TGV et Intercités : le maquis tarifaire dénoncé par la revue 60 Millions participe de l'exclusion sociale
Difficile pour Raildusud de ne pas évoquer pour ses lecteurs l’étude publiée par la revue 60 Millions de Consommateurs dans sa dernière livraison qui conclut à « l’opacité » et aux « grands écarts » des tarifs pratiqués par Voyages SNCF sur ses services TGV et Intercités. Cette étude exclusive sur plus de 2.800 trains compare d’une part les prix moyens pratiqués en 2e classe sur une série de relations par rapport au plafond tarifaire imposé par l’Etat, et d’autre part les écarts de prix et de services. Le résultat est que la tarification pratiquée relève du maquis et que les services sont peu lisibles : TGV Inoui, Ouigo, services internationaux; TER avec ou sans réductions liées aux cartes commerciales… La fixation des prix en fonction de la demande favorise l'exclusion sociale en pénalisant les publics contraints aux périodes d'affluence.
Notre étude exclusive compare le prix réel des billets au plafond tarifaire des principales lignes TGV. Voici celles où les prix s'envolent le plus. Trop cher, le TGV ? L'impression est tenace chez les consommateurs, malgré les démentis réguliers de la SNCF.
https://www.60millions-mag.com
Lien vers la page d'accueil de l'étude de 60 Millions de Consommateurs. L'édition de mars du magazine est disponible chez les marchands de journaux.
Benjamin Douriez, rédacteur en chef adjoint du magazine édité par l’Institut national de la consommation, relève que « cette opacité est un peu consubstantielle au yield management », système appliqué depuis l’apparition des premiers trains à grande vitesse et la gestion informatique de la billetterie, et qui consiste à lier le prix à le demande pour obtenir un remplissage maximal des trains au meilleur revenu pour l’exploitant. Ce système introduit en 1981 impose la réservation obligatoire et rigidifie considérablement l’accès au train.
Ile-de-France - Aix-en-Provence-TGV : de 10 euros à 116 euros !
Les écarts les plus importants sur une même relation ont été relevés pour les TGV reliant l’Ile-de-France à Aix-en-Provence-TGV : ils s’étagent entre 10 euros pour un Ouigo au départ de Marne-la-Vallée à 116 euros pour un TGV Inoui au départ de Paris gare de Lyon, la moyenne étant de 47 euros en semaine et de 81 euros pour un départ en week-end. Le plafond tarifaire est de 116 euros et la moyenne de prix par rapport à ce plafond s’établit à 57%.
La moyenne de prix la plus élevée par rapport au plafond tarifaire imposé par l’Etat est constatée sur la ligne maîtresse Paris-Lyon, à 74%, ce qui est considérable. Suivent Reims-Paris (67%), Grenoble-Paris (64%), Dijon-Paris (63%). Marseille-Paris atteint 56%, Toulon-Paris et Montpellier-Paris 54%. En dessous des 50%, on trouve pour le grand Sud-Est Lyon-Montpellier, qui affiche une moyenne de 48% par rapport au plafond tarifaire, Lyon-Marseille 48%, Toulouse-Paris 47%. La revue n'établit pas de comparaison entre les moyennes des prix kilométriques.
Pour la veille d'un pont, tous les prix étaient au maximum dès l'ouverture des réservations
Le responsable de la revue 60 Millions de Consommateurs explique par ailleurs qu’anticiper son achat « ne suffit pas toujours » pour obtenir des prix plus avantageux. Ainsi, pour voyager la veille d’un pont du 8 mai, tous les billets ou presque étaient vendus au prix maximum dès l’ouverture de la réservation soit deux mois auparavant. « On est au prix fort au moment où le voyageur est le plus captif », a dénoncé M Douriez. De fait, les salariés qui partent en congé massivement sur la même période remplissent rapidement les trains ce qui entraîne une hausse des tarifs – forte demande, prix élevés – calculée à la vitesse de la lumière par les algorithmes informatique. En un mot, la libéralisation des tarifs est synonyme d’exclusion sociale, mal compensée par les cartes de réduction.
Ouigo en provenance de Paris et Inoui en provenance de Nantes à Montpellier-Sud-de-France. Deux systèmes de tarification indépendants, des variations de prix considérables (2020). ©RDS
Restent les Ouigo. Mais ces trains présentent de fortes contraintes – contrôle 30 minutes avant le départ, tarification des gros bagages, quasi-impossibilité de changer d’horaire, absence de restauration, densité de sièges élevée… - véritables résurrection de la 3e classe et ne circulent que sur un nombre limité de relations, toutes centrées sur l’Ile-de-France, à des fréquences faibles, et se développent aux dépens des fréquences TGV classiques.
La revue avait décerné en janvier un « cactus d'or » à Voyages SNCF pour ses retards, fermetures de guichets et cartes de moins en moins avantageuses. Elle dénonce par ailleurs un autre maquis, celui des cartes de réduction, qui ne sont plus acceptées sur les circulations TER dans toutes les régions de façon équivalente : soit la réduction qu’elles permettent est totalement appliquée, soit partiellement, soit pas du tout.
En 1981, une rupture brutale avec les principes de tarification basés sur une grille stable
L'arrivée du TGV correspondit à une rupture brutale dans le système de tarification des nouvelles liaisons à grande vitesse qui allaient par la suite se généraliser par extension du réseau de LGV. La nouvelle tarification par yield management et réservation obligatoire s'étendit ensuite à des axes Intercités, en particulier la transversale sud.
Auparavant, la tarification de base était kilométrique. Chaque kilomètre était tarifé à un certain prix, qui dans les années 1960 fut rendu décroissant par paliers en fonction de l'augmentation de la distance parcourue. Il était donc loisible à chacun d'évaluer précisément le coût de base de son voyage à partir de la lecture d'une grille de prix kilométriques publiée dans les premières pages de l'indicateur officiel (qui a totalement disparu depuis une vingtaine d'années) et des kilométrages précis intégrés en face de chaque gare à partir de l'origine de la ligne dans tous les tableaux horaires.
La modulation des prix existait toutefois, mais sur des critères basés presque exclusivement sur le client-usager. On relevait d'abord les critères sociaux avec les cartes d'abonnement pour les salariés et étudiants (jusqu'à 70km) à prix cassés, avec les cartes de réduction à taux fixe pour les familles nombreuses (trois enfants et au-delà), avec les billets de congés annuels, avec les billets aller-retour incluant un jour de fin de semaine, avec les cartes d'invalidité, etc...
Venait ensuite le critère de fidélité avec les cartes d'abonnements à demi-tarif ou de libre circulation sur une ligne, un groupe minimal de zones ou la France entière. C'était un vecteur important de la politique commerciale de l'époque.
Billets carton de l'avant-TGV. Pour du régional, de l'inter-régional ou du national, un tarification basée sur la simplicité du tarif kilométrique décroissant en fonction de la distance, avec des modulations essentiellement liées aux critères sociaux et à la fidélité. Le temps de délivrance d'un billet au guichet ne dépassait généralement pas la demi-minute. ©RDS
Il existait bien sûr une modulation favorable au transporteur: celle des classes (trois jusqu'en 1956, deux ensuite), et celle des éventuels suppléments sur certains trains de prestige parfois limités à la 1ère classe. Notons que dans les années 1970-1980, ces suppléments pouvaient s'acheter par carnets de tickets prépayés, facilitant le basculement d'un train à un autre.
Tous les systèmes de réductions, sociaux ou de fidélisation, s'appliquaient autrefois sur un tarif de base stable
Tous ces systèmes de réductions s'appliquaient sur un tarif de base stable et valable sur tout le réseau, ce qui permettait une anticipation et une mémorisation aisées... Et, ce qui n'est pas négligeable, une délivrance rapide des titres de transport quand aujourd'hui le choix d'un horaire demande une longue réflexion. Et quand un train était surchargé, il était possible d'engager une rame de doublage ne figurant pas à l'indicateur, ce qui était relativement fréquent en super-pointes entre Paris et Lyon.
Si actuellement les anciens outils sont partiellement repris (carte week-end, abonnements TER ou TGV étudiants ou salariés, abonnements commerciaux, etc...), ils divergent d'un service (grandes lignes Inoui, Ouigo, international, régional) à l'autre, d'une région à l'autre et bien sûr s'appliquent à des tarifs de base eux-mêmes fluctuants. Notons que le tarif kilométrique subsiste en principe pour les TER, avec des réductions promotionnelles à la discrétion des régions. Tout ceci rend l'anticipation des prix difficile pour le client. Surtout, la fidélisation paraît être un critère secondaire au point qu'a dû être instaurée une carte de fidélité (Grand Voyageur... mais valable uniquement sur TGV et Intercités), ajoutant une couche de complexité sur cette usine à gaz.
Il paraît pourtant que la simplicité est en soi un argument de vente.