaux de réhabilitation... qui ne furent jamais terminés. © Stéphane Périchon, RDS

 Alors que la relation voyageurs Montluçon-Moulins a été transférée sur route en 1972 et que la desserte fret de bout en bout a été supprimée en 2005, la section Souvigny-Moulins a continué à être exploitée au bénéfice de la CERF jusqu’en 2014.

Des travaux de rénovation sur 14 km entamés pour 2 millions d’euros, jamais terminés

 Cette année-là furent entamés des travaux de rénovation de cette section Souvigny-Moulins par le gestionnaire d’infrastructure, alors dénommé RFF, et la région Auvergne dans le cadre du volet fret du plan-rail Auvergne. Il s’agissait principalement de remplacer des traverses en état de décomposition, des longrines sur le viaduc en treillis métallique long de 337 m et de renouveler du ballast. Après appel d'offres,  ces travaux de réhabilitation ont été lancés par Sferis, filiale de droit privé de la SNCF spécialisée dans les travaux ferroviaires. Puis ils se sont brusquement arrêtés.

  Deux millions d’euros avaient été engagés par RFF pour les effectuer mais le gestionnaire d’infrastructure a soudain fait savoir « qu’il en manquait au moins le double » pour mener à bien la restauration de la voie. Le double n’est jamais arrivé.

 Le quartz est  passé à la route, et définitivement puisque cinq ans plus tard SNCF Réseau, continuateur de RFF, fermait définitivement l’ensemble de la ligne Commentry-Moulins.

09022014176Train de travaux en gare de Souvigny, en 2014. Deux millions d'euros ont été dépensés pour changer des traverses, renouveler le ballast, conforter le viaduc de Moulins. Comme il manquait deux autres millions la section a été fermée, purement et simplement. © Stéphane Périchon, RDS

 Jusqu’à 2014, les camions de la CERF remplis de quartz n'avaient que dix kilomètres à parcourir pour charger les wagons à destination de la Maurienne en gare de Souvigny où un quai haut était aménagé. Jadis, une voie étroite industrielle pour wagonnets reliait même la carrière à la gare de Souvigny. Depuis la suspension de tout trafic sur la ligne, les poids-lourds de la CERF doivent parcourir trois fois plus de kilomètres – une trentaine - pour aller charger des trains en gare de La Ferté Hauterive, sur l’axe radial Paris-Clermont-Ferrand, à mi-chemin entre Moulins et Vichy.

 Dans un entretien avec le quotidien La Montagne publié le 11 septembre 2014, Michel Pinel, le directeur de la CERF, déclarait : « La solution de la gare de La Ferté Hauterive ne peut être que provisoire. Car nous avons un client à satisfaire. Nous devons le satisfaire d'autant mieux que nous sommes en concurrence avec des carrières qui, elles, n'ont aucun souci de transport : certaines sont même directement embranchées sur des lignes ferroviaires ».

La CERF n’était un client « unique » que parce que les autres trafics avaient été délibérément asséchés

 En interne, l’argument classique de la bureaucratie ferroviaire a consisté à argumenter qu’il était dispendieux d’investir 2 millions d’euros de plus pour permettre à un seul client d’économiser des kilomètres-camion. En omettant de préciser que ce client n’est « unique » que parce que le système ferroviaire a progressivement et délibérément asséché les autres trafics de la ligne, voyageurs ou fret.

Pourtant, cette ligne permettrait une liaison Paris-Montluçon via Moulins potentiellement aussi rapide que via la vallée du Cher et Vierzon, sans bien sûr s'y substituer mais au contraire en la complétant.  Elle permettrait de plus des correspondances rapides à Moulins vers Nevers, Digoin, Paray, Le Creusot, Dijon, la ligne de l'Azergues... Bref un élément important du maillage régional et de l'intégration territoriale.

Photo0174Viaduc sur l'Allier à Moulins, après travaux de remplacement des longrines.... et barriérage pour interdire tout passage. Cette voie permettait de relier Montluçon à Moulins en desservant Souvigny et Commentry, offrant un parcours Paris-Montluçon potentiellement  plus court que par Vierzon. Les cars de substitution, qui ne desservent pas Commentry, offrent le même temps de parcours que les trains de 1956 qui, eux, desservaient Commentry. © Stéphane Périchon, RDS

 Aujourd’hui, entre les deux principales villes de l’Allier, l’offre routière équivaut peu ou prou à l’offre ferroviaire de… 1956 en matière de temps de parcours (1h40mn pour 80,65km par rail) et de fréquence (4 par jour) mais sans desserte de Commentry en service de base (notre article du 11 octobre 2019) et en imposant une rupture de mode et de tarification pour les destinations au-delà des extrémités.

 Quant à ce qui reste de la ligne Commentry-Moulins, SNCF Réseau, qui l’a officiellement fermée, n’est plus contrainte que d’assurer sa non-dangerosité vis-à-vis des tiers.  Hormis cette sujétion, la ligne continuera de se dégrader et une hypothétique remise en service par un opérateur alternatif au monopole d’Etat verra son coût croître d’année en année et sa probabilité diminuer d’autant.

 IMG_20200810_094127Pour deux autres millions d'euros, les travaux n'ont jamais été achevés. Cinq ans après suspension des opérations sur Souvigny-Moulins en 2014, l'ensemble de la ligne Commentry-Moulins a été retirée du catalogue du réseau ferré national par SNCF Réseau. Le quartz de CERF est prié d'être livré par camions à La Ferté Hauterive, moyennant un longueur de parcours routier multipliée par trois. © Stéphane Périchon, RDS

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Commentaires
T
Quelques précisions sur les travaux ayant eu lieu sur cette ligne :<br /> <br /> 1) la ligne jusqu'à Souvigny n'était pas du tout menacée de fermeture, il s'agissait de changer les traverses les plus abîmées pour pérenniser son exploitation (la ligne était parcourue à 30km/h et 10km/h sur le pont de fer à Moulins).<br /> <br /> 2) il n'a jamais manqué 2 millions supplémentaires mais les travaux, sous-traités en cascade, ont été catastrophiques. La volonté de faire travailler des entreprises privées, en lieu et place de cheminots ayant les compétences nécessaires, a eu pour conséquence de détruire de nombreux composants de la voie et des installations annexes. Le rapport fait par les cheminots en charge de "réceptionner" les travaux est sans appel de ce point de vue. Lamentable... Et effectivement, il aurait fallu remettre environ 2 millions pour rattraper le désastre constaté sur cette ligne.<br /> <br /> 3) le problème n'est pas bureaucratie mais la privatisation à petit feu : plus cher, moins bon, comme toujours.<br /> <br /> 4) Les payeurs (SNCF, état, conseil régional, ...) n'ont jamais obligé l'entreprise qui a fait n'importe quoi à payer et/ou remettre en état. Les conflits d'intérêts sont légions désormais dans le ferroviaire comme ailleurs. C'est inadmissible et pour certains : c'est de la corruption.<br /> <br /> L'entreprise a tranquillement continué à travailler en sous-traitance. Les malfaçons se sont poursuivies sur d'autres chantiers mais aussi avec d'autres sous-traitants. Aucun n'a jamais rien payé et ils ont tous été re sollicité systématiquement...<br /> <br /> Il y a une solution : retrouver un vrai service public SNCF, dirigée par des ingénieurs et des techniciens qui connaissent le boulot avec des projets de développement pour mobiliser le personnel. C'est possible, question de volonté politique.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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